Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mots et images de Joe Krapov
texte d'atelier d'ecriture
30 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 4, Virage à gauche (Joe Krapov)

Aldeburgh-141

210716 285 001

Longtemps il s’était tâté. Du bonheur d’être immergé, de nager sur le dos, de faire la planche dans l’eau, les doigts de pieds en éventail, il avait fini par se priver car, entré prudemment dans l’eau froide, il n’avait pu aller plus loin qu’à mi-cuisses tant elle lui avait semblé glacée.

Céleste A. n’avait pas de ces pudeurs ni de ces hésitations. De la plage où il était revenu, à moitié transi, à moitié piteux, il la regardait qui nageait et plongeait comme la plus heureuse des sirènes d’Esther Williams ou le plus valeureux des bébés requins de France Gall (qui étaient donc ces deux dames dont il entendait le nom pour la première fois de sa vie ?) .

- Elle est très bonne, mon bon Marcel ! Tu as eu tort de renoncer. Elle est froide au début mais très agréable quand on est dedans. Le tout c’est de s’y mettre.

- Ou de six mètres cinquante ! plaisanta-t-il avant de ressentir le tremblement de terre.

Ce n’était pas un séisme à proprement parler, plutôt une inclinaison régulière vers la gauche du paysage. Il avait bien repéré à un certain moment que la ligne d’horizon était plus basse à gauche qu’à droite. Mais cela s’accentuait, de plus en plus fort et de plus en plus vite. L’inclinaison était maintenant à quinze degrés et un courant contre lequel elle tentait de résister emportait Céleste au-delà des bouées blanches.

A trente degrés tout le monde sur la plage se mit à regagner en courant et en criant « Au secours ! » les hôtels, villas et camping de la ville côtière.

A 45°, il se mit à se déplacer vers la gauche en freinant avec ses talons qu’il enfonçait dans le sable car il avait perdu Céleste de vue.

A 60° la mer commença à se vider et les bateaux à se fracasser.

A 90° tout tomba, y compris lui de son lit, trempé jusqu’aux os.

***

Etait-ce un cauchemar tardif ? Un étrange rêve de fin de nuit ? Quand il ouvrit les yeux le soleil éclatait de brillance entre les interstices des volets. Il se leva et constata qu’il y avait une tache humide au milieu des draps.

Il descendit prendre son petit-déjeuner mais Céleste n’était pas dans la cuisine. Il la trouva dans le séjour ; elle était en train de mettre son linge dans une valise et elle avait à côté d’elle une grande épuisette et un ciré jaune.

- Céleste, je suis désolé, mais… J’ai encore fait pipi au lit !

- Je m’en fous, mon petit Marcel ! Tu changeras les draps tout seul ! Aujourd’hui je pars en vacances ! Direction la Bretagne !

- En vacances ?

- Les congés payés, mon petit monsieur ! Un cadeau du Front populaire !

Il ne comprenait rien du tout à ce qu’elle racontait et puis il se souvint qu’elle lui avait fait le même coup dans le cauchemar de la nuit précédente où il s’était trouvé projeté loin devant lui, en 1954.

- Mais alors, se dit-il, je suis encore en train de rêver ?

Il ouvrit les yeux. La nuit était noire de chez Michel Noir, le lit était sec de chez Miossec.

Jamais il ne passa une aussi bonne nuit que cette nuit-là !

Ecrit pour le Défi du samedi N° 672 d'après cette consigne

Publicité
Publicité
27 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 3, Odette Dejeux

Plus il se couchait de bonne heure et plus il s’endormait tard. Plus il passait des journées vides à jouer au salonnard snobinard et plus ses rêves étaient peuplés de personnages bien vivants, bien actifs, qu’il ne connaissait ni des lèvres ni des dents et pourtant, cette fois-ci, il aurait pu.

Elle s’appelait Odette Dejeux. Son père était le roi du bridge et il avait trouvé une martingale géniale pour gagner beaucoup d’argent à la roulette : il était chirurgien-dentiste.

C’était une blonde ravissante et à dix-neuf ans, elle avait déjà son permis de conduire et possédait sa propre voiture, une Simca Aronde 54.

Marcel P. s’étonnait beaucoup de ce qu’elle s’intéressât à lui au point de lui proposer, ce jour-là, une balade en voiture jusqu’au sommet du mont Pilate.

Il se sentait perdu dans ce cauchemar-là et comme soûlé du piapiatage insignifiant de la donzelle, tout aussi plein de vides que ses propres longues phrases.

Tantôt elle lui parlait de son grand-père qui était tombé au Chemin des Dames (cinq ans plus tôt ???), tantôt de sa tante Alphonsine qui avait triomphé au Châtelet dans le « Mikado » de Gilbert et Sullivan et dont la tournée était allée jusqu’aux Philippines. A Manille elle avait rencontré celui qui était devenu son mari, Augustin Lacrapette, un négociant richissime, tout le contraire d'un pouilleux mais barbu autant que Landru et surtout pas du tout puant comme millionnaire. Cette union faisait suite à une belle série d’échecs sentimentaux d’autant plus retentissants qu’ils étaient restés secrets, sauf pour la famille.

Odette conduisait très vite et avait tendance à se déporter sur la gauche dans les virages pendant qu’elle énumérait les ramifications de son arbre généalogique. En même temps que cela elle mâchonnait une espèce de bonbon élastique bizarre que Marcel n’avait jamais vu auparavant et avec lequel elle faisait surgir parfois, en soufflant dedans, un petit ballon rose hors de sa bouche très maquillée.

En voyant son étonnement devant cela, elle avait chantonné :
- Fraîcheur de vivre, Hollywood chewing-gum ! Mais en réalité c’est un vrai Malabar ! J’aime bien ce mot ! Pas toi, Marcel ?

- On devrait installer des ceintures de protection pour éviter les accidents dans ces voitures rapides, avait-il suggéré en retour, complètement hors sujet. La sécurité était le dada de Marcel et c’était paradoxal parce qu’il passait la majeure partie de son temps chez lui et ne sortait pour ainsi dire jamais de Paris.

Il avait d’ailleurs longtemps écarté cette idée d’un voyage en Suisse et il avait fallu que sa gouvernante, Dame Céleste A., lui annonçât tout de go qu’elle allait prendre des vacances pour qu’il se décidât à concrétiser ce projet de voyage en Suisse. Il avait ouvert des yeux en boule de loto. Comment Céleste pouvait-elle bénéficier, en 1922, de congés payés alors que ceux-ci ne seraient accordés à la populace travailleuse qu’en 1936 ?

Et cette fille qui avait fait plus de mille bornes avec son petit bolide lui vantait, entre deux récits de vie familiale, les prouesses de ses petits chevaux fiscaux, la souplesse du débrayage, les reprises du moteur, meilleures que celle d’un V8 américain.

Et justement, comme, on atteignait le sommet du Pilate et que Marcel avait décidé de s’en laver les mains de ces bizarreries, ledit moteur se mit à tousser. Odette rétrograda et emprunta un petit chemin de terre pour mettre le véhicule à l’écart de la route. Elle fit encore cent mètres en cahotant puis l’automobile stoppa, comme morte, à l’abri de tous les regards.

- Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit le loser asthmatique.

- Ca aurait dû me tarot-der plus vite mais la jauge est à zéro !

- La jauge ? Quelle jauge ?

- Le voyant du réservoir d’essence. Il est vide. On est en panne, Marcel !

- Ah ? Et que faut-il faire dans ce cas-là ?

- Montrer qu’on est un homme !

Elle avait approché son visage du sien et vite, très goulument, elle avait collé ses lèvres contre les siennes, mordillé sa moustache, passé ses deux mains dans ses cheveux brillantinés, introduit sa langue dans sa bouche et elle tournait, tournait, suave et sucrée, autour de la sienne alors que ses yeux à lui, grands et brillants comme des billes d’un flipper affolé, ne voyaient plus que les arbres penchés du chemin forestier. Marcel était comme électrisé.

Puis elle s’était écartée de lui, lui faisant cadeau de la boulette de gomme rose qu’il avait calée entre ses molaires interloquées. Elle avait ouvert la boîte à gants, en avait sorti un petit sachet carré et brillant qu’elle lui avait tendu.

- C’est un chewing-gum ? J’ai déjà celui que tu m’as laissé ! marmonna-t-il.

Elle avait éclaté de rire et répondu :

- Déchire-le !

Pendant ce temps elle s’était penchée sur le bas ventre du gars Marcel, avait débouclé sa ceinture, déboutonné sa braguette. Et maintenant sa main s’insinuait dans son caleçon, caressait…

Caressait pas grand-chose en fait !

Deux noix de cajou molles et un canari-dicule sans aucune dureté, aspérité ni turgescence.

Marcel, lui, agonisait, balbécutiait, se comportait en nonne qui geint, estomaqué par l’audace d’Odette qu’il jugeait odieuse.

- Ben alors ? C’est tout l’effet que je te fais, Marcel ?

C’est à ce moment-là qu’il avala le chewing-gum puis lâcha, exsangue :

- Je t’en prie, laisse tomber, Odette !

- Laisser tomber ? Encore eût-il fallu pour cela que l’objet fût monté et bien monté mais ce n’est pas le cas ! répondit-elle en retirant sa main.

Puis il se réveilla en nage et sortit de la chambre pour aller pisser.

***

Quand il se recoucha il se rendormit vite et retrouva la suite de son étrange rêve. Il marchait, seul, sur la route qui descendait à Lucerne, le pantalon mal reboutonné, la cravate de travers, décoiffé, un jerrycan vide dans la main droite, en direction de la station-service qui se trouvait à mi-pente.

Plus haut sur le Pilate Odette avait remis le préservatif intact dans la boîte à gants et puis elle était sortie éclater de rire à nouveau au grand soleil.

Jeu 66 de La Licorne (femme)

C’est la première fois qu’elle se retrouvait échec et mat avec son coup de la panne, une stratégie de séduction qu’elle avait apprise sur une plage de Belgique et qui s’était toujours révélée payante jusqu’à aujourd’hui.

A vrai dire la partie n’était que nulle. Elle était pat seulement, à ne plus pouvoir bouger de la voiture tant la panne de Marcel et la révélation qu’il lui avait faite de sa préférence pour les garçons l’avaient laissée morte de rire sur le siège conducteur de l’Aronde 54.

Elle aimait faire marcher les mecs ; aussi, parce qu’il méritait bien cela en guise de punition, de se taper un kilomètre à pied avec son jerrycan, elle attendit un quart d’heure avant de remettre le moteur en marche.

En arrivant à sa hauteur, elle ralentit, baissa la vitre du passager et lui lança :

- C’est une station Esso, Marcel ! Demande-leur de mettre un tigre dans ton moteur !

Cependant, parce qu’elle n’était pas mauvaise fille et qu’elle aimait beaucoup les contrepets, elle l’attendit à la station pour récupérer son jerrycan et redescendre le z’héros du jour à Lucerne.

- Je m’en souviendrai, de ce nain jaune ! songeait-elle. Mais qu’on ne me demande pas l’impossible : je ne cajole pas les noix des mous !


Ecrit pour le Jeu n° 66 de La Licorne (Filigrane) d'après cette consigne

3 juillet 2021

VAMOS A LA PLAGIAT !

Longtemps il s’était couché de bonne heure. Le corps apaisé d’une journée où il n’avait encore rien foutu de sa corée, comme on dit dans le Nord où ce mot n’a absolument rien à voir avec Kim Il Sung, Kim Jong Un, Kim Basinger ou Kim Novak, pas plus avec la Corée qu’avec la chicorée des maisons Leroux, Lestarquit ou Williot et où peut-être on pouvait trouver, à la rigueur, à ce mot "corée" - synonyme de corps ? - un rapport lointain avec la chorégraphie bien qu’on ne pratiquât pas plus la danse classique dans les corons que le boogie-woogie avant la prière du soir, il cherchait le sommeil en se plongeant dans quelque livre qu’on appelle de chevet parce qu’il est difficile, justement, au lit, de les achever, soit que l’on s’endormait dessus d’ennui, soit que, passionnant à outrance, ils était lu avec cette voracité telle qu’elle donna naissance à l’expression « dévorer un livre » et lors, la sagesse et la folie étant ce qu’elles étaient, on allait au bout de ses possibilités et, même si on avait tenu jusqu’à une heure du matin, les forces physiques n’étaient plus là, les paupières tombaient, les yeux se fermaient, on ne comprenait plus ce qu'on lisait, on éteignait la lampe, vaincu par sa fatigue et l’épilogue tant attendu était remis au lendemain. 

DDS 670regard-sur-les-cosmetiques-1712

Lui n’allait pas jusque-là et ne l’atteignait pas facilement pour autant, le pays des songes : un chapitre ou deux lui suffisaient pour arriver à ce moment de l’extinction mais c’était alors que surgissait le cauchemar. Une fois la lumière éteinte, il se tournait, se retournait, cherchait son trou, sur le côté gauche, sur le droit, sur le ventre, sur le dos, la tête tournée vers la droite, la tête à gauche et qu’eût-ce été s’il avait porté barbe longue, la poser sur ou sous le drap, situations horripilantes à souhait. Il aurait pu en tartiner, des pages, sur sa recherche du temps perdu ainsi à rechercher le calme, la position fœtale, la zénitude, la sensation d’être «ben aise», la chaleur des bras de Morphée, l’entrée dans le monde des rêves, le possible assommoir du sommeil régénérateur.


Et puis, à un moment donné, les fantômes arrivaient.

DDS 670 Lucerne aquarelle

C’étaient de parfaits inconnus, aucun n’avait le visage d’une de ses connaissances dans la vie réelle. Ils n’étaient pas les mêmes chaque nuit mais leur élégance était parfaite et le décor était toujours identique. C’était un pont de bois couvert qui joignait les deux rives d’une large rivière. Le pont était coudé en son centre et de l’endroit où il se trouvait, il apercevait une tour pointue de forme hexagonale dont aurait pu croire les fondations enfoncées dans l’eau-même. Plus loin une église baroque arborait deux clochers à bulbes qui lui rappelaient ce pays disparu dans les limbes, la Tchécoslovaquie dont il se rappelait les lettres disposées au cul des véhicules : CZ ainsi que le nom de Pilsen, une ville dans laquelle on fabriquait de la bière. Au-delà de ce décor une chaîne de montagnes aux sommets enneigés confirmait cette impression que tout fout le camp dans les Balkans et qu’on est con sous un balcon.

DDS 670 Albertine-1Les fantômes venaient se rassembler autour du banc sur lequel il était assis mais ils ne lui adressaient pas la parole. Ils parlaient entre eux, sans élever le ton, avec dignité mais sans chercher à éviter qu’on ne les entendît pérorer ou écoutât médire. A peine, de temps en temps, l’un d’eux jetait-il un œil dédaigneux sur ce scribe étranger qui prenait soigneusement note dans un cahier de leurs conversations. Personne ne s’en offusquait. Dans leur monde, on se fichait pas mal de ce que pouvait être la littérature. Il n’y en avait peut-être pas. La transformation du réel en fiction pour mieux saisir la réalité du monde, les fantômes s’en fichent, ils savent que rien n’a de réalité et que la vie elle-même est une fiction. Leurs noms n’étaient-ils pas des pseudonymes à consonance modianesque ? Tantôt venaient du pont couvert Odette Dejeux, Madame Lordurhin, le cheik d’Arabie Swan Lawrence, le baron Jean Chwalrus, la duchesse Albertine Troussecotte, tantôt palabraient près de lui le comte d’Argentcourt, le docteur Pascal, Vanina von Faffenheim-Munsterburg-Weinigen, les cousines Marianne et Sarah De Kat. La plus intrigante de toutes ces dames était la marquise Adrienne de Franquetot, laquelle portait immanquablement une longue cape rouge et tenait en laisse deux danois et un chihuaha.

Dans la vie comme dans le rêve, nous promenons toujours des attelages bizarres.

De toute façon, au réveil le lendemain, il ne retrouvait aucun cahier, aucune note et les conversations s’étaient enfuies dans la nuit de l’oubli.

Car après les fantômes, il y avait l’envahissement par Richard W. qui venait s’asseoir sur le banc, lui prenait le bras et lui racontait avec un enthousiasme forcené comment il avait trouvé le bonheur ici à Tribschen de 1866 à 1872 et comment auparavant il avait été sauvé par des biscottes. Si, si, des biscottes salvatrices, ça existe !

DDS 670caricature-of-richard-wagner-anonymous

- Figure-toi, mon petit Marcel, lui disait-il, que j’étais en panne d’inspiration sur l’acte III de «Tristan et Isolde». Mais en panne à un point qu’un aviateur dans le désert aurait pu me dessiner des moutons sans que ça ne me donne plus que ça d’idées pour avancer ou d’envie de becqueter des côtelettes. Alors pour oublier je canotais sur le lac des quatre Canetons, je m’épuisais en ascensions du mont Pilate et du Rigi, j’allais au musée des glaciers et même au Festival de la Rose d’or pour écouter des chansonnettes et ça n’y changeait rien. En panne, en panne, en panne ! Plus aucune musique à venir ! Tu ne sauras jamais grâce à quoi ça c’est décoincé !

Dans son endormissement Marcel ne répondait pas mais Richard n’en avait cure. Il était de ces locuteurs qui n’ont besoin d’une paire d’oreilles extérieures que comme faire-valoir, l’exemple même de l’Emetteur contemporain de pouces baissés plutôt que levés, qui twitte son avis sur tout, intervient partout et ne sait même plus que les oiseaux, lorsqu’ils ne sont pas bleus, chantent bien plus joli que le son du streaming. Ce genre de gens qui ignorent qu’au milieu des villes coule une rivière et que l’on peut murmurer à l’oreille des chevaux sur la route de Madison ou qu’on peut vivre plus proprement avec un portable éteint en permanence.

 

DDS 670 Zwieback

- Les Zwieback, Marcel ! s’esclaffait Wagner car c’était bien lui, les plus perspicaces de nos lecteurs et lectrices l’auront identifié sans peine. Je logeais alors à l’hôtel Schweizerhof et un jour où je contemplais le ciel gris avec un parfait désespoir je reçus par la poste, envoyée par Mathilde Wesendonck, de Zurich une boîte de biscottes (Zwieback). Enfant ! Enfant ! Enfin ! Les zwieback ont produit leur effet ; grâce à eux, j’ai franchi certaine mauvaise passe où je restais empêtré depuis huit jours, n’ayant pu avancer dans mon travail musical notamment pour trouver la transition du vers "ne pas mourir de désir" au voyage en mer de Tristan blessé. Quand les zwieback arrivèrent, je pus me rendre compte de ce qui m’avait manqué : ceux d’ici avaient un goût beaucoup trop amer. Impossible qu’ils me donnassent l’inspiration ! Mais les bons vieux zwieback, trempés dans du lait, remirent tout dans la bonne voie. Et ainsi je laissai de côté le développement du début, et continuai la composition à l’endroit où il est question de la Guérisseuse lointaine. Maintenant je suis tout heureux : la transition est réussie au-delà de toute expression par l’union absolument splendide des deux thèmes. Dieu, ce que les bons zwieback peuvent produire ! Zwieback ! Zwieback ! Vous êtes le remède qu’il faut aux compositeurs en détresse – mais il faut tomber sur les bons ! 

DDS 670129408923_o

***

Au réveil, Marcel ne se souvenait plus que de cette histoire de biscuit trempé. Fallait-il qu’il en parle à son ami Jacques qu’il accompagnait à l’accordéon tous les après-midi dans son tour de chant aux jardins du casino afin que ce récit de rêve le réconcilie avec sa maudite Mathilde à lui ou devait-il lui conseiller de ne plus rien attendre de Madeleine de Commercy ?

N’était-ce pas là une façon de tendre des verges pour se faire battre ? Son propre problème de tentative de record nocturne d’échec en identification de paysages au palais insomnisports de Bercy ne primait-il pas sur son amitié pour le Belge ?

Le Jacky ne l’avait-il pas accueilli hier, au kiosque à musique, avec ce méchant sarcasme :

- Hé ben mon vieux Marcel, à force de te coucher de bonne heure et pas dormir, t’en as une chouette tête de décavé ! Si tu voyais ta tronche de déterré éthéré et Lucerne que t’as sous les yeux ! On dirait que tu t’es fait battre par la Suisse à l’Euro ! Allez, enfile tes bretelles et chauffe-nous ça !

Et tout en appuyant sur ses touches, il éliminait : Vierzon ? Vesoul ? Pas de clocher à bulbe par là, ça ne colle pas. Varsovie, peut-être, à cause des remparts ou alors Montcuq ?

DDS



Ecrit pour le Défi du samedi n° 670 d'après cette consigne,

la photo d'été de Miss MAP :

DDS 670129408923_o

26 juin 2021

LUMIÈRE NOIRE

DDS 669 Et Dieu créa la femme

Et Dieu créa la femme !

Or très souvent femme varie. Elle s’aime en tutu, en Tati, en louloute, se trouve bien en louve, est ravie en Lola, avenante de Nantes qui vole à Demy la vedette.

Jamais rien de traviole, ultra-chic, elle trotte, irradie. Elle s’est au fil du temps lotie d’une variété de rôles triés sur le volet : Violeta (Traviata), Lorelei, Lolita, elle rutile sur la scène ou sur le Rhin ou fait l’étoile sur la toile.

Elle est amour d’autrui, vérité nue, reine de tarot, volute bleue, fée à main verte, ouvre la route de l’Oural et des « hourra ».

C’est la plus belle trouvaille du Travolta céleste. Si elle n’a de valeur qu’une côte d’Adam, pour deux sous de violette un arc-en-ciel paraît. Nous voilà outillés d’un kaléidoscope de vertu, d’orteils peints, de «Tortue, vite, vite !», de «Passons outre à tout !», de «Pêche un peu la truite !», de «Chasse un peu la loutre !», de «Qui luttera vivra et qui vivra verra !».

Et Dieu créa la femme !

Puis il la fit entrer dans ta vie !

DDS 669 Proust tailleur de vétillesDès lors illuminé, ébloui, envoûté par ses trilles de roitelette, ses ariettes, ses triolets d’alto, toute cette oralité qui éteint aussi bien les rivalités que les trivialités, le troll devient voleur de feu, rêveur d’ovule, tirailleur, amiral ou simple travailleur. Pour devenir l’alter ego de cette fée il prend truelle et lui construit une villa. Le voilà valet voûté, cuisineur de ravioles, tartes et ratatouilles, pêcheur de tourteaux sur le littoral, auteur de tutoriels, livreur de vitres à vélo de Vire jusqu’à Livarot, tailleur de vétilles entre Cabourg et Trouville, ravitailleur en vol, travelo virtuel et même parfois violeur de lois.

Et Dieu créa la femme pour qu’elle chauffât Marcel, comme a dit le Trouvère du plat pays !

A cet amour de la bronzette jusqu’au rôti, ajoutons-y un peu de «n» et ce sera… ultraviolent !

Mais aussi… quel jeu de lumière, quel éclat fort et volatil, quel rayon de soleil, cet instant où l’on sait que c’est, que ce sera toujours toi, toi mon toi et pas une autre !

J’ajouterai encore deux choses qui n’ont rien à voir ici :

De cette vie qui nous travaille
Rien n’est fixé dans le vitrail
Et pas même l’heure dernière

Pour qui se veut croire immortel.

Et

La Lorelei : malgré son bon coup de Rhin
N’avait pas le pied marin.

DDS 669 Lorelei

Ecrit pour le Défi du samedi n° 669

d'après cette consigne : ultraviolet

19 juin 2021

TOUT LE MONDE FAIT DE LA TROTTINETTE !

Tout le monde fait de la trottinette !

Les bonnes sœurs en cornette
La reine Elisabeth,
Sidonie-Gabrielle (Colette !)
Le fileur de parfaite amourette,
La petite marchande d’allumettes,
Les porteurs d’amulettes,
Et même la cousine Bette

Tout le monde fait de la trottinette !

DDS

Le mangeur d’andouillette, de blanquette, de côtelettes,
de coquillettes, de galettes complètes, de crêpes Suzette,
celui qui s’envoie des gaufrettes dans la gargoulette

Le buveur d’anisette à la buvette, de canettes à la guinguette,
le danseur à casquette, celui qui boit de la clairette en chemisette,
celle qui attend, fluette, le Tango des fauvettes,

La chanteuse d’ariettes de Lamballe,
la susurreuse de bluettes sans luette,

Les brunettes, les blondinettes à bouclettes, à frisettes,

Tout le monde fait de la trottinette !

DDS 668 Dubout

 

Les fous de la gâchette
Maigret avec sa chansonnette
Don Camillo et ses burettes
Le conducteur de camionnette
Le tâteur de têtons à l’aveuglette
Le poseur de girouette
Le marchand de balayettes à nettoyer la tinette
Le marchand de tourniquettes à faire la vinaigrette
Les adeptes de la fumette, les chanteurs d’opérettes, les pipelettes
Le chef d’orchestre et sa baguette

Tout le monde fait de la trottinette !

Vraiment la trottinette,
Quelle joyeuse amusette !

Le zouave à baïonnette à la braguette ouverte,
Les japonais dans leur brouette,
Carmen avec ses castagnettes,
Ramsès II dans ses bandelettes,
Tchaïkovski et son casse-noisettes,
Les tailleuses de bavettes,
Et Samuel Beckett,

Tout le monde fait de la trottinette !

On se tire même la barbichette à trottinette !
Mets ta binette sur internet à trottinette
Ma sœur cadette !

Le chasseur d’avocettes et de bergeronnettes,
Le loup, le renard et la belette,
La Tusortiras Decechou biquette,
Lola Chevillette, Paméla Bobinette
La catherinette, la gigolette,
Bécassine et Marinette,
Jean Valjean et Cosette,
Le joueur de clarinette, la joueuse d’épinette,
Papageno et ses clochettes,
Mandryka et ses Clopinettes,
Paulette la reine des paupiettes,
Vegas et Germaine en goguette
En font aussi (mais en cachette)

Tout le monde fait de la trottinette !

DDS 668 Vegas

Même les durs de la comprenette, les lopettes, les mauviettes,
Corto, capitaine de corvette,
Les cousettes, les coquettes, les douillettes,
les croquignolettes, les joueuses de crapette, les divettes,
les starlettes, les poseuses de devinettes,
les fillettes, les femmelettes, les grassouillettes,
les grisettes, les guillerettes, les midinettes,
les messieurs à fixe-chaussettes,
les joueurs de fléchettes, les porteurs de gourmette,
les montreurs de marionnettes, les pique-assiette et les nymphettes,

La môme Crevette,
Gustave Courbette,

Tout le monde fait de la trottinette !

DDS 668

Pour frimer sur la Croisette,
Pour aller faire des galipettes,
Ou ses emplettes,
Pour payer ses dettes,
Pour conter fleurette,
Pour pousser l’escarpolette,
Pour prendre la poudre d’escampette,
Pour respecter l’étiquette,
Pour entretenir l’exosquelette,
Pour aller faire de la grimpette dans une chambrette,
Rien ne vaut la trottinette !

En sandalettes ou en socquettes,
Tout le monde fait de la trottinette !
Tout le monde se casse la margoulette !
Tout le monde écoute les sornettes
Et patine sur la savonnette !

A part Gérard Lambert qui roule à mobylette
Et moi, poète anachorète,
Qui marche toujours sur mes gambettes
Ou bien parfois à bicyclette,
Tout le monde fait de la trottinette !

Le monde retourne à la layette !
Le monde n’est pas dans son assiette !

Le monde a fumé de l’herbette !

Le monde se barre en sucette…
A trottinette !

Ici finit mon historiette.

Ecrit pour le Défi du samedi n° 668

d'après cette consigne : Trottinette.

Publicité
Publicité
15 juin 2021

C'ÉTAIT PAR UNE NUIT SOMBRE ET ORAGEUSE

Jeu 65 de La Licorne - Snoopy

Mon cher Snoopy

Je t’écris du château des Milandes en Dordogne (France) où je suis un stage de reconversion en rapace nocturne.

La France a beaucoup changé depuis l’époque où tu survolais les pauvres totos dans les tranchées et le Baron Rouge n’est plus là pour faire des trous dans la carlingue de ton Sopwith Camel.

Notre instructeur, Monsieur Synthex, a du mal à croire que mes amis et moi nous réunissons dans ta niche pour jouer au bridge ! S’il savait que je joue aussi aux échecs et que je suis un spécialiste de l’ouverture 1. f4, dite le début Bird ! J’ai l’impression que pour M. Synthex, comme pour l’adjudant Chaval, les oiseaux sont des cons !

En attendant sa méthode est très efficace et d’effectuer des vols de nuit m’a guéri de mes saignements de bec. Ceux-ci ne survenaient que le jour, lorsque je m’élevais à plus de trois mètres du sol. Dans le noir on a moins conscience de la hauteur à laquelle on se trouve et on est donc moins sujet au vertige.

Encore trois journées, enfin, trois nuitées à tirer et ensuite je reprends l’avion pour les Etats-Unis. Voler au-dessus d’un océan ou même au-dessus d’un lac me donne le mal de mer. Il faudra que je suive un autre stage pour me guérir de ça. Peut-être avec monsieur Mer-moz ? Hi hi hi hi !

Transmets mes amitiés à Bill, Conrad, Olivier et Harriet. Tu peux même aussi donner un coup de patte affectueux au petit garçon à tête ronde, celui que j’ai baptisé « Face de Lune » !

A très bientôt !

Woodstock

Jeu 65 de La LicorneP.S. Je te joins une photo de moi avec le moniteur du stage. Elle a été prise par Titi de « Titi et Grominet ». Ca n’est pas vraiment un aigle mais il est sympa comme garçon.


Ecrit pour le Jeu n° 65 de La Licorne (Filigrane)

d'après cette consigne.

12 juin 2021

PRIERE DE ROSE

DDS 667 Agnès Sorel

La rose au soleil est devenue folle !

La voilà qui solfie par-dessus ses folioles sur le sol de son île et, telle Lorie, chante :

« Eros, en qui j’ai foi, qui imposes ta loi même aux rois, qui fais de l’homme un serf et de la fille un feu suspendu à ton fil, qui rend fol tout mortel sur la frise du temps, je n’ose pas penser que mes jours sont comptés et qu’ils sont érosifs, loin de toute érotique ! En mon for intérieur je pense que tu foires ! Sire du olé-olé et de la bagatelle, trouve-moi un loser qui jette un œil sur moi et soit pris de folie, qui m’isole, me frôle comme si je fusse fille et portasse lolos comme à l’Agnès Sorel plutôt que des épines ! Elis-moi un bon petit esclave aux fers, un poète qui m’aime et me chante en ses vers. Vite, car il fait soif d’amour sur cette terre !".


Cupidon s’en émut, en parla à Vénus. Vulcain, le bricoleur, leur fit un soliflore. On l’offrit à la fleur.

Et c’est à moi bien sûr qu’on a attribué le rôle du loser ! C’est très osé mais le dieu de l’amour, expert en récipients, coups de pot et blagues vaseuses, on peut se fier à lui dès qu’il s’agit de se payer notre fiole !
 



Ecrit pour le Défi du samedi n° 667 d'après cette consigne : soliflore.

DDS 667 Soliflore 129289841

9 juin 2021

DE LILLE A L'ILLE

210608 285 006

C’est la première fois que je photographie ces parallèles verticales. La cheminée est celle de la buanderie Saint-Cyr. On apprenait jadis ici à des filles « perdues » le métier de lingère. Les bonnes sœurs dont certaines sont maintenant enterrées dans le petit cimetière en face de nous, dans un carré de haies à l’ombre des pins, leur apprenaient comment serrer la haire et verser le Bonux avec la discipline. Mais c’était sans souplesse ni Soupline.

La tour reste à jamais celle de France-Télécom même si c’est devenu Orange – la 5G est bleue comme une prise de terre ! – et que cet immeuble très science-fictionnel des années soixante s’appelle maintenant La Mabilais.


210608 285 007Ce qu’on ne voit pas sur la photo c’est l’Ille qui court sans se presser derrière ce mur couvert de mousse. Un peu plus loin, derrière le cèdre du milieu de la pelouse, elle se jette au pied de l’octroi dans la Vilaine et les deux donnent leur nom à ce département numéroté 35 où je vis depuis vingt-trois ans.

Si on part dans l’autre sens, vers notre gauche donc, on longe la rivière vers Saint-Grégoire et Betton.

Bien avant d’y arriver on traverse Rennes en allant de son Ouest vers son Nord. On passe à l’arrière de l’école Papu, au pied de la tour des Horizons, on arrive Boulevard du Maréchal De Lattre de Tassigny à la bifurcation. On a canalisé ici un bras de la rivière, celui qui passe sous le pont Bagoul et va rejoindre la Vilaine au pont de Bretagne, juste après que celle-ci s’est extirpée du trajet souterrain qu’on lui a imposé afin de construire par-dessus son cours un parking pour automobiles.

Mais revenons à l’Ille. Au bas de la rue Legraverend et de celle du 41e Régiment d’infanterie, pas loin de la station de métro Anatole France qui est construite bien en profondeur, c’est le début du grand déballage de septembre : la braderie Saint-Martin. Elle durait autrefois deux jours pleins et drainait un monde fou. Dans ce vide-grenier à ciel ouvert on trouvait de tout, du poster de Brad(e) Pitt aux poupées de porcelaine, du vélo volé au crucifix volant, de la plaque publicitaire émaillée à l’édition du Livre de poche d’avant notre naissance du roman « Hôtel du Nord » d’Eugène Dabit. Ne cherchez pas dans les pages de ce livre le fameux « Atmosphère, atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » d’Arletty. Il n’y figure pas, c’est un ajout d’Henri Jeanson pour le film éponyme avec Louis Jouvet. « Note ça dans ton carnet, Marcel ! » comme disait Céleste à Proust.

Je songe sans doute à ce film parce qu’hier, en revenant de La Bellangerais à pied par la coulée verte, j’ai découvert qu’on avait installé, presque en face de la Maison de la poésie, une passerelle permettant de passer d’une rive à l’autre de l’Ille.

210214 Nikon 013

L’endroit que je préfère se trouve au niveau de l’écluse, près de l’auberge de jeunesse. C’est de nouveau un paysage simenonien avec des péniches à demeure : elles ne naviguent plus.

210608 285 008Voilà, nous non plus, nous ne bougerons pas ! Nous avons trouvé un beau coin d’ombre au bout du parc Saint-Cyr. C’est l’été. Les familles sont posées sous les arbres, les gamins font du vélo, les Africaines s’allongent dans l’herbe pour bronzer, une des deux vahinés joue du ukulélé, un chien pataud remue la queue en courant derrière la baballe, nos stylos bougent doucement mais bientôt ils vont s’arrêter : nous allons jeter l’ancre.

Je suis venu de Lille à l’Ille et la douceur du temps, celle du paysage m’apostrophent que c’en est à deux doigts du bonheur complet !

La semaine prochaine ce sera le pot de fin d’année.

Bonnes vacances à tout le monde !

 

Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 8 juin 2021

d'après la consigne AEV 2021-34 ci-dessous

5 juin 2021

NON-PARTICIPATION

- Pourquoi tu refuses de participer au Défi de ce samedi ? T’es fâché avec quelqu’un ? On t’a traité de paltoquai la dernière fois ?

- Pas du tout !

- Tu te mets à toi-même une ceinture de pachasteté ?

- Pas le moins du monde !

- Personne ne te lance plus d’oeillade assassine quand tu délires par trop ?

- Sont très tolérant·e·s, les gars et les filles, là-bas !

- On s’est moqué de ton slip trop grand pour toi quand tu as parlé de nébuleuse ?

- J’assume complètement d’avoir été habillé à la mode vintage !

- On t’a taxé de misogynie ?

- Certainement pas ! Je ne suis pas contre les femmes, tout contre, et je le regrette bien parfois !

- Alors pourquoi tu ne participes pas ? Pourquoi tu te rebelles aujourd’hui ?

- Ben parce que c’est ce qu’on me demande ! C’est la consigne de la semaine, « rebelle » !
 



Réalisé pour le Défi du samedi n° 666 d'après cette consigne : rebelle.

2 juin 2021

WODKA, NIE WODA !

AEV 2021-33 Jean-Paul Deûle

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, paraît-il, ni de naître dans un pays où le plus sympathique des trous de verdure où coule une rivière s’appelle le canal de la Deûle.

Avec une partie de la famille originaire de Hasnon (prononcer «Ah non» comme dans «Ah non, alors !») j’aurais pu protester et réclamer une installation plus poétique sur les bords de la Scarpe, de la Lys ou de l’Escaut tout proches. Mais je n’avais pas voix ni voie d’eau au chapitre.

Alors quand ma vie a suivi son cours et que j’ai pu naviguer de mes propres ailes ou plutôt de mes propres rames, j’ai fait comme tout le monde et je suis monté à Paris voir si la Seine coulait encore sous le pont Mirabeau. Elle y était bien mais si j’en crois le Jeu des mille euros elle aurait dû s’appeler l’Yonne. Et pour ce qui est des gens du Nord je crois qu’il faut dire qu’on descend à Paris.

Evidemment, lorsque vous habitez la capitale et que vous avez vingt ans vous vous en fichez de la Seine. Les seuls ponts qui vous intéressent sont ceux du mois de mai. Les moustiques du Maroni, même s'ils ont depuis émigré jusqu’au Rheu, vous font aussi peu d’effet que les bateaux-mouches qui zonzonnent au pied de la tour Eiffel.

AEV 2021-33 JK 170714 Nikon 153

Même Georges Perec qui fut plus longtemps parisien que moi n’était jamais monté à bord de ces pièges à touristes. Mais puisqu’il est question de liquide aujourd’hui, j’admets que j’ai le crachat facile. N’ai-je pas succombé pour ma part, par amour du dérisoire, à la croisière sur la Meuse célébrée autrefois par le «Clair de Lune à Maubeuge» de Pierre Perrin ?

Et le summum du paradisiaque n’est-il pas encore à mes yeux le parcours en vaporetto de la plus belle avenue du monde, le Grand canal à Venise ? Mais, c’est vrai, ce n’est pas un cours d’eau, juste une voie de passage dans une cité lacustre, ça ne compte pas. Et puis maintenant avec Air Biènbi, les paquebots de croisière géants et le tourisme de masse, je ne suis pas loin de penser avec Charles Aznavour et Françoise Dorin que c’est triste, Venise.

AEV 2021-33 JK jpa jpi jojo à TenceBien sûr, dans la photothèque familiale, il y a bon nombre de rivières dans lesquelles pêchaient le père et le grand-père, dans lesquelles baignaient les enfants. Sur la photo de Tence, dans la Loire, mon frère, mon oncle et moi faisions flotter des petits bateaux ou pêchions à la casserole de tout petits alevins, bien sûr non comestibles : il est bien connu que quand l’alevin est tiré il ne faut pas le boire.

Sont-ce dans les gorges de la Dordogne qu’était situé le pont de fer près de Messeix ou Bourg-Lastic? La famille se posait là l’après-midi, on se baignait dans la rivière avec le cousin instituteur, sa femme et ses enfants. S’il y a bien quelque chose de typique dans le monde de «Bienvenue chez les Ch’tis» c’est cet amour de la vie en tribu. Si on a trouvé un coin à champignons, on y emmène tous mes copains. Si on a dégoté un endroit plus joli que le canal de la Deûle – un plan pas trop difficile à réaliser en fait -, on y installe toute sa famille ! Ce camping de Cabasse, sur les bords de l’Issole, il en aura vu défiler, des gens du Nord ! Et même de Bretagne ! Je rêve encore de ce petit vin de Provence, du domaine de Campdumy, propriété de la famille Gavoty dont le patriarche, Bernard, était un critique musical renommé. Les routes parcourues à vélo, le lac de Carcès, la côte d’Entrecasteaux, le petit soleil de ce 1er juin et le silence environnant mon jardinet - shrubbery chez Sacré Graal ! - m’y ramènent en esprit.

09 Sablé - Pénichette sur la Sarthe avec l'église en fond (vue depuis l'écluse) 1992 03 08 (4 de 4)Et puis après de mon côté commence le grand recueil photographique de l «Apologie des villes d’eaux». Reprendrez-vous de mes délicieux «Morceaux de Sablé en vrac entremêlés de quelques aperçus de Solesmes» ? De mes «Dix sonnets à la gloire de Bruges» ? Aux petits bonheurs de la Sarthe j’ai dédié quelques poèmes, des aquarelles et des tonnes de diapositives. Sur la capitainerie du port de Sablé-sur-Sarthe j’ai immortalisé des dizaines de pénichettes, des barques à Solesmes ou à Morannes, capté des brumes, des reflets et même vu la glace en couvrir la surface d’une pellicule blanche.

Las ! J’aimais tant la rivière qu’elle a débordé de reconnaissance à mon égard et s’est invitée dans notre maison. Ca s’appelle une inondation et ça n’a pas vraiment plu à mon épouse ni à mes enfants. Nous avons quitté la rue du Petit port et depuis nous n’habitons plus qu’un 1er ou deuxième étage à bonne distance des rivières environnantes.

Bien sûr, au fil de nos voyages, sans être allés jusqu’aux rives du Maroni, nous avons vu l’Arno sous le ponte vecchio, Florence en 2002 à la place d’Amsterdam, écartée pour cause d’hôtels pleins à cause d’une grande exposition Van Gogh.

J’ai connu la Seine à Rouen, la Garonne à Toulouse, l’Isar à Munich, l’Aulne au bout du canal de Nantes à Brest, l’Odet à Quimper, la Loire et ses châteaux, le Loir à La Flèche, le Léguer à Lannion, la Dordogne à Brantôme, Le Rhône et la Saône à Lyon, la Moldau (Vltva) à Prague dans un camping avec feu de camp à deux mètres de notre tente avec force buveurs de bière à rôts sonores (les Tchèques ne viennent jamais sans provisions).

Il en manque plein, bien sûr, de ceux qui servent aux mots croisés, l’Ob et l’Ienisseï, l’Aa de Petit Fort-Philippe. De ceux qui sont plein d’esses et regorgent de pets comme le Mississippi. De ceux dont l’environnement a fait littérature, du «Don paisible» au bas-pays de la plaine du Pô cher au Don Camillo de Giovanni Guareschi dont je me régale en ce moment.

Mais je devrais m’arrêter-là dans mon lyrisme. Je n’ai pas vraiment de quoi tirer fierté de ce périple, de ces randonnées, de ces pédalées, de ces séjours dont je suis revenu sans trous rouges au côté droit mais où je me serai aM(e)usé beaucoup plus que Rimbaud.

Parce que voyez-vous, quitter le canal de la Deûle pour venir se poser au bord de la … Vilaine, je ne vois pas vraiment où est le bénéfice !

En plus il y a en Bretagne autant sinon plus d’alcooliques que dans les Hauts de France. Qu’est-ce qu’ils ont tous ces gens à ne pas aimer l’eau ?

Je lève quand même mon verre à leur santé. Si, si, c’est de l’eau. De l’eau-de-vie !


Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 1er juin 2021

à partir de la consigne AEV 2021-33 ci-dessous

Publicité
Publicité
Mots et images de Joe Krapov
Publicité
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 788 859
Archives
Newsletter
Publicité