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Mots et images de Joe Krapov
31 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 6, La Belle absente

« Hey Joe Krapov ! Qui donc du Pithiviers, de la religieuse au café, du baba,

Du jésuite de Belgique ou du pudding breton étouffe le chrétien si merveilleusement

Qu’il reste pratiquement coi et savoure chaque bouchée, mi-goinfre mi-jubilant ? Ton kouign-amann ?

Pourquoi faut-il qu’un histrion mignardisant, un jobard incivil

Nous tienne jambe avec ses phrases-souvenirs? A qui ne devons-nous pas dire Commercy ? Au thé vert des Afghans ?

N’humidifions jamais son quart, son baklava, son gland ou son pain-coing !

Qu’on l’arrête, le gratte-papelard ! Qu’on y fauche sa Sergent major au baveux !

Jobastre ! Spoileur de films moldo-valaques ! Gâcheur de papier !

Au cachot ! Pain rassis pour Judas ! Baquons son trauma familial gavant ! »

Après la lecture de ce texte le gars à lunettes referma son cahier orange et éclata de rire. Les dames qui l’entouraient, souriantes et concentrées, étaient à deux doigts de l’applaudir tout en se demandant si elles n’étaient pas en présence d’un vrai dingue sado-masochiste.

DDS 674 Perec cuisinier

Marcel P. se crut obligé de réagir :

- Mais enfin ? Que vous ai-je fait ? Pourquoi tant de haine dans un monde déjà si cruel ?

- C’est de l’humour, Marcel ! C’est un texte écrit selon le procédé «la belle absente» de Georges Perec !

- Connais pas ! C’est quoi, ce procédé ?

- C’est décalqué de «Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume» !

- ???

- Dans cette phrase-là toutes les lettres de l’alphabet ont été employées. Ça s’appelle un pangramme. Dans le poème ci-dessus, tous les vers sont des pangrammes à ceci près que je n’avais pas obligation d’utiliser les lettres k, w, x, y et z et que…

- Vous êtes plus encore un tordu que moi-même !

- Bel alexandrin, Marcel ! A ceci près aussi, disais-je, que chaque vers est aussi un lipogramme ! Dans chacun d’eux manque une lettre de l’alphabet et une seule !

- Quel intérêt ?

- Les lettres absentes, mises bout à bout, constituent un mot qui est le sujet central du poème, qui lui-même est évoqué sans être mentionné dans le texte !

- N’en dites pas plus, répondit Marcel passablemnt énervé. A ce stade, il y a deux possibilités. Soit je vous provoque en duel, soit je me réveille de ce cauchemar !

***

Marcel P. choisit de se réveiller et d’oublier très vite ce que son interlocuteur lui avait balancé ensuite à propos de sa propre tambouille littéraire qui «puait la préciosité et le snobisme, schlinguait dans ses longueurs jusqu’aux limites de l’illisible et c’était sans parler du conformisme du bonhomme qui s’était très bien plu au service militaire, avait dédaigné de travailler à la Bibliothèque Mazarine et avait même postulé à l’Académie française !».

- Et alors ? avait rétorqué Marcel P., semblable en cela à François Fillon à qui on reprochait d’avoir obtenu gratuitement des manteaux de luxe et ramassé ensuite une veste dont il n’était pas sûr qu’elle lui appartînt tout à fait.

Marcel fut d’ailleurs tout étonné, plus tard dans la matinée, de ne trouver aucune trace dans le Who’s who, le Bottin mondain et le bottin téléphonique parisien de ces trois personnes : François Fillon, Georges Perec et Joe Krapov.

C’était dû à quoi, ce trouble obsessionnel qui poussait des gens inconnus de lui à venir se mettre à table dans ses cauchemars rien que pour l'embêter ?

Est-ce qu’ils remettraient le couvert la nuit prochaine ?

DDS 674 Image du Défi 129567186


P.S. Pour qui n’aurait pas trouvé, la belle absente du poème est bien sûr ici « madeleine ».


Ecrit pour le Défi du samedi n° 674 d'après cette consigne

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30 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 5, Les Bêtises de Combray

Longtemps je me suis bouché les yeux et abstenu du bonheur de rencontrer des gens différents. Était-ce par timidité, par peur de l’inconnu, par conservatisme ou par prudence qu’à petits pas je me retenais de me livrer aux mains des belles étrangères qui vont aux corridas et que j’aimais déjà pourtant quand j’étais un petit enfant ?

Et puis mes parents, des industriels du Nord richissimes et facétieux, m’ont fait cadeau, deux ans jour pour jour après ma naissance, d’une petite sœur qui était le contraire de moi-même. Céleste était et est toujours une risque-tout, une emmerdeuse, une rentre-dedans, une jamais froid aux yeux, une metteuse de pieds dans le plat et en sus de cela une obstinée atypique doublée d’une anticonformiste gagne-petit.

Aujourd’hui que moi, Philippe Marlowe, directeur des filatures éponymes, j’ai atteint la cinquantaine et que nous commençons à être, comme on dit, «bien tapés», ni mes parents ni moi ne nous enorgueillissons de compter parmi les membres de notre famille une employée de la gendarmerie nationale. Même si, à force de coups que j’imagine gonflés autant que foireux, Céleste a atteint le grade de capitaine remplaçant à la brigade de Combray – comment cela peut-il exister, des localités avec un nom pareil ? – j’éprouve toujours un énervement certain à admettre que ma sœur vit dans le même monde que nous… sans faire partie du nôtre !

Il n’y a que mon épouse, Jane, et nos enfants, Bill et Carole, qui l’adorent, même si elle les a surnommés «Pas de plaisir», «Biloute» et «Roubignole». Pour vous donner une idée du personnage, à chaque fois qu’elle nous rend visite au château, comme en ce moment pour fêter Noël en famille, elle refuse d’occuper une des nombreuses chambres libres et préfère dormir dans le véhicule militaire canadien que notre père, collectionneur de vestiges de la récente grande guerre, a conservée dans le fond du jardin avec d’autres reliques de diverses armées en vue d’en faire un musée édifiant pour les générations futures.

- Ch’est m’canadienne à mi ! déclare Céleste avec fierté. J’adore faire du campinche ! Et pis qu’est-ce que j’dors ben dins ch’te carrette-là !
Un que la situation n’enchante pas, c’est Jules Maigrelet, notre jardinier, qui craint toujours pour les variétés de fleurs qu’il crée dans nos serres voisines de l’entrepôt militaire du paternel. Il n’aime pas du tout que Céleste fasse près de ses roses des exercices de jonglage avec des grenades anglaises devant les enfants. Eux s’esclaffent d’entendre l’accent Ch’ti à couper «au coutiau» de notre gendarmette.



***


Ce matin, Céleste n’a pas pu faire de grasse matinée dans son gourbi antique. Vu les circonstances, j’ai dû aller la réveiller en sursaut.

- Céleste ! Céleste ! Réveille-toi ! Il y a un mort dans la maison !

- Laiche me dormir, Phi-Flip ! Cha attindra !

- Lève-toi, te dis-je, c’est grave !

- Quo qu’chest, qu’est grafe ? Papy a cassé s’pipe ?

- Non, il se porte à merveille. C’est lui qui a découvert le cadavre !

- Un cadafe ? Eul cadafe eud qui ?

- On ne sait pas. D’après la forme des fesses, toutes petites et maculées d’encre, c’est un inconnu.

- Laiche me l’temps d’m’habiller. J’arrife !

Elle a enfilé une robe de chambre bariolée par-dessus son pyjama en pilou, s’est coiffée d’une chapka russe trouvée dans le musée de notre père et a à peine pris le temps de lacer correctement ses godillots. Quand elle est sortie de l’ambulance calcinée, elle semblait encore plus givrée que le paysage des alentours.

jk


***

 
Dans la bibliothèque on a retrouvé Grand-père en compagnie de La Rosière – c’est comme ça qu’on appelle notre bonne depuis qu’elle a été élue rosière de son village en 1920, il y a deux ans et qu’elle n’a toujours pas trouvé de prétendant depuis -. Se trouvaient là aussi Jane, mon épouse, et Joséphin Lampion, notre majordome.

Et surtout, devant la cheminée, allongé sur le ventre à même le sol, attirant l’attention de tous les regards, il y avait un homme tout nu, vêtu d’une peau de bête mais ce n’était pas un enfant de Caïn enfui de devant Jéhovah. D’ailleurs, il n’y avait pas eu de témoins à ce meurtre si c’en était un.

Vêtu n’était pas non plus le bon mot. Le corps dénudé était plutôt juste recouvert d’une peau d’âne. Céleste, qui avait enfilé des gants de vaisselle en caoutchouc rose – mon Dieu, quelle allure grotesque tout cela lui faisait ! - la souleva en la tirant par les oreilles. Elle trouva dessous une chevelure brune, un dos chétif et deux petites fesses d’homme sur lesquelles on avait écrit « Rends nous l’art, Jean ! ».

Elle saisit le poignet de l’inconnu, constata que le pouls ne battait plus et déclara.

- C’h’est fini, pour ch’ti lal, les plaisirs et les jours ! Cherchez pas à y faire du bouc’ à bouc’ cha s’rot du temps perdu !

Et pour cause. Tout le monde avait bien vu, du reste, entre les cheveux brillantinés et le dos du bonhomme que la base du crâne avait été défoncée avec un objet en métal doré qui avait été laissé sur place.

Céleste demanda à La Rosière de lui amener un sac pour ranger l’arme du crime mais la jolie jeune fille était à moitié dans les vapes et c’est Lampion qui alla dans les communs exécuter l’ordre. Pendant ce temps-là elle souleva l’objet en tâchant de ne pas tacher davantage la moquette pourtant déjà bien foutue.

- C’h’est quoi ch’machin-là ? Et quo qu’ch’est qu’y a d’écrit, là ? Césure ? Césaire ? César !

Elle mit l’objet doré dans le sac de Lampion et puis elle saisit l’homme aux épaules et retourna le corps.

Un grand cri de stupeur s’éleva ainsi que le silence strident de la bonniche qui s’évanouilla en visionnant la coquillette et les noix de cajou du gugusse (Mais qu’est-ce que je raconte, moi ? Ressaisissons-nous, Philippe Marlowe !).

- Eh ben quoi ? Quo t’ché qu’y a ? Vous l’arconnaichez ?

- Pas du tout !

- Jamais vu !

- Inconnu au bataillon !

- Té m’étonnes, bande eud babaches ! nous dit Céleste en se relevant. J’y comprinds rin à vos cacoules mais ch’bonhomme-là, mi, jé l’connos !

- Tu le connais, Céleste ?

- Je n’sais pas c’qu’y fout là mais ch’est un gars d’Combray ! Quelqu’un d’la haute, comme ti z’autes tertousses. Ch’est ch’ tchiot Marcel !

- Marcel ?

- Marcel Proutch, un rentier qui vit là-bas tout seul avec eus gouvernante !

- Mais enfin diantre, Céleste ! Pourquoi cet individu a-t-il choisi de venir se faire assassiner chez nous qui ne le connaissons pas ? Et qui a fait le coup ? Faut-il appeler la police ou Scotland Yard ? Et c’est quoi cette histoire de peau d’âne ? Et y aura-t-il de la neige à Noël ? Du Christmas pudding ? Céleste ! Céleste ! Capitaine Marlowe ! Pourquoi votre Range Rover est-elle toute noire sur la photo ? Dites-nous tout, Capitaine !

 
***

 
Marcel P. avait la tête très lourde quand il se réveilla mais lorsqu’il se passa la main derrière la nuque il ne ressentit ni plaie ni bosse et ne ramena pas devant ses yeux entr’ouverts des doigts poisseux de sang. Derrière les interstices des volets, un grand soleil semblait prêt à illuminer une autre de ces nombreuses journées d’ennui où l’on n’a plus à cœur que d’écrire de longues phrases insipides en vue d’ennuyer un lecteur inconnu. Quoique…

Mais comme il se méfiait de ses cauchemars à tiroirs de ces derniers jours, il sortit de son lit, enfila sa robe de chambre unie par-dessus son pyjama bariolé, descendit à la cuisine et fut ravi d’y trouver Céleste A., sans valise et sans épuisette, qui préparait tranquillement leur petit-déjeuner. On était bien en 1922 et c’était une journée bien réelle qui commençait.

- Céleste ! Céleste ! Tu peux ranger tes madeleines ! J’ai pris une grande décision après mon rêve de cette nuit ! Je laisse tomber la littérature sérieuse ! Je vais écrire des romans policiers ! J’ai déjà trouvé le titre du premier : « Un cadavre dans la bibliothèque ! »

- Excellente initiative, mon petit Marcel ! J’en connais un que cela va rendre heureux !

- Qui ça ?

- Un grand lecteur belge prénommé Jean-Claude qui ne sera pas obligé de se farcir la lecture de la «Recherche du temps perdu» et aura ainsi davantage de temps pour recadrer au ciseau celles de ses photos où la mer n’est pas horizontale !

Marcel se pinça la chair du dessus du bras pour s’assurer qu’il n’était pas encore une fois en train de rêver mais non, tout était bien réel et c’était simplement Céleste qui était repartie dans ses « divagations médiumniques pour esprit de sel dans la queue du chat ».

- L’idéal pour écrire des polars qui marchent, mon petit Marcel, ajouta-t-elle en servant le thé, c’est de prendre un bon pseudo féminin. Quelque chose dans le genre Alicia Pristi ! Et de toujours faire en sorte que le coupable soit le jardinier !

Bon sang, mais c’est bien sûr, songea Marcel ! Elle a raison ! Une sombre histoire de trafic de cattleyas !

Ecrit pour le Défi du samedi n° 673 d'après cette consigne

30 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 4, Virage à gauche (Joe Krapov)

Aldeburgh-141

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Longtemps il s’était tâté. Du bonheur d’être immergé, de nager sur le dos, de faire la planche dans l’eau, les doigts de pieds en éventail, il avait fini par se priver car, entré prudemment dans l’eau froide, il n’avait pu aller plus loin qu’à mi-cuisses tant elle lui avait semblé glacée.

Céleste A. n’avait pas de ces pudeurs ni de ces hésitations. De la plage où il était revenu, à moitié transi, à moitié piteux, il la regardait qui nageait et plongeait comme la plus heureuse des sirènes d’Esther Williams ou le plus valeureux des bébés requins de France Gall (qui étaient donc ces deux dames dont il entendait le nom pour la première fois de sa vie ?) .

- Elle est très bonne, mon bon Marcel ! Tu as eu tort de renoncer. Elle est froide au début mais très agréable quand on est dedans. Le tout c’est de s’y mettre.

- Ou de six mètres cinquante ! plaisanta-t-il avant de ressentir le tremblement de terre.

Ce n’était pas un séisme à proprement parler, plutôt une inclinaison régulière vers la gauche du paysage. Il avait bien repéré à un certain moment que la ligne d’horizon était plus basse à gauche qu’à droite. Mais cela s’accentuait, de plus en plus fort et de plus en plus vite. L’inclinaison était maintenant à quinze degrés et un courant contre lequel elle tentait de résister emportait Céleste au-delà des bouées blanches.

A trente degrés tout le monde sur la plage se mit à regagner en courant et en criant « Au secours ! » les hôtels, villas et camping de la ville côtière.

A 45°, il se mit à se déplacer vers la gauche en freinant avec ses talons qu’il enfonçait dans le sable car il avait perdu Céleste de vue.

A 60° la mer commença à se vider et les bateaux à se fracasser.

A 90° tout tomba, y compris lui de son lit, trempé jusqu’aux os.

***

Etait-ce un cauchemar tardif ? Un étrange rêve de fin de nuit ? Quand il ouvrit les yeux le soleil éclatait de brillance entre les interstices des volets. Il se leva et constata qu’il y avait une tache humide au milieu des draps.

Il descendit prendre son petit-déjeuner mais Céleste n’était pas dans la cuisine. Il la trouva dans le séjour ; elle était en train de mettre son linge dans une valise et elle avait à côté d’elle une grande épuisette et un ciré jaune.

- Céleste, je suis désolé, mais… J’ai encore fait pipi au lit !

- Je m’en fous, mon petit Marcel ! Tu changeras les draps tout seul ! Aujourd’hui je pars en vacances ! Direction la Bretagne !

- En vacances ?

- Les congés payés, mon petit monsieur ! Un cadeau du Front populaire !

Il ne comprenait rien du tout à ce qu’elle racontait et puis il se souvint qu’elle lui avait fait le même coup dans le cauchemar de la nuit précédente où il s’était trouvé projeté loin devant lui, en 1954.

- Mais alors, se dit-il, je suis encore en train de rêver ?

Il ouvrit les yeux. La nuit était noire de chez Michel Noir, le lit était sec de chez Miossec.

Jamais il ne passa une aussi bonne nuit que cette nuit-là !

Ecrit pour le Défi du samedi N° 672 d'après cette consigne

29 juillet 2021

En un mot comme en cent. 15 juillet 2021, Option A ou option B

Plage de Trébeurden. Les filles reviennent d’être allées se baigner. Moi je suis resté tranquillement adossé au mur à écrire le 3e cauchemar de Marcel P.

A mon tour d’aller me tremper. Option A : je mouille mes pieds, je marche sur le bord. Option B : j’avance dans l’eau, je mouille le maillot, je mets de l’eau sur mes épaules, je m’immerge, je nage.

Je suis resté entre l’option A et l’option B. Quand j’ai eu de l’eau à mi-cuisses, je n’ai pas vraiment eu envie d’avoir les testicules gelés. J’ai fait demi-tour.

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Les photos ont été prises le lendemain. 

28 juillet 2021

Coucher de soleil à Cléder (Finistère) le 21 juillet 2021 (1)

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28 juillet 2021

Coucher de soleil à Cléder (Finistère) le 21 juillet 2021 (2)

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27 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 3, Odette Dejeux

Plus il se couchait de bonne heure et plus il s’endormait tard. Plus il passait des journées vides à jouer au salonnard snobinard et plus ses rêves étaient peuplés de personnages bien vivants, bien actifs, qu’il ne connaissait ni des lèvres ni des dents et pourtant, cette fois-ci, il aurait pu.

Elle s’appelait Odette Dejeux. Son père était le roi du bridge et il avait trouvé une martingale géniale pour gagner beaucoup d’argent à la roulette : il était chirurgien-dentiste.

C’était une blonde ravissante et à dix-neuf ans, elle avait déjà son permis de conduire et possédait sa propre voiture, une Simca Aronde 54.

Marcel P. s’étonnait beaucoup de ce qu’elle s’intéressât à lui au point de lui proposer, ce jour-là, une balade en voiture jusqu’au sommet du mont Pilate.

Il se sentait perdu dans ce cauchemar-là et comme soûlé du piapiatage insignifiant de la donzelle, tout aussi plein de vides que ses propres longues phrases.

Tantôt elle lui parlait de son grand-père qui était tombé au Chemin des Dames (cinq ans plus tôt ???), tantôt de sa tante Alphonsine qui avait triomphé au Châtelet dans le « Mikado » de Gilbert et Sullivan et dont la tournée était allée jusqu’aux Philippines. A Manille elle avait rencontré celui qui était devenu son mari, Augustin Lacrapette, un négociant richissime, tout le contraire d'un pouilleux mais barbu autant que Landru et surtout pas du tout puant comme millionnaire. Cette union faisait suite à une belle série d’échecs sentimentaux d’autant plus retentissants qu’ils étaient restés secrets, sauf pour la famille.

Odette conduisait très vite et avait tendance à se déporter sur la gauche dans les virages pendant qu’elle énumérait les ramifications de son arbre généalogique. En même temps que cela elle mâchonnait une espèce de bonbon élastique bizarre que Marcel n’avait jamais vu auparavant et avec lequel elle faisait surgir parfois, en soufflant dedans, un petit ballon rose hors de sa bouche très maquillée.

En voyant son étonnement devant cela, elle avait chantonné :
- Fraîcheur de vivre, Hollywood chewing-gum ! Mais en réalité c’est un vrai Malabar ! J’aime bien ce mot ! Pas toi, Marcel ?

- On devrait installer des ceintures de protection pour éviter les accidents dans ces voitures rapides, avait-il suggéré en retour, complètement hors sujet. La sécurité était le dada de Marcel et c’était paradoxal parce qu’il passait la majeure partie de son temps chez lui et ne sortait pour ainsi dire jamais de Paris.

Il avait d’ailleurs longtemps écarté cette idée d’un voyage en Suisse et il avait fallu que sa gouvernante, Dame Céleste A., lui annonçât tout de go qu’elle allait prendre des vacances pour qu’il se décidât à concrétiser ce projet de voyage en Suisse. Il avait ouvert des yeux en boule de loto. Comment Céleste pouvait-elle bénéficier, en 1922, de congés payés alors que ceux-ci ne seraient accordés à la populace travailleuse qu’en 1936 ?

Et cette fille qui avait fait plus de mille bornes avec son petit bolide lui vantait, entre deux récits de vie familiale, les prouesses de ses petits chevaux fiscaux, la souplesse du débrayage, les reprises du moteur, meilleures que celle d’un V8 américain.

Et justement, comme, on atteignait le sommet du Pilate et que Marcel avait décidé de s’en laver les mains de ces bizarreries, ledit moteur se mit à tousser. Odette rétrograda et emprunta un petit chemin de terre pour mettre le véhicule à l’écart de la route. Elle fit encore cent mètres en cahotant puis l’automobile stoppa, comme morte, à l’abri de tous les regards.

- Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit le loser asthmatique.

- Ca aurait dû me tarot-der plus vite mais la jauge est à zéro !

- La jauge ? Quelle jauge ?

- Le voyant du réservoir d’essence. Il est vide. On est en panne, Marcel !

- Ah ? Et que faut-il faire dans ce cas-là ?

- Montrer qu’on est un homme !

Elle avait approché son visage du sien et vite, très goulument, elle avait collé ses lèvres contre les siennes, mordillé sa moustache, passé ses deux mains dans ses cheveux brillantinés, introduit sa langue dans sa bouche et elle tournait, tournait, suave et sucrée, autour de la sienne alors que ses yeux à lui, grands et brillants comme des billes d’un flipper affolé, ne voyaient plus que les arbres penchés du chemin forestier. Marcel était comme électrisé.

Puis elle s’était écartée de lui, lui faisant cadeau de la boulette de gomme rose qu’il avait calée entre ses molaires interloquées. Elle avait ouvert la boîte à gants, en avait sorti un petit sachet carré et brillant qu’elle lui avait tendu.

- C’est un chewing-gum ? J’ai déjà celui que tu m’as laissé ! marmonna-t-il.

Elle avait éclaté de rire et répondu :

- Déchire-le !

Pendant ce temps elle s’était penchée sur le bas ventre du gars Marcel, avait débouclé sa ceinture, déboutonné sa braguette. Et maintenant sa main s’insinuait dans son caleçon, caressait…

Caressait pas grand-chose en fait !

Deux noix de cajou molles et un canari-dicule sans aucune dureté, aspérité ni turgescence.

Marcel, lui, agonisait, balbécutiait, se comportait en nonne qui geint, estomaqué par l’audace d’Odette qu’il jugeait odieuse.

- Ben alors ? C’est tout l’effet que je te fais, Marcel ?

C’est à ce moment-là qu’il avala le chewing-gum puis lâcha, exsangue :

- Je t’en prie, laisse tomber, Odette !

- Laisser tomber ? Encore eût-il fallu pour cela que l’objet fût monté et bien monté mais ce n’est pas le cas ! répondit-elle en retirant sa main.

Puis il se réveilla en nage et sortit de la chambre pour aller pisser.

***

Quand il se recoucha il se rendormit vite et retrouva la suite de son étrange rêve. Il marchait, seul, sur la route qui descendait à Lucerne, le pantalon mal reboutonné, la cravate de travers, décoiffé, un jerrycan vide dans la main droite, en direction de la station-service qui se trouvait à mi-pente.

Plus haut sur le Pilate Odette avait remis le préservatif intact dans la boîte à gants et puis elle était sortie éclater de rire à nouveau au grand soleil.

Jeu 66 de La Licorne (femme)

C’est la première fois qu’elle se retrouvait échec et mat avec son coup de la panne, une stratégie de séduction qu’elle avait apprise sur une plage de Belgique et qui s’était toujours révélée payante jusqu’à aujourd’hui.

A vrai dire la partie n’était que nulle. Elle était pat seulement, à ne plus pouvoir bouger de la voiture tant la panne de Marcel et la révélation qu’il lui avait faite de sa préférence pour les garçons l’avaient laissée morte de rire sur le siège conducteur de l’Aronde 54.

Elle aimait faire marcher les mecs ; aussi, parce qu’il méritait bien cela en guise de punition, de se taper un kilomètre à pied avec son jerrycan, elle attendit un quart d’heure avant de remettre le moteur en marche.

En arrivant à sa hauteur, elle ralentit, baissa la vitre du passager et lui lança :

- C’est une station Esso, Marcel ! Demande-leur de mettre un tigre dans ton moteur !

Cependant, parce qu’elle n’était pas mauvaise fille et qu’elle aimait beaucoup les contrepets, elle l’attendit à la station pour récupérer son jerrycan et redescendre le z’héros du jour à Lucerne.

- Je m’en souviendrai, de ce nain jaune ! songeait-elle. Mais qu’on ne me demande pas l’impossible : je ne cajole pas les noix des mous !


Ecrit pour le Jeu n° 66 de La Licorne (Filigrane) d'après cette consigne

26 juillet 2021

En un mot comme en cent. 14 juillet 2021, Un défilé de

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Un défilé de vaches numérotées, à ranger dans l’ordre croissant et celui qui pose la sixième carte de la rangée ramasse le troupeau !

Un défilé de hiboux hypnotiques aux couleurs fluorescentes.

Un défilé de pièces de puzzle pour faire apparaître Notre-Dame de Paris dans la nuit.

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Ca y est ! Nous sommes en vacances et ça commence par un nouveau séjour à Lannion chez Dame Anita J.

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26 juillet 2021

En un mot comme en cent. 13 juillet 2021, Aujourd'hui prouve que le sol présente quelques failles

De fait, je suis retombé dans le gouffre insensé de l’homme qui se penche sur son passé, qui ouvre son livret de famille et raconte la jeunesse de si braves garçons devenus des hommes louches que l'on voit les dimanches d’août dans les quartiers perdus rêver de poupée blonde et de remise de peine mais c’est... peine perdue !

 Je relis pour la troisième fois de ma vie « Du plus loin de l’oubli » de Patrick Modiano !

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25 juillet 2021

Choses vues à Rennes le 26 juin 2021 (1)

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Où est passé le bon vieux temps du bandeau sur l'oeil d'un des Pieds Nickelés ?

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Transformer Rennes en Burano ?

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Ah ça n' Allaire de rien mais ça change tout !

Jugez par vous-mêmes !

Dooz Kawa - Me faire la belle

Luv Resval - Cette fille

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- Mon général ! Il y a le feu à la caserne !

- Encore ? Mais il n'y a donc que le feu qui prenne à Rennes ?

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