SOUK AU GYNÉCÉE !
Acte III, Scène 3
La scène représente une plage : parasols, 1 cabine de bain, serviettes, transats de « Transat en ville » empruntés à la ville de Rennes. Les dames du harem, les disparues, les évadées en fait, sont assises ici et là, en maillot ou peignoir de bain, se passent de la crème solaire sur les bras, lisent "Biba", font des mots fléchés, papotent ou glandent comme on le fait tous dans ce genre d’endroit.
RUADE – Alors ? Bonne baignade, chère Daurade ?
DAURADE – L’eau était excellente ! Quelle merveille ! Quelle lumière ! Quand je pense qu’il y a trois jours encore, nous étions confinées dans l’ombre du harem !
ORANGEADE – C’est une honte ! La pire des brimades ! Le sultan devrait savoir que la beauté ne se mange pas en salade ! Mais que nous avons besoin d’autant de soins et de lumières qu’elles ! Nous sommes faites pour resplendir au soleil, nous, pas pour moisir dans le bac à légumes de son réfrigérateur !
MASCARADE – Et puis quelle façon riquiqui de nous rendre hommage ! On enferme 365 femmes dans le gynécée et elles n’ont droit qu’à une seule sortie dans l’année. Et quelle sortie : juste une nuit de roucoulade avec ce gros cochon de Haroun Zeclock !
CANTONADE – Il paraît que le changement d’herbage réjouit les veaux ! Il y avait là de quoi pousser des jérémiades ! Les 364 autres jours, en attendant, on devait se farcir la chanson de l’eunuque. Tu parles d’une sérénade, toi !
SÉRÉNADE – Hého, doucement, les filles ! Je n’y suis pour rien, moi ! C’est vrai que je m’appelle Sérénade mais ce n’est pas moi qui les ai chantés ni pondus, les couplets de l’Hannibal sans ses balles !
Elles entament "La chanson de l’Eunuque" :
Croé moé, croé moé pas
Quèqu’part en Alaska
Un sal’ jour qu’y neigeait des glaçons
J’ai eu comme une envie
D’soulager ma vessie
Comme un con j’ai baissé mon caleçon
Ca m’a mis en peine
De quitter mes gégènes
Mes jolis génitoires
Ah vraiment quelle histoire !
Ca n’dure jamais longtemps
Quand il gèle à pierre fendre
Tu vois tes gosses descendre
Tu deviens un transgenre
Quel beau dommage ! Tu t’retrouves au chômage !
AILLEPADE – N’empêche on a bien rigolé ! Le pauvre n’a jamais su qu’on l’avait surnommé Débandade !
BALADE – En tout cas, c’est un vrai plaisir d’avoir mis les voiles ! Enfin, de les avoir enlevés ! On est quand même mieux à poil au soleil que sous ces épaisseurs de tissu cossu qu’on ne pouvait enlever qu’une seule fois dans l’année !
EMBRASSADE – Et encore ! Si vous saviez ! Moi je m’appelle Embrassade et je suis celle qui officiait le dernier jour de l’année. Eh bien il y a des années où il était tellement gavé de loukoums et de liqueurs qu’il ne me déshabillait même pas !
CAVALCADE – C’est ce qu’on appelle « p’end'e à la hussa’de » !
EMBRASSADE – Attends, Cavalcade ! Il y a même une année où il ne m’a même pas honorée !
CAVALCADE – C’est ce qu’on appelle êt'e « Schokolade » !
COUILLONNADE (sortant de la cabine de bains en combinaison d’homme-grenouille) – Eh dites donc les filles ? Comment vous trouvez mon nouveau maillot de bains !
TOUTES – Nul à chier, Couillonnade ! C’est quoi ce truc ?
COUILLONNADE – Ca s’appelle un burkini ! Je laisse tomber, alors ?
TOUTES – Oui ! Ôte le haut et demain tu enlèveras le bas ! Et le tuba aussi !
Entrent Shéhérazade et ses suivantes. Toutes l’applaudissent et la saluent de « hip hip hip hourra »
SHÉHÉRAZADE – Mes chères amies, un peu de calme, je vous prie. Je sais bien que vous me devez la liberté. Mes servantes ont soudoyé les gardiens du palais pour qu’ils vous laissent partir une à une puis quatre par quatre. Mais vous savez que j’ai un objectif beaucoup plus important. Je veux vous apprendre à devenir maîtresses de vos destins. Je veux que vous sachiez désormais tenir les hommes à distance, les faire tourner en bourrique pour finalement les mener par le bout du nez… ou par le bout du bout !
Elles éclatent de rire.
SOUTIFDAUBADE – Oui, camarade Shéhérazade ! Conte-nous tes odes et tes méthodes ! C’est pour t’entendre les conter que nous avons fui ce palais où nous étions réduites à l’état d’esclaves sexuelles. Apprends nous à faire languir l’émir, à serrer la haire du janissaire, à mettre le souk chez le mamelouk, à enfiler le caoutchouc au bachi-bouzouk, à tenir à distance son éminence, à mettre en chaleur sa sérénissime splendeur, à rendre flamboyant le commandeur des croyants, à l'étreindre puis à l'éteindre et le faire geindre. Qu'ils deviennent fous de nous et se traînent à nos genoux ! Dis-nous comment on fait enfler leur désir, comment on leur flanque le tracsir, comment on renverse la vapeur, il faut que ce soient eux qui aient peur de ne pas être à la hauteur, il faut que nous soyons actrices et qu’ils cèdent à tous nos caprices. Comment emberlificoter, bécoter, fricoter, tripoter, les transformer en empotés et faire que nous soyons maîtresses de leurs altesses ?
SHÉHÉRAZADE – C’est simple ma chère Soutifdaubade ! Pour commencer, interrogation orale ! Vous allez me chanter la chanson que je vous ai apprise hier !
Elles se regroupent comme une chorale et entonnent « Déshabillez-moi » de Juliette Gréco.
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 22-11-2016 d'après la consigne ci-dessous.