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Mots et images de Joe Krapov
99 dragons
25 mai 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 26, PREDICTION DE CHIROMANCIENNE

DDS 299 - Le_Caravage_-_Diseuse_de_bonne_aventure

La jeune gitane a pris la main gauche du bonhomme entre les siennes. Elle lui a dit de bien écarter les pouces et de serrer les autres doigts. Elle a maintenu immobiles le majeur et l’annulaire de l’inconnu et a commencé à lire les lignes de la main.

- Ta ligne de coeur est très courte et très hachurée. Je vois des croix partout. Les femmes ne comptent pas pour toi. Tu places tes idéaux bien au-dessus de la rencontre de tes congénères. Tu dois être une espèce d’artiste du meurtre passionnel. Si tu tues, c’est pour asseoir la puissance de ton Seigneur, la droiture de tes conceptions. Tu veux élever ton prochain vers le beau, l’éduquer au bien dans lequel tu crois. Et pourtant, on va t’offrir une princesse, de la richesse, un terrain pour bâtir ce monde idéal… mais tu n’accepteras pas. Tu préfères t’éparpiller, papillonner, ramasser la vaisselle cassée, unifier toujours. Et pourtant, ça c’est très bizarre : la famille est sacrée pour toi !

DDS 299 Main de Gaudi

L’homme n’a pas répondu. Il a juste acquiescé d’un hochement de tête. Carmen a hésité avant de continuer. C’était la première fois qu’elle découvrait un tel lacis de lignes emmêlées dans la paume d’une main. La promesse d’un être d’exception, d’un héros, d’un génie à venir. Un grand homme assurément. Ou alors… un serial killer ! Mais pourquoi tant d’ébouriffantes perspectives alors, que, vu de près, le type était commun, avec plein de poils blancs dans sa barbe, des habits usagés qu’il n’avait pas dû quitter depuis un mois, une dégaine de clochard un peu aristocratique. Cependant, son regard semblait survoler tout le petit monde du parvis de l'église de Saint-Philippe Néri sans y prêter autrement attention. Un géant parmi les nains.

- Ta ligne de chance est toute droite elle aussi. Tu traces ton chemin en toute continuité. La place sur laquelle tu te meus est nette, ornée de lampadaires, de lumières qui t’accompagnent tout au long du chemin. C’est pourquoi ta voie est royale. Quelqu’un de très puissant va t’aider à faire preuve de tes talents. On va te dérouler un tapis rouge pour que tu deviennes célèbre jusqu’à la fin des temps mais tu ne devras pas craindre de surprendre, de désarçonner les autorités dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont à cheval sur les principes. Tu feras preuve d’anticonformisme, tu arrondiras les angles mais sur la fin, il y aura un accident. Es-tu prêt à entendre quelque chose à propos de ta propre mort ?

- Je suis prêt, dit l’homme. Mes grands amis sont morts. Je n'ai pas de famille, ni de client, ni de fortune, ni rien. Donc, je peux me livrer entièrement au Temple.

- Ta ligne de vie s’arrête brutalement. Tu mourras renversé par la méchanceté, victime d’une vengeance. Il y aura un temps où tu seras peu reconnu malgré tes exploits et ton beau parcours. Par contre ta gloire posthume sera mondiale. Tu seras le patron de cette ville, de cette région même et ton œuvre sera admirée par l’Eglise tout entière et cela sur toute la planète. Mais le dragon sera vengé de toi par une dernière plaisanterie du destin à ton égard.

La petite gitane a lâché la main du vieil homme. Elle a tendu sa paume et tandis que le vieillard sortait d’un porte-monnaie usé quelques pesetas qui avaient bien bourlingué et lui en faisait cadeau, elle se demanda s’il n’y avait pas maldonne. Etait-ce vraiment là Saint-Georges ? Que faisait-il en Espagne en 1926 sous les traits d’un vieux clodo ? Toutes ces lignes et tous ces points qu’elle avait interprétés comme il convenait, elle en était certaine, lui avaient donné le tournis. Elle rangea les pièces dans sa poche et regarda le vieil homme qui, plongé dans ses pensées, s’appuyant sur sa canne, s’éloignait vers le haut de la ville où il avait peut-être sa maison.

DDS 299 tram

Et puis un grand fracas se fit entendre au bout de la rue. Le monstre de ferraille, le dragon cracheur d’étincelles, négocia son virage et s’élança dans la dernière ligne droite, celle de sa revanche fatale. C’est à ce moment-là qu’elle comprit son erreur. Tout ce qu’elle avait dit était juste mais se trouvait déjà derrière cet homme. Tout s’était précipité, aggloméré, les temps s’étaient mélangés mais il y avait une espèce d’unicité, de présence continue de l’audace, du danger, du drame, de la folie qui s’était transmises du héros à l’homme de la rue, du soldat d’hier à l’architecte d’aujourd’hui. C’était la même ligne, les mêmes lignes.

- Hombre ! Hombre ! appela-telle

Le vieil homme sortit des pensées qu’elle avait fait naître en lui, il se tourna vers celle qui l’appelait et c’est à ce moment-là que le tramway rancunier le percuta de plein fouet.

***

140502 290

Parce qu’elle était le seul témoin de l’accident, on avait accordé à la petite Bohémienne le droit d’accompagner le mourant jusqu’à l’hôpital et pour l’heure, sagement assise sur une chaise à côté du lit, elle dessinait.

Le vieil Antoni agonisait. Il voyait un dragon immense, une sculpture tout aussi baroque et effrayante que certaines des ornementations qu’il avait lui-même inventées comme les guerriers sur le toit de la Pedrera ou le G du Palais Güell. Et le dragon lui parlait, méchamment mais sereinement.

- Tu n’as jamais voulu que je monte jusqu’à ton parc à la con, avec ses maisons pour aristocrates, ses colonnades penchées et ses décorations de trencadis. J’aurais pourtant été ravi de la voir, moi, la maison d’Hansel et Gretel ! J’adore les légendes. J’ai beau être une machine, j’ai une âme, je carbure à la poésie autant qu’à l’électricité. Moi aussi j’aurais désiré quitter les rails du quotidien, de la réalité et de la fonctionnalité. J’aurais voulu être ce chemin de fer qui emmène les enfants sur la colline du Carmel en sortant de l’école. Désolé, Gaudi, tout a une fin et je suis bien content de ne pas t’avoir raté. Je n’avais que le crime comme moyen de communication avec toi. Pour dialoguer avec un type comme toi qui a toujours la tête dans les étoiles, ce n’était pas facile. Par certains côtés, tu me rappelles Saint-Georges, le patron de la Catalogne qu’un de mes ancêtres a bien connu.

140501 040

On a mis du temps avant d’identifier Antoni Gaudi. Il se promenait sans papiers, ressemblait à un traîne-misère alors que dans sa jeunesse il avait été un dandy. Et c’est vrai que ça ressemblait à une plaisanterie du destin. Il avait refusé que les tramways puissent accéder au parc Güell et c’est justement une de ces machines infernales qui avait causé sa mort.


La Petite gitane a vécu fort vieille. Elle a toujours gardé chez elle le dessin qu’elle avait tracé, à la va-vite, pendant qu’elle le veillait, des lignes de la main de Gaudi, l’architecte fou des Catalans, le génial concepteur de la Sagrada familia, du parc Güell et de la casa Batlo. Elle a même fini par faire encadrer ce croquis d’un moment de confusion mentale qui a lancé sa carrière de diseuse de bonne aventure. A sa mort, elle en a fait don à la maison-musée de Gaudi où il est exposé.

Aujourd’hui où l’on parle de faire passer d’autres dragons sous la plus folle des cathédrales, à savoir une ligne de TGV souterraine en plein centre de Barcelone, celui qui regarde la paume de la main de Gaudi n’en revient toujours pas. Toutes ces lignes emmêlées représentent le réseau actuel du métro de Barcelone !

DDS 299 Main de GaudiDDS 299 plan du métro de Barcelone

 

Ecrit pour le Défi du samedi n° 299 à partir de cette consigne

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11 mai 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 25, ARRÊT DE JUSTICE

DDS 297 Saint-Louis 3

Cour de Cassation
Chambre civile 2
Audience publique du 24 octobre 1257
N° de pourvoi : 57-11359
Publié au bulletin.

Président : Sa Majesté Louis IX, roi de France ; Rapporteur : M. Grand-Saint-Eloi ; Avocat(s) : M. Marron, la SCP Rina, Bühler et Tarinetta-Bella (arrêt 1), la SCP Sarcozoute Van Ty (arrêt 2) ; Avocat général : M. Castagnetas.

Titrages et résumés : ACCIDENT DE LA CIRCULATION - Indemnisation - Exclusion - Victime autre que le cavalier - Faute inexcusable.

Définition : Seule est inexcusable, au sens de l'article 4 de la loi n° 45-677 du 5 juillet 1245, la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience. Par suite viole le texte susvisé l'arrêt qui déduit l'existence d'une faute inexcusable des énonciations selon lesquelles, après avoir marqué un temps d'arrêt au signal "dragon prioritaire" et circulé ensuite sur une voie d’auto-défense, le chevalier Saint-Georges s'est engagé sur la voie réservée aux véhicules de livraison de moutons alors que survenait sur cette voie un dragon princessophage riverain et qu'il a ainsi manqué à l'une des obligations édictées par l'article R. 27 du Code de la route en caillasse en ne cédant pas le passage au dragon pourtant autochtone (arrêt 1). Viole également le texte susvisé l'arrêt qui déduit l'existence d'une faute inexcusable des énonciations selon

DDS 297 1000 bornes

lesquelles le chevalier Saint-Georges s'est engagé dans un combat sanguinaire sans respecter les obligations que lui imposait la présence d'un panneau "port d’armes prohibé" et que l'obligation de marquer l'histoire et de ne s'engager qu'après s'être assuré qu'il pouvait le faire sans danger, s'imposait d'autant plus à lui que, le parking du restaurant étant situé hors agglomération, les dragons peuvent jouer la carte «véhicule prioritaire» à une vitesse relativement élevée (arrêt 2) sans que le chevalier Saint-Georges ne dispose de la carte «camion-citerne», même pas dans sa manche, pour éteindre le feu craché par icelui.

ROYAUME DE FRANCE
AU NOM DE SA MAJESTE LOUIS IX

Sur le moyen unique :

Vu l'article 4 de la loi n° 45-677 du 5 juillet 1245 ;

Attendu que seule est inexcusable au sens de ce texte la faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ;

Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, que, dans une altercation, une collision-contusion se produisit entre M. Saint-Georges à cheval et le dragon géniteur de MM. Eliott, Ballzède et Coutainville, ici-plaignants, que celui-ci fut blessé, que ses descendants ont réclamé à M. Saint-Georges la réparation du préjudice subi ; que M. Saint-Georges, reconnu vainqueur, reprit la route avec indifférence ;

Attendu que pour exclure l'indemnisation des dommages subis du fait du chevalier Saint-Georges en retenant une faute inexcusable de la victime, l'arrêt se borne à énoncer que M. Saint-Georges s'est engagé dans le carrefour sans respecter les obligations que lui imposait la présence d'un panneau "Attention dragon" et que l'obligation de marquer l'histoire et de n’engager un combat qu'après s'être assuré qu'il pouvait le faire sans danger s'imposait d'autant plus à lui que, le carrefour étant situé hors agglomération, les vésicules empruntant la voie hépato-biliaire pouvaient s’enflammer à une vitesse relativement élevée ;

Qu'en déduisant de ces énonciations l'existence d'une faute inexcusable à la charge de M. Saint-Georges, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu le 22 mai 301, entre les parties, par la cour d'appel de Silène (Lybie) ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Vincennes pour un règlement du litige autour d’un échiquier avec obligation pour M. Dragon de jouer les coups suivants avec les noirs : 1.e4 c5 2.Cf3 d6 3.d4 cxd4 4.Cxd4 Cf6 5.Cc3 g6.

DDS 297 140501 068

(Photo prise à Barcelone le 1er mai 2014)

- Je ne comprends rien ! dit le roi. Si les faits remontent à 301, comment les plaignants peuvent-ils être encore vivants en 1257 ? Et surtout, n’y a-t-il pas prescription, avocat général Castagnetas ?

- Si fait, Votre Majesté. Si fait ! Excusez-nous, mais depuis que nous rendons la justice sous un chêne, des feuilles tombent parmi nos parchemins, surtout en automne, et celle-ci s’est trouvée mêlée à nos dossiers en cours.

- Vous pourriez faire le tri, quand même !

- Cela ne se reproduira plus, Majesté, nous vous le promettons. Passons à l’affaire suivante, voulez-vous ?

Tandis que l’avocat général entame la lecture d’un autre parchemin, le roi Saint-Louis se tourne alors vers son voisin et lui confie :

- On n’est vraiment pas aidés, Grand-Saint-Eloi ! Parfois j’ai l’impression d’être à la tête d’un royaume habité par des glands !

DDS 297 Saint-Louis et les glands

 Ecrit pour le Défi du samedi n° 297 à partir de cette consigne.

7 mai 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 24, ANAPHORE

Le poète :
Un dragon qui serait de taille épouvantable,
Pourvu, en supplément, d’une humeur fort méchante,
D’écailles, de deux ailes et d’une queue battante,
De pattes fort griffues, d’un gueuloir redoutable,
Qui cracherait le feu partout autour de lui
Et qui viendrait chez nous s’installer aujourd’hui ?

(Une telle Géhenne
Je l’imagine à peine !)

140430 288

Le paysan :
Un dragon qui viendrait nous bouffer nos moutons
Alors que c’est disette en ces temps reculés
Et que les Dieux nous ont à Misère acculés,
Condamnés à la schlague et aux coups de bâtons ?
Les rascals du château au service du roi
Ne pourraient-ils donc pas lui imposer leur loi ?

(Les puissants peuvent-ils
Un jour se rendre utiles ?)

140430 297

Le roi :
Un dragon que craindraient mes « braves » chevaliers,
Qui les verrait tous fuir vers un lointain exil
Plutôt que d’affronter ce « buffalo au grill » ?
J’avoue que ces combats sont plutôt singuliers
Où l’on voit décamper mes « top chefs » bien ruinés
Devant ce gros lézard qui les a calcinés !

(Ne serait-ce pas là
Une Bérézina ?)

140430 311

La princesse :
Un dragon qui voudrait croquer de la princesse ?
Sans même lui avoir offert un brin de cour ?
Mon jeune iguanodon, reconnais que c’est court
Et que tu ne fais pas dans la délicatesse !
Te crois-tu tout permis avec ton brasero ?
(Elle sort son portable et appelle Zorro)

(J’ai peine à croire
A cette histoire !)

140430 312

Saint-Georges :
Un dragon que je suis venu faire plier !
Dans son sang répandu une rose a fleuri,
Un peuple libéré tout à coup a souri
Je leur ai demandé de se mettre à prier
Car la bête toujours est prête à repartir
Et puis je suis allé où va chaque martyr.

(Ah j’ai failli m’en étouffer
Tant c’est anaphore de café !)

Les photos ont été prises à la Casa Amatller de Barcelone le 30 avril 2014.

6 mai 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 23, LA METHODE S+7

140429 382

Gerbaut (Alain) : Marxiste-Léniniste du quatrième sifflet. Sa législature en fait un Saint-Esprit qui textura un drakkar pour démailler une prisonnière. Il étudie le pâturage de la province d’Anhui (Chine orientale).

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140429 386
Texte original auquel la méthode S+7 de l'Oulipo a été appliquée :

Georges (Saint) : martyr du quatrième siècle. Sa légende en fait un saint combattant qui terrassa un dragon pour délivrer une princesse. Il est le patron de l’Angleterre. (Définition du Petit Robert 2013)

Les photos ont été prises dans le bas de la rambla à Barcelone le 29 avril 2014.

8 avril 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 22, LE BEL ABSENT

140406 291

LE BEL ABSENT

Au menu : brebis en goulash aux pâquerettes. Je kiffe, les caves !
A la bête pistache qui vomit le feu, aucun juste ne dit : « dégage ! »
J’exige que vous me fournissiez une princesse bien dodue, limite une mocheté,
C’est juste pour la becqueter. Mais… Hola ! Quel manant vient me défier ?
C’est un petit chrétien juché sur un cheval hiératique ! Je vais le flamber, ce gus débile !
Mais quoi ? Me voilà le bide troué ! Ce phoque fou a gâché mes projets ! Aaargh ! Je meurs !

(Avez-vous deviné qui est le bel absent ?)

 

140406 294

Le bel absent, c'est celui qui parle et qui meurt à la fin , c'est le dragon !

(La belle absente est un jeu littéraire inventé par Georges Pérec ou par quelqu'autre fou de l'Oulipo.
On imagine que l'alphabet français est composé des seules lettres 
a b c d e f g h i j l m n o p q r s t u v

Dans le premier vers du poème doivent apparaître toutes ces lettres mais ne doit pas apparaître la première lettre du mot à deviner. Relisez-le, il n'y a pas de D.
Dans le deuxième vers du poème doivent apparaître toutes ces lettres mais ne doit pas apparaître la deuxième lettre du mot à deviner. Relisez-le, il n'y a pas de R.

Et ainsi de suite jusqu'à lire DRAGON !)

 

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16 mars 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 20, PORTRAIT CHINOIS

140201 132
Si j'étais un personnage politique, je serais un roi du Moyen-Orient

Si j'étais un personnage de fiction, je serais une princesse qui attend que son prince vienne la délivrer

Si j'étais un animal, je serais un dragon

Si j'étais un héros, je serais Saint-Georges (mais je ne suis pas un héros, mes faux pas me collent à la peau !)

Si j'étais un plat cuisiné je serais une ratatouille provençale ou des tripes à la mode de Caen

Si j'étais une forme musicale, je serais un medley

Si j'étais un livre, je serais "99 dragons : exercices de style"

16 mars 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 21, CONTE ANIMALIER, FERROVIAIRE ET LUCKY LUKIEN

On venait de quitter l’Iowa. Depuis que l’on avait posé des rails sur la prairie, le train traversait d’Est en Ouest les Etats enfin unis d’Amérique, histoire de confirmer ce que cette sentence du Sussex susurre même aux sourds : « Il faut bien que les guerres de succession et de sécession cessent sinon c’est du souci incessant». On était en 1878 et si on ne se battait plus depuis plus de dix ans entre Nordistes et Sudistes, on n’était pas sortis de l’auberge pour autant vu que les guerres indiennes avaient pris le relais. Enfin bon, ça faisait un an que les Sioux et les Cheyennes du Nord s’étaient rendus. On allait pouvoir assister à une autre ruée vers l’or dans les Black Hills.

DDS 289 sd_mitchell03

A l’arrêt de Mitchell, une femme jeune et jolie, vêtue d’une robe mauve, d’une grande capeline assortie et coiffée d’un chapeau à rubans était montée dans le wagon. Elle l’avait balayé du regard, s’était installée sur la banquette vide tournant le dos aux quatre employés de banque qui jouaient aux cartes. Elle avait sorti un livre de son sac et s’était mise à lire.

Johnny Horse était le seul autre occupant du wagon. Il décida de tenter lui aussi sa chance. Il vint s’asseoir en face d’elle et la dévisagea le plus innocemment du monde.

- Bonjour, dit-il. Tu t’appelles comment ?
- Je m’appelle Lily Lasouris. En fait non, je m’appelle à nouveau Lily Saint-Georges.
- Tu es française ? C’est un pseudonyme ?
- Saint-Georges est mon nom de jeune fille mais je suis la veuve du sergent Lasouris. Et toi, beau blond, comment t’appelles-tu ?

 

DDS 289 LuckyLukeMississippi

(Les Anglais et les Américains en viennent d’autant plus vite au tutoiement que dans leur langue le «vous de politesse" ne les étouffe pas : il n’existe simplement pas. Cela donne de piquants dialogues comme :
- Permets que je te baise, baronne, le bout des doigts ?
- Fais, Dulogis ! (Car le maréchal se nomme ainsi).
- Les yeux dans les yeux, je te jure que je n'ai jamais eu de compte en Suisse !

- Il y en a un peu plus. Je te le laisse ?
- Comment as-tu trouvé le Minnesota ?
- En remontant le Mississippi !)

- Je m’appelle Johnny Horse. Je reviens d’un stage de pâtisserie orientale que j’ai effectué à Davenport dans l’Iowa. J’ai pris ce train pour rejoindre mon salon de thé à Rapid City. C’est quand même super le train ! Autrefois on était obligés de prendre la diligence pour faire ce trajet. Et toi, Lily, où vas-tu ?
- Je vais derrière les Collines noires, à Gilette. C’est là que mon mari a rendu l’âme. Je vais me recueillir sur sa tombe et après je m’installerai là-bas pour évangéliser les Cheyennes.
- Evangéliser les Cheyennes ? Après qu’on les a exterminés et parqués dans des réserves ? Je trouve ça un peu Sioux, comme démarche, pour ma part.

Lily ne répondit pas.

- Tu n’as donc peur de rien ? Ne sais-tu pas que plus on va vers l’Ouest, plus il y a de dangers ? Il y a sans cesse du grabuge à Pancake Valley : quand ce ne sont pas des voleurs de chevaux, c’est une alerte aux Pieds bleus ! Et puis toute cette lignée de hors-la-loi, Jesse James, Billy the Kid… sans compter que les Dalton courent toujours !
- J’ai une lettre de recommandation pour le lieutenant Chicken au 20e de cavalerie. Il était sous les ordres de Custer avec mon mari à Little Big Horn. Il pourra me protéger, m’offrir une escorte en cas de besoin.
- En tout cas, tu n’es pas rendue, le voyage est encore long. Sans compter qu’il y a un passage dangereux après Canyon Apache. Et puis… il y a Gulliver.
- Gulliver ? Qui est-ce ?
- C’est une espèce de dragon, un monstre sanguinaire qui dévore tout ce qui s’aventure sur la voie ferrée.
- Tu racontes des bêtises, Johnny ! Tu essaies de me faire peur pour me détourner de mon projet, de ma mission. Je parie que tu es célibataire et que tu rêves de te trouver une bonne petite épouse bien soumise pour tenir ton saloon !
- C’est un salon de thé, Lily, tout ce qu’il y a de plus honorable, destiné aux dames de la ville et pas un abreuvoir à cow-boys.
- Ta ta ta ta ta ! C’était bien essayé mais n’y songe pas, même en rêve ! Et à part ça, à quoi il ressemble ce Gulliver ?

DDS 289 Kansas wildcats

- C’est un chat sauvage du Kansas. Un chat géant qui a la particularité d’être tigré et omnivore.
- N’importe quoi ! Un chat omnivore ! Pourquoi pas un cochon avec des bottes rouges pendant qu’on y est ? Que veux-tu qu’un chat, même géant, puisse faire à un train lancé à toute vapeur sur ses rails vers les promesses de l’Ouest ? Un chat sauvage du Kansas ! Many Dick Rivers to cross ? C'est pas sérieux ! Tiens, je veux bien parier avec toi, Johnny Horse ! Si un jour je rencontre ce Gulliver, je reviendrai m’engager comme femme de mauvaise vie dans ton saloon, foi de Lily Saint-Georges !
- C’est un salon de thé, mais pari tenu, je t’engagerai comme cuisinière pour faire des gâteaux.
- Maintenant, si tu veux bien me laisser lire ma bible, Johnny, je t’en serai reconnaissant. Au moins, là-dedans, il n’y a pas d’histoires aussi abracadabrantesques !
- Mais certainement. Lis, Lily !

Un peu dépité, Johnny retourna s’asseoir à sa place initiale, il posa son front contre la vitre et regarda défiler le paysage.

Plusieurs heures après le train s’arrêta à Rapid city. Johnny prit sa valise et en passant au niveau de Mme Lasouris qui lisait toujours, au lieu de soulever son chapeau, de lui souhaiter bonne route, d’échanger un mot d’adieu avec elle ou de lui reparler de leur pari, il se contenta de faire un signe de croix.

Ce geste, bien que discret, n’échappa pas au regard de la jeune femme. Elle eut un regret. Il était mignon, ce beau blond mais un peu trop craintif, un peu trop crédule et finalement très, très voire beaucoup trop popote. Elle avait besoin d’aventure pour sa part, sans cela elle n’aurait pas épousé un militaire. Et si c’était pour ouvrir un salon de thé, elle pouvait tout aussi bien faire ça sur la côte l’Est.

La souris bibliophile se replongea dans son livre sacré. Le train se remit en marche. Vers la fin de l’après-midi on atteignit les premiers contreforts montagneux des Collines noires. Cela faisait déjà très longtemps qu’on ne voyait plus ni fermes ni barbelés sur la prairie. Un peu avant Sundance, comme le soir tombait, le train pénétra dans un tunnel.

DDS 289 Gurbuz Dogan Eksioglu

Quand la locomotive et les wagons furent ressortis à l’air libre, le chat géant donna un coup de patte qui fit dérailler le convoi. Puis Gulliver croqua Lasouris, les employés de banque, le jeu de carte, la bible, le wagon, la loco et même le tender avec la réserve de bois et de charbon. A quoi ça servirait sinon, d’être Chat sauvage du Kansas, omnivore et tout le temps affamé ?

Puis il s’en alla ronronner d’aise ailleurs et l’auteur posa sa plume. Lui aussi était satisfait de cette variante dans laquelle le dragon n’a rien d’effrayant, Saint-Georges ne remporte pas la victoire, les animaux ne se font pas bouffer, enfin si mais pas tous et pas comme on s’y attend, et la population autochtone qui n’a rien demandé à personne peut continuer à fumer son calumet électronique (ou pas) en paix.

 

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 Ecrit pour le Défi du samedi n° 289 d'après cette consigne.

9 février 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 3, Haïku

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Avant Sarkozy
Débarrasser la Libye
De ses vieux démons !

N.B. Ma voisine de bureau, la très charmante Mumu Belfille, a attiré mon attention sur un site web intéressant : d'autres charmantes jeunes filles - pour lesquelles du reste elle et moi travaillons - ont entrepris de marcher sur les traces d'Isaure Chassériau et de visiter Rennes autrement. Je vous renvoie justement sur la légende du dragon rennais. Voilà que, tout à fait incidemment, je fais, avec mes 99 dragons, du "Rennes en délires" sans le savoir : Joe Krapov, un véritable M. Jourdain traversé d'idées fixes ! Du coup je suis allé ce matin photographier le fameux bénitier que je n'avais pas encore jamais repéré. Merci à elles !

140209 027

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Et donc alors, sous le heaume sweet heaume, qui est-ce , Saint-Georges ou Saint-Yves ?
Frappe chez Saint-Yves, Saint-Georges t'ouvrira ! Et dire que le portier officiel s'appelle Saint-Pierre !

(De toutes façon, c'est pô grave : les catholiques sont dans la rue (enfin, certains, les plus énervés, ceux qui ont la danse... de Saint-Guy !))

15 décembre 2013

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 19, Rythme poétique dit "Pacific 238"

DDS 276 Claude Ponti dragon télérama

Là-bas
En Libye
Il y avait un dragon cruel.

Fort las
Des brebis
Il exigea des demoiselles.

Survint
A cheval
Un croisé dénommé Saint-Georges.

En vingt,
Trente mandales,
A la bête il fit rendre gorge.

C’est de-
Puis ce temps
Que dans tous les livres d’enfants

Des preux
Etonnants
Vienn'nt à bout de tous les tourments

Le feu
Et le sang
Ont envahi tous les romans

Même que
Sur l’écran
Des blockbusters sanguinolents

Nous font
Regretter
La philosophie des Lumière

(Auguste
Et Louis
Et non pas Rousseau et Voltaire)

Qui nous
Amusaient
A coups d’ « Arroseur arrosé »

 

 

Ecrit pour le Défi du samedi n° 276 d'après cette consigne

27 octobre 2013

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 18, CALLIGRAMME

131023 001

Il faudrait sans doute attacher un virebouquet à ma fantaisie ! Ou peut-être pas !

Car enfin, à qui ai-je nui, samedi dernier en achetant, au marché des Lices, cette bouteille de bière de marque Saint-Georges au vendeur qui est installé à l’entrée de la halle Martenot ? Le gars était courageux, du reste, qui vendait ses bières bretonnes sous la pluie sans même avoir pris soin d’amener un balandran.

Est-ce si grave que cela d’avoir de l’appétit pour ce qui pétille ? Et je parle ici de la légende catholique du dompteur de dragon libyen plus que du breuvage à base de houblon qui provoque des houppées.

Donc, c’est confirmé, j’ai une marotte (cf le Défi du samedi n° 267). Avant que d’aller moisir entre quatre palplanches  je me suis promis, et c’est tant pis pour vous qui êtes mes lecteurs et lectrices, de venir à bout, si cela est possible, de la réécriture dans 99 styles différents de cette histoire de fulgurite.

Je ne doute pas que ce projet de farfadet fada ou de troll farfelu apparaîtra à d’aucuns et d’aucunes comme un dada de barbacole

Mais c’est comme ça, c’est une des rares choses que j’ai envie de rendre publiques de mon week-end au paradis rennais. Aussi peut-être celle-ci, arrivée le dimanche alors que le Club des 5 était réuni chez Madame Jojo pour un repas copieux, agréable, raffiné même, et suivi dans l’après-midi d’interprétations de chansons diverses.

Bien entendu, à cause de la présence de mon compatriote Kaïrakovski, qui est quelque peu pharmacien et quelque peu réfractaire lui aussi à la consultation du corps médical – sauf pour lire l’avenir dans les entrailles de Diafoirus - on s’était retrouvés à causer de médecine à table. Médecine et même pire : madame Jojo venait d’enterrer un oncle et une tante dans les semaines qui précédaient. A un moment donné madame Elle me signala que Madame Jojo se demandait comment meubler le silence qui accompagnerait sa propre crémation.

Je n’eus pas à me gratter longtemps le youfte  pour lui sortir la réponse idoine :
- T’inquiète pas, Jojo ! Je viendrai avec ma guitare et je chanterai « Fais du feu dans la cheminée, je reviens chez nous ! » ».

Voilà, dites-vous que c’est pareil et qu’il n’y a pas de balandran pour éviter que Saint-Georges, son dragon et Joe Krapov ne reviennent parasiter votre Défi du samedi. Le seul remède serait de les occire tous les trois, de les enfermer entre quatre palplanches, et justement, à propos de mise en bière, je vous fais cadeau ci-dessous de l’objet dont je parlais au début. Bonne houppée !  

DDS 269 Calligramme 4

Ecrit pour le Défi du samedi n° 269 à partir de cette consigne.

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