ENCORE EUX ?! (1)
La vivacité d’esprit, c’est ce qui fait le bon élève. Il sait, de manière inconsciente, le jeu de la tour de Babel et pour peu qu’il naisse à l’époque où l’on enseigne le latin, le grec et les langues étrangères, il fait passer d’un bord à l’autre des vocables du dictionnaire, il traduit tout. Il y aura donc version et thème, rédaction, assouplissement, remise de prix d’excellence et puis, puberté obligeant, rébellion envers le parcours tout tracé par la société.
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans et moins encore quand on n’a même pas cet âge. On accorde confiance aux proverbes : on croit que la fortune sourit aux audacieux. Arthur brûle le dur et se retrouve en taule plutôt qu’au mont Parnasse. Vous imaginez ce monde-là, kafkaïen avant l’heure, où chaque dévoiement, fût-il si innocent, mérite la prison ? Où tout soulèvement, comme celui de la Commune de Paris, appelle du pouvoir le massacre ou l’exil dans des bagnes lointains ?
Tout pour lui finira, de façon plus badine, dans les mains des sœurs Guinche. Elles chercheront des poux dans la tignasse du beatnik, lui fourniront tout le papier qu’il va noircir avec ses textes incendiaires. A Douai a atterri un élève doué dont il nous reste les cahiers qui ont failli être brûlés.
Mais la fugue est restée en travers du gosier de la mère. Vitalie le réclame, son fiston. Et quand le professeur-rimailleur-sauveteur ramène à Charleville l’adolescent fugueur il pleut. Il pleut des baffes sur Arthur et des noms d’oiseaux sur Georges Izambard. Dans la religion, c’est comme dans la chasse, on fait boire le calice jusqu’hallali. Izambard s’enfuit, piteux, déconvenu et en convient : la bigote n’aime pas Hugo(te) !
Après… Après on y verra, dans cette histoire, toutes sortes d’abominations. Je ne reconnais là qu’une forme d’adultère et encore, sans avoir aucune preuve de la consommation. On a tant bu, tant bu chez les Vilains bonshommes qu’on se retrouve soûl à monter à quatre pattes l’escalier de la chambre chez Verlaine, enfin chez de Fleurville, où la très jeune épouse, Mathilde, enceinte, dort.
Bientôt, de chambre en chambre, l’insupportable ado, le punk à chien sans chien sème les graines du scandale. Un jour deux hommes partent vers d’autres aventures, l’un laissant derrière lui femme et enfant à naître. C’est à Bruxelles puis à Londres qu’ils vont taquiner la bouteille, la Gueuze, la gueuse, le coup dans l’ale, d’autres drogues, haschisch, opium, prostituées, bibliothèque, jusqu’à ce qu’un jour de juillet 1873 un coup de revolver tranche le nœud gordien de cette cohabitation insensée, mette fin à la domination de celui qui préfère l’impair par celui qui préfère traiter de rinçures ce qui restera à jamais comme le plus bel héritage de la poésie française du XIXe siècle. Rimbaud entreprit ensuite, sans revenir jamais ni sur ces illuminations ni sur cette saison en enfer de devenir un simple, un misérable, un abracadabrantesque vagabond.
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 26 novembre 2019
d'après la consigne-ci-dessous.
N.B. La première photo représente la classe d'Arthur Rimbaud à l'Institution Rossat en 1862. Il est le troisième élève assis au premier rang en partant de la gauche.
Le dessin qui représente Verlaine et Rimbaud à Londres vers 1873 est de Félix Régamey.