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Mots et images de Joe Krapov
3 juillet 2021

VAMOS A LA PLAGIAT !

Longtemps il s’était couché de bonne heure. Le corps apaisé d’une journée où il n’avait encore rien foutu de sa corée, comme on dit dans le Nord où ce mot n’a absolument rien à voir avec Kim Il Sung, Kim Jong Un, Kim Basinger ou Kim Novak, pas plus avec la Corée qu’avec la chicorée des maisons Leroux, Lestarquit ou Williot et où peut-être on pouvait trouver, à la rigueur, à ce mot "corée" - synonyme de corps ? - un rapport lointain avec la chorégraphie bien qu’on ne pratiquât pas plus la danse classique dans les corons que le boogie-woogie avant la prière du soir, il cherchait le sommeil en se plongeant dans quelque livre qu’on appelle de chevet parce qu’il est difficile, justement, au lit, de les achever, soit que l’on s’endormait dessus d’ennui, soit que, passionnant à outrance, ils était lu avec cette voracité telle qu’elle donna naissance à l’expression « dévorer un livre » et lors, la sagesse et la folie étant ce qu’elles étaient, on allait au bout de ses possibilités et, même si on avait tenu jusqu’à une heure du matin, les forces physiques n’étaient plus là, les paupières tombaient, les yeux se fermaient, on ne comprenait plus ce qu'on lisait, on éteignait la lampe, vaincu par sa fatigue et l’épilogue tant attendu était remis au lendemain. 

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Lui n’allait pas jusque-là et ne l’atteignait pas facilement pour autant, le pays des songes : un chapitre ou deux lui suffisaient pour arriver à ce moment de l’extinction mais c’était alors que surgissait le cauchemar. Une fois la lumière éteinte, il se tournait, se retournait, cherchait son trou, sur le côté gauche, sur le droit, sur le ventre, sur le dos, la tête tournée vers la droite, la tête à gauche et qu’eût-ce été s’il avait porté barbe longue, la poser sur ou sous le drap, situations horripilantes à souhait. Il aurait pu en tartiner, des pages, sur sa recherche du temps perdu ainsi à rechercher le calme, la position fœtale, la zénitude, la sensation d’être «ben aise», la chaleur des bras de Morphée, l’entrée dans le monde des rêves, le possible assommoir du sommeil régénérateur.


Et puis, à un moment donné, les fantômes arrivaient.

DDS 670 Lucerne aquarelle

C’étaient de parfaits inconnus, aucun n’avait le visage d’une de ses connaissances dans la vie réelle. Ils n’étaient pas les mêmes chaque nuit mais leur élégance était parfaite et le décor était toujours identique. C’était un pont de bois couvert qui joignait les deux rives d’une large rivière. Le pont était coudé en son centre et de l’endroit où il se trouvait, il apercevait une tour pointue de forme hexagonale dont aurait pu croire les fondations enfoncées dans l’eau-même. Plus loin une église baroque arborait deux clochers à bulbes qui lui rappelaient ce pays disparu dans les limbes, la Tchécoslovaquie dont il se rappelait les lettres disposées au cul des véhicules : CZ ainsi que le nom de Pilsen, une ville dans laquelle on fabriquait de la bière. Au-delà de ce décor une chaîne de montagnes aux sommets enneigés confirmait cette impression que tout fout le camp dans les Balkans et qu’on est con sous un balcon.

DDS 670 Albertine-1Les fantômes venaient se rassembler autour du banc sur lequel il était assis mais ils ne lui adressaient pas la parole. Ils parlaient entre eux, sans élever le ton, avec dignité mais sans chercher à éviter qu’on ne les entendît pérorer ou écoutât médire. A peine, de temps en temps, l’un d’eux jetait-il un œil dédaigneux sur ce scribe étranger qui prenait soigneusement note dans un cahier de leurs conversations. Personne ne s’en offusquait. Dans leur monde, on se fichait pas mal de ce que pouvait être la littérature. Il n’y en avait peut-être pas. La transformation du réel en fiction pour mieux saisir la réalité du monde, les fantômes s’en fichent, ils savent que rien n’a de réalité et que la vie elle-même est une fiction. Leurs noms n’étaient-ils pas des pseudonymes à consonance modianesque ? Tantôt venaient du pont couvert Odette Dejeux, Madame Lordurhin, le cheik d’Arabie Swan Lawrence, le baron Jean Chwalrus, la duchesse Albertine Troussecotte, tantôt palabraient près de lui le comte d’Argentcourt, le docteur Pascal, Vanina von Faffenheim-Munsterburg-Weinigen, les cousines Marianne et Sarah De Kat. La plus intrigante de toutes ces dames était la marquise Adrienne de Franquetot, laquelle portait immanquablement une longue cape rouge et tenait en laisse deux danois et un chihuaha.

Dans la vie comme dans le rêve, nous promenons toujours des attelages bizarres.

De toute façon, au réveil le lendemain, il ne retrouvait aucun cahier, aucune note et les conversations s’étaient enfuies dans la nuit de l’oubli.

Car après les fantômes, il y avait l’envahissement par Richard W. qui venait s’asseoir sur le banc, lui prenait le bras et lui racontait avec un enthousiasme forcené comment il avait trouvé le bonheur ici à Tribschen de 1866 à 1872 et comment auparavant il avait été sauvé par des biscottes. Si, si, des biscottes salvatrices, ça existe !

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- Figure-toi, mon petit Marcel, lui disait-il, que j’étais en panne d’inspiration sur l’acte III de «Tristan et Isolde». Mais en panne à un point qu’un aviateur dans le désert aurait pu me dessiner des moutons sans que ça ne me donne plus que ça d’idées pour avancer ou d’envie de becqueter des côtelettes. Alors pour oublier je canotais sur le lac des quatre Canetons, je m’épuisais en ascensions du mont Pilate et du Rigi, j’allais au musée des glaciers et même au Festival de la Rose d’or pour écouter des chansonnettes et ça n’y changeait rien. En panne, en panne, en panne ! Plus aucune musique à venir ! Tu ne sauras jamais grâce à quoi ça c’est décoincé !

Dans son endormissement Marcel ne répondait pas mais Richard n’en avait cure. Il était de ces locuteurs qui n’ont besoin d’une paire d’oreilles extérieures que comme faire-valoir, l’exemple même de l’Emetteur contemporain de pouces baissés plutôt que levés, qui twitte son avis sur tout, intervient partout et ne sait même plus que les oiseaux, lorsqu’ils ne sont pas bleus, chantent bien plus joli que le son du streaming. Ce genre de gens qui ignorent qu’au milieu des villes coule une rivière et que l’on peut murmurer à l’oreille des chevaux sur la route de Madison ou qu’on peut vivre plus proprement avec un portable éteint en permanence.

 

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- Les Zwieback, Marcel ! s’esclaffait Wagner car c’était bien lui, les plus perspicaces de nos lecteurs et lectrices l’auront identifié sans peine. Je logeais alors à l’hôtel Schweizerhof et un jour où je contemplais le ciel gris avec un parfait désespoir je reçus par la poste, envoyée par Mathilde Wesendonck, de Zurich une boîte de biscottes (Zwieback). Enfant ! Enfant ! Enfin ! Les zwieback ont produit leur effet ; grâce à eux, j’ai franchi certaine mauvaise passe où je restais empêtré depuis huit jours, n’ayant pu avancer dans mon travail musical notamment pour trouver la transition du vers "ne pas mourir de désir" au voyage en mer de Tristan blessé. Quand les zwieback arrivèrent, je pus me rendre compte de ce qui m’avait manqué : ceux d’ici avaient un goût beaucoup trop amer. Impossible qu’ils me donnassent l’inspiration ! Mais les bons vieux zwieback, trempés dans du lait, remirent tout dans la bonne voie. Et ainsi je laissai de côté le développement du début, et continuai la composition à l’endroit où il est question de la Guérisseuse lointaine. Maintenant je suis tout heureux : la transition est réussie au-delà de toute expression par l’union absolument splendide des deux thèmes. Dieu, ce que les bons zwieback peuvent produire ! Zwieback ! Zwieback ! Vous êtes le remède qu’il faut aux compositeurs en détresse – mais il faut tomber sur les bons ! 

DDS 670129408923_o

***

Au réveil, Marcel ne se souvenait plus que de cette histoire de biscuit trempé. Fallait-il qu’il en parle à son ami Jacques qu’il accompagnait à l’accordéon tous les après-midi dans son tour de chant aux jardins du casino afin que ce récit de rêve le réconcilie avec sa maudite Mathilde à lui ou devait-il lui conseiller de ne plus rien attendre de Madeleine de Commercy ?

N’était-ce pas là une façon de tendre des verges pour se faire battre ? Son propre problème de tentative de record nocturne d’échec en identification de paysages au palais insomnisports de Bercy ne primait-il pas sur son amitié pour le Belge ?

Le Jacky ne l’avait-il pas accueilli hier, au kiosque à musique, avec ce méchant sarcasme :

- Hé ben mon vieux Marcel, à force de te coucher de bonne heure et pas dormir, t’en as une chouette tête de décavé ! Si tu voyais ta tronche de déterré éthéré et Lucerne que t’as sous les yeux ! On dirait que tu t’es fait battre par la Suisse à l’Euro ! Allez, enfile tes bretelles et chauffe-nous ça !

Et tout en appuyant sur ses touches, il éliminait : Vierzon ? Vesoul ? Pas de clocher à bulbe par là, ça ne colle pas. Varsovie, peut-être, à cause des remparts ou alors Montcuq ?

DDS



Ecrit pour le Défi du samedi n° 670 d'après cette consigne,

la photo d'été de Miss MAP :

DDS 670129408923_o

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Commentaires
J
C'est que je les bichonne, mes lecteurs et mes lectrices ! <br /> <br /> <br /> <br /> Et je sais que l'oncle W. me pardonne tout à cause de cela ! ;-)
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C
Wouaou quel tour de force !<br /> <br /> Ecrire sur marcel dans le défi du Boss, tu n'as pas peur des représailles.<br /> <br /> Et sans endormir tes lecteurs, là tu fais très fort. c'est gai, c'est primesautier.<br /> <br /> Bref, je suis contente d'être revenue faire un tour sur les blogs...<br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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