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Mots et images de Joe Krapov
texte d'atelier d'ecriture
15 septembre 2021

C'EST MOZART QU'ON ASSASSINE !

La Licorne Jeu n° 68 - image de C'est Mozart qu'on assassine

Sur le piano
Dans la cuisine
C’est Dark Vador qui est aux fourneaux
Et qui fulmine
Mais c’est Mozart qu’on assassine !

Elles font toutes comme ça les vedettes
Abusant de la vinaigrette
Servant l’Moët et Chandon (Giovanni !) ‘vec une paille
Et très grand lèvement de saucière austère ! Aïe !
Mais c’est Mozart qu’on assassine !

Le sabre laser tue les dièses,
Le four est une vraie fournaise
Les casseroles sont pleines de bémol
Et la béchamel est toute molle !
Mais c’est Mozart qu’on assassine !

Devant ce gâchis de pognon
Qu’il nous mitonne aux p’tits oignons
La menace n’est pas fantôme
Qu’il ne nous serve qu’un bout de tomme !
Mais c’est Mozart qu’on assassine !

Il a enfermé sous burqa
La cuisinière Papagena
Et assaisonne de doubles croches
La poiscaille comme la bidoche
Mais c’est Mozart qu’on assassine !

Triste gougnafier du désert,
Rentre donc aux Etats-Unis !
Remballe ton maudit hamburger
Et tes airs de reine de la nuit !
C’est Mozart que t’assassinais !

Un peu plus et c’est Vivaldi
Que tu trucidais, lapidaire,
Arguant que tu es « notre père » !
Retourne-t-en dans ton domaine,
Cuistot à la petite semaine !

Vivement le retour du jeudi…
Et du tournedos Rossini !


Ecrit pour le jeu n° 68 de La Licorne (Filigrane) d'après cette consigne 

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11 septembre 2021

UNE SINGERIE

DDS 680 Tu joues au whist E

L'Estivalienne posa la question au gars de droite qu'elle connaissait de longue date :

- Tu joues au whist, E.T. ?

- Pas du tout, répondit la créature de la planète Spielberg. On admire la collection de dames de coeur d'oncle Walrus !

DDS 680 Dame de coeur 01 6718d54082a62614ebff6571cfcd09e5

Ecrit pour le Défi du samedi n° 680 à partir de cette consigne : Whist.

4 septembre 2021

A LA RECHERCHE DU TEMPS PAS TROP MAL PERDU. 1, Les Vide-poches

Malgré l’absence de signalement adéquat, j’ai fini par les retrouver, les photos des vide-poches.

DDS 679 Vide-poches 1On a beau exercer la profession de bibliothécaire, on ne peut tout de même pas, une fois sorti du boulot, continuer à faire du catalogage, de l’étiquetage, du rondage, du marquage et du repérage de tous ses documents personnels : il faut bien respirer un peu, s’occuper de sa petite famille, cuisiner, faire faire les devoirs, emmener les queniaux à la bibliothèque, souffler en jouant aux échecs le mercredi et le samedi avec le docteur Gobé, André Simon , Daniel Tailpied, Luc Rivard et ce vieux descendant d’Ecossais rafistolé de tous les côtés mais aussi prompt à vous raconter des grivoiseries qu’à se laisser planter un échec et mat rapide, le sieur MacLeod, descendant d’un ministre de Louis XV ; il faut remettre remettre le couvert échiquéen le dimanche dans le championnat départemental en affrontant les clubs du Mans, de Champagné, La Suze ou Château-du-Loir et aussi croiser le fer amoureux avec l’escrimeuse et experte en tir au pistolet qui me servait alors d’épouse-en-attente-d’un-retour-en-Bretagne.

Mais vous en avez marre des longues phrases proustiennes et vous n’avez pas compris le mot «queniaux» : c’est ainsi qu’on désigne les enfants en parler sarthois. Pensez à bien rouler les "r", ce faisant.

Parce que c’était en 1997, les vide-poches, et c’était à Sablé-sur Sarthe, une charmante cité que nous nous apprêtions à quitter alors pour la bonne ville de Rennes. Si vous avez besoin d’un repère temporel plus pop-culturel, souvenez-vous que c’est à cette époque-là que la Mercédès de Lady Di a joué au zouave dans le tunnel du pont de l’Alma.

DDS 679 Vide-poches 2Les trois photos sur papier étaient dans une pochette marquée «Pot de départ au château». Oui, la bibliothèque dans laquelle je travaillais était logée dans le château de Sablé qui avait appartenu jadis à Monsieur le marquis Jean-Baptiste Colbert de Torcy, secrétaire d'Etat puis ministre de Louis XIV. Elle doit toujours se trouver là d’ailleurs. Ce n’était pas, à vrai dire, une bibliothèque mais un centre technique de la Bibliothèque nationale de France. Il avait été installé dans ces lieux en 1981 et s’appelait le Centre de conservation du livre imprimé et manuscrit (CCLIM). Je me souviens encore avoir pondu un jour cette krapoverie-ci : «Le CCLIM ne paie pas !».

Je suis arrivé là en janvier 1985. Je suis donc resté douze ans Sabolien ! Rétrospectivement, c’est peut-être un exploit !

Les diapositives se trouvaient dans une boîte dénommée «D 97/11 Festival interceltique de Lorient", mises à la suite de photographies du groupe musical «Mes souliers sont rouges». J’ai donc ajouté sur l’étiquette et dans le listing de mes collections d’images «+ Exposition de vide-poches». Il y met parfois du temps mais le bibliothécaire retrouve toujours tout !

Les deux dernières années à Sablé, j’ai passé la surmultipliée. Je suis devenu, de façon tout-à-fait officieuse et parfois à moitié scandaleuse, animateur-agitateur culturel. J’ai publié des choses diverses, poésies, écrits satiriques, exposé des photographies, entraîné des collègues dans des animations autour du «Temps des livres» puis me suis acoquiné avec un comédien local, Lionel Épaillard, pour organiser des soirées de lecture publique baptisées Hydraulire. Tous les ans je sortais ma guitare le 21 juin pour interpréter sur la place Dom Guéranger des chefs d’œuvres de l’antiquité tels que «Le Lycée Papillon» de Georgius dont j’avais modifié les paroles ainsi :

«C’est en Normandie que coule la Moselle
Capitale Béziers et chef-lieu Toulon
On y fait l’caviar et la mortadelle
Et le député c’est François Fillon»

DDS 679 Vide-poches 3

L’exposition de vide-poches relève du même esprit de partage avec tous de ces richesses anciennes que nous voyions passer journellement au travail en vue de les photographier et de les restaurer. Ces objets pratiques ont été la dernière surprenante découverte faite au château, faisant suite aux œuvres du chanoine Schmid, à la collection Smith-Lesouëf, au fonds indochinois et aux brochures Lb39 datant de la Révolution française. Et c’est sans parler de Charles Cros qui vint ici faire des expériences de photographie en couleur et de mes pittoresques et fabuleux collègues, aussi bien les locaux que les immigrés, que je salue au passage.

Je me souviens que ces objets domestiques kitschissimes nous avaient été envoyés par le département des Estampes non pour un traitement quelconque - microfilmage, désacidification et reliure étaient les trois mamelles de ma mère nourricière, la B.N.F qu’à l’occasion j’appelais aussi «l’Abbé Héneffe» - mais juste pour stockage sur la plateforme au-dessus de l’entrée de service, là où avait dû se situer jadis l’usine de chicorée des frères Williot qui nous avait précédés ici de 1920 à 1968.

A l’occasion de la journée portes ouvertes, j’en avais exposé une sélection dans le salon Louis XIII, sous le plafond à caissons, par-dessus le parquet à la Versailles, face au portrait du duc d’Albert de Luynes, ancêtre du duc de Chaulnes qui patati et patata… Comment avez-vous deviné que j’étais aussi responsable des visites du château ? N’oubliez pas le guide, s’il vous plaît !

Voyez comme le monde est fait : cela va faire 25 ans que j’ai quitté la B.N.F. et je reste toujours aussi épaté voire intrigué par l’étrangeté des trésors qu’elle possède. L’instauration du dépôt légal par François 1er en 1539 lui fait obligation de conserver un exemplaire de tout ce qui est imprimé sur le territoire français depuis cette date, y compris ces objets aux couleurs fluorescentes dont le tampon, sur leur verso voire carément sur le visage de ces dames, indique la date de 1929.

C’est fou ! Vous imaginez un de ces trucs-là accroché au mur, chez vous ?

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Peut-être y en avait-il dans les chambres de l’hôtel Alsace Lorraine que tenaient Odilon et Céleste Albaret au 14 de la rue des Canettes à Paris 6e après avoir cessé leur service auprès du très maniaque Marcel Proust ? Allez savoir !

N.B. Les trois photos sur papier qui illustrent le texte sont certainement l'oeuvre de Philippe Masseau.


Ecrit pour le Défi du samedi N° 679 d'après cette consigne : Vide-poches

28 août 2021

MAUVAISE CONSCIENCE-FICTION ?

DDS 678 Photo du Défi Superman 129683021

Ça n’existe pas, Superman ! Ou alors, ça ne vaut pas tripette !

Vous avez beau arborer son super-étendard, sa tenue moule-couilles et sa jolie cape rouge, vous n’avez aucun super-pouvoir, les mômes !

Du super-pouvoir, personne n’en a à part Supercon !

2021 08 27 Proust Superman

Cette tenue ridicule, c’est le même genre de super-uniforme bien repérable - bleu horizon, c’est ça, avec un pantalon rouge garance ? - que portaient nos arrière-grands-pères pour partir, la fleur au fusil, reprendre l’Alsace et la Lorraine aux Allemands au motif que des Serbes plus ou moins acerbes avaient zigouillé un archiduc austro-hongrois – hongrois rêver ! - et asséché les chaussettes de l’archiduchesse. Sarajevo pas grand-chose mais sarajefous la merde quand même ! C’était le 28 juin 1914.* Quatre ans de bourbier et 18,6 millions de morts inutiles s’ensuivirent.

Bon d’accord, Superman n’était pas né alors tandis que Supercon est là depuis le début de «l’humanité».

En Afghanistan, ces jours-ci, Supercon a battu Superman à plate couture. Les enturbannés mélophobes ont coupé le sifflet à Supergendarme du monde. Remballe ton rock’n’roll, man !

Plus ça va et plus on se dit que le monde est mal barré – on a dit ça aussi du Titanic – et qu’il n’avait peut-être pas tort dans le fond, le fameux Marcel Proust, de rester chez lui à écrire des conneries dans le fond de son lit.

Pendant qu’on fait ça, au moins, on n’emmerde pas ses voisin·e·s ! **


* Je ne sais vraiment pas pourquoi je n’ai aucun mal à retenir cette date !

** Oui, je sais, on emmerde ses lecteurs ! Mais il n'est pas encore interdit de refermer un livre auquel on ne prend pas de plaisir. Pas encore !


Ecrit pour le Défi du samedi n° 678 d'après cette consigne

21 août 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 10, Centon vénitien

VeniseA Venise, ville exquise, j’arrivai pour le carnaval, accompagné de mon ami Reynaldo H., de MAMAN et du livre de John Ruskin, «Pierres de Venise» dont j’espérais bien qu’il me servirait de guide touristique dans la cité des doges puisque Gaston Gallimard n’avait pas encore lancé les beaux objets bibliophiliques de sa collection «Découverte».

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître puisque c’était en 1900, une année un peu folle où Bruxelles Bruxellait, où Venise Venisait et où le carnaval promettait d’être plus joyeux encore qu’à l’habitude car le tournant du siècle ne s’était pas accompagné de la fin du monde prédite par un grand couturier de Paris qui donc continuait de Pariser tandis que dans son coin Buda pestait… presque autant que moi.

vittore-carpaccio-arrivee-des-ambassadeurs-venise- T’as voulu voir Venise et on a vu Venise ! me reprocha MAMAN toute l’année qui suivit ce voyage mais c’était bien à tort qu’elle s’en prenait à moi qui ne m’intéressais alors qu’à ce joli manteau sur le tableau de Carpaccio à la galerie de l’Accademia et qui n’avais même pas voulu l’accompagner à ce bal masqué sur la place Saint-Marc d’où elle et Reynaldo avaient ramené la petite fille, adorable au demeurant, dont ils avaient hérité là-bas.

Au bal masqué ohé ohé, il s’était déroulé un incident regrettable, une farandole tragique. L’Arlequin qui menait la sarabande avait enlevé, par jeu, à une famille française leur petite fille déguisée de la même façon que lui et l’avait intégrée à la chaîne humaine des danseurs allumés qui tournaient autour du campanile puis partaient vers la tour de l’horloge et c’était tout juste s’ils n’entraient pas dans la basilique pour profaner de leur transe vivaldienne le sol de mosaïque – heureusement, le bâtiment religieux avait été fermé – mais au moment où la musique s’est arrêtée Arlequin dans sa boutique chanstiquée a rendu la petite fille… à MAMAN !


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- Laisse les gondoles à Venise ! La prochaine fois on ira voir le printemps sur la Tamise ou te chercher une promise à Vesoul ou Vierzon… ou Aurillac !

Ce fut là le leitmotiv de toute l’année 1900 car MAMAN m’en voulait énormément de cette mésaventure : on n’avait jamais retrouvé les parents de la gamine qui disait se prénommer Céleste «mais je sais pas mon nom de famille sauf que papa s’appelle Ginette et qu’on habite à Aurillac» et les carabinieri qui étaient tout sauf polyglottes haussaient les épaules, écartaient les bras et les laissaient retomber pour bien signifier qu’ils ne pouvaient rien faire de plus et que le mieux était de voir avec le consulat de France : «Franchement, depuis 1515 et même avant, vous ne faites rien qu’à nous embêter, vous, les Francese, que si ça continue vous allez nous rendre Venise invivable à force d’y venir si nombreux vous livrer à vos fredaines homosexuelles comme ce Georgio Sand et cet Alfred de Musset qui ont fait tant de scandale à l’hôtel Danieli…» mais on n’a pas entendu la suite de la diatribe parce que MAMAN excédée a fichu un coup de parapluie sur la tête du brigadier Tarchinini, ce qui n’avait en rien amélioré le climat – climax ? - de la discussion qui avait fini au poste et tout s’était terminé par un retour à quatre à Paris puisque on ne pouvait pas, décemment, laisser à la rue, dans une ville étrangère, notre jeune compatriote au si mignon minois.

***

- Tu me fais tourner la tête ! Mon manège à moi, c’est toi ! Je suis toujours à la fête quand je te prends dans mes bras ! ». Voilà comment je lui déclarais mon amour à Céleste ! Pendant cette année de ma vie au cours de laquelle j’ai fêté mes vingt-neuf ans, j’ai eu une petite sœur de neuf ans, une petite fille, une petite mère et c’est sans doute de cette gamine anodine qui apporta tant de bonheur dans mon existence que MAMAN est tombée gravement, maladivement et méchamment jalouse.

- Je suis malade ! Complètement malade de ce que nous coûte cette peste ! se plaignait-elle à tout bout de champ. Déjà ce voyage d’une semaine à Aurillac où elle dit qu’elle habite mais où personne ne l’a jamais vue et où elle-même ne reconnaît rien et maintenant ces bouquins de la Comtesse de Ségur, ces robes, ces tabliers de bonniche qu’on lui achète pour qu’elle aide en cuisine et serve à table mais va te faire lanlère, avec la gangrène socialiste qui s’annonce bientôt on ne pourra même plus faire travailler des enfants de cinq ans dans les mines ! Pourquoi pas leur offrir des congés payés tant qu’on y est ?

***

Aujourd’hui MAMAN est morte. MAMAN est morte de rire ! Nous somme le 24 janvier 1901. Elle a dit à papa qu’elle avait eu l’idée du siècle et qu’elle s’absenterait quelques jours en février mais que Céleste et Félicie aussi s’occuperaient de la maison en son absence. Papa a à peine levé les yeux de son journal et fait « Moui, si tu veux ». Moi je n’ai rien vu venir.

***

Que c’est triste Venise au temps des amours mortes ! De quelles trahisons ne sont-elles pas capables puis coupables, les femmes et les mères ? Rétrospectivement je crois que j’ai eu raison, lorsque j’avais vingt ans, de lui casser son beau vase de Sèvres le jour où elle m’a acheté des gants gris à la place des gants beurre frais que je lui avais demandés et où, après avoir pleuré et encaissé sa très déplaisante réflexion, j’étais quand même allé voir cette actrice de théâtre très ouverte dans l’espoir qu’elle me dépucèle et où j’étais tombé sur des huissiers en train d’emporter les meubles de son appartement, excusez-moi si je ne suis pas très clair mais je le sais aussi bien que vous qu’un jour mon amour des longues phrases me perdra et d’ailleurs, c’est fait, je suis perdu, trahi, blessé jusques au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle : MAMAN est retournée à «Veueueunise», comme elle dit maintenant avec ironie, en emmenant Céleste avec le costume d’Arlequin qu’elle portait quand on l’a trouvée-recueillie-adoptée.

***

ob_d04a15_par-tullio-pericoli- Derrière chez moi, savez-vous quoi qu’y gn’a ? chantait le campanile sur un air de tarentelle. Il y a la place Saint-Marc, le corso, le carnaval, la farandole et… Arlequin qui, toujours aussi con voire peut-être encore plus que l’année précédente, emmène la petite Céleste dans la ronde folle tandis que MAMAN, contente de son coup, s’éclipse comme la Lune, hilare, soulagée et ayant même peut-être la conscience tranquille en pensant que la famille de Céleste sera peut-être revenue ici elle aussi dans l’espoir de retrouver sa progéniture ou dans l’idée d’un pèlerinage annuel pour faire son deuil mais peut-on effacer tous ces temps de bonheurs perdus ? L’écriture permet-elle de les retrouver vraiment ? MAMAN s’en fout, MAMAN revient retrouver son FIFILS à elle toute seule mais quelque chose est cassé chez FIFILS qui n’aime plus sa vilaine MAMAN.

***

Ce 20 mars 1913 à quinze heures, dès que Marcel P. se réveille et sort de ce cauchemar-là, une fois ingurgités son café noyé de lait chaud et son croissant, il décroche le téléphone et, comme il l’avait noté sur un des cartons à fumigation ce matin en se couchant, il appelle Odilon A., son chauffeur attitré à la compagnie de taxis Gessette-Koulé, pour le cuisiner. Le jeune homme lui a annoncé récemment son indisponibilité à venir pour cause de mariage : il s’en retourne dans la province pour épouser une jeune fille qu’il a connue en Lozère. Marcel a besoin de détails car il souhaite lui envoyer, le jour des noces, un télégramme de félicitations.

- Allô, écoute ! Pardon, écoutez ! Odilon, c’est Monsieur P. Est-ce que vous pouvez me dire où aura lieu la cérémonie de votre mariage le 27 mars prochain ?

- Bien sûr Monsieur Marcel ! Pas de problème ! C’est à Auxillac !

- Aurillac ?

- Non, Auxillac avec un x. C’est en Lozère. Aurillac c’est dans le Cantal.

- Et, dites-moi, Odilon… Serait-ce indiscret de vous demander le prénom de l’heureuse élue.

- Je n’ai pas de secrets pour vous, Monsieur P. Elle s’appelle Céleste. Céleste Gineste.

Bon sang, mais c’est bien sûr ! Marcel se souvient, d’un coup, de la phrase qui le faisait tant rire il y a douze ans : « Mon papa s’appelle Ginette ».

- Monsieur P. ? Vous êtes encore là ?

Odilon entend le déclic de l’appareil qu’on raccroche et il a l’impression bizarre que… le téléphone pleure !

Mais c’est peut-être de bonheur ?
 



Ecrit pour le Défi du samedi n° 677 d'après cette consigne

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16 août 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 9, Dernière ligne droite ?

2021-08-05 - 285 56Dernier tango à Paris avant la dernière valse que tu dois me garder : c’est qui cette fille dans la baignoire ? Pourquoi me traite-t-elle d’éteignoir ?

Dernier vol 714 pour Sydney : c’est là-bas qu’on chopera le variant delta et qu’on décédera.

Dernier rassemblement hideux de camping-caristes gras à la Pointe du Raz : demain on part en Normandie ! Ca nous en Odilon sur les congés payés : rien ne vaut le bonheur d’écrire au lit chez soi !

Dernier «Quand lama fâché lui toujours faire ça». Le capitaine vient de se venger en crachant de la flotte à la tête de l’animal.

Dernière station-service avant le sommet du mont Pilate : si t’es en panne des sens, lave-t-en les mains !

Dernières paroles du Christ avant de nous laisser dans le merdier des jours : « Tentation ».

Dernière lanterne rouge avant le bordel général.

Dernier coup de boule de Zinédine Zidane avant qu’il ne devienne entraîneur à cravate.

Letzte Bratwurst vor Amerika (dernière "tranche de merde entre deux éponges" comme disait Patrick Font) : demain je deviens végétarien ! Devant la beauté de cet endroit et l’incongruité d’y trouver un "food truck" recensé dans Trip Advisor et qui doit, en ce lieu idyllique du cap Saint-Vincent au sud du Portugal, à l’endroit le plus occidental de l’Europe, devant un océan superbe, diffuser autant d’odeurs de graillon qu’il n’impose au regard de spectacle kitschissime avec ses deux humaines saucisses qui se font bronzer en souriant sur un bateau, devant cette échappée de Foire du Trône, d’Oktoberfest, de Luna-Park, de Fête à Neuneu ou de ducasse d’Hénin-Liétard, on n’a plus qu’une envie, c’est de croquer dans une feuille de salade sans assaisonnement ou d’aller déjeuner au Ritz mais ça sera difficile car de là d’où je viens, de 1922, je n’ai pas amené l’Ausweis qu’on réclame ces jours-ci et qui a pour nom "pass sanitaire".

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Dernier réveil, dernières questions de Marcel P. avant de se rendormir : Qui parle ? Qui me parle ? De quoi ça parle ? C’est faux de dire «Je pense» ; on devrait dire «On me pense». Je est un autre, un autre pyromane qui lance les derniers feux du langage classique incendié comme une forêt grecque avant de disparaître dans les sables d’Afrique. Le marchand sur son nuage a encore oublié de m’en jeter plein les yeux !

Dernier « C’est trop injuste ! » : Ronfle, Caliméro !


Ecrit pour le Défi du samedi n° 676 d'après cette consigne

9 août 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 8, Bonjour tristesse

Parfois on éprouve le besoin de fuir, de s’échapper, de se perdre.

C’est ce qui était arrivé à Odilon et Céleste, le chauffeur et la bonne à tout faire de Marcel P. Sur cette situation inconnue dont l’ennui certain et la douceur supposée l’indisposaient franchement, celui-ci hésitait à apposer le nom, le beau nom grave de «Congés payés». C’était pourtant bien le cas et à la suite du «troc» négocié avec le couple d’employés, ils étaient partis, le laissant seul dans l’appartement du boulevard Haussmann. Seul ou à peu près.

Marcel, bon prince, leur avait prêté sa voiture et eux lui avaient confié la cage de leur canari, à charge pour lui de nourrir le volatile pendant une semaine.

Le premier matin, une fois le lit défait, l’asthmatique aux longues phrases n’avait pas voulu montrer à l’oiseau qu’il avait des bleus à l’âme mais Caliméro – quel nom idiot ! –, le doux oiseau de la jeunesse, avait bien perçu qu’un orage immobile menaçait, qu’un certain sourire crispé déformait quelquefois le visage de l’écrivain et c’était là le signe qu’un chagrin de passage envahissait l’appartement. Les domestiques manquaient au maître qui ne comprenait pas cet abandon imprévu de leurs rituels communs et ce uniquement pour s’en aller chercher sans lui à St-Tropez un peu de soleil dans l’eau froide. Et ce piaf à nourrir c’était en quelque sorte l’écharde de trop dans le contrat. Avec un canari il fait beau jour et nuit, dit-on. Celui-ci ne chantait pas, celui-ci ne sifflait pas : Caliméro tirait la tronche lui aussi.

La cohabitation des deux protégés de Céleste ne dura du reste que deux jours. Au matin du troisième Marcel était sur le trottoir en bas de chez lui avec une petite valise et la cage de Caliméro dans laquelle – bonheur, impair et passe – on avait l’impression que «faites vos jeux !» rien n’allait plus. Avec quoi le canari avait-il joué à la roulette russe, à quel barbiturique devait-il son coma bizarre ? La bête était allongée au fond de la cage, l’œil étrangement ouvert fixant à travers les barreaux les merveilleux nuages de l’été 1954 mais la garde du cœur vivant de l’oiseau par Marcel semblait bien avoir tourné court : plus question pour l’organe vital de battre la chamade eût-on dit.

***

Bien sûr, depuis l’histoire de l’Aronde 54 et les entreprises érotico-farcesques d’Odette Dejeux, Marcel se méfiait des femmes au volant mais là il y avait urgence : il fallait rendre Caliméro à Céleste A. dont le rire incassable venait à bout de tout problème. Qui plus est, en matière de science vétérinaire, elle était la sentinelle de Paris, capable de soigner toute fièvre, de ranimer le cheval évanoui avant qu’il ne fît le régal des chacals. Elle seule eût pu, à l’instar du père d’Odette D., extirper une molaire au lion de Belfort s’il eût seulement souffert d’une rage de dents au lieu de faire le fier dehors.

Comme Odilon n’était plus là pour le véhiculer, il avait eu recours aux ami·e·s automobilistes et son chauffeur du jour qui se garait justement là devant lui n’était autre que la princesse Valentine de Sagan, l’épouse du prince «caracollant». Les Sagan étaient de toutes les premières, de tous les bals, de toutes les fêtes, du tout Paris aimant, du tout Paris dément et le couple l’avait pris en amitié. Marcel avait droit aux petites tapes derrière l’épaule de la part de Maurice qui le surnommait par moquerie «Le gigolo» tandis que Valentine lui confiait, quand ils se voyaient seul à seule, le récit des chassé-croisé de ses relations saphiques ainsi que d’autres secrets d’alcôve et d’alcools contre lesquels elle n’avait absolument rien. Elle et lui, finalement, étaient devenues «de très bonnes copines» de cheval car elle faisait aussi de l’équitation.

Voilà pourquoi il monta bien plus rassuré que la dernière fois dans ce petit bolide, une Jaguar de type E, que la Sagan conduisait toujours les pieds nus. Moyennant quoi, une fois quittée la capitale, il serra les fesses tout le temps que dura le voyage. La jeune femme un peu garçonne avait un profil perdu de pilote automobile italien et, telle Fangio, ne conduisait jamais en dessous de 160 kilomètres à l’heure. Sur cette belle nationale 7 « que l’on soit quatre cinq six ou sept, qu’on aille à Saint-Trop’ ou à Sète » que Charles Trénet chanterait et enregistrerait un an plus tard, il avait souvent vécu l’enfer pour ne pas mettre pied à terre et se faire traiter de « poulette mouillette ».

Jeu 67 de la Licorne jaguar

***

Nous n’utiliserons pas les faux-fuyants habituels. La nuit que Marcel et Valentine passèrent dans la maison de Raquel Véga fut une de ces nuits d’ivresse et de folie qui font la renommée de la Riviera française. Il est des parfums qui ne trompent pas et celui de l’opium dans ce bal costumé, la vue des poudres blanches et des verres coolorés – ce n’est pas un néologisme, c’est une faute de frappe bienvenue - emplis de cocktails étranges, l’alcoolisme et le désir d’éclate de tous ces fêtard·e·s déguisé·e·s laissaient à penser de façon sûre qu’on pratiquait ici les toxiques au premier degré.

 

Jeu 67 de La Licorne Proust en cornette

Dans la bousculade des plateaux à petits fours et des coupes de champagne entrechoquées Marcel P., déguisé en bonne sœur à cornette et trimballant toujours la cage de l’oiseau moribond pour lequel il se faisait un sang d’aquarelle, avait eu droit aux confidences d’une licorne rose.

- Car que cherchons-nous ici, sinon à plaire ? disait-elle. Je ne sais pas encore si ce goût de conquête cache une surabondance de vitalité, un goût d’emprise ou le besoin furtif, inavoué, d’être rassuré sur soi-même, soutenu. Pourquoi il ne bouge plus votre petit oiseau ?

- Je crois qu’il dort. Le voyage en Jaguar a dû le fatiguer. Vous a-t-on déjà dit que vous avez des yeux de soie ?

- Oui ! On me le dit souvent et j’adore passer des nuits de satin blanc. Seriez-vous l’heureux propriétaire d’un château en Suède, ma soeur ? J’ai toujours rêvé de visiter la Suède avec des chaussures bleues et la bénédiction de la religion.

Plus loin la robe mauve de Valentine avait fait beaucoup d’effet à une jeune Lucrèce Borgia déjà bien pulpeuse. La femme fardée, vêtue d’un costume de diable rouge bien qu’elle ne fût pas belge, lui avait confié qu’elle était actrice de cinéma et qu’elle tournait actuellement avec Jean Marais dans un film de Marc Allégret dont le titre serait « Futures vedettes ».

Au fur et à mesure qu’avançait la nuit des couples improbables se faisaient et se défaisaient, s’éclipsaient parfois dans des chambres derrière un écriteau « Ne pas déranger » et d’où s’échappaient souvent quelques cris étouffés, on sait se tenir, quand même, même quand on se lâche.

On put croiser ainsi une carpe et un lapin, une Castafiore et un marin doté d’un anneau à l’oreille, un clone de Landru avec une Piaf minuscule dont la petite robe noire toute simple avait su allumer le cœur et chauffer les sens du bonhomme car ils partirent tout de suite après terminer la nuit dans le foyer du monsieur.

Valentine avait disparu elle aussi avec sa Lucrèce-Brigitte. Etaient-elles allées prendre sur le coup de minuit un bain de lait d’ânesse ou jouaient-elles quelque part dans la grande villa au jeu de la bête à deux bardots ? C’est toujours ce qui se passe chez Bellini quand la Norma drague, non ? De guerre lasse Marcel, un poil éméché et plutôt barbouillé de mélanges divers et de tristitude d’été, finit sa nuit dans la Jaguar en racontant à Caliméro des fadaises de ce genre-ci :

- La netteté de mes souvenirs à partir de ce moment où je trempe ma madeleine dans le thé m'étonne. J'ai acquis une conscience plus attentive des autres, de moi-même. La spontanéité, un égoïsme facile ont toujours été pour moi un luxe naturel. J'ai toujours très bien vécu comme cela. Or, voici que depuis trois jours ta présence m'a assez troublé pour que je sois amené à réfléchir, à me regarder vivre. Je passe par toutes les affres de l'introspection sans, pour cela, me réconcilier avec moi-même. Ce sentiment de la mort du travail est bête et pauvre, comme ce désir de séparer les maîtres et les domestiques est féroce. C’est vraiment une connerie, ces «congés payés» ! Pourquoi pas bosser trente-cinq heures par semaine et avoir la retraite à soixante ans pendant qu’on y est ? Bonjour, tristesse des temps nouveaux ! Enfin, s’il faut être absolument moderne, comme a dit je ne sais plus qui, n’attendons pas ! Dans un mois, dans un an, il sera trop tard. De toute façon, c’est là et bien là ! Las et bien las !».

Après quoi il s’endormit.

***

Jeu 67 de la Licorne Saint-Tropez

Le lendemain matin, tout courbatu, sans se soucier de retrouver Valentine et Brigitte qui avaient dû filer sur une plage abandonnée ramasser coquillages, crustacés et bribes du parfait amour, il prit son petit-déjeuner dans un bistrot du port où l’on ne s’étonna pas plus que ça, avec tous ces fadas de Parigots qui débarquaient l’été, de servir des croissants et du thé à une bonne sœur à moustache, dotée d’une cage à serin, et qui réclamait des madeleines. Serein, on le restait toujours dans ce troquet même si, certains jours, l’envie ne manquait pas au patron d’inscrire du meurtre à la carte des plats servis !

Comme il ne possédait pas l’adresse ici d’Odilon et Céleste il passa à l’Office des maisons louées où il fit chou blanc. Il traîna dans les rues du village de pêcheurs, flâna dans les boutiques de mode, revint poser au marbre de la table en terrasse du bistrot des cartes postales qu’il entreprit de remplir en sirotant un nouveau thé.

Exécuter ce cérémonial avait pour objectif de retrouver les petites musiques des scènes qu’il avait vécues depuis qu’il avait quitté Paris. Les violons parfois s’envolaient dans les aigus pour souligner le passage au-dessus de la Loire et Valentine qui avait klaxonné tout le long du pont de Nevers pour marquer sa joie d’être libre, jeune et heureuse. Un piano dans l’herbe évoquait de façon joyeuse le restaurant «Les Routiers» où ils avaient déjeuné, tels des nobles s’encanaillant, en compagnie de camionneurs baraqués ; du pauvre, forcément, le piano, avec des bretelles et des boutons pour soutenir le pantalon en accordéon. Un quatuor de clarinettes rappelait le jeu des quatre coins du cœur – et du cul ! – dans la maison de Raquel. Une flûte élégante et solitaire illustrait un certain regard tendre de la Licorne aux yeux de soie. Et puis, bien sûr, le silence au bas de la carte – un soupir, ça allait de soi ! – pour y écrire, avant de signer « Avec mon meilleur souvenir et toute ma sympathie ».

***

Jeu 67 de La Licorne plage

 Et puis le miracle des retrouvailles eut lieu. Sur le coup d’onze heures il se rendit à la plage où il y avait un monde fou. Il ôta ses souliers et ses chaussettes pour marcher pieds nus sur le sable au milieu des enfants, des ventres rebondis, des parasols, des coups de soleil, des ballons, des jeux de jokari et sa silhouette de bonne sœur à cornette devait, de loin, apparaitre aussi reconnaissable, incongrue et remarquable que celle de mon oncle Hulot, le fumeur de pipe à chapeau, sur la plage de Saint-Marc-sur-Mer.

Céleste et Odilon qui se chahutaient comme des mômes autour d’un matelas pneumatique Fina furent évidemment bien surpris de s’entendre héler par cette religieuse austère qui jurait dans le paysage en agitant une cage à oiseaux au-dessus de sa cornette. Intrigués ils sortirent de l’eau et s’approchèrent de la jaune laide nonne qui criait «Help !».

- Monsieur Marcel ? Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous avez viré travelo ?

- C’est à cause de l’oiseau. Il s’est réfugié dans le fond de la cage et il ne bouge plus.

- Et vous avez fait le voyage de Paris uniquement à cause de ça ? demanda Odilon. Peut-être bien qu’il est tout simplement crevé !

- Il n’y a pas de raison. Le voyage a été calme. La princesse de Sagan n’a pas conduit trop vite. Elle n’a jamais dépassé le 160 kilomètres à l’heure.

- 160 ? Il a dû faire une crise cardiaque dans un virage, voilà tout !

- Faites voir la cage, ordonna Céleste.

Elle ouvrit la porte de la petite prison, saisit le corps de Caliméro mais celui-ci se mit à battre des ailes, à voleter vers la sortie, empli de la joie d’entendre à nouveau la voix de sa maîtresse. Il trouva même le moyen de calter à l’air libre et d’aller se percher sur l’une de ses épaules afin de lancer des trilles énamourés aux oreilles recouvertes d’un bonnet de bain en caoutchouc blanc de Céleste.

Marcel restait abasourdi par ce passage de la catalepsie à un excès contraire mais finalement il était tout heureux de ce rendez-vous manqué de l’animal avec la mort.

***

Sur la route du retour, enfin débarrassé de son déguisement de nonnette en cornette et de l’oiseau capricieux qu’il avait laissé à ses maîtres après le repas au restaurant, il confia à Valentine disparue puis retrouvée ses sentiments intimes.

- Finalement, les oiseaux ne sont pas des cons. Celui-là a réussi à me manipuler et il s’est retrouvé là où il voulait aller, auprès de sa maîtresse, en vacances, à danser le twist à Saint-Tropez.

- Peut-être ! Peut-être, Marcel ! répondit la princesse de Sagan tellement plongée encore dans les brumes de l’alcool, l’ivresse des drogues et le souvenir de l’amour d’une seule nuit que par prudence elle ne roulait plus qu’à 140. Mais peut-être que les oiseaux sont des cons quand même : tu viens sans doute de faire la connaissance d’un canari homophobe !

Cela laissa Marcel muet jusqu’à ce moment du putain de camion où la conductrice dut faire une embardée afin de l’éviter et où la voiture finit sa course folle contre un platane (What else, in France ?).

Là il cria et se redressa en sursaut sur son lit. Il alluma sa lampe de chevet et lut «4 h 47» à sa montre.

A moitié soulagé, il remit le drap sur sa cage, s’agrippa des deux pattes au barreau et se rendormit tout heureux d’avoir survécu aussi au pire dans cet univers-là. Pour un peu il aurait siffloté la berceuse de Brahms dont il ne savait pas s’il l’aimait ou pas. Mais son organisme préféra ronfler comme un moteur de Ferrari.


Ecrit pour le jeu n° 67 de Filigrane (la Licorne) d'après cette consigne

7 août 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 7, La Maison mère

DDS 675 129605847

Longtemps je me suis mis au pageot de bonne heure.
Enfin… On m’y baquait, dans mon petit nid-cage.
Mes parents supportaient assez mal mon pépiage :
Les oiseaux sont des cons et n’aiment pas qu’on pleure
Parce qu’on n’a pas eu un bécot de Maman.

- Normal, Calimero ! Ce soir on fait salon.
Monsieur Cygne s’en vient nous fair’ son boniment.
C’est pas toi la vedette alors dors gentiment !".

DDS 675 Venise-expose-Venus-Titien-Olympia-Manet_0Nous habitions Ostende. Un bosquet de feuillus
Que l’on avait taillé en forme d’être humain
Etait notre logis. Souvent, sur le chemin,
Des visiteurs clamaient : « L’art topiaire est couillu !

A l’heur’ de Dièzmitou resservir Olympia
Ou la Vénus d’Urbin à grand coups de cisaille,
C’est gonflé ! ». On n’pigeait rien à ce charabia
Vu qu’ils jactaient leur langue et qu’nous, oiseaux, on piaille.

DDS 675 Venus-dUrbino-Le-TitienBon. J’vais pas tartiner deux mill’ pag’s de c’goût-là,
Vous parler d’Tante Edith qui chantait dans les rues
Ou de ma sœur Suzie avec son tralala.
J’vais pas faire sept romans pour ne causer que d’moi.

J’ai pas fini roit’let ou chanteur d’opéra,
Rossignol milanais, aigle aux neiges vaincu.
Je ne suis pas dev’nu perroquet ou ara
Dans un bouge à pirat’s de l’île de la Tortue.

Je ne vais pas pleurer sur tout ce temps perdu,
Sur ma chambre quittée, sur les nuées célestes.
On a ses jours de gloire, on ramasse des vestes.
Vis heureux et tais-toi sinon t’es qu’un glandu !

***

Lorsque l’oiseau se tut, Marcel se réveilla.

Il voulut sortir de son lit, enfiler sa robe de chambre et aller prendre son petit-déjeuner avec Céleste dans la cuisine mais rien ne se passa comme les autres jours.

Tout d’abord il se rendit compte qu’il était à poil. Ou plutôt à plume. La patte qu’il étendit pour se poser au sol il la sentit et vit toute fine. Et quand il sortit la deuxième, au lieu de trouver le plancher, il tomba en voletant sur le sol de la cage qui était tapissé d’un vieux numéro du «Journal des débats» et de ses déjections de la veille.

Il ouvrit le bec pour appeler Céleste mais il ne sortit de son gosier qu’un sifflement de canari, un pépiement de colibri, oui, c’est ça on dit pépiement et non pépiage, alors il continua, il persista, il mit le paquet, s’époumona, poussa le volume à fond, risquant à tout moment de se péter la glotte, ne supportant pas cette situation si tant kafkaïenne qu’il en arrivait à utiliser des adjectifs qualificatifs insensés autant qu’inconnus de lui-même.

Enfin Céleste arriva. Elle avait enfilé son ciré jaune et portait son chapeau de pêcheur breton. Elle posa sa valise et son épuisette près de la porte d’entrée et s’en vint vers lui en disant :

- Ah oui, j’allais l’oublier, l’animal !

Elle remplit la réserve d’eau de la cage, mit des graines pour une semaine et enfin elle posa un grand drap clair par-dessus l’habitacle du piaf. Puis elle reprit ses bagages et sortit de l’appartement du boulevard Haussmann pour profiter de ses premiers congés payés en allant rejoindre sa cousine Annaïck Labornez sur une plage du Finistère.

Marcel comprit du coup qu’il était encore en train de rêver, ou plutôt de cauchemarder. Alors il fit une chose qu’il savait très bien faire maintenant : il tira la couverture à lui et se rendormit tout heureux.

Heureux comme à Ostende !

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P.S. Merci à Dame Adrienne pour ses travaux d'identification et de géolocalisation de la photo !


Ecrit pour le Défi du samedi N° 675 d'après cette consigne.

 

DDS 675 photo du défi 129597469

30 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 5, Les Bêtises de Combray

Longtemps je me suis bouché les yeux et abstenu du bonheur de rencontrer des gens différents. Était-ce par timidité, par peur de l’inconnu, par conservatisme ou par prudence qu’à petits pas je me retenais de me livrer aux mains des belles étrangères qui vont aux corridas et que j’aimais déjà pourtant quand j’étais un petit enfant ?

Et puis mes parents, des industriels du Nord richissimes et facétieux, m’ont fait cadeau, deux ans jour pour jour après ma naissance, d’une petite sœur qui était le contraire de moi-même. Céleste était et est toujours une risque-tout, une emmerdeuse, une rentre-dedans, une jamais froid aux yeux, une metteuse de pieds dans le plat et en sus de cela une obstinée atypique doublée d’une anticonformiste gagne-petit.

Aujourd’hui que moi, Philippe Marlowe, directeur des filatures éponymes, j’ai atteint la cinquantaine et que nous commençons à être, comme on dit, «bien tapés», ni mes parents ni moi ne nous enorgueillissons de compter parmi les membres de notre famille une employée de la gendarmerie nationale. Même si, à force de coups que j’imagine gonflés autant que foireux, Céleste a atteint le grade de capitaine remplaçant à la brigade de Combray – comment cela peut-il exister, des localités avec un nom pareil ? – j’éprouve toujours un énervement certain à admettre que ma sœur vit dans le même monde que nous… sans faire partie du nôtre !

Il n’y a que mon épouse, Jane, et nos enfants, Bill et Carole, qui l’adorent, même si elle les a surnommés «Pas de plaisir», «Biloute» et «Roubignole». Pour vous donner une idée du personnage, à chaque fois qu’elle nous rend visite au château, comme en ce moment pour fêter Noël en famille, elle refuse d’occuper une des nombreuses chambres libres et préfère dormir dans le véhicule militaire canadien que notre père, collectionneur de vestiges de la récente grande guerre, a conservée dans le fond du jardin avec d’autres reliques de diverses armées en vue d’en faire un musée édifiant pour les générations futures.

- Ch’est m’canadienne à mi ! déclare Céleste avec fierté. J’adore faire du campinche ! Et pis qu’est-ce que j’dors ben dins ch’te carrette-là !
Un que la situation n’enchante pas, c’est Jules Maigrelet, notre jardinier, qui craint toujours pour les variétés de fleurs qu’il crée dans nos serres voisines de l’entrepôt militaire du paternel. Il n’aime pas du tout que Céleste fasse près de ses roses des exercices de jonglage avec des grenades anglaises devant les enfants. Eux s’esclaffent d’entendre l’accent Ch’ti à couper «au coutiau» de notre gendarmette.



***


Ce matin, Céleste n’a pas pu faire de grasse matinée dans son gourbi antique. Vu les circonstances, j’ai dû aller la réveiller en sursaut.

- Céleste ! Céleste ! Réveille-toi ! Il y a un mort dans la maison !

- Laiche me dormir, Phi-Flip ! Cha attindra !

- Lève-toi, te dis-je, c’est grave !

- Quo qu’chest, qu’est grafe ? Papy a cassé s’pipe ?

- Non, il se porte à merveille. C’est lui qui a découvert le cadavre !

- Un cadafe ? Eul cadafe eud qui ?

- On ne sait pas. D’après la forme des fesses, toutes petites et maculées d’encre, c’est un inconnu.

- Laiche me l’temps d’m’habiller. J’arrife !

Elle a enfilé une robe de chambre bariolée par-dessus son pyjama en pilou, s’est coiffée d’une chapka russe trouvée dans le musée de notre père et a à peine pris le temps de lacer correctement ses godillots. Quand elle est sortie de l’ambulance calcinée, elle semblait encore plus givrée que le paysage des alentours.

jk


***

 
Dans la bibliothèque on a retrouvé Grand-père en compagnie de La Rosière – c’est comme ça qu’on appelle notre bonne depuis qu’elle a été élue rosière de son village en 1920, il y a deux ans et qu’elle n’a toujours pas trouvé de prétendant depuis -. Se trouvaient là aussi Jane, mon épouse, et Joséphin Lampion, notre majordome.

Et surtout, devant la cheminée, allongé sur le ventre à même le sol, attirant l’attention de tous les regards, il y avait un homme tout nu, vêtu d’une peau de bête mais ce n’était pas un enfant de Caïn enfui de devant Jéhovah. D’ailleurs, il n’y avait pas eu de témoins à ce meurtre si c’en était un.

Vêtu n’était pas non plus le bon mot. Le corps dénudé était plutôt juste recouvert d’une peau d’âne. Céleste, qui avait enfilé des gants de vaisselle en caoutchouc rose – mon Dieu, quelle allure grotesque tout cela lui faisait ! - la souleva en la tirant par les oreilles. Elle trouva dessous une chevelure brune, un dos chétif et deux petites fesses d’homme sur lesquelles on avait écrit « Rends nous l’art, Jean ! ».

Elle saisit le poignet de l’inconnu, constata que le pouls ne battait plus et déclara.

- C’h’est fini, pour ch’ti lal, les plaisirs et les jours ! Cherchez pas à y faire du bouc’ à bouc’ cha s’rot du temps perdu !

Et pour cause. Tout le monde avait bien vu, du reste, entre les cheveux brillantinés et le dos du bonhomme que la base du crâne avait été défoncée avec un objet en métal doré qui avait été laissé sur place.

Céleste demanda à La Rosière de lui amener un sac pour ranger l’arme du crime mais la jolie jeune fille était à moitié dans les vapes et c’est Lampion qui alla dans les communs exécuter l’ordre. Pendant ce temps-là elle souleva l’objet en tâchant de ne pas tacher davantage la moquette pourtant déjà bien foutue.

- C’h’est quoi ch’machin-là ? Et quo qu’ch’est qu’y a d’écrit, là ? Césure ? Césaire ? César !

Elle mit l’objet doré dans le sac de Lampion et puis elle saisit l’homme aux épaules et retourna le corps.

Un grand cri de stupeur s’éleva ainsi que le silence strident de la bonniche qui s’évanouilla en visionnant la coquillette et les noix de cajou du gugusse (Mais qu’est-ce que je raconte, moi ? Ressaisissons-nous, Philippe Marlowe !).

- Eh ben quoi ? Quo t’ché qu’y a ? Vous l’arconnaichez ?

- Pas du tout !

- Jamais vu !

- Inconnu au bataillon !

- Té m’étonnes, bande eud babaches ! nous dit Céleste en se relevant. J’y comprinds rin à vos cacoules mais ch’bonhomme-là, mi, jé l’connos !

- Tu le connais, Céleste ?

- Je n’sais pas c’qu’y fout là mais ch’est un gars d’Combray ! Quelqu’un d’la haute, comme ti z’autes tertousses. Ch’est ch’ tchiot Marcel !

- Marcel ?

- Marcel Proutch, un rentier qui vit là-bas tout seul avec eus gouvernante !

- Mais enfin diantre, Céleste ! Pourquoi cet individu a-t-il choisi de venir se faire assassiner chez nous qui ne le connaissons pas ? Et qui a fait le coup ? Faut-il appeler la police ou Scotland Yard ? Et c’est quoi cette histoire de peau d’âne ? Et y aura-t-il de la neige à Noël ? Du Christmas pudding ? Céleste ! Céleste ! Capitaine Marlowe ! Pourquoi votre Range Rover est-elle toute noire sur la photo ? Dites-nous tout, Capitaine !

 
***

 
Marcel P. avait la tête très lourde quand il se réveilla mais lorsqu’il se passa la main derrière la nuque il ne ressentit ni plaie ni bosse et ne ramena pas devant ses yeux entr’ouverts des doigts poisseux de sang. Derrière les interstices des volets, un grand soleil semblait prêt à illuminer une autre de ces nombreuses journées d’ennui où l’on n’a plus à cœur que d’écrire de longues phrases insipides en vue d’ennuyer un lecteur inconnu. Quoique…

Mais comme il se méfiait de ses cauchemars à tiroirs de ces derniers jours, il sortit de son lit, enfila sa robe de chambre unie par-dessus son pyjama bariolé, descendit à la cuisine et fut ravi d’y trouver Céleste A., sans valise et sans épuisette, qui préparait tranquillement leur petit-déjeuner. On était bien en 1922 et c’était une journée bien réelle qui commençait.

- Céleste ! Céleste ! Tu peux ranger tes madeleines ! J’ai pris une grande décision après mon rêve de cette nuit ! Je laisse tomber la littérature sérieuse ! Je vais écrire des romans policiers ! J’ai déjà trouvé le titre du premier : « Un cadavre dans la bibliothèque ! »

- Excellente initiative, mon petit Marcel ! J’en connais un que cela va rendre heureux !

- Qui ça ?

- Un grand lecteur belge prénommé Jean-Claude qui ne sera pas obligé de se farcir la lecture de la «Recherche du temps perdu» et aura ainsi davantage de temps pour recadrer au ciseau celles de ses photos où la mer n’est pas horizontale !

Marcel se pinça la chair du dessus du bras pour s’assurer qu’il n’était pas encore une fois en train de rêver mais non, tout était bien réel et c’était simplement Céleste qui était repartie dans ses « divagations médiumniques pour esprit de sel dans la queue du chat ».

- L’idéal pour écrire des polars qui marchent, mon petit Marcel, ajouta-t-elle en servant le thé, c’est de prendre un bon pseudo féminin. Quelque chose dans le genre Alicia Pristi ! Et de toujours faire en sorte que le coupable soit le jardinier !

Bon sang, mais c’est bien sûr, songea Marcel ! Elle a raison ! Une sombre histoire de trafic de cattleyas !

Ecrit pour le Défi du samedi n° 673 d'après cette consigne

30 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 4, Virage à gauche (Joe Krapov)

Aldeburgh-141

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Longtemps il s’était tâté. Du bonheur d’être immergé, de nager sur le dos, de faire la planche dans l’eau, les doigts de pieds en éventail, il avait fini par se priver car, entré prudemment dans l’eau froide, il n’avait pu aller plus loin qu’à mi-cuisses tant elle lui avait semblé glacée.

Céleste A. n’avait pas de ces pudeurs ni de ces hésitations. De la plage où il était revenu, à moitié transi, à moitié piteux, il la regardait qui nageait et plongeait comme la plus heureuse des sirènes d’Esther Williams ou le plus valeureux des bébés requins de France Gall (qui étaient donc ces deux dames dont il entendait le nom pour la première fois de sa vie ?) .

- Elle est très bonne, mon bon Marcel ! Tu as eu tort de renoncer. Elle est froide au début mais très agréable quand on est dedans. Le tout c’est de s’y mettre.

- Ou de six mètres cinquante ! plaisanta-t-il avant de ressentir le tremblement de terre.

Ce n’était pas un séisme à proprement parler, plutôt une inclinaison régulière vers la gauche du paysage. Il avait bien repéré à un certain moment que la ligne d’horizon était plus basse à gauche qu’à droite. Mais cela s’accentuait, de plus en plus fort et de plus en plus vite. L’inclinaison était maintenant à quinze degrés et un courant contre lequel elle tentait de résister emportait Céleste au-delà des bouées blanches.

A trente degrés tout le monde sur la plage se mit à regagner en courant et en criant « Au secours ! » les hôtels, villas et camping de la ville côtière.

A 45°, il se mit à se déplacer vers la gauche en freinant avec ses talons qu’il enfonçait dans le sable car il avait perdu Céleste de vue.

A 60° la mer commença à se vider et les bateaux à se fracasser.

A 90° tout tomba, y compris lui de son lit, trempé jusqu’aux os.

***

Etait-ce un cauchemar tardif ? Un étrange rêve de fin de nuit ? Quand il ouvrit les yeux le soleil éclatait de brillance entre les interstices des volets. Il se leva et constata qu’il y avait une tache humide au milieu des draps.

Il descendit prendre son petit-déjeuner mais Céleste n’était pas dans la cuisine. Il la trouva dans le séjour ; elle était en train de mettre son linge dans une valise et elle avait à côté d’elle une grande épuisette et un ciré jaune.

- Céleste, je suis désolé, mais… J’ai encore fait pipi au lit !

- Je m’en fous, mon petit Marcel ! Tu changeras les draps tout seul ! Aujourd’hui je pars en vacances ! Direction la Bretagne !

- En vacances ?

- Les congés payés, mon petit monsieur ! Un cadeau du Front populaire !

Il ne comprenait rien du tout à ce qu’elle racontait et puis il se souvint qu’elle lui avait fait le même coup dans le cauchemar de la nuit précédente où il s’était trouvé projeté loin devant lui, en 1954.

- Mais alors, se dit-il, je suis encore en train de rêver ?

Il ouvrit les yeux. La nuit était noire de chez Michel Noir, le lit était sec de chez Miossec.

Jamais il ne passa une aussi bonne nuit que cette nuit-là !

Ecrit pour le Défi du samedi N° 672 d'après cette consigne

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