PAUVRE BORIS ! (L'ÉCUME DES JOURS)
La piscine Molitor redevient patinoire,
Les anguilles et les truites vivent dans les robinets,
Les pianos servent à fabriquer des cocktails,
Les rayons du soleil finissent en billes d’or
Aux cuisines où les souris dansent.
Que de beautés dans l’Univers !
Les oursons s’appellent Ursula,
Il y a du vent dans tous les crânes
Sauf dans le tien :
L’ingénieux ingénieur joue de la trompinette,
Touche à tout et conduit
La Brasier Torpedo
Avec brio.
Mais comme le négatif qu’on a mis à sécher
Avec des pinces à linge
Sur un fil trop fragile
Le coeur est perforé,
Le coeur est trop serré
Pour le flot d’énergie qui remue le génie.
Fi de la normalisation !
Il y a un empire à bâtir,
Des romans à traduire,
Des chansons à produire
Pour moquer, dénoncer
Les ratichons baigneurs
Les généraux joyeux bouchers
Et les honteuses guerres
Des marchands de canons.
Il y a des cantilènes mises dans la gelée,
Des bombes atomiques danseuses de java,
Les bisons sont ravis,
La cécité vairon,
Et le rock’n’roll mops,
Un voisin qui s’appelle Prévert,
Saint Pierre au Paradis qui ne veut pas de vous…
Et ce chef-d’oeuvre que tu laisses
C’est le roman de la Jeunesse,
Celui qui donne envie d’écrire
Pour découvrir et dire Ailleurs,
Tout le gré de la fantaisie
Contre la gravité d’un monde
Qui ne souhaite même pas entendre.
Il faudrait te relire plus souvent,
Boris Vian,
Pour accepter ce phénomène :
C’est seulement après le fracas
Des vagues sur la plage,
Des phrases sur la page,
Que l’écume des jours
Fait cadeau à l’estran
De ses trésors cachés
Dans l’océan du temps.
Et ce sont d’autres promeneurs,
D’autres générations
Qui en profiteront.
Tant pis !
Tant mieux !
Merci,
Mon vieux,
Car ton solo était très beau !
Ecrit pour le jeu n° 72 de Filigrane (La Licorne) d'après cette consigne.