" Pour en revenir à Bergson, il m’a initié aux mystiques : lorsqu’à la Sorbonne j’ai dû choisir un sujet de mémoire pour être diplômé, j’ai choisi le quiétisme de Fénelon. […]. Le quiétisme me convenait bien. Il y avait une chose que je trouvais la vérité même : ne faites donc rien. Tout ce que vous ferez, ce sera toujours des bêtises. "
"Il y avait l’admirable phrase : « Taisez-vous et Dieu vous parlera. Comment voulez-vous qu’il vous parle quand vous faites tant de bruit par tant de discours intéressés ? ».".
"J’ai toujours pensé que je n’existais pas beaucoup et que tous mes efforts pour exister davantage se retourneraient contre moi. C’était un lien avec Proust qui pensait lui qu’une jeune fille ne peut vous aimer si vous êtes amoureux d’elle et que tout ce qu’on désire on ne l’a pas parce que si les gens sentent qu’on le désire alors immédiatement ils vous le refusent au lieu que s’ils sentent que vous ne le désirez pas, ils vous le promettent. Proust en était convaincu."
"Le premier livre auquel j’ai travaillé, vers 1919-1920 qui s’appelait "Recherche sur la nature de l’amour" aurait dû être une thèse de doctorat. C’est Bergson qui m’a dit : « N’en faites donc pas une thèse, les thèses sont embêtantes pour tout le monde ». Il avait raison mais ça n’a pas empêché mon livre de n’avoir pas de lecteurs."
Ces quatre citations sont extraites de Emmanuel Berl. - Interrogatoire par Patrick Modiano. - Gallimard, 1976.
Aujourd’hui, amis de la satire et des satiristes, nous allons vous parler du vieux rocker rennais, de ses rites et de ses codes. Disons tout de suite que le vieux rocker rennais nous emmerde tous, comme du temps où il portait blouson de cuir et lunettes noires. Il nous méprise tout autant que le rappeur marseillais ou le punk de Pougne-Hérisson qui nous jettent des regards torves. Pour lui, nous qui sommes pourtant ses semblables, nous sommes tous, ce soir, des congénères mais surtout des cons. Il est tellement susceptible, le Papy, que s’il me chopait au coin de la rue, après avoir lu ce billet, il me flanquerait des coups de chaîne de mobylette et me laisserait sur le carreau avant de s’en retourner… monter dans son 4x4 et aller voir son match de foot sur sa chaîne câblée en buvant des bières comme dans le temps mais avec le confort en plus. Le rock’n’ roll est né en 1954 et le rocker rennais à l’âge de ses artères. C’est mieux qu’avoir celui de César Franck, c'est sûr !
Mais allons-y quand même, Alonzo ! Le rocker rennais a donc entre cinquante et soixante-dix ans. Il vient désormais au concert accompagné de Bobonne et de sa progéniture. « Faut vraiment que tu le voies avant qu’il meure ! ». Quand le concert à lieu sur la place de la Mairie de Rennes, que trois cent personnes sont installées dans les transats mis à disposition pour entendre de la musique de vieux jouée par des vieux, le rocker rennais montre à tout le monde que lui est resté jeune, malgré sa calvitie, ses cheveux blancs et sa bedaine et donc il se poste devant la scène, offrant en spectacle au public assis son beau ( ?) postérieur de bourgeois convenable.. mais pas trop venable, quand même.
Vous reprendrez bien un peu de Brelgitude, en attendant la suite ?
A ce moment-là, on se dit : « c’est cuit » et on a raison. On ne profitera en rien du concert de Little Bob blues bastards. « Un concert de rock, nous dit implicitement la famille Bidochon des premières loges, c’est debout près de la scène, le verre de bière ou la clope à la main. Ou, maintenant, l’appareil photo ou le smartphone qui prouvera sur Facebook ou dans le fond du disque dur « qu’on y était » ».
Oui, c’est cuit. On attend des « Assis ! Assis ! » du public qui ne viennent pas. Seul un type se lève et va tenter de parlementer avec Robert et Raymonde pour leur suggérer que la contemplation de leurs postérieurs adipeux pendant une heure ne va pas vraiment le faire bander mais le pauvre homme est bien seul. Tous les autres rockers rennais sont affalés dans leur transat en train de consulter leur smartphone ou de se dire « Merde ! Lundi on retourne au boulot, plus la force de m’énerver en cette fin de vacances. Bidochon ou Bob, quelle différence ? Ca commence par un B. tout pareil et Bob c'est le diminutif de Robert !»
Et de fait quand le rocker du Havre investit la scène on ne voit rien, personne ne voit rien ! "Little" Bob n’a pas volé son surnom, il est vraiment petit et personne n’aperçoit longtemps son casque de cheveux blancs. Du coup, une douzaine d’autres courageux ( ?) s’en va rejoindre l’indélogeable famille Tuyau de Poêle. Ils seront quoi ? Une trentaine, là-bas devant ? Une trentaine de chauves ou de dégarnis qui prennent en photo le crâne dégarni ou chauve du mec qui est juste devant eux !
Croirez-vous, grandes et grand naïfs-naïves que vous êtes, que le rocker rennais se déhanche au son de ces rocks endiablés ? Que nenni, mes ami(e)s ! Il est planté là sans taper du pied, sans crier, sans rire, sans chanter, tel un intello rennais au cinéma L’Arvor en train d’attendre de se brûler pour rire devant le film drôle. C’est que le rocker rennais, maintenant, a sa dignité… et son arthrose, ou les deux, sans oublier son ennui et sa zappitude.
On en verra donc qui consultent leur Facebook – surveillons ce que font ceux de nos petits-enfants qui ont bien voulu que Mamie soit leur amie – qui photographient Valérie-Nicole-Maryvonne dans le transat, d’autres qui « allôtéoùtent » et qui « regarde moi je suis juste devant la rangée de dos devant la scènent », d’autres qui lisent et – c’est Marina B. qui me l’a rapporté, vous pourrez lui casser la gueule aussi, - certains qui dorment !
On va s’arrêter là ! Vous aurez compris qu’il y a eu une erreur de casting. On va rejeter la faute sur la ville, comme font tous les rockers depuis que le rock existe. « Comment ? Chers employés municipaux, tas de feignants de fonctionnaires, vous avez eu la flemme de monter les écrans géants de chaque côté de la scène ? Comment, vous nous mettez des transats pour un concert de rock ? Pas étonnant qu’il n’y ait que des vieux alors, sur la place ! ».
Pour terminer, je pourrais la jouer plus provoc’ encore du haut de mes 26 ans virtuels et vous rappeler qu’un vieux rocker a écrit « It’s better to burn out than to fade away » et qu’il y en avait un sacré paquet de « faded away » hier ! Je pourrais même me souvenir de Carl of Gaule, autre vieux rocker des sixties qui a déclaré « La vieillesse est un naufrage ».
Mais je ne suis pas comme ça. Je suis rentré chez moi au bout d’une heure et j’ai écouté Philippe Jaroussky interpréter « Pietà, sacred works for alto » de Vivaldi en téléchargeant des vieilles choses des années 60 sur mon disque dur externe. Ce qui est bien avec les CD et Internet, c’est que le vieux rocker rennais que j’aurais pu être moi aussi n’impose pas ses codes stupides et ridicules à qui que ce soit.
Merci quand même aux vieux rockers rennais de ce samedi soir. La vidéo sur laquelle le groupe déménage sans que personne ne bouge est à hurler de rire !
Caramba ! Encore raté ! J'avais lu sur le programme de Transat en ville quelque chose comme : "Leila and the Koalas vous emportent dans leur musique ensoleillée par le métissage entre le bluegrass américain des années 40 et le rocksteady jamaïcain".
Ca s'annonçait donc bien et j'allais enfin entendre de la musique moderne. Sauf qu'il a plu toute cette sainte journée de reprise du boulot et que le concert, initialement prévu au parc du Landry, avait été déplacé sous la halle du Triangle. La musique avait donc intérêt à être ensoleillée sinon je me faisais rembourser. Oui, je sais, le concert était gratuit, mais j'adore cette vanne !
A 20 heures 02, quand j'arrive avec mon pliant blanc à toile bleue et mon Donald Westlake à la main, il y a déjà un monde fou. Tout Bourgbarré est là ! ;-) Leila - oui c'est celle de "La Nouvelle star" pour les connaisseurs - en est native et tous les gens du bourg, barrés ou pas, sont de son fan club. Je m'installe près de la table de mixage, bien en face de la scène mais déjà un peu loin, prêt à jouer de "l'effet créatif" de mon Ixus !
Joe Krapov est poète, humoriste (?), musicien à ses heures et photographe à seize heures trente. On trouvera ici un choix de ses productions dans ces différents domaines.