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Mots et images de Joe Krapov
22 septembre 2017

(MANUS-) CRI DU (MOT-) COEUR!

Dans le noir d’un tiroir un manuscrit attendait anxieusement le résultat de son test de grossesse. Serait-il relié ou broché ? Cette question le tourmentait.

Car ce n’est pas le tout d’être et de se savoir génial. Il faut aussi passer par un stade de reconnaissance. Il faut que quelqu’un d’autre, après l’auteur, vous lise, vous apprécie, ce qui pousse votre géniteur à contacter un éditeur. Il faut aussi que celui-ci soit convaincu non seulement de la valeur littéraire du texte mais encore de sa valeur marchande.

C’est pourquoi « La Chasse spirituelle » - c’était le nom du manuscrit – s’inquiétait de rester là aussi longtemps dans le noir de ce tiroir-purgatoire. On n’était même pas chez Arthur mais chez Paul, son pote et quand on dit « son pote » il faudrait plutôt préciser qu’on était chez les beaux-parents de son pote, le père et la mère Mauté de Fleurville, les parents de la maudite Mathilde, la souris, la fée Carotte, la punaise comme Paulo l’a appelée dans un billet qu’il a fait parvenir récemment à sa jeune épouse.

Ca n’est pas très délicat. Et ça n’est pas très sérieux car dans son dernier courrier il réclame qu’on lui renvoie à Bruxelles ses effets personnels, le manuscrit de Rimbaud et « les lettres qui en font partie ».

Qui en font partie ? Mon cul, si on peut dire ! Si un manuscrit peut dire ça ! Du fait de leur entassement dans la même chemise, pas très propre, du reste, le manuscrit sait bien ce qu’il y a dans les lettres. Si elles tombent entre les mains du beau-père, c’en est fait du mariage. Y’a d’la rumba dans l’air et de la séparation de corps dans l’décor !

Il y a là-dedans de quoi refaire le procès des « Fleurs du mal ». Toutes les preuves des mauvaises mœurs de ces messieurs les poètes vont ravir les défenseurs plutôt fripouilles de la morale traditionnelle et de «Une famille c’est un papa + une maman».

Et de fait, lorsque Mathilde les découvre, les missives, la jeune épouse se jure cette fois-ci que tout est bien fini.

AEV 1718-02 chasse spirituelle

Que devient «La Chasse spirituelle», le manuscrit d’Arthur Rimbaud ? Il disparaît! Mais on le voit réapparaître, enfin édité, au Mercure de France, s’il vous plaît, en 1949, soit plus de soixante-dix ans après.

Relié ! Broché ! Préfacé par Pascal Pia ! Encensé par la presse !

Mais, car il y a un mais, ô scandale, semelles de vents et scandalettes, il s’avère qu’il s’agit d’un faux ! L’engouement pour la poésie, la bibliophilie et surtout pour Rimbaud est devenu tel qu’à part André Breton personne ne veut croire qu’il s’agit d’un canular pondu par deux théâtreux.

Ah il est bienheureux, le faux manuscrit ! « La vie est une farce à mener par tous », a écrit Rimbaud. Et les deux comédiens ont réussi leur coup. Après reconnaissance de la mystification, la maison d’édition retire le livre de son catalogue. Les exemplaires déjà vendus valent aujourd’hui une fortune sur E-bay ou dans les salles de vente.

Oui mais… le vrai manuscrit ? Celui du début ?

Il semble que la maudite Mathilde ait mis le feu au test de grossesse et jeté le bébé avec l’eau du bain.

Les vrais Rimbaldiens ont fait une croix dessus. Tout comme Rimbaud a terminé sa vie en faisant du trafic d’armes, ils ont changé leur fusil d’épaule. Ils sont tous au Harar et ils creusent. Ils retournent tout. Ils cherchent dans le sol les bras de la Vénus de Milo.

Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 19 septembre 2017 

d'après la proposition  d'écriture n° 354 de Pascal Perrat
 


qu'on ne remerciera jamais assez de pondre pareils incipits !

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22 septembre 2017

LE TEMPS DÉRÉGLÉ

Subitement le temps s’était déréglé. Il ne pleuvait plus des cordes mais des escaliers. Toutes sortes d’échelles et de rampes d’accès. Les croyants y voyaient un signe, les athées tentaient de démystifier le phénomène.

Ils étaient tous d’accord cependant sur un point, c’est qu’il était désormais impossible de sortir les jours de pluie. Quand on se prend trente-neuf marches sur le coin de la gueule, c’est assez hitchcockien comme situation !

Tout le monde tremblait de terreur devant l’échelle de Richter lorsqu’elle descendait du ciel !

Sans parler des spécificités locales. En Bourgogne, finis, les escargots. Il ne pleuvait plus que des escaliers en colimaçon.

Si encore, après la bataille – on appelait désormais ainsi les précipitations et on avait hâte qu’elles soient terminées – les escaliers, rampes ou échelles menaient quelque part ! Mais non !

AEV 1718-02 échelle (JP)

Des audacieux, des téméraires avaient entrepris, le soleil revenu, de gravir les marches, de les escalader. Tous ces maîtres du barreau étaient vite redescendus ! Aucun qui menât au septième ciel ou chez des haricots géants.

Il y en avait un, en Normandie qu’on avait étudié en long et en large. En hauteur, en fait. Il comportait 365 marches, 52 fenêtres flottantes de type windows 10 et 12 paliers qui ne palliaient pas le problème posé par ces chutes d’escalier. Quand on arrivait au sommet on avait la tête dans les nuages alors on se sentait cotonneux, on comptait les moutons, on s’endormait, on titubait, on dévalait l’escalier et on se retrouvait en bas couvert de contusions et de confusion.

En haut des échelles on trouvait des toits. Les plus hardis posaient le pied sur cet atoll ondulé mais parfois l’échelle tombait. De là-haut ils faisaient signe aux passants, aux avions. Tout le monde répondait « coucou », surtout les vieux avions, croyant qu’ils agitaient la main juste pour dire bonjour. Certains sont morts de faim là-haut dans cette canopée où il n’y avait ni canapés ni petits fours.

Tout ce phénomène s’arrêta cependant un jour que l’on dira béni. Lorsqu’une grande échelle de pompiers réussit à trouver sur son chemin la femme de Gargantua, Badebec, elle s’accrocha à son mollet entraînant tous les autres à sa suite.

- Zut mon bas a filé ! s’exclama Madame Gargantua en constatant l’échelle.

Je m’aperçus alors que je m’étais donné un quart d’heure pour répondre à cette consigne et qu’il avait filé lui aussi. J’en fus bien content.


Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 19 septembre 2017

d'après la proposition  d'écriture n° 351 de Pascal Perrat


qu'on ne remerciera jamais assez de pondre pareils incipits !

13 septembre 2017

BRIN DE CONDUITE (1)

« Le petit bout de chair sans intérêt qui se trouve à la base du pénis s’appelle un homme » a écrit Jo Brand.

Hé oui, Mesdames, c’est ainsi ! Depuis la nuit des temps l’homme est appelé à se déplacer. Il va faire les courses au Mammouth ou la course au mammouth même si cet hypermarché et cet animal n’existent plus de nos jours.

Il part aux croisades, à la guerre, aux matchs de foot, aux 24 heures du Mans ou chez Ikéa.

Qu’est-ce qu’ils sont courageux, les hommes, derrière leur pénis et leur fragilité ! C’est vrai, "les hommes sont comme les femmes, il leur arrive aussi de pleurer, mais seulement lorsqu’ils essaient de monter un meuble en kit" comme a écrit Rita Rudner.

De nos jours les pérégrinations professionnelles ou autres de ces messieurs – et aussi de ces dames – peuvent s’effectuer en voiture. L’homme s’assied dans un fauteuil à roulettes entouré de tôle et de verre, il appuie sur des pédales, le véhicule avance, tourne grâce à un truc appelé volant et s’en va partout où on veut, parfois même dans le décor, surtout si c’est Jayne Mansfield qui est assise sur le siège à côté du conducteur. « Dans ce cas-là, les hommes sont des créatures à deux jambes et huit mains ». Quelquefois, en effet, le jobastre utilise aussi celles qui doivent rester sur le volant et - Boum ! - il s’emplafonne dans un platane ou dans un champ de doryphores ! « Va donc, eh, patate ! » entend-on beaucoup sur les routes.

Quand je dis l’homme, je devrais mettre une H majuscule car de nos jours la femme conduit aussi. Certains médisants comme Bill Vaugn considèrent que « Aujourd’hui, les femmes occupent des postes aussi importants que chefs d’entreprises ou chercheurs spécialisées sur l’atome. Il serait temps qu’elles sachent enfin faire un créneau ». Ce n’est pas très gentil ni très vrai.

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13 septembre 2017

BRIN DE CONDUITE (2)

Je ne vais pas vous raconter ma vie – quoique ! – mais dans notre couple, c’est plutôt mon épouse qui conduit. Moi je reste assis sagement à côté d’elle. J’ai tellement confiance dans ses qualités de chauffeuse que je ne regarde plus la route et même que j’écris des poèmes dans mon petit cahier jaune. Celui-ci est rempli d’ailleurs et je vais en entamer un neuf : il sera bleu désormais. Comme moi quand je lève le nez et vois que les distances de sécurité sont tout sauf respectées par le Fangio qui est à ma gauche.

Et donc, l’été dernier, après le délicieux concert auquel Marina B. et Gisèle C., émérites chanteuses, ont participé en Arques-la-Bataille, on se met en route tous les trois en direction de Varengeville-sur-Mer où il y a un beau cimetière marin devant lequel on tomberait volontiers en extase. On peut y voir la tombe de Georges Braque, peintre, et celle d’Albert Roussel, musicien.

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13 septembre 2017

BRIN DE CONDUITE (3)

AEV 1718-01 grosdegueulasse

Après le virage en épingle à cheveux de Pourville-sur-Mer la route monte à la va comme je te pousse sur la falaise. Vers le milieu de la pente voici l’Homme qui déboule ! Pardon, voici l’homme qui déboule d’une petite rue sur la droite et qui nous coupe la route, carrément.

- Crois-tu qu’il se serait arrêté, ce saltimbanque ? » commentons-nous intérieurement dans nos Ford intérieures.

Eh bien justement, cent mètres plus loin, il arrête sa voiture au milieu de la chaussée, forçant mon chauffeur préféré à stopper son propre véhicule. Le type descend, très calme, sort de sa bagnole et vient vers la nôtre.

Les zygomatiques de ces dames, à l’avant, se mettent à fonctionner à plein Youtube ! Un vrai film ou un sketch des Inconnus ! Le gars à une tête de hobereau local mais sans grâce et surtout sans le costume idoine : il est en short, torse nu, et arbore une bedaine de buveur de bière aguerri. Autant dire qu’il ressemble trait pour trait à un personnage en slip kangourou du regretté Reiser. Ah oui, ça me revient ! « Gros dégueulasse » qu’il s’appelait et ici la citation de Dave Barry ne s’applique pas vraiment :

AEV 1718-01 académie Bach

« A en juger par les couvertures des magazines féminins, les deux sujets qui intéressent le plus les femmes sont :
- Pourquoi les hommes sont tous des gros dégueulasses ?
- Comment faire pour les séduire ? »

Voyant venir le coup et le macho dans ses œuvres, mes deux voitureuses cessent de s’esbaudir devant l’autochtone normand. Sentant qu’est venue l’heure à laquelle on se télescope chez les Hubbel, elles prennent l’attitude digne de deux bonnes bourgeoises qui sortent d’un stage de chant à quatre de l’Académie Bach avec Bruno Boterf comme chef, ce n’est pas rien quand même, non ?

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13 septembre 2017

BRIN DE CONDUITE (4)

Marina B. baisse son carreau pour entendre le revendicatif énoncer d’un ton posé mais péremptoire :

- Je suis désolé, Madame, mais cinquante mètres plus bas il y avait un panneau avec une croix de Saint-André. Ca veut dire que, venant sur votre droite, j’avais la priorité et il était normal que vous me laissiez passer.

- Je suis désolée, Monsieur, répond diplomatiquement ma chère et tendre. Je ne l’avais pas vu. Je vous présente mes excuses.

- C’est bon, répond-il avant de retourner à sa caisse qui a beaucoup vécu. Mais ce n’était pas la peine…

Et là je n’en crois pas mes oreilles :

- … de faire des appels de phare !

Des appels de phare ?
Des appels de phare ! C’est pas vrai ? Mon iconoclaste préférée lui a fait des appels de phare ?

Il y a des jours comme ça où je me traiterais volontiers de nouille : on croit avoir épousé un ange de douceur et en fait on passe toutes ses nuits au lit avec un cow-boy en jupons !

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P.S. Mais bon, relativisons ! Eussé-je été plus heureux dans la situation de Gary Shandling : « Quand je n’ai pas de petite copine, je me rase une jambe comme ça j’ai l’impression d’être avec une femme » ? Je ne le crois pas.

 

 Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 12 septembre 2017 à partir de la consigne ci-dessous.

13 septembre 2017

Consigne 1718-01 de l'Atelier d'écriture de Villejean du 12 septembre 2017

Humour anglais et dico belge

 

L'animateur distribue des mots d'un dictionnaire belge (pondu par le sieur Walrus pour animer les séances du "Défi du samedi" en 2017) :

acrostiche – bidouillage – clepsydre – doryphore – extase - goinfre – hobereau – iconoclaste- jobastre – kangourou – lambada – nouilles – ostracisme – procrastination – saltimbanque – télescope – à la va comme je te pousse – yaka, yakapa – zygomatique.

Chacun(e) reçoit aussi deux pages photocopiées à partir du livre "So incredible ! Toujours plus d'humour anglo-saxon" de Jean-Loup Chiflet.

Il est demandé de raconter quelque chose qui est arrivé, à lui, elle ou d'autres personnes cet été en incluant dans le texte au moins une citation et au moins un mot de la liste.

 Cliquez sur les vignettes ci-dessous pour lire les citations 

 Chifflet amour 01  Chifflet amour 02  Chifflet amour 03

 Chifflet amour 04
 
Chifflet amour 05
 
Chifflet amour 06
 
Chifflet amour 07
 
Chifflet amour 08

 Chifflet amour 09
 


 Chifflet amour 10

 

 

12 juin 2017

UNE SEMAINE DE VACANCES

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Deux oreillers s’aimaient d’amour tendre jusqu’à ce qu’un polochon vienne troubler la paix du ménage. Leur brouille naquit sur un tissu de mensonges, vous allez comprendre pourquoi très vite quand je vous aurai dit que cela se passe en juillet dans la maison de vacances de Roméo et Juliette.

Appelons comme ça ces deux quadragénaires. Ils travaillent tous les deux, ils sont cadres moyens, ils ont deux enfants et depuis qu’ils ont acheté cette résidence secondaire sur la Côte d’émeraude, ils viennent y passer tous les week-ends. Tout au long de la semaine, les deux oreillers brodés de leurs initiales, que nous nommerons R et J, ont la paix vu que Roméo et Juliette retournent bosser ensuite à Rennes.

Quand il n’y a pas d’humains dans la pièce les oreillers s’envoient en l’air. Le plumard, c’est le meilleur moyen qui existe pour ne jamais se plumer. Il faut voir comme ils n’arrêtent pas ! Quand Roméo et Juliette sont là, R et J vivent plus calmement. A tête reposée. Ils ne sont pas mécontents du tout de leurs propriétaires qui lisent beaucoup au lit. Par-dessus leurs épaules R et J ont ainsi des nouvelles des mondes imaginaires qui peuplent les romans.

Mais voilà : la maison a coûté cher et c’est la crise. Afin de rembourser leur emprunt Roméo et Juliette la mettent en location en juillet-août. Et on y est.

Voici donc la famille Tuyaudepoêle-Recomposé qui débarque. Il y a Monsieur Tuyaudepoêle avec ses trois garçons d’un premier lit, Madame Recomposé avec ses deux filles d’un premier canapé-lit et le petit dernier, Chevalier-Braillard Tuyaudepoêle-Recomposé qui est là pour sceller la nouvelle union.

Dans la famille Tuyaudepoêle, les enfants sont rois. Les trois frères, Georges, Jacques et William ont réclamé de dormir dans la chambre de Roméo et Juliette et l’ont obtenu, jurant qu’ils roupilleraient mieux là, bien sagement, le soir, épuisés qu’ils seraient par les jeux de plage et les bains de mer. Ils ont amené un grand traversin trouvé dans les placards et du coup on a mis R et J dans des coffres. Séparés, les coffres.

A l’intérieur du premier, R a vécu une semaine de promiscuité avec une couette en plume d’autruche. Dans le second J. a côtoyé de manière très proche un édredon et un coussin de bergère en forme de cœur.

De quoi était constitué le tissu de mensonges dont nous parlions au début ? C’est très simple : tous les soirs les garçons Tuyaudepoêle et les filles Recomposé se sont adonnés à d’homériques batailles de polochons. Ces parents modernes, avec leurs lubies de bains de minuit, de tour au casino, de restaurant en amoureux ou de promenade au clair de Lune de Chevalier Braillard dans sa poussette, c’est permissif à un point qu’on n’imagine pas !

Mais bon, la semaine est finie, ils sont retournés chez eux et Roméo et Juliette sont revenus mettre la maison en état pour la location suivante.

Mais pour R et J, ça n’est plus pareil.

Maintenant que les propriétaires sont repartis, chacun des oreillers se taie. Non, pardon, se tait.

J rêve d’un retour de la famille foldingue. Afin de retrouver ses compagnons de partouze.

R espère que le pavillon sera loué tout l’été à d’autres tribus du même type. Pour la même raison.

Il faudra que je demande à mon psychanalyste pourquoi les monte-en-l’air, inconsciemment, rêvent toujours de se faire coffrer. Il sait peut-être, lui !


Pondu à l'atelier d'écriture de Villejean le 6 juin 2017
à partir de la consigne-incipit n° 340 de Pascal Perrat

12 juin 2017

ÉQUIVOQUE LA GALÈRE !

L’invitation était sans équivoque : « Rejoignez notre bacchanale à pied et déguisés en arbres ! ». Ils s’y rendirent. Ce n’était vraiment pas une bonne idée : déguisés en bouleaux, ils avaient l’impression d'y aller et tous les dalmatiens du quartier, attirés par le noir et blanc flambant neuf de leurs costumes, s’en venaient uriner sur leurs racines, enfin sur leurs pieds.

AEV 1617-29 Cabaret-neant-enfer

C’est d’ailleurs ce qui les sauva. La fête avait lieu dans une grotte dont l’entrée était gardée par un diablotin cornu, barbichu, vêtu d’une grande cape rouge et doté d’une impressionnante fourche à trois dents.

- Comment est l’ambiance à l’intérieur ? demanda Bouleau premier.

- Y hêtre ou ne pas y hêtre, là n’est pas la question, répondit le vigile. Elle est du feu de Dieu, si je puis dire, l’ambiance. Mais je ne laisse entrer que les grands secs.

- Mais ce n’est pas de notre faute si on a les pieds mouillés ! protesta Bouleau deuxième. Des dalmatiens nous ont épicéa dessus. Allez, M’sieu, S’iouplaît !

- N’insistez pas, il y a peu de chances que je tremble même devant des menaces ! Arrêtez de me faire du charme, je ne cèdrerai pas. De toute façon, vous pourrez remercier les dalmatiens au retour. C’est d’enfer là-dedans ! Il y a une atmosphère à couper à la hache ! Tous les beaux messieurs de Bois doré ont été très vite abattus par les briseurs de chênes qui ne se sont pas cassé le tronc pour les transformer en rondins. Mais désolé, vieilles branches, on refoule le bois humide. Surtout quand il refoule des nougats.

- Mais quand même ! On a fait tout comme il était dit sur l’invitation : sans équivoque. Vous pouvez nous fouiller : on n’a pas d’équivoque sur nous !

- J’ai bien vu ! Rentrez chez vous, je vous dis ! Ils sont d’un con, ces damnés de la terre, aujourd’hui ! Comment ils croient qu’on l’alimente, la boule de feu qui est à l’intérieur de la planète ? Ils coupent à tous les tissus de mensonges, les coups de pub et à trèfle, ces idiots !

Alors, plus pleureurs que des saules, plus dépités que des Gaulois en Halésia, un peu pliés, beaucoup voûtés, déçus d’avoir échoué cyprès du but, Bouleau 1 et Bouleau 2 reprirent sans équivoque le chemin du retour.

Ils firent même ce que leur avait conseillé le virgilier : ils dirent merci aux dalmatiens. Lesquels se marrèrent franchement, sans aucune équivoque.


Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 6 juin 2017
à partir de la consigne-incipit n° 338 de Pascal Perrat.

12 juin 2017

DEBORDEMENT

Une rivière en avait marre de vivre sous les ponts, de refléter le soleil puis la lune et quelques pêcheurs à la ligne. Elle décida de sortir de son lit. Il était temps, elle approchait les 50 berges !

Par bonheur pour elle, les hommes avaient inventé le réchauffement climatérotique. Tout le temps était tout le temps détraqué et un jour, deux jours, trois jours durant, il se mit à pleuvoir du pont. Du pont des Arts, pour être précis, il plut des cadenas et des rambardes.

Quand toutes ces amours ou preuves d’amour furent tombées dans l’eau pour y rejoindre les clés des cadenas et les amours de Guillaume Apollinaire, la Seine, car c’était elle, déborda de reconnaissance :

- Ah merci, merci, Pont des arts, Averse et Pluie de cadenas ! Depuis le temps que j’étais serrée dans ce lit ! Je ne pouvais même pas étendre mes bras ni sentir le sang affluer à mes joues ni même jouer à l’habile beau quai ! De quoi perdre la boule !

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Et la Seine d’envahir Paris, de se répandre en bavardages dans ce nouvel entourage, d’aller rire au nez et à la barbe du zouave du pont de l’Alma, de mettre la main, comme une sœur, dans sa culotte, de se moquer de sa chéchia.

- Fichez le camp sur le champ ! » ordonna la statue du militaire.

Ça tombait bien, le Champ de Mars n’était pas loin. Elle s’ébattit gaiement sur ce nouvel espace mais soudain elle entendit une grosse voix qui lui disait :

- C’est ça ! C’est ça ! Entrez dans mon cabinet sans rendez-vous ! Allongez-vous sur la canopée, pendant que vous y êtes !

- Oh je ne monterai jamais jusque là-haut, répondit la graine d’évaporée. Car il est dit dans le « Livre sacré des fleuves et des rivières » que l’histoire du patriarche de la Noë est une légende lutécienne non vérifiée. Mais qui êtes-vous donc, Monsieur ?

- E.I. Felturm, psychanalyste. Qu’est-ce qui vous amène ? Vous avez de la chance, je le suis aujourd’hui. Amène.

- Eh bien voyez-vous j’avais comme qui dirait une petite envie de m’épancher et j’ai trouvé une fenêtre de « j’me tire ».

- Allongez le pognon et vos fesses sur le champ et racontez-moi vos débuts dans la profession. Remontez bien à la source, surtout !

AEV 161729 4626- Eh bien voilà, Docteur Felturm, c’est assez oedipien comme comportement et somme toute naturel pour un fleuve : j’ai toujours eu envie de voir la mer ! Alors je me suis nourri de ce rêve, de l’eau qui tombait des nuages, j’ai grossi, j’ai tracé mon chemin, j’ai fait les quatre cents coups dans le calcaire, j’ai suivi ma voie, j’ai coulé des jours heureux, j’ai passé l’été en pente douce, puis j’ai décliné…

Il s’ensuivit tout un flot de paroles plaintives, une dégoulinade de souvenirs en cascade, d’épanchements de Seino-vie que le psychanalyste écouta impassible. Ou plutôt il entendit tout ce roman-fleuve comme un clapotis de potins, des bruits de vagues et de ragots de virago, une remémoration de murmures sous ramure qui l’endormirent presque. Il se demanda si la cliente ne lui montait pas un bateau-mouche tant elle versait de larmes sur son sort de voyageuse énurétique en perpétuel transit avec des aspirations au voyage vers le large à la longue étouffées sur les bords. Quand elle eut vidé suffisamment son sac il l’arrêta et lui dit :

- Rentrez chez vous, remettez-vous au lit et laissez faire les choses. Ne traitez que le courant. Vous allez la voir bientôt, la mer. Vous allez le trouver, votre havre de paix. Si vous êtes pressée, vous n’aurez qu’à regarder le film homonyme d’Aki Kaurismaki en DVD. Ou alors en streaming.

- Merci beaucoup, Docteur Felturm. Je vous dois combien ?

- Il est d’usage qu’on me paie beaucoup et en liquide mais pour vous ce sera gratuit. D’habitude on me casse les pieds avec de vieilles histoires mais vous, vous me les avez lavés avec des rêves d’avenir. J’ai juste une chose à vous demander.

- Oui ?

- Vous avez une voix de crécelle un peu énervante. Aussi, quand arriverez aux Andelys…

- Oui ?

- Bouclez-la !

P.S. Cette histoire d’inondation de Paris était totalement imaginaire mais il est tout à fait possible – vous m’en verriez alors ravi - que certaines et certains d’entre vous l’aient… crue !

AEV 1617-29boulevard-haussman-crue-de-la-seine-1910

Pour voir d'autres images de la Seine en crue, c'est ici.


Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 6 juin 2017
à partir de la consigne-incipit n° 336 de Pascal Perrat

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