Les aquarelles vénitiennes d'Ilarion Pavlovitch Krapov
En ces temps d'envahissement militaire de l'Ukraine par la très haïssable armée du dictateur Poutine, il ne fait peut-être plus très bon porter un pseudonyme de type Iosif Ilarionovitch Krapov sur la toile. Il faudra que j'en parle au gars qui agite ma marionnette et qui s'appelle lui Ilarion Pavlovitch Krapov. Je soupçonne fort qu'il se dira au-dessus de tout ça, que c'est son choix, que c'est drôle même si ça ne fait rire que lui et que de toute façon, s'il faut retenir quelque chose de son oeuvre, ce sont ses aquarelles réalisées au siècle dernier d'après des photos prises à Venise.
Et je ne suis pas loin de lui donner raison vu qu'on n'est aucunement russes, lui et moi : on est des citoyens du monde et d'origine franco-belge.
Par contre on n'applaudira pas Anatoly Karpov, notre dérisoire modèle de 1989, qui, député de la Douma, n'a pas craint de voter ces jours-ci en faveur de la guerre à l'Ukraine. Encore une idole des jeunes qui tourne mal !
99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 69, Jupitérien
Quand t’es dans le désert depuis trop longtemps, rien n’est pire que l’incertitude et l’impression d’une morosité sans fin qui s’échappe des cailloux, des sables et du ventre qui gargouille.
Aussi quand le dragon Antivax pénètre dans cette riante contrée, la Libye, le 2 février de l’an 303 de notre ère, il s’en donne à coeur joie et à estomac bonheur en bouffant des brebis qui ne lui appartiennent pas.
***
Voici l’enchaînement des faits consécutifs à cette invasion inopinée, tels qu’ils ont été rapportés par l’Agence Lybienne de Presse dans ses dépêches pieusement conservées à la bibliothèque apostolique du Vatican à Rome.
3 février
16 h Communiqué de la FLSEA (Fédération libyenne des syndicats d'exploitants agricoles) :
Quelles que soient les circonstances, chaque citoyen doit pouvoir exprimer ses convictions et revendications à l’abri de toute violence et de toute pression. La Libye est un pays d’ordre et de liberté, pas de violence gratuite et d’arbitraire. Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen. La quasi-totalité des gens, plus de 90 %, ont adhéré au contrat social et c’est une toute petite minorité qui est réfractaire. L’immense faute morale d’Antivax est de saper ce qu’est la solidité d’une nation.
Nous attendons du roi et de sa police qu’ils nous débarrassent de cette calamité imprévue.
4 février
10 h Communiqué du grand chambellan, son excellence Passibeth Keuça :
Il n’y a pas de fatalité. Les crises peuvent être, à la fin, des accélérateurs de progrès. Nous devons être au rendez-vous de l’histoire. Et la Libye a tous les atouts pour l’être. Nous aurons des jours meilleurs et nous retrouverons les jours heureux. J’en ai la conviction. Prenez soin de vous, prenez soin les uns des autres, et nous tiendrons. Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises. Quoi qu’il en coûte. Soyez en assuré·e·s.
Les paysans sont venus brandir leurs fourches sous les fenêtres du palais en lançant des slogans revendicatifs.
- C’est du blabla tout ça ! On n'est quand même pas venus pour beurrer les sandwichs ! Qu’il envoie sa soldatesque filer un coup de seringue au boulotteur ! C’est qu’il a de l’appétit, le dragon réfractaire !
15 h Communiqué de l’ASPTT (Association des Soldats Pacifistes Tendance Tranquillou)
Notre monde est, si nous le voulons, à l'aube d'une époque nouvelle, d'une civilisation portant au plus haut les ambitions et les facultés de l'homme. Ruiner cet espoir par fascination pour le repli, la violence et la domination serait une erreur dont les générations futures nous feraient, à juste titre, porter la responsabilité historique. Que notre majesté ait très envie ou pas « d’emmerder » l’Antivax nous chaut peu. Nous restons quant à nous opposés à l’exécution des êtres vivants. L'abolition de la peine de mort est un progrès des droits de la personne qui s'est incorporé à la tradition nationale. Notre responsabilité est de le protéger et de le transmettre. C'est un combat de conquête aussi : il y a un trop grand nombre, certainement sous-évalué, d'exécutions perpétrées dans le monde par des régimes politiques qui ont, pour la plupart, un goût partagé pour le despotisme et le rejet de l'universalité des droits de l'homme. Si le roi désire trouver un liquidateur, qu’il traverse la rue et il en trouvera.
5 février
Verbatim de la conversation entre Padh-Man Umilhitari, roi de Libye, et son grand chambellan Passibeth Keusah.
P.M.U. - Un royaume, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. Parce que c’est un lieu où on passe. Parce que c’est un lieu qu’on partage.
PK - Il faut osciller entre humilité et arrogance. Si vous tombez d'un côté, vous devenez soit inefficace soit dangereux.
P.M.U. - J'ai toujours assumé la dimension de verticalité, de transcendance, mais en même temps elle doit s'ancrer dans de l'immanence complète, de la matérialité. Je pense qu'il y a une politique de fainéants et il y a la politique des artisans. Les valeurs que porte la foi chrétienne sont, j'en suis convaincu, celles qui permettent de relever nos défis contemporains. Oui je crois en une nouvelle alliance entre l'Afrique et l'Europe.
PK – Vous n’allez quand même pas faire appel à une agence de mercenaires ? Laquelle du reste ? Pfizer ? Moderna ? Ces gens-là, c'est l'amicale des boulistes. Mais sans l'amitié et sans les boules.
P.M.U. - Quelle autre solution avons-nous ? Avec les religions, je le sais bien, dans les prochaines semaines, le port du masque, du voile, du tchador, de la jupe plissée avec collier de perles sera obligatoire dans tous les lieux publics ! Il y a dans cette société une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées. Mais la femme étant l’avenir de l’homme, dans le futur elles évolueront et porteront une certaine idée de l’Homme, militeront pour la liberté de chacun. Leur cause sera l'universalisme, l’unité du genre humain. L’égalité de tous avant l’identité de chacun. Et ce jour-là mon cher Passibeth, ni vous ni moi, nous ne vaudrons plus une peseta.
P.K. - Forcément, on sera passés à l’euro !
P.M.U. - Nous devons aujourd’hui éviter deux écueils. D’une part, le repli nationaliste. Ce dragon il n’a pas de passeport. Il nous faut unir nos forces, coordonner nos réponses, coopérer. La coordination européenne est essentielle et j’y veillerai.
PK - Et le deuxième écueil ?
P.M.U. - La débandade générale. La reine Birgit ne le supporterait pas.
6 février
9 h Revendication émise par Antivax, dragon « qu’en a rien à taper du hashtag #balanceton » :
C'est dur d'avoir 20 ans en 303 parce que ce sont ceux qui vivent un sacrifice terrible. Quand on est jeune, on fait la fête, on a des amis. Je ne culpabiliserai personne mais j’ai la dalle et y’a plus de côtelettes d’agneau pour mon breakfeast. Alors désormais on change le menu ! Ce sera une jolie poulette chaque matin ! Et vite, j’ai la dalle !
10 février
L’ex-légionnaire romain devenu mercenaire, Georges de Lydda, qui a lancé récemment sa start-up baptisée « ARN messenger », est arrivé dans nos murs. Il a fait ses premières déclarations à nos confrères de Radio Tripoli :
- Je crois que ce qui constitue, d'ailleurs, l'esprit religieux, c'est une aspiration constante à l'universel, c'est-à-dire cette tension entre ce qui a été et la part d'identité, qui est cette ipséité stricte, et l'aspiration à un universel, c'est-à-dire à ce qui nous échappe. Ce que révèle cette arrivée de dragon, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer votre alimentation, votre protection, votre capacité à soigner, votre cadre de vie, au fond à d’autres, est une folie.
- Ce qui signifie, en clair ?
- Ça va vous coûter un pognon de dingue. Nous devons convertir le plus rapidement possible. Nous sommes une nation de sciences, de lumières. Quand la science nous offre les moyens de nous protéger, nous devons les utiliser avec confiance dans la raison et dans le progrès. Nous devons viser la conversion de tous les Libyens. Beaucoup de choses que nous pensions impossibles adviennent, mais retenons ça. Le jour d'après, quand nous aurons gagné, nous ne reviendrons pas au jour d'avant.
11 février
Georges de Lydda a affronté le dragon.
- Il y en a beaucoup qui ont essayé de m'intimider, a déclaré Antivax . Comme dirait Michel Audiard, il y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes, .
- Je ne suis pas là pour verser le sang ou pour castagner, a répondu Saint-Georges. Faire pousser des roses, ce n’est pas mon truc et puis « thaumaturge », c’était le Défi de la semaine dernière, on n’y revient pas. En même temps, la dimension christique, je ne la renie pas ; je ne la revendique pas. Je vous signale juste que, sur mes conseils, la roi a fait empoisonner le dernier troupeau de jeunes filles dont vous vous êtes nourri ces derniers jours. Une fois que la viande est ingérée, des puces dites « 5G » pour « Gag : Gérard Gavé = Gogol Gaga» se diffusent dans le corps de l’avaleur sans attendre des années et s’en vont lui détruire les cellules du cerveau.
- C’est des craques ! Je ne sens rien ! a répondu le dragon. Et puis d’abord, comment tu sais que je me prénomme Gérard ?
- Même si vous n'avez aucun symptôme, vous êtes peut-être contaminé et vous pouvez contaminer les autres.
- C’est pas de jeu ! C’est de la triche ! Qu’est-ce que je dois faire ?
- Retournez au désert médical. Voici l’adresse d’un excellent guérisseur qui habite bien loin à l’Est. Il vous faudra marcher longtemps, longtemps, mais vous verrez, ce sont aussi des pays qui valent le déplacement. Allez zou ! En marche !
Le dragon s’est mis en route. Peut-être est-il encore en train de chercher ce fameux Docteur Raspoutine, là-bas, très loin au-delà de l’Hourraloural.
Off the record :
En attendant, la vie a repris comme avant ici. Enfin presque. D’abord il y a ces maudites cloches qui nous rappellent toutes les heures que la meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler.
Au palais le grand chambellan les maudit lui aussi, les nouvelles mœurs de la très sainte Eglise, en jurant à travers les couloirs qu’un roi qui ne fait rien n'obtient rien, que « le kwassa-kwassa pêche peu. Il amène du Comorien ». C’est un proverbe ancien qui se moque de Saint-Georges le Romain qui nous a tenu des discours du type « We all share the same responsibility : make our planet great again ! » et qui n’a pas été foutu de rester plus de six mois en vie après son bel exploit sur nos terres !
Ecrit pour le Défi du samedi n° 704 d'après cette consigne : Uchronie
G COMME GUMMIBÄRCHEN (FRAU)
Animateur d’atelier d’écriture, ce n’est pas un métier facile ! Chaque semaine il faut proposer à ses écrivantes quelque chose de différent et si possible de plaisant. Maintenant que l’atelier fonctionne aussi en ligne, on ne peut plus jouer avec des consignes reposant sur l’écriture collective de type jeu du cadavre exquis, fabriquer des renku à base de haïkus et de tankas, faire se répondre des correspondantes. Mais en fait ces exercices-là n’ont jamais vraiment eu la cote.
Chacune préfère se lancer dans une longue déclinaison à partir de sa première idée née de la consigne. Mais je ne me plains pas : le résultat est toujours aussi varié, surprenant, réjouissant au moment de la lecture.
Surtout il faut, de temps en temps, écrire à partir d’images parce que ces dames aiment ça et que c’est moins compliqué à expliquer ! Avec les images, il y a deux choses qui coincent pour moi.
La première est la gestion du code html par la plate-forme de Canalblog. Monsieur html n’aime pas les tableaux, colle des retours chariot là où on n’en veut pas et refuse de centrer les photos en une seule fois.
Ensuite il faut gérer les réclamations, bien souvent justifiées, des propriétaires des images qui vous reprochent d’utiliser leur œuvre sans leur avoir demandé la permission.
Voilà pourquoi, cette semaine, j’ai choisi de faire écrire à partir de photos de Joe Krapov. C’est un copain, je sais qu’il voudra bien et ne réclamera rien. J’ai donc distribué ses agrandissements, j’ai laissé les filles choisir en premier et dans les trois que j’ai récupérées, il y a la photo de Mme Gummibärchen.
Malheureusement il est déjà 19 h 54, on pose les stylos à 20 heures et il me faudrait de nombreuses minutes et une troisième grande page manuscrite pour exprimer ce que m’inspirent cette photo et ce surnom. Je ferai donc court.
Cette photo a été prise en 1999 lors d’un spectacle du festival « Les Tombées de la nuit », « La Flûte en chantier », d’après Mozart, par la Compagnie « Les Grooms ». Elle a déjà servi à un atelier d’écriture en ligne pour lequel j’avais produit un texte. J’avais rebaptisé la comédienne Mme Gummibärchen en souvenir d’une professeure d’allemand du collège Malifeu qui récompensait les bonnes réponses de mon fils ou de ses autres élèves en leur offrant de ces friandises dont le nom français m’échappe mais que vous reconnaîtrez sans doute quand j’aurai traduit la chose « Gummibärchen » par « petit ours en gomme ».
Je vous renvoie ici vers le texte de 1999. Je me suis régalé tout à l’heure à relire des pages de cet atelier « Rennes en Délires ». Tout comme je me régale en ce moment à l’idée que le mari de la prof d’allemand « bonbonnière » était peut-être… dentiste ! |
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 22 février 2022
d'après la consigne 2122-19 ci-dessous
B COMME BATUCADA
Ni Jean Sébastien Bach, ni Ludwig Van Beethoven ! Pas même Béla Bartók et encore moins Benjamin Britten !
Aucun de ces compositeurs n’a daigné nous pondre un concerto pour pianoforte et batucada !
Pourtant, une Sonate au clair de lune avec des percussions et des coups de sifflet, ça mettrait un peu de vie salle Gaveau ou Salle Pleyel, non ?
Vous imaginez Pierre Boulez dirigeant le « Réveil des oiseaux » de Messiaen au sifflet ?
Et de jolies danseuses brésiliennes, emplumées autant que dénudées, ça nous mettrait un peu plus de joie au coeur que ces violoncellistes déplumés qui envoient comme à l’abattoir la musique de Penderecki et Wagner dans les appareils auditifs de vieux actionnaires déplumés autant que dé(si)cavés ?
Quoi de plus triste à entendre qu’un quatuor à cordes ?
Oui, c’est ça : deux quatuors à cordes. Avec l’intégrale en CD des quatuors à cordes de Schubert, la corde pour se pendre est-elle offerte en prime ?
Car la batucada est gaie, car la batucada égaie : c’est un orchestre de percussions diverses qui joue la musique des sambas au Brésil.
Et ce costume blanc brodé de jaune et de bleu, ne siérait-il pas mieux aux musiciens de l’Orchestre Symphonique de Bretagne que la queue de pie ou la robe de soirée noire ? Pourquoi le musicien classique s’habille-t-il toujours comme s’il allait à l’enterrement de l’hymne à la joie ? On ne peut pas se pavaner un peu plus quand l’infante est défunte ? Après tout, elle n’était pas de notre famille ! Et l’Espagne, c’est loin !
C’est pourquoi il faut souligner les efforts de la violoniste, Madame Bling-Bling, pour faire scintiller ses boucles d’oreille à chaque concert ! C’est pourquoi il faut applaudir la charmante altiste (altruiste?) de l’OSB qui ne craint pas de se produire au sein du groupe Am’nez zique et les Biches pour accompagner « Estelle » de Pierre Perret ou « Julie la petite olive » des Wriggles !
Voilà. J’ai tout dit sur l’immobilisme du monde et ses quelques exceptions : cette photo a été prise il y a vingt ans et rien n’a changé depuis sur Radio Classique ! Elodie Fondacci est toujours là, Christian Morin est une publicité vivante pour le placement de l’âge de départ en retraite sur le curseur « 84 ans » et on nous y incite toujours, entre deux tubes de Chopin et Vivaldi, à mourir au plus vite pour léguer nos biens à une association philanthropique - de type Orpéa aux enfers ? - ou à vendre notre maison en viager. Reviens, Pierre Tchernia, ils sont devenus fous ! Ce monde est décibatudément batucadastrophique !
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 22 février 2022
d'après la consigne 2122-19 ci-dessous
P COMME PARASOL
22 février 2022 ! La Bretagne est en manque de parapluies et surtout de parasols !
Parmi les effets néfastes du phénomène de réchauffement climatique de la planète il faut constater maintenant dans notre région une pénurie de ces instruments portatifs destinés à protéger le crâne et le haut du corps des rayons d’un soleil désormais trop généreux.
Les messieurs, bien sûr, peuvent porter des casquettes ou chapeaux plus ou moins larges – borsalino, panama voire sombrero. La chemise en coton, la veste légère ou le polo Brassens protègent des coups de soleil leurs avant-bras.
Mais la pauvre dame en robe à manches courtes ou en débardeur, ses bras nus, sans ombrelle, de quelle couleur deviennent-ils ? Oui, c’est ça, rouge écrevisse.
Il nous faut des parapluies qui fassent office de parasols ! L’emblématique magasin « Rennes sous la pluie » vient de fermer ses portes au plus mauvais moment ! Qu’est-ce qu’ils foutent les Chinois dans leurs usines ? Ils ont découvert le droit de grève ou quoi ? Quelqu’un est allé à la pêche à la baleine et a tout raflé ? Il y a une pénurie ? Ils ont eu un pépin dans la chaîne de production ? Depuis l’apparition du coronaviruse en 2020 on a l’impression qu’ils s’y prennent comme des manches pour inonder nos marchés de leurs produits manufacturés, plus facturés que manu, d’ailleurs.
En y réfléchissant bien, il y aurait également une montagne de blé à se faire si les ambassadrices de charme de la République populaire de Chine daignaient apprendre les pas de l’avant-deux de Bazouges, de la gavotte et du laridé huit temps. Cela va faire deux ans pleins que l’on n’a pas vu tourner à Rennes le moindre costume celtique ! Plus une seule jeune fille aujourd’hui ne porte la catiole et les gants de dentelle. Il faut dire qu’avec la chaleur, porter des gants ou en prendre... Ces dames et demoiselles préfèrent sans doute désormais se trémousser en boîte aux accents d’une musique bien plus moderne émise par des émules de Daft Punk ou de Laurent Garnier ?
On comprend bien cependant celles qui, à la longue, ont développé une allergie à ce couple d’enfer, biniou-bombarde, l’assurance tous risques d’avoir un jour ou l’autre l’ouïe bousillée et le goût musical dénaturé à jamais.
C’est quand même ahurissant, cette histoire ! Bientôt, à force de regarder avec envie cette photo emblématique prise à la Fête du peuple breton en 1999, nous qui sommes les forces vives de la start up nation et du LBD-plein-la-vue-pan-dans-les-dents, nous allons finir par rejoindre la cohorte des vieux crabes pétainistes et chevrotants qui prétendent que « c’était mieux avant » !
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 22 février 2022
d'après la consigne 2122-19 ci-dessous
CONSIGNE D'ÉCRITURE 2122-19 DU 22 FÉVRIER 2022 A L'ATELIER DE VILLEJEAN
Rennes en fêtes
L’animateur distribue des agrandissements sur papier extraits d’un album photographique de Joe Krapov dont le titre est « Petits portraits de Rennes en fêtes ». Ces photos ont été prises en 1998 et 1999 et publiées sur le site web « Rennes-en-délires ».
Chaque écrivant·e en choisit trois mais n’écrira qu’à partir d’une seule de ces photos.
Il est demandé de constituer , collectivement, un abécédaire de la fête.
Pour cela chacun·e écrira un texte inspiré par la photo retenue et dont le titre sera sur le modèle des billets d’Adrienne sur son blog : C comme Carnaval, V comme Venise, etc.
L’exercice peut être renouvelé avec les deux autres photos choisies si on est inspiré.
Préparatifs de course cycliste à Jersey le 21 mai 2009
ILS ÉTAIENT DIX
Le dimanche 13 août 1961 un jeune homme belge nommé Jason Butternut se trouvait en vacances chez son correspondant anglais dans l'île de Jersey. Tous deux étaient alors âgés de 18 ans.
Le hasard permit ce jour-là à Jason d'accomplir un de ses rêves de gosses et de se découvrir une vocation pour plus tard. En effet on était rendu à la date, annuelle et rituelle, du critérium cycliste de Saint-Helier.
Cette épreuve sportive consiste en un circuit en boucle de 13 kilomètres autour de la ville portuaire que les coureurs doivent accomplir treize fois.
Parmi les participants à cette course il y avait Rik Van Looy, un champion cycliste populaire pour lequel Jason avait une adoration certaine. Il allait enfin le voir courir "en vrai".
Le correspondant de Jason s'appelait Justin Podium mais cela n’a pas d'importance dans notre récit. Greg Lestrade eût pu convenir aussi. Justin et Jason avaient pris place sur le trottoir parmi d’autre amateurs de vélo afin de voir passer le peloton et d'encourager les rois de la petite reine. Jason n'avait d’yeux que pour Rik Van Looy et Justin, quant à lui, en véritable looser, encourageait l'équipe locale, les Jersey black devils, dont le maillot était de couleur noire.
Dès le premier tour il y eut une échappée. L'espagnol Federico Bahamontes, cherchant la montagne – il ne la trouverait jamais, Jersey étant une île relativement plate par rapport aux Pyrénées -, avait pris quelques 200 mètres d'avance au peloton.
Au deuxième passage Justin remarqua l'absence, dans le peloton ou à l’arrière de celui-ci, du coureur Wargrave, le capitaine des Blacks devils. Peut-être avait-il été victime d'une crevaison et été distancé ? Parfois ont fait ce qu'on peut et le pneu peut peu. Mais bientôt un motard précédent la voiture-balai laissa planer un premier mystère sur la course. Wargrave aurait abandonné au bout de même pas 20 kilomètres et serait monté à l'intérieur du véhicule de ramassage des lâchés en perdition ? Quand même pas ?
Au troisième tour le peloton passa groupé, Bahamontès, déçu par la morne plaine, ayant été repris après une chasse terrible d'André Darrigade. Mais cette fois chez les Black devils c’est Claythorne qui manquait à l'appel.
Au quatrième tour, Brent était aux abonnés absents.
Au cinquième, plus de nouvelles de Mc Arthur. Où avait on mis son corps ? Justin attira l'attention de Jason sur ce phénomène d'évaporation, sans doute irrégulière bien que régulière, de l'équipe de Jersey.
- Oui, c’est bizarre, convint Jason, mais en attendant l'équipe belge est aux avants-postes. M'étonnerait pas qu'elle tue la course pour que ça se termine en victoire au sprint de Rik Van Looy !
Au sixième tour du circuit exit le nommé Lombard. Arrêté dans une pizzeria ?
Au septième tour plus d'Armstrong ! Expédié dans la Lune ?
Au huitième, plus de nouvelles de Marston.
Au neuvième tour on déplorait la perte de Blore.
Au dixième ce fut au tour de Roy Rogers de disparaître.
Au 11e son frangin John pointait absent du peloton et de ce fait il n'y avait plus aucun représentant des Jersey black devils dans la course.
Ils étaient dix à avoir disparu sans que ça n'inquiète ou n'intéresse personne d'autre que nos deux jeunes gens.
Comme pronostiqué par Jason, Van Looy gagna l'épreuve au sprint mais Justin attendit que le dernier coureur, la lanterne rouge comme on dit dans ce sport, eût passé la ligne pour en avoir le coeur net sur les disparitions des cyclistes. Se pouvait-il que toute l'équipe locale se fût retrouvée dans la voiture-balai ?
Mais justement, comme par un fait de sorcellerie, la voiture-balai ne franchit jamais la ligne d'arrivée. On ne la revit plus de l’après-midi.
Les deux amis se rendirent au commissariat et y racontèrent leur histoire.
- Vous les connaissez ? Vous faites partie de leur famille ? leur demanda-t-on. Le véhicule est à vous ? Ou le balai ?
- Non.
- Vous savez, jeunes gens, chacun est libre d'aller et venir comme il le souhaite ici. Ils vous ont volé quelque chose ?
- Non plus !
- Alors, s'il vous plaît, mêlez-vous de vos British fesses et de votre Belge postérieur, les kids ! Caltez, maintenant !
Les deux jeunes gens retournèrent auprès du car-podium où une charmante Jerseyan lady claquait deux bises à Rik en lui remettant un énorme bouquet de fleurs.
Ils avisèrent un officiel auquel ils demandèrent le nom du chauffeur de la voiture-balai.
- Quelle voiture-balai ? Personne n'abandonne jamais dans cette course. Il y a les voitures des directeurs techniques en cas de pépin mais c’est tout !
- Mais on l'a vue ! Elle a tourné derrière les coureurs. Sauf au dernier tour !
- Je ne vois pas vraiment de quoi vous voulez parler. Vous avez trop arrosé de cherry votre repas de ce midi ?
Avaient-ils eu la berlue ? L'équipe des Jersey black devils existait-elle seulement ? Ils en venaient à douter de leurs sens. Quand soudain Jason Butternut se tripota le bout relevé de moustaches imaginaires et eut une illumination dans ses petites cellules grises.
- Cela ne peut pas être l’adjudant Chanal ou un autre de ces pervers détraqués qui conduisait le véhicule ! Comment un homme seul pourrait-il en violer dix autres sans que ceux-ci n’opposent de résistance ? Trouvons le nom du chauffeur et nous saurons quel louche trafic se cache derrière la disparition de ces dix hommes. Quand tu m'a parlé de ce phénomène la première fois, j’ai pris soin de noter le numéro de la plaque minéralogique de la camionnette : 3745 ES 40. Retournons au commissariat.
Le même préposé digne, courtois mais un chouïa vulgaire sur la fin les reçut à nouveau avec flegme.
- Nous aimerions savoir à qui appartient ce véhicule.
L'agent Bobby, ébaubi, regarda le numéro puis il appela un autre service. Quelques temps après il obtenait la réponse.
- Cette camionnette Peugeot est immatriculée en France. Elle appartient à un dénommé Auguste Maquet.
- J'ai tout compris ! dit Jason à Justin. On peut rentrer chez tes parents prendre le thé !
***
Lorsque le soir fut venu, Jason Butternut demanda à Justin Podium de réunir tous ses neurones dans la bibliothèque du château de ses parents. Ce fut vite fait car le correspondant n’en avait pas beaucoup.
- Il existe quelque part sur le continent une clinique médicale tenue par un docteur très malin. Nommons-le Alexandre Dumas arrière-petits-fils car c'est bien de là que tout est parti. C'est essentiellement une maison de repos, située à la campagne ou à la montagne, voire à la mer, va savoir ! La clientèle est principalement constituée d'écrivains ou d’écrivaines en mal d'inspiration ou en dépression ainsi que de scénaristes excédés ou vidés. Le docteur Dumas a mis en place une espèce de commerce triangulaire. Avec l'argent que les éditeurs ou producteurs lui confient pour soigner leurs poulains ou leurs pouliches il va acheter un peu partout des rédacteurs remplaçants, des gens qui vont écrire des romans ou des scenarii à la place des auteurs en déprime. Je pense qu’ils sont logés pour cela dans un centre de vacances à Mimizan-plage, dans les Landes. J’en ai vaguement entendu parler par ma copine Josiane qui passe ses étés et a beaucoup flirté par là-bas. Lorsque le rédacteur-vacancier a terminé son manuscrit, il l’envoie au docteur qui le remet à l'auteur. Celui-ci le retouche et repart un peu guéri pour un temps vers de nouvelles aventures. Il va enfin pouvoir à nouveau passer à la télé ou causer dans le poste.
- Mais alors il n'y a rien d'illégal dans la course cycliste ? s'étonna Justin.
- Tout ce qui se trafique dans un paradis fiscal est parfaitement légal même si c'est parfois immoral et Rik Van Looy est bien le meilleur. Il n'a pas besoin d'une quelconque tricherie pour le prouver.
***
Les vacances de Butternut étaient terminées. Le lendemain matin Jason retourna sur le continent. En montant à bord de l'hydroglisseur de la Brittany-ferries il ne fut nullement surpris de renifler l'odeur caractéristique du ragoût de mouton aux haricots de l’English breakfast qui l’avait étonné à l’aller ni d’apercevoir, assemblés autour de deux grandes tables, dix jeunes hommes habillés de costumes noir, portant lunettes noires et chapeaux et occupés à taper sur des machines à écrire portatives.
Jason se dirigea vers eux et dans son anglais faiblard mâtiné de surréalisme belge, de visions Carrolliennes et de précognition de Georges Perec, il demanda aux men in black :
- J'ai tout compris à la disparition mais... Pourquoi des coureurs cyclistes à guidon chromé au fond de la cour ?
C'est le capitaine de l'équipe, Wargrave, qui lui répondit :
- Parce que pour écrire autant d’inepties à la chaîne sans dérailler complètement il faut soit en avoir sous la pédale soit être complètement piqué !
- Et nous on en a et on l’est ! ajouta Claythorne, ce qui déclencha un éclat de rire général de la part des dix nouveaux petits nègres.
Ecrit à l’insu de son plein gré pour Agatha Christie le 20 février 2022 par Joe Krapov.
Ecrit pour le jeu n° 73 de Filigrane (La Licorne) d'après cette consigne