Apprendre le français, ce doit être une punition bien pire encore que le goulag !
Si j’étais étranger, je ne sais pas si je ne préférerais pas me déplacer à pied dans la neige sibérienne ou demeurer inuit monoglotte dans mon igloo plutôt que de m’atteler à l’apprentissage des exquis mots de cette langue illogique et complexe au point qu’elle perturberait mon unique neurone. Si j’étais étranger, je crois que je n’aurais encore et toujours qu’un seul neurone et des synapses en capilotade. D’ailleurs ne suis-je pas un étranger, vu de Bruxelles, d’Iowa, du Vexin ou de Sibérie, des pays où il neige bien plus qu’à Rennes-des-Tropiques-du-Cancer ?
Mais revenons à la linguistique, la sémantique, la casuistique et à nos moutons de Panurge qui broutent dans la taïga tandis que passe la troïka par-dessus les banques gigognes à Chypre. Le mot que nous examinerons aujourd’hui est en effet « oligarchie ».
La seule chose à retenir pour nous de ce système peu unique mais fort inique est que le tenant de l’oligarchie ou plutôt celui qui est à sa tête s’appelle un oligarque. Jusque-là, tout va bien, ou mal si on est en Russie et qu’on est journaliste un petit peu trop curieuse des moeurs de ces oiseaux.
En France, avant l’oligarchie, nous avions la monarchie. A la tête du royaume se trouvait le roi ou le monarque. Jusque-là tout allait bien aussi sauf que le système a disparu lorsque le roi Louis XVI n’a plus eu toute sa tête.
On aurait pu, je trouve, appeler le système qui s’ensuivit l’oliguillotinarchie mais, outre que je n’étais pas né à cette époque pour faire des suggestions a Fabre d’Eglantine, on a préféré l’appeler « la Révolution française » et/ou « la Terreur ». Certains nostalgiques éclairés de la monarchie, les aristocrates dits « à la lanterne », prétendent que, depuis, c’est l’anarchie. Et c’est là, de fait, que la langue française se met à déconner ! Du coup, chose peu croyable, je suis d’accord avec eux alors que je suis né sans culotte – on me l’avait barbotée dans ma couveuse à la maternité de Wambrechies-dans-la-Colle -. En effet au concept d’anarchie ne correspond aucun vocable qui ressemble de près ou de loin à « anarque » !
C’est quoi, ce bordel ? Comment voulez-vous que mon étranger francophile s’y retrouve s’il n’y a pas plus de logique que cela dans nos phonèmes, nos syntagmes, nos paradigmes, nos apophtegmes, nos dogmes et nos zeugmes ?
En même temps, l’absence d’ « anarque » est un peu logique : les tenants de l’anarchie n’aiment pas les chefs. On les appelle donc tous du même nom d’anarchistes ou d’anars. « Y’en a pas un sur cent mais pourtant ils existent », comme chantait Léo Ferré. Mais ne leur jetons pas la pierre car l’autre difficulté pour nos amis étrangers provient, dans le camp d’en face, de cette nouvelle catégorie d’oligarques qu’on appelle des énarques. Pour ceux-là, point d’ « énarchie » mais une ENA (Ecole Nationale d’Administration). Va comprendre, Charles !
Vous avouerez que Stéphane Hessel avait raison et qu’il y a là de quoi s’indigner comme je le fis la semaine dernière en donnant ma définition un peu abrupte du directeur. Alors tant pis si je passe pour un anarchiste mais à l’instar de Guy Bedos qui n’avait pas d’indignations sélectives mais des indignations successives, je dirai à nouveau, ce jour, que les gens de pouvoir nous emmerdent, « bien plus qu’ils ne nous font rire » mais là c’est Coluche qui parle.
Pour en finir une fois pour toutes avec ce sujet un peu pourri, glissons sur la neige fraîche et dans notre cours quelques notions de bonnes mœurs et de savoir-vivre. Bouclons la boucle et revenons au goulag, comme disait Soljenitsyne. Apprenez qu’en Russie, on ne dit plus « Comment tu vas camarade oligarque ? ». Non, maintenant on demande : « Comment ça gaze, Prom ? ».
On ne dira pas non plus au poète Pétrarque : « Eh mec, y ‘a ta pétroleuse qui s’est encore plus que bourrée à la vodka ! » On lui demandera : « Est-ce que vous avez lu Tintin au pays de Laure noire ? ».
Je vous aurais bien volontiers parlé aussi des hérésiarques, des anasarques, des hiérarques, des éparques, d’E.M. Remarque, des trois Parques, d’Isaure Chassériau et des Frères Park (Jurassic, Luna et Central) et de tous ces autres hôtes de marque qui nous mènent en barque mais j’ai assez dit de bêtises pour aujourd’hui. Je repasserai la semaine prochaine… ou bien Plutarque !
Ecrit pour "Un mot, une image, une citation" du 25 mars 2013