- Ah, Pomponette ! Pomponette ! Quel fleuve impétueux t’a encore emportée ? Quels méandres as-tu suivis cette fois ? Pour qui enfin ce nouveau safari ? Pour un fourbe amoureux de tes courbes ? Pour un argousin qu’allumèrent ta jupe de satin, tes voiles de mousseline, le parfum de santal et de musc échappé de ta nuque ? Pour un amiral de bateau-lavoir ? Pour un général Alcazar qui t’offrit une limonade en échange de tes œillades ? Par quel truchement les séduis-tu donc tous ?
Sur quel brick as-tu embarqué encore ? Pour quel voyage sinueux, quelles arabesques ? As-tu suivi un nouveau barde à gandoura et à guitare ? As-tu kiffé un fou d’algèbre, un azimuté de l’alchimie littérale, un poète ? Comment décroche-t-on la timbale ? En te parlant d’Aldébaran ? En te promettant un concert de luth au zénith ? En te faisant boire un élixir d’amour chez ce gilet jaune d’Adonis Zetti ?
Pomponette ! Coeur d’artichaut ! Plus je te laisse libre de mener ta vie de patachon et plus tu m’assassines ! Chaque lascar de hasard de plus à ton tableau de chasse cause une sale avarie au vaisseau de mon coeur. Albatros englué dans le mazout de tes frasques, je porte le fardeau de tes noubas cruelles – un quintal de salicornes ! - et reste là prostré en fabriquant mon pain. A toi la baraka, à moi le four qui crame. Calfeutré dans mon appentis, je rame, je calfate les brèches de notre pauvre felouque éventrée par les récifs. Même l’alcool des alambics ne pourrait rien contre le cafard de mes échecs et mat. Les cases de mon échiquier sont plus noires qu’un caoua ch’ti et j’ai roqué côté cimetière ! Je ne suis pas un zéro mais presque. Peut-être un pauvre maboul ? La vie n’est pas coton, l’amour m’est charabia mais le fait est que je t’aime comme on aime le parfum des lilas, le souk des fêtes foraines ou l’eau dans la carafe.
Tes frasques sont-elles seulement sexuelles ? Es-tu maraboutée ? Serait-ce chez toi un besoin de niquer sur un divan, un tabouret, un sofa, un matelas différents ? Qu’est-ce qu’il a qui ne te plaît plus, notre vieux lit à baldaquin ?
Pourquoi vas-tu fanfaronner à toutes les douanes devant ces imbéciles de gabelous ? Qu’ont-ils de plus en magasin, comme camelote, ces zouaves de rencontre et ces clébards des rues, ces caïds de banlieue, ces cadors du Carrefour ?
- Ma langue aime se frotter à celle des étrangers. J’en ramène de saveurs subtiles et des mots incongrus dont on ne soupçonnait pas qu’ils pussent aussi bien s’acclimater chez nous. Je n’aime des dictionnaires que cette image délicieuse qui suggère que l’on s’aime à tous vents. Mais j’aime plus que tout ton pain, ô boulanger, tes bras puissants, ta force et ta fragilité et ta compréhension. J’adore ta solidité de baobab, ton absence de mesquinerie et surtout ton moka au café, ton fondant à l’orange, ton halva, ta moussaka et tes tajines. J’aime quand tu donnes ton aval à mon dérèglement de tous les sens. Et c’est pour toi et pour cela que, toujours, je reviens. Allons, éteins cette bougie, cesse le décompte arithmétique de mes fugues, mets tes tracas dans ton barda. Retirons-nous dans notre alcôve, mène-moi dans l’azur des sept ciels, mets en route la noria de tes baisers et je ferai de toi mon nabab, mon cheik, mon sultan. Dans le silence de la nuit je serai ton harem. Je te ferai entendre le barouf que peuvent faire toutes les femmes du monde, tout le ramdam de la passion va battre sur ta peau de tambour. Mes massages te rendront fou, tu vas en voir de toutes les couleurs, du chamarré, des camaïeux et du carmin. Je vais t’emporter loin comme fait le Sirocco, je serai ton alezan, tu ne reconnaîtras plus ton zob ni tes glaouis après ma razzia sur ton saroual et ta vertu ! Je vais t’offrir la position du goudron et des plumes, te faire la guitoune acrobate, le minaret cramoisi, le coup de la girafe, le derviche retourneur, le muezzin tarabusté, le bardot à deux dos façon madrague, le sacre du printemps arabe, l’aubergine farsie, la babouche que veux-tu, la cueillette de l’abricot en Basse-Provence par la smala d’Abd-El-Kader, le « Mets ta sourate dans ma savate », le « Comme une crêpe de sarrasin », la grenouille sur le nénuphar, la matraque du mamelouk, la gabardine damasquinée, le baroud d’honneur de San-Antonio, on jouera à la lime en macramé, à massicote-merguez, à « Un chouïa wali-walou », à « Abats tes brêles et mate mon vizir ! », à l’amalgame pentathlonique, à l’enlèvement au sérail, à « Mets du talc sur mes fez » et, en clou du spectacle, je te ferai la planche du fakir !
- Tais-toi, Pomponette, ma gazelle ! Il n’est plus l’heure de parler. Fin des salamalecs, montons dans notre chambre !
***
- Ah, Pomponette ! Quel inti-fada, ce Pagnol !
- En fait, c’est de Giono, ce pitch, boulanger !
Écrit pour le Défi du samedi n° 756 d'après cette consigne : méandre