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Mots et images de Joe Krapov
marcel proust
16 septembre 2021

En un mot comme en cent. 3 septembre 2021, Dans mes poches

Dans les poches de mon pantalon, un mouchoir et un trousseau de clés. Dans les poches de ma veste, un porte-monnaie, un masque et un portefeuille.

Dans les poches sous les yeux de Marcel Proust, de quoi mettre des valises sous les mêmes yeux à paupières lourdes et partir à Venise en emmenant Céleste.

 Chose qu’il ne fera jamais.

 Chose qu’il aurait dû faire ?

D 98 02 Venise en février 1998 1, Brouillard + photos de nuit 24

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D 98 02 Venise en février 1998 1, Brouillard + photos de nuit 35

Diapositives prises à Venise en 1998.

Malgré tout le mal que je peux écrire sur mon cousin Marcel je ne manquerai pas de regarder France 5 vendredi prochain :

A 20 h "Guermantes", film de Christophe Honoré avec la bande de la Comédie française

suivi surtout à 23 h 25 du documentaire "Céleste et Monsieur Proust" d'Elizabeth Kapnist.

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15 septembre 2021

MAIS COMMENT C'EST (DÉ)RANGÉ, ICI ?

Ça n’est pas de leur faute mais les hypermnésiques possèdent une mémoire XXL. Ce dont ils sont coupables cependant c’est d’avoir un système de classement très souvent bien pourri.

Ils sont bien les seuls à s’y retrouver dans leur fichu bazar, même s’ils sont les seuls à (s’)y chercher !

Dès lors, quand il s’agit d’effectuer une présentation claire de l’arbre généalogique, bonjour la panique ! Généa, oui, logique, non ! C’est ainsi qu’aujourd’hui, de mon grand sac à malice du pays des merveilles, j’ai choisi de sortir mes oncles et cousins Ducancer. C’est vous dire à quel point mon généalogique est un (dés)astrologique !

Présentons d’abord à vos regards étonnés l’oncle Bernard (Dimey) et l’oncle Henri (Salvador). Rien d’incohérent à cela vu leur fraternité (d’esprit). Ils ont composé ensemble « Syracuse ». Le premier est un poète sublime autant que marginal, l’autre nous a fait rire avec tout un tas de clowneries, de « Minnie petite souris » à « Zorro est arrivé », vous complèterez la liste vous-même !

Dans la même veine mi-poétique mi-déconneuse on a l’oncle Francis (Blanche) avec son «Général à vendre», son «Complexe de la truite», son «Débit de l’eau, débit de lait», ses impôts payés en pièces de dix centimes et son recueil de poèmes «Mon oursin et moi» dont je vous recommande vivement la lecture.

Parmi les pousseurs de chansonnettes on a aussi Tonton Pierrot (Perret), très porté sur le zizi et les cuisses de mouche, qui casse la vaisselle, ouvre la cage aux oiseaux mais loue avec tendresse «Lily», «Blanche» ou «Mon p’tit loup» et réclame des jardins pour les mômes.

J’ai des cousins dessinateurs, Marcel (Gotlib) et Georges (Wolinski). Le premier dessine des petits Mickeys, des gais-lurons, des souris, des coccinelles, des dossiers dingos et il range tout ça, lui aussi, dans un grand (ru)bric-à-brac XXL comme celui dont je parlais au début. Le cousin Georges ne pense qu’à ça mais il ne faut surtout pas dire que tous les hommes de la famille sont comme lui parce que… c’est la vérité ! Et dans la famille Duscorpion encore plus !

DDS 681 Montres mollesOn a un oncle Salvador (Dali) qui peint des montres molles et des apparitions de Lénine sur un piano mais lui est un peu fou (du chocolat Lanvin !). Je l’aime bien quand même.

Tonton Raymond (Depardon) fait de la photo et Tonton Claude (Chabrol) du cinéma.

Mais à part l’oncle Frédéric (Dard) et notre arrière-grand-père Jean (de La Fontaine) il y a peu de rigolos parmi les gens de la famille Ducancer qui ont fait profession d’écrire.

Quoique… Le grand-oncle Jean-Jacques (Rousseau) a écrit un traité d’éducation alors qu’il a abandonné ses enfants ! C’est drôle non ? Il a pondu le plus beau titre cancérien de la littérature française : « Les Rêveries du promeneur solitaire » et lancé avec ses « Confessions » la mode de l’autofiction nombriliste, ce dont on ne le remercie pas au vu de la prolifération actuelle d’écrits de ce type !

Notre grand-tante George en a fait des tonnes et des retournées. Elle a fumé le cigare, s’est habillée en homme, a désespéré Musset, appris la tristesse à Chopin, eu des tas d’amants mais est finalement restée pour l’éternité la bonne dame de Nohant, attachée à la famille, aux enfants, aux bons repas, à la maison, à la fantaisie : quelle idée de se faire appeler George alors qu’Aurore est un si beau prénom !

Je ne sais trop que penser de l’oncle Antoine (de Saint-Exupéry) : ce philosophe n’était-il pas un brin planeur ? Ni de Tonton Jean (Cocteau), enfant terrible et touche-à-tout dont je n’ai jamais rien lu.

Et c’est parmi ces scribouilleurs qu’on trouve le mouton noir de la famille, celui qui fait des phrases interminables, qui passe sa vie au lit et ne fait rien qu’à dégoiser sur le joli monde des salons parisiens, prétend à tout bout de champ que c’était mieux avant à l’époque du temps qu’on a perdu à faire des caprices de gamin qui ne comprend rien au monde et que, tel Caliméro, « c’est pas juste tout ça ! » même s’il a eu la chance de vivre sans travailler, de décrocher le Goncourt et d’être lu en mode quasi-obligé  par des tas de lecteurs masochistes qui encaissent sans moufter son phénoménal complexe d’Œdipe : « J’étais bien plus heureux, avant, quand j’habitais dans ma maman » décliné en 2300 pages pleines de coq-à-l’âne et vides de découpage en chapitres ! Oui, bien sûr, l’oncle Marcel (Proust), la caricature ultime de la famille, l’allergique, le rêveur naïf et bête, le concierge reclus, le cœur d’artichaut maladif, l’idiot des villages normands, celui qui fait jeter l’opprobre (et même l’eau sale) sur toute la famille Ducancer, le coupeur de poils de cul en huit, le tapé XXL par excellence.

N’es-tu pas de mon avis, cher Onc’ Walrus ?

DDS_681_P604_cancer

P.S. J'en ai oublié trois :

- l'oncle d'Amérique, Donald (Westlake) qui écrit les histoires tordantes de Dortmunder et Kelp ;
- l'Italien Giorgio (Di Chirico) avec sa peinture métaphysique où j'ai mon doigt ;
- le Tchèque Franz Kafka avec sa littérature métamorphose où j'ai mon doigt.

Dans la famille il y a - avait - aussi Guy Béart et Julos Beaucarne qui vient de nous quitter ce samedi. Paix à sa belle âme !


Ecrit pour le Défi du samedi n° 681 d'après cette consigne : XXL

28 août 2021

MAUVAISE CONSCIENCE-FICTION ?

DDS 678 Photo du Défi Superman 129683021

Ça n’existe pas, Superman ! Ou alors, ça ne vaut pas tripette !

Vous avez beau arborer son super-étendard, sa tenue moule-couilles et sa jolie cape rouge, vous n’avez aucun super-pouvoir, les mômes !

Du super-pouvoir, personne n’en a à part Supercon !

2021 08 27 Proust Superman

Cette tenue ridicule, c’est le même genre de super-uniforme bien repérable - bleu horizon, c’est ça, avec un pantalon rouge garance ? - que portaient nos arrière-grands-pères pour partir, la fleur au fusil, reprendre l’Alsace et la Lorraine aux Allemands au motif que des Serbes plus ou moins acerbes avaient zigouillé un archiduc austro-hongrois – hongrois rêver ! - et asséché les chaussettes de l’archiduchesse. Sarajevo pas grand-chose mais sarajefous la merde quand même ! C’était le 28 juin 1914.* Quatre ans de bourbier et 18,6 millions de morts inutiles s’ensuivirent.

Bon d’accord, Superman n’était pas né alors tandis que Supercon est là depuis le début de «l’humanité».

En Afghanistan, ces jours-ci, Supercon a battu Superman à plate couture. Les enturbannés mélophobes ont coupé le sifflet à Supergendarme du monde. Remballe ton rock’n’roll, man !

Plus ça va et plus on se dit que le monde est mal barré – on a dit ça aussi du Titanic – et qu’il n’avait peut-être pas tort dans le fond, le fameux Marcel Proust, de rester chez lui à écrire des conneries dans le fond de son lit.

Pendant qu’on fait ça, au moins, on n’emmerde pas ses voisin·e·s ! **


* Je ne sais vraiment pas pourquoi je n’ai aucun mal à retenir cette date !

** Oui, je sais, on emmerde ses lecteurs ! Mais il n'est pas encore interdit de refermer un livre auquel on ne prend pas de plaisir. Pas encore !


Ecrit pour le Défi du samedi n° 678 d'après cette consigne

24 août 2021

En un mot comme en cent. 9 août 2021, Bouches

Trois bouches me parlent du même bonhomme.

Celle de Marcel Proust m’endort : deux pages de «Combray II» suffisent à me faire trouver les bras de Morphée.

Celle de Jocelyne Sauvard me fatigue : à quoi bon évoquer Céleste et Marcel si c’est pour ajouter d’autres épisodes de l’enfance écrits à la première personne à la façon du «maître» ?

La troisième est passionnante : c’est celle de Céleste Albaret elle-même : «Monsieur Proust»

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Céleste Albaret - Monsieur Proust_

Et il existe même un film sur cette existence en chambre close !

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 Marcel ! Arrête ton cinéma ! 

21 août 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 10, Centon vénitien

VeniseA Venise, ville exquise, j’arrivai pour le carnaval, accompagné de mon ami Reynaldo H., de MAMAN et du livre de John Ruskin, «Pierres de Venise» dont j’espérais bien qu’il me servirait de guide touristique dans la cité des doges puisque Gaston Gallimard n’avait pas encore lancé les beaux objets bibliophiliques de sa collection «Découverte».

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître puisque c’était en 1900, une année un peu folle où Bruxelles Bruxellait, où Venise Venisait et où le carnaval promettait d’être plus joyeux encore qu’à l’habitude car le tournant du siècle ne s’était pas accompagné de la fin du monde prédite par un grand couturier de Paris qui donc continuait de Pariser tandis que dans son coin Buda pestait… presque autant que moi.

vittore-carpaccio-arrivee-des-ambassadeurs-venise- T’as voulu voir Venise et on a vu Venise ! me reprocha MAMAN toute l’année qui suivit ce voyage mais c’était bien à tort qu’elle s’en prenait à moi qui ne m’intéressais alors qu’à ce joli manteau sur le tableau de Carpaccio à la galerie de l’Accademia et qui n’avais même pas voulu l’accompagner à ce bal masqué sur la place Saint-Marc d’où elle et Reynaldo avaient ramené la petite fille, adorable au demeurant, dont ils avaient hérité là-bas.

Au bal masqué ohé ohé, il s’était déroulé un incident regrettable, une farandole tragique. L’Arlequin qui menait la sarabande avait enlevé, par jeu, à une famille française leur petite fille déguisée de la même façon que lui et l’avait intégrée à la chaîne humaine des danseurs allumés qui tournaient autour du campanile puis partaient vers la tour de l’horloge et c’était tout juste s’ils n’entraient pas dans la basilique pour profaner de leur transe vivaldienne le sol de mosaïque – heureusement, le bâtiment religieux avait été fermé – mais au moment où la musique s’est arrêtée Arlequin dans sa boutique chanstiquée a rendu la petite fille… à MAMAN !


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- Laisse les gondoles à Venise ! La prochaine fois on ira voir le printemps sur la Tamise ou te chercher une promise à Vesoul ou Vierzon… ou Aurillac !

Ce fut là le leitmotiv de toute l’année 1900 car MAMAN m’en voulait énormément de cette mésaventure : on n’avait jamais retrouvé les parents de la gamine qui disait se prénommer Céleste «mais je sais pas mon nom de famille sauf que papa s’appelle Ginette et qu’on habite à Aurillac» et les carabinieri qui étaient tout sauf polyglottes haussaient les épaules, écartaient les bras et les laissaient retomber pour bien signifier qu’ils ne pouvaient rien faire de plus et que le mieux était de voir avec le consulat de France : «Franchement, depuis 1515 et même avant, vous ne faites rien qu’à nous embêter, vous, les Francese, que si ça continue vous allez nous rendre Venise invivable à force d’y venir si nombreux vous livrer à vos fredaines homosexuelles comme ce Georgio Sand et cet Alfred de Musset qui ont fait tant de scandale à l’hôtel Danieli…» mais on n’a pas entendu la suite de la diatribe parce que MAMAN excédée a fichu un coup de parapluie sur la tête du brigadier Tarchinini, ce qui n’avait en rien amélioré le climat – climax ? - de la discussion qui avait fini au poste et tout s’était terminé par un retour à quatre à Paris puisque on ne pouvait pas, décemment, laisser à la rue, dans une ville étrangère, notre jeune compatriote au si mignon minois.

***

- Tu me fais tourner la tête ! Mon manège à moi, c’est toi ! Je suis toujours à la fête quand je te prends dans mes bras ! ». Voilà comment je lui déclarais mon amour à Céleste ! Pendant cette année de ma vie au cours de laquelle j’ai fêté mes vingt-neuf ans, j’ai eu une petite sœur de neuf ans, une petite fille, une petite mère et c’est sans doute de cette gamine anodine qui apporta tant de bonheur dans mon existence que MAMAN est tombée gravement, maladivement et méchamment jalouse.

- Je suis malade ! Complètement malade de ce que nous coûte cette peste ! se plaignait-elle à tout bout de champ. Déjà ce voyage d’une semaine à Aurillac où elle dit qu’elle habite mais où personne ne l’a jamais vue et où elle-même ne reconnaît rien et maintenant ces bouquins de la Comtesse de Ségur, ces robes, ces tabliers de bonniche qu’on lui achète pour qu’elle aide en cuisine et serve à table mais va te faire lanlère, avec la gangrène socialiste qui s’annonce bientôt on ne pourra même plus faire travailler des enfants de cinq ans dans les mines ! Pourquoi pas leur offrir des congés payés tant qu’on y est ?

***

Aujourd’hui MAMAN est morte. MAMAN est morte de rire ! Nous somme le 24 janvier 1901. Elle a dit à papa qu’elle avait eu l’idée du siècle et qu’elle s’absenterait quelques jours en février mais que Céleste et Félicie aussi s’occuperaient de la maison en son absence. Papa a à peine levé les yeux de son journal et fait « Moui, si tu veux ». Moi je n’ai rien vu venir.

***

Que c’est triste Venise au temps des amours mortes ! De quelles trahisons ne sont-elles pas capables puis coupables, les femmes et les mères ? Rétrospectivement je crois que j’ai eu raison, lorsque j’avais vingt ans, de lui casser son beau vase de Sèvres le jour où elle m’a acheté des gants gris à la place des gants beurre frais que je lui avais demandés et où, après avoir pleuré et encaissé sa très déplaisante réflexion, j’étais quand même allé voir cette actrice de théâtre très ouverte dans l’espoir qu’elle me dépucèle et où j’étais tombé sur des huissiers en train d’emporter les meubles de son appartement, excusez-moi si je ne suis pas très clair mais je le sais aussi bien que vous qu’un jour mon amour des longues phrases me perdra et d’ailleurs, c’est fait, je suis perdu, trahi, blessé jusques au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle : MAMAN est retournée à «Veueueunise», comme elle dit maintenant avec ironie, en emmenant Céleste avec le costume d’Arlequin qu’elle portait quand on l’a trouvée-recueillie-adoptée.

***

ob_d04a15_par-tullio-pericoli- Derrière chez moi, savez-vous quoi qu’y gn’a ? chantait le campanile sur un air de tarentelle. Il y a la place Saint-Marc, le corso, le carnaval, la farandole et… Arlequin qui, toujours aussi con voire peut-être encore plus que l’année précédente, emmène la petite Céleste dans la ronde folle tandis que MAMAN, contente de son coup, s’éclipse comme la Lune, hilare, soulagée et ayant même peut-être la conscience tranquille en pensant que la famille de Céleste sera peut-être revenue ici elle aussi dans l’espoir de retrouver sa progéniture ou dans l’idée d’un pèlerinage annuel pour faire son deuil mais peut-on effacer tous ces temps de bonheurs perdus ? L’écriture permet-elle de les retrouver vraiment ? MAMAN s’en fout, MAMAN revient retrouver son FIFILS à elle toute seule mais quelque chose est cassé chez FIFILS qui n’aime plus sa vilaine MAMAN.

***

Ce 20 mars 1913 à quinze heures, dès que Marcel P. se réveille et sort de ce cauchemar-là, une fois ingurgités son café noyé de lait chaud et son croissant, il décroche le téléphone et, comme il l’avait noté sur un des cartons à fumigation ce matin en se couchant, il appelle Odilon A., son chauffeur attitré à la compagnie de taxis Gessette-Koulé, pour le cuisiner. Le jeune homme lui a annoncé récemment son indisponibilité à venir pour cause de mariage : il s’en retourne dans la province pour épouser une jeune fille qu’il a connue en Lozère. Marcel a besoin de détails car il souhaite lui envoyer, le jour des noces, un télégramme de félicitations.

- Allô, écoute ! Pardon, écoutez ! Odilon, c’est Monsieur P. Est-ce que vous pouvez me dire où aura lieu la cérémonie de votre mariage le 27 mars prochain ?

- Bien sûr Monsieur Marcel ! Pas de problème ! C’est à Auxillac !

- Aurillac ?

- Non, Auxillac avec un x. C’est en Lozère. Aurillac c’est dans le Cantal.

- Et, dites-moi, Odilon… Serait-ce indiscret de vous demander le prénom de l’heureuse élue.

- Je n’ai pas de secrets pour vous, Monsieur P. Elle s’appelle Céleste. Céleste Gineste.

Bon sang, mais c’est bien sûr ! Marcel se souvient, d’un coup, de la phrase qui le faisait tant rire il y a douze ans : « Mon papa s’appelle Ginette ».

- Monsieur P. ? Vous êtes encore là ?

Odilon entend le déclic de l’appareil qu’on raccroche et il a l’impression bizarre que… le téléphone pleure !

Mais c’est peut-être de bonheur ?
 



Ecrit pour le Défi du samedi n° 677 d'après cette consigne

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9 août 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 8, Bonjour tristesse

Parfois on éprouve le besoin de fuir, de s’échapper, de se perdre.

C’est ce qui était arrivé à Odilon et Céleste, le chauffeur et la bonne à tout faire de Marcel P. Sur cette situation inconnue dont l’ennui certain et la douceur supposée l’indisposaient franchement, celui-ci hésitait à apposer le nom, le beau nom grave de «Congés payés». C’était pourtant bien le cas et à la suite du «troc» négocié avec le couple d’employés, ils étaient partis, le laissant seul dans l’appartement du boulevard Haussmann. Seul ou à peu près.

Marcel, bon prince, leur avait prêté sa voiture et eux lui avaient confié la cage de leur canari, à charge pour lui de nourrir le volatile pendant une semaine.

Le premier matin, une fois le lit défait, l’asthmatique aux longues phrases n’avait pas voulu montrer à l’oiseau qu’il avait des bleus à l’âme mais Caliméro – quel nom idiot ! –, le doux oiseau de la jeunesse, avait bien perçu qu’un orage immobile menaçait, qu’un certain sourire crispé déformait quelquefois le visage de l’écrivain et c’était là le signe qu’un chagrin de passage envahissait l’appartement. Les domestiques manquaient au maître qui ne comprenait pas cet abandon imprévu de leurs rituels communs et ce uniquement pour s’en aller chercher sans lui à St-Tropez un peu de soleil dans l’eau froide. Et ce piaf à nourrir c’était en quelque sorte l’écharde de trop dans le contrat. Avec un canari il fait beau jour et nuit, dit-on. Celui-ci ne chantait pas, celui-ci ne sifflait pas : Caliméro tirait la tronche lui aussi.

La cohabitation des deux protégés de Céleste ne dura du reste que deux jours. Au matin du troisième Marcel était sur le trottoir en bas de chez lui avec une petite valise et la cage de Caliméro dans laquelle – bonheur, impair et passe – on avait l’impression que «faites vos jeux !» rien n’allait plus. Avec quoi le canari avait-il joué à la roulette russe, à quel barbiturique devait-il son coma bizarre ? La bête était allongée au fond de la cage, l’œil étrangement ouvert fixant à travers les barreaux les merveilleux nuages de l’été 1954 mais la garde du cœur vivant de l’oiseau par Marcel semblait bien avoir tourné court : plus question pour l’organe vital de battre la chamade eût-on dit.

***

Bien sûr, depuis l’histoire de l’Aronde 54 et les entreprises érotico-farcesques d’Odette Dejeux, Marcel se méfiait des femmes au volant mais là il y avait urgence : il fallait rendre Caliméro à Céleste A. dont le rire incassable venait à bout de tout problème. Qui plus est, en matière de science vétérinaire, elle était la sentinelle de Paris, capable de soigner toute fièvre, de ranimer le cheval évanoui avant qu’il ne fît le régal des chacals. Elle seule eût pu, à l’instar du père d’Odette D., extirper une molaire au lion de Belfort s’il eût seulement souffert d’une rage de dents au lieu de faire le fier dehors.

Comme Odilon n’était plus là pour le véhiculer, il avait eu recours aux ami·e·s automobilistes et son chauffeur du jour qui se garait justement là devant lui n’était autre que la princesse Valentine de Sagan, l’épouse du prince «caracollant». Les Sagan étaient de toutes les premières, de tous les bals, de toutes les fêtes, du tout Paris aimant, du tout Paris dément et le couple l’avait pris en amitié. Marcel avait droit aux petites tapes derrière l’épaule de la part de Maurice qui le surnommait par moquerie «Le gigolo» tandis que Valentine lui confiait, quand ils se voyaient seul à seule, le récit des chassé-croisé de ses relations saphiques ainsi que d’autres secrets d’alcôve et d’alcools contre lesquels elle n’avait absolument rien. Elle et lui, finalement, étaient devenues «de très bonnes copines» de cheval car elle faisait aussi de l’équitation.

Voilà pourquoi il monta bien plus rassuré que la dernière fois dans ce petit bolide, une Jaguar de type E, que la Sagan conduisait toujours les pieds nus. Moyennant quoi, une fois quittée la capitale, il serra les fesses tout le temps que dura le voyage. La jeune femme un peu garçonne avait un profil perdu de pilote automobile italien et, telle Fangio, ne conduisait jamais en dessous de 160 kilomètres à l’heure. Sur cette belle nationale 7 « que l’on soit quatre cinq six ou sept, qu’on aille à Saint-Trop’ ou à Sète » que Charles Trénet chanterait et enregistrerait un an plus tard, il avait souvent vécu l’enfer pour ne pas mettre pied à terre et se faire traiter de « poulette mouillette ».

Jeu 67 de la Licorne jaguar

***

Nous n’utiliserons pas les faux-fuyants habituels. La nuit que Marcel et Valentine passèrent dans la maison de Raquel Véga fut une de ces nuits d’ivresse et de folie qui font la renommée de la Riviera française. Il est des parfums qui ne trompent pas et celui de l’opium dans ce bal costumé, la vue des poudres blanches et des verres coolorés – ce n’est pas un néologisme, c’est une faute de frappe bienvenue - emplis de cocktails étranges, l’alcoolisme et le désir d’éclate de tous ces fêtard·e·s déguisé·e·s laissaient à penser de façon sûre qu’on pratiquait ici les toxiques au premier degré.

 

Jeu 67 de La Licorne Proust en cornette

Dans la bousculade des plateaux à petits fours et des coupes de champagne entrechoquées Marcel P., déguisé en bonne sœur à cornette et trimballant toujours la cage de l’oiseau moribond pour lequel il se faisait un sang d’aquarelle, avait eu droit aux confidences d’une licorne rose.

- Car que cherchons-nous ici, sinon à plaire ? disait-elle. Je ne sais pas encore si ce goût de conquête cache une surabondance de vitalité, un goût d’emprise ou le besoin furtif, inavoué, d’être rassuré sur soi-même, soutenu. Pourquoi il ne bouge plus votre petit oiseau ?

- Je crois qu’il dort. Le voyage en Jaguar a dû le fatiguer. Vous a-t-on déjà dit que vous avez des yeux de soie ?

- Oui ! On me le dit souvent et j’adore passer des nuits de satin blanc. Seriez-vous l’heureux propriétaire d’un château en Suède, ma soeur ? J’ai toujours rêvé de visiter la Suède avec des chaussures bleues et la bénédiction de la religion.

Plus loin la robe mauve de Valentine avait fait beaucoup d’effet à une jeune Lucrèce Borgia déjà bien pulpeuse. La femme fardée, vêtue d’un costume de diable rouge bien qu’elle ne fût pas belge, lui avait confié qu’elle était actrice de cinéma et qu’elle tournait actuellement avec Jean Marais dans un film de Marc Allégret dont le titre serait « Futures vedettes ».

Au fur et à mesure qu’avançait la nuit des couples improbables se faisaient et se défaisaient, s’éclipsaient parfois dans des chambres derrière un écriteau « Ne pas déranger » et d’où s’échappaient souvent quelques cris étouffés, on sait se tenir, quand même, même quand on se lâche.

On put croiser ainsi une carpe et un lapin, une Castafiore et un marin doté d’un anneau à l’oreille, un clone de Landru avec une Piaf minuscule dont la petite robe noire toute simple avait su allumer le cœur et chauffer les sens du bonhomme car ils partirent tout de suite après terminer la nuit dans le foyer du monsieur.

Valentine avait disparu elle aussi avec sa Lucrèce-Brigitte. Etaient-elles allées prendre sur le coup de minuit un bain de lait d’ânesse ou jouaient-elles quelque part dans la grande villa au jeu de la bête à deux bardots ? C’est toujours ce qui se passe chez Bellini quand la Norma drague, non ? De guerre lasse Marcel, un poil éméché et plutôt barbouillé de mélanges divers et de tristitude d’été, finit sa nuit dans la Jaguar en racontant à Caliméro des fadaises de ce genre-ci :

- La netteté de mes souvenirs à partir de ce moment où je trempe ma madeleine dans le thé m'étonne. J'ai acquis une conscience plus attentive des autres, de moi-même. La spontanéité, un égoïsme facile ont toujours été pour moi un luxe naturel. J'ai toujours très bien vécu comme cela. Or, voici que depuis trois jours ta présence m'a assez troublé pour que je sois amené à réfléchir, à me regarder vivre. Je passe par toutes les affres de l'introspection sans, pour cela, me réconcilier avec moi-même. Ce sentiment de la mort du travail est bête et pauvre, comme ce désir de séparer les maîtres et les domestiques est féroce. C’est vraiment une connerie, ces «congés payés» ! Pourquoi pas bosser trente-cinq heures par semaine et avoir la retraite à soixante ans pendant qu’on y est ? Bonjour, tristesse des temps nouveaux ! Enfin, s’il faut être absolument moderne, comme a dit je ne sais plus qui, n’attendons pas ! Dans un mois, dans un an, il sera trop tard. De toute façon, c’est là et bien là ! Las et bien las !».

Après quoi il s’endormit.

***

Jeu 67 de la Licorne Saint-Tropez

Le lendemain matin, tout courbatu, sans se soucier de retrouver Valentine et Brigitte qui avaient dû filer sur une plage abandonnée ramasser coquillages, crustacés et bribes du parfait amour, il prit son petit-déjeuner dans un bistrot du port où l’on ne s’étonna pas plus que ça, avec tous ces fadas de Parigots qui débarquaient l’été, de servir des croissants et du thé à une bonne sœur à moustache, dotée d’une cage à serin, et qui réclamait des madeleines. Serein, on le restait toujours dans ce troquet même si, certains jours, l’envie ne manquait pas au patron d’inscrire du meurtre à la carte des plats servis !

Comme il ne possédait pas l’adresse ici d’Odilon et Céleste il passa à l’Office des maisons louées où il fit chou blanc. Il traîna dans les rues du village de pêcheurs, flâna dans les boutiques de mode, revint poser au marbre de la table en terrasse du bistrot des cartes postales qu’il entreprit de remplir en sirotant un nouveau thé.

Exécuter ce cérémonial avait pour objectif de retrouver les petites musiques des scènes qu’il avait vécues depuis qu’il avait quitté Paris. Les violons parfois s’envolaient dans les aigus pour souligner le passage au-dessus de la Loire et Valentine qui avait klaxonné tout le long du pont de Nevers pour marquer sa joie d’être libre, jeune et heureuse. Un piano dans l’herbe évoquait de façon joyeuse le restaurant «Les Routiers» où ils avaient déjeuné, tels des nobles s’encanaillant, en compagnie de camionneurs baraqués ; du pauvre, forcément, le piano, avec des bretelles et des boutons pour soutenir le pantalon en accordéon. Un quatuor de clarinettes rappelait le jeu des quatre coins du cœur – et du cul ! – dans la maison de Raquel. Une flûte élégante et solitaire illustrait un certain regard tendre de la Licorne aux yeux de soie. Et puis, bien sûr, le silence au bas de la carte – un soupir, ça allait de soi ! – pour y écrire, avant de signer « Avec mon meilleur souvenir et toute ma sympathie ».

***

Jeu 67 de La Licorne plage

 Et puis le miracle des retrouvailles eut lieu. Sur le coup d’onze heures il se rendit à la plage où il y avait un monde fou. Il ôta ses souliers et ses chaussettes pour marcher pieds nus sur le sable au milieu des enfants, des ventres rebondis, des parasols, des coups de soleil, des ballons, des jeux de jokari et sa silhouette de bonne sœur à cornette devait, de loin, apparaitre aussi reconnaissable, incongrue et remarquable que celle de mon oncle Hulot, le fumeur de pipe à chapeau, sur la plage de Saint-Marc-sur-Mer.

Céleste et Odilon qui se chahutaient comme des mômes autour d’un matelas pneumatique Fina furent évidemment bien surpris de s’entendre héler par cette religieuse austère qui jurait dans le paysage en agitant une cage à oiseaux au-dessus de sa cornette. Intrigués ils sortirent de l’eau et s’approchèrent de la jaune laide nonne qui criait «Help !».

- Monsieur Marcel ? Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous avez viré travelo ?

- C’est à cause de l’oiseau. Il s’est réfugié dans le fond de la cage et il ne bouge plus.

- Et vous avez fait le voyage de Paris uniquement à cause de ça ? demanda Odilon. Peut-être bien qu’il est tout simplement crevé !

- Il n’y a pas de raison. Le voyage a été calme. La princesse de Sagan n’a pas conduit trop vite. Elle n’a jamais dépassé le 160 kilomètres à l’heure.

- 160 ? Il a dû faire une crise cardiaque dans un virage, voilà tout !

- Faites voir la cage, ordonna Céleste.

Elle ouvrit la porte de la petite prison, saisit le corps de Caliméro mais celui-ci se mit à battre des ailes, à voleter vers la sortie, empli de la joie d’entendre à nouveau la voix de sa maîtresse. Il trouva même le moyen de calter à l’air libre et d’aller se percher sur l’une de ses épaules afin de lancer des trilles énamourés aux oreilles recouvertes d’un bonnet de bain en caoutchouc blanc de Céleste.

Marcel restait abasourdi par ce passage de la catalepsie à un excès contraire mais finalement il était tout heureux de ce rendez-vous manqué de l’animal avec la mort.

***

Sur la route du retour, enfin débarrassé de son déguisement de nonnette en cornette et de l’oiseau capricieux qu’il avait laissé à ses maîtres après le repas au restaurant, il confia à Valentine disparue puis retrouvée ses sentiments intimes.

- Finalement, les oiseaux ne sont pas des cons. Celui-là a réussi à me manipuler et il s’est retrouvé là où il voulait aller, auprès de sa maîtresse, en vacances, à danser le twist à Saint-Tropez.

- Peut-être ! Peut-être, Marcel ! répondit la princesse de Sagan tellement plongée encore dans les brumes de l’alcool, l’ivresse des drogues et le souvenir de l’amour d’une seule nuit que par prudence elle ne roulait plus qu’à 140. Mais peut-être que les oiseaux sont des cons quand même : tu viens sans doute de faire la connaissance d’un canari homophobe !

Cela laissa Marcel muet jusqu’à ce moment du putain de camion où la conductrice dut faire une embardée afin de l’éviter et où la voiture finit sa course folle contre un platane (What else, in France ?).

Là il cria et se redressa en sursaut sur son lit. Il alluma sa lampe de chevet et lut «4 h 47» à sa montre.

A moitié soulagé, il remit le drap sur sa cage, s’agrippa des deux pattes au barreau et se rendormit tout heureux d’avoir survécu aussi au pire dans cet univers-là. Pour un peu il aurait siffloté la berceuse de Brahms dont il ne savait pas s’il l’aimait ou pas. Mais son organisme préféra ronfler comme un moteur de Ferrari.


Ecrit pour le jeu n° 67 de Filigrane (la Licorne) d'après cette consigne

27 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 3, Odette Dejeux

Plus il se couchait de bonne heure et plus il s’endormait tard. Plus il passait des journées vides à jouer au salonnard snobinard et plus ses rêves étaient peuplés de personnages bien vivants, bien actifs, qu’il ne connaissait ni des lèvres ni des dents et pourtant, cette fois-ci, il aurait pu.

Elle s’appelait Odette Dejeux. Son père était le roi du bridge et il avait trouvé une martingale géniale pour gagner beaucoup d’argent à la roulette : il était chirurgien-dentiste.

C’était une blonde ravissante et à dix-neuf ans, elle avait déjà son permis de conduire et possédait sa propre voiture, une Simca Aronde 54.

Marcel P. s’étonnait beaucoup de ce qu’elle s’intéressât à lui au point de lui proposer, ce jour-là, une balade en voiture jusqu’au sommet du mont Pilate.

Il se sentait perdu dans ce cauchemar-là et comme soûlé du piapiatage insignifiant de la donzelle, tout aussi plein de vides que ses propres longues phrases.

Tantôt elle lui parlait de son grand-père qui était tombé au Chemin des Dames (cinq ans plus tôt ???), tantôt de sa tante Alphonsine qui avait triomphé au Châtelet dans le « Mikado » de Gilbert et Sullivan et dont la tournée était allée jusqu’aux Philippines. A Manille elle avait rencontré celui qui était devenu son mari, Augustin Lacrapette, un négociant richissime, tout le contraire d'un pouilleux mais barbu autant que Landru et surtout pas du tout puant comme millionnaire. Cette union faisait suite à une belle série d’échecs sentimentaux d’autant plus retentissants qu’ils étaient restés secrets, sauf pour la famille.

Odette conduisait très vite et avait tendance à se déporter sur la gauche dans les virages pendant qu’elle énumérait les ramifications de son arbre généalogique. En même temps que cela elle mâchonnait une espèce de bonbon élastique bizarre que Marcel n’avait jamais vu auparavant et avec lequel elle faisait surgir parfois, en soufflant dedans, un petit ballon rose hors de sa bouche très maquillée.

En voyant son étonnement devant cela, elle avait chantonné :
- Fraîcheur de vivre, Hollywood chewing-gum ! Mais en réalité c’est un vrai Malabar ! J’aime bien ce mot ! Pas toi, Marcel ?

- On devrait installer des ceintures de protection pour éviter les accidents dans ces voitures rapides, avait-il suggéré en retour, complètement hors sujet. La sécurité était le dada de Marcel et c’était paradoxal parce qu’il passait la majeure partie de son temps chez lui et ne sortait pour ainsi dire jamais de Paris.

Il avait d’ailleurs longtemps écarté cette idée d’un voyage en Suisse et il avait fallu que sa gouvernante, Dame Céleste A., lui annonçât tout de go qu’elle allait prendre des vacances pour qu’il se décidât à concrétiser ce projet de voyage en Suisse. Il avait ouvert des yeux en boule de loto. Comment Céleste pouvait-elle bénéficier, en 1922, de congés payés alors que ceux-ci ne seraient accordés à la populace travailleuse qu’en 1936 ?

Et cette fille qui avait fait plus de mille bornes avec son petit bolide lui vantait, entre deux récits de vie familiale, les prouesses de ses petits chevaux fiscaux, la souplesse du débrayage, les reprises du moteur, meilleures que celle d’un V8 américain.

Et justement, comme, on atteignait le sommet du Pilate et que Marcel avait décidé de s’en laver les mains de ces bizarreries, ledit moteur se mit à tousser. Odette rétrograda et emprunta un petit chemin de terre pour mettre le véhicule à l’écart de la route. Elle fit encore cent mètres en cahotant puis l’automobile stoppa, comme morte, à l’abri de tous les regards.

- Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit le loser asthmatique.

- Ca aurait dû me tarot-der plus vite mais la jauge est à zéro !

- La jauge ? Quelle jauge ?

- Le voyant du réservoir d’essence. Il est vide. On est en panne, Marcel !

- Ah ? Et que faut-il faire dans ce cas-là ?

- Montrer qu’on est un homme !

Elle avait approché son visage du sien et vite, très goulument, elle avait collé ses lèvres contre les siennes, mordillé sa moustache, passé ses deux mains dans ses cheveux brillantinés, introduit sa langue dans sa bouche et elle tournait, tournait, suave et sucrée, autour de la sienne alors que ses yeux à lui, grands et brillants comme des billes d’un flipper affolé, ne voyaient plus que les arbres penchés du chemin forestier. Marcel était comme électrisé.

Puis elle s’était écartée de lui, lui faisant cadeau de la boulette de gomme rose qu’il avait calée entre ses molaires interloquées. Elle avait ouvert la boîte à gants, en avait sorti un petit sachet carré et brillant qu’elle lui avait tendu.

- C’est un chewing-gum ? J’ai déjà celui que tu m’as laissé ! marmonna-t-il.

Elle avait éclaté de rire et répondu :

- Déchire-le !

Pendant ce temps elle s’était penchée sur le bas ventre du gars Marcel, avait débouclé sa ceinture, déboutonné sa braguette. Et maintenant sa main s’insinuait dans son caleçon, caressait…

Caressait pas grand-chose en fait !

Deux noix de cajou molles et un canari-dicule sans aucune dureté, aspérité ni turgescence.

Marcel, lui, agonisait, balbécutiait, se comportait en nonne qui geint, estomaqué par l’audace d’Odette qu’il jugeait odieuse.

- Ben alors ? C’est tout l’effet que je te fais, Marcel ?

C’est à ce moment-là qu’il avala le chewing-gum puis lâcha, exsangue :

- Je t’en prie, laisse tomber, Odette !

- Laisser tomber ? Encore eût-il fallu pour cela que l’objet fût monté et bien monté mais ce n’est pas le cas ! répondit-elle en retirant sa main.

Puis il se réveilla en nage et sortit de la chambre pour aller pisser.

***

Quand il se recoucha il se rendormit vite et retrouva la suite de son étrange rêve. Il marchait, seul, sur la route qui descendait à Lucerne, le pantalon mal reboutonné, la cravate de travers, décoiffé, un jerrycan vide dans la main droite, en direction de la station-service qui se trouvait à mi-pente.

Plus haut sur le Pilate Odette avait remis le préservatif intact dans la boîte à gants et puis elle était sortie éclater de rire à nouveau au grand soleil.

Jeu 66 de La Licorne (femme)

C’est la première fois qu’elle se retrouvait échec et mat avec son coup de la panne, une stratégie de séduction qu’elle avait apprise sur une plage de Belgique et qui s’était toujours révélée payante jusqu’à aujourd’hui.

A vrai dire la partie n’était que nulle. Elle était pat seulement, à ne plus pouvoir bouger de la voiture tant la panne de Marcel et la révélation qu’il lui avait faite de sa préférence pour les garçons l’avaient laissée morte de rire sur le siège conducteur de l’Aronde 54.

Elle aimait faire marcher les mecs ; aussi, parce qu’il méritait bien cela en guise de punition, de se taper un kilomètre à pied avec son jerrycan, elle attendit un quart d’heure avant de remettre le moteur en marche.

En arrivant à sa hauteur, elle ralentit, baissa la vitre du passager et lui lança :

- C’est une station Esso, Marcel ! Demande-leur de mettre un tigre dans ton moteur !

Cependant, parce qu’elle n’était pas mauvaise fille et qu’elle aimait beaucoup les contrepets, elle l’attendit à la station pour récupérer son jerrycan et redescendre le z’héros du jour à Lucerne.

- Je m’en souviendrai, de ce nain jaune ! songeait-elle. Mais qu’on ne me demande pas l’impossible : je ne cajole pas les noix des mous !


Ecrit pour le Jeu n° 66 de La Licorne (Filigrane) d'après cette consigne

10 juillet 2021

LES ÉTRANGES RÊVES DE MARCEL P. Chapitre 2, L'Étrangère

210708 285 007

- Le chien de ces gens-là est un berger américain. Il s’appelle Olaf parce que c’était l’année des O pour les noms de chiens de race quand ils l’ont adopté. Leur chat s’appelle Halloween à cause des enfants qui l’ont baptisé ainsi.

On a été très bien reçus chez eux. Lui avait préparé une terrine de poisson en entrée. Il nous a servi un apéritif truffé ramené du Périgord et elle a obtenu de son poissonnier quatre Saint-Pierre qu’il garde en réserve pour ses bons clients.

210708 285 005En dessert il y avait des mousses diverses et un mille-feuilles. Après le café on est allés promener Olaf dans le jardin du Pont toqué. C’était à Saint-Malo, pas loin de l’I.U.T. On a vu la mer au loin puis le phare de Rochebonne qui ressemble un peu à une église.

Tu te souviens de tout ça ?

- Non ma mémoire est morte, je n’ai plus de feu. Comment s’appelaient-ils déjà ?

- Adrienne et François de Franquetot. Lui jouait aux échecs au club de Dinard et il connaissait Jean P. qui donnait des cours au club de Pacé où ils avaient vécu auparavant et que tu as fréquenté une année quand tu as joué le lundi soir au club de Vezet-le-Coquin. Tu ne te souviens vraiment pas des tatouages de François ? Il paraît qu’il est renommé pour ça dans le quartier et qu’il se fait une fierté de les exhiber en se baladant torse nu même dans la rue et les commerces. C’est aussi un spécialiste du barbecue à double injection et enfumage direct, roi de la descente de merguez en rapides, arrosé d’un Entre deux-mers assez fameux. Il nous en a servi aussi avec le poisson.

210708 285 003Elle, c’est mon amie Adrienne. Eté comme hiver elle porte une cape rouge par-dessus ses vêtements et ne se met aux pieds que des sandales ouvertes.

Jusqu’au 30 avril, date à partir de laquelle la plage est interdite aux chiens, Adrienne descend faire courir Olaf sur la plage du Minihic. Assez souvent elle s’arrête chez ses amies du quartier et leur propose d’emmener leur chien avec Olaf. Il n’est pas rare de la voir ainsi balader trois ou quatre chiens en laisse. Cela constitue un attelage aussi composite que disparate. Le plus drôle c’est quand elle emmène le chihuahua de Marcelle et les deux Danois de Dorothée.

A propos du chihuahua, ils nous ont raconté l’histoire de leur ancienne voisine. Le tout petit jardin de cette dame était contigu au leur. Elle n’y avait planté que deux groseilliers et on ne l’y voyait presque jamais, comme si elle craignait de brûler sa peau blanche au soleil de Saint-Malo pourtant peu généreux en ultraviolets ultraviolents. C’était visiblement une travailleuse de l’ombre, «genre scélérate de bibliothèque», comme disait François qui adorait calembourrer le mou aux cordes à noeuds. Une travailleuse intellectuelle à domicile. Elle tapait à la machine à écrire des traductions faites par elle de manuels de machines à cappuccino, des traités de botanique ou des recueils de poésie flamande du XIXe siècle. Tous les soirs elle mettait une grosse enveloppe dans la boîte aux lettres jaune. Son travail de la journée partait chez son employeur à Paris.

Elle n’était pas bruyante, non, mais le «tap tap tap» des doigts sur la machine, le «dzing dzing» du retour chariot de sa Remington, les jurons retenus dans toutes sortes de langues étrangères qu’elle laissait échapper malgré elle lorsque deux touches empotées venaient frapper en même temps le ruban rouge et noir de la machine et empâter le tapuscrit, cela constituait un bruissement de fond que les de Franquetot n’appréciaient guère. Trop de modestie tue la modestie. Trop de différence tue la différence.

Le quartier était si bruyant avant la venue de l’étrangère ! On ne craignait pas de klaxonner, de claquer les portes des voitures, d'applaudir les courses cyclistes, de tondre la pelouse avec le motoculteur à toute heure du jour, d’écouter Ray Ventura à tue-tête sur Radio Hilversum ou Radio Luxembourg en faisant de la bronzette en maillot deux-pièces sur la pelouse.

Et puis voilà-t-il pas qu’un jour L’Emilienne – la traductrice se prénommait ainsi et se nommait Demongeot – s’était fait livrer un piano droit.

Croyez-vous que c’était pour massacrer Chopin ou répéter en boucle la « Lettre à Elise qui pour de vrai s’appelait Thérèse » de Beethoven, voire pour faire des gammes de débutante ou accompagner du Roland de Lassus chanté avec une voix de Castafiore ? Pas du tout !

Il s’était avéré qu’elle était une mélomane monomaniaque, musicienne émérite, et qu’elle passait ses après-midi à jouer, à la perfection, toutes sortes d’œuvres de Mozart. Uniquement du Mozart ! Or s’il y avait bien quelqu’un qu’Adrienne et François détestaient, c’était ce Wolfgang Amadeus avec ses « too many notes ».

Que dire, que faire ? Le plus énervant de tout était sa discrétion de souris grise. Elle jouait du piano et tapait à la machine fenêtres fermées même au cœur de cet été-là qui s’avérait caniculaire.

Mais rien qu’à la savoir là, on les entendait quand même ses «tip tip type» de «C’était par une nuit sombre et orageuse» et ses «trop de notes, Wolfie !» «Silence, Archiduc, vous n’êtes qu’un fat même pas dièse !».

Finalement, c’est un chihuahua qui leur avait sauvé la vie. Au détour d’une conversation anodine sur le trottoir, Adrienne avait appris qu’Emilienne avait eu jadis des chats et aussi un chien.

210707 Nikon 052Elle était allée à la SPA adopter un chihuahua et l’avait offert à la voisine.

«Il est né l’année des M alors il s’appelle Marcel. On m’a dit que c’est un très bon ratier. Vous qui fréquentez les bibliothèques, emmenez-le, il se régalera, là-bas ! Il a bon appétit et n’est pas peureux du tout. Je vous offre même la laisse étirable-rétractable, le dernier modèle, ainsi que le lance-baballes de compétition. Sortez-le souvent mais n’oubliez pas qu’à partir du 1er mai vous ne pouvez plus descendre sur la plage ! »..

Emilienne avait remercié et la vie des de Franquetot s’était améliorée. Le matin et l’après-midi la traductrice sortait Marcel et elle ne tapait plus à la machine que le soir quand eux recevaient bruyamment autour d’un barbecue leurs grands amis, les Lordurhin, les Dejeux, Maryline de La Faisanderie, Jean Chwalrus, Marie-Joye de Jésus-Demeure et les Duras-Tiniak, Eugène et Marguerite, avec qui ils avaient fait du trekking au Népal.

Et puis il y avait eu l’accident, le terrible accident qui avait provoqué le déménagement en catastrophe de l’Emilienne.

Un matin dans le parc du Pont toqué la laisse du chihuahua lui avait glissé des mains. Marcel, une fois déchaîné, s’était déchaîné et avait retrouvé sa sauvagerie naturelle : il avait bouffé les deux Danois de Dorothée qui les promenait là et ce sous les yeux horrifiés de leur maîtresse tétanisée.

Emilienne avait observé la scène de loin et elle s’était carapatée sans demander son reste. Elle avait filé en centre-ville contacter une agence immobilière et aussi les transporteurs appelés «Les Déménageurs bretons».

Le lendemain même le piano droit, la machine à écrire et l’attirail à cappucino étaient emballés dans des cartons, chargés dans le camion et emmenés en Belgique où elle avait trouvé une grande maison à l’écart de toute civilisation.

C’est en évoquant de telles situations qu’on s’en aperçoit : ça n’a pas que des inconvénients, le télétravail !
 

210708 285 009



Ecrit pour le Défi du samedi n° 671 d'après cette consigne :

DDS 671 Consigne 129443527 

Au prix de patientes recherches,
nous pensons avoir mis la main
sur la photo du chihuahua
redouté par l'Adrienne

3 juillet 2021

VAMOS A LA PLAGIAT !

Longtemps il s’était couché de bonne heure. Le corps apaisé d’une journée où il n’avait encore rien foutu de sa corée, comme on dit dans le Nord où ce mot n’a absolument rien à voir avec Kim Il Sung, Kim Jong Un, Kim Basinger ou Kim Novak, pas plus avec la Corée qu’avec la chicorée des maisons Leroux, Lestarquit ou Williot et où peut-être on pouvait trouver, à la rigueur, à ce mot "corée" - synonyme de corps ? - un rapport lointain avec la chorégraphie bien qu’on ne pratiquât pas plus la danse classique dans les corons que le boogie-woogie avant la prière du soir, il cherchait le sommeil en se plongeant dans quelque livre qu’on appelle de chevet parce qu’il est difficile, justement, au lit, de les achever, soit que l’on s’endormait dessus d’ennui, soit que, passionnant à outrance, ils était lu avec cette voracité telle qu’elle donna naissance à l’expression « dévorer un livre » et lors, la sagesse et la folie étant ce qu’elles étaient, on allait au bout de ses possibilités et, même si on avait tenu jusqu’à une heure du matin, les forces physiques n’étaient plus là, les paupières tombaient, les yeux se fermaient, on ne comprenait plus ce qu'on lisait, on éteignait la lampe, vaincu par sa fatigue et l’épilogue tant attendu était remis au lendemain. 

DDS 670regard-sur-les-cosmetiques-1712

Lui n’allait pas jusque-là et ne l’atteignait pas facilement pour autant, le pays des songes : un chapitre ou deux lui suffisaient pour arriver à ce moment de l’extinction mais c’était alors que surgissait le cauchemar. Une fois la lumière éteinte, il se tournait, se retournait, cherchait son trou, sur le côté gauche, sur le droit, sur le ventre, sur le dos, la tête tournée vers la droite, la tête à gauche et qu’eût-ce été s’il avait porté barbe longue, la poser sur ou sous le drap, situations horripilantes à souhait. Il aurait pu en tartiner, des pages, sur sa recherche du temps perdu ainsi à rechercher le calme, la position fœtale, la zénitude, la sensation d’être «ben aise», la chaleur des bras de Morphée, l’entrée dans le monde des rêves, le possible assommoir du sommeil régénérateur.


Et puis, à un moment donné, les fantômes arrivaient.

DDS 670 Lucerne aquarelle

C’étaient de parfaits inconnus, aucun n’avait le visage d’une de ses connaissances dans la vie réelle. Ils n’étaient pas les mêmes chaque nuit mais leur élégance était parfaite et le décor était toujours identique. C’était un pont de bois couvert qui joignait les deux rives d’une large rivière. Le pont était coudé en son centre et de l’endroit où il se trouvait, il apercevait une tour pointue de forme hexagonale dont aurait pu croire les fondations enfoncées dans l’eau-même. Plus loin une église baroque arborait deux clochers à bulbes qui lui rappelaient ce pays disparu dans les limbes, la Tchécoslovaquie dont il se rappelait les lettres disposées au cul des véhicules : CZ ainsi que le nom de Pilsen, une ville dans laquelle on fabriquait de la bière. Au-delà de ce décor une chaîne de montagnes aux sommets enneigés confirmait cette impression que tout fout le camp dans les Balkans et qu’on est con sous un balcon.

DDS 670 Albertine-1Les fantômes venaient se rassembler autour du banc sur lequel il était assis mais ils ne lui adressaient pas la parole. Ils parlaient entre eux, sans élever le ton, avec dignité mais sans chercher à éviter qu’on ne les entendît pérorer ou écoutât médire. A peine, de temps en temps, l’un d’eux jetait-il un œil dédaigneux sur ce scribe étranger qui prenait soigneusement note dans un cahier de leurs conversations. Personne ne s’en offusquait. Dans leur monde, on se fichait pas mal de ce que pouvait être la littérature. Il n’y en avait peut-être pas. La transformation du réel en fiction pour mieux saisir la réalité du monde, les fantômes s’en fichent, ils savent que rien n’a de réalité et que la vie elle-même est une fiction. Leurs noms n’étaient-ils pas des pseudonymes à consonance modianesque ? Tantôt venaient du pont couvert Odette Dejeux, Madame Lordurhin, le cheik d’Arabie Swan Lawrence, le baron Jean Chwalrus, la duchesse Albertine Troussecotte, tantôt palabraient près de lui le comte d’Argentcourt, le docteur Pascal, Vanina von Faffenheim-Munsterburg-Weinigen, les cousines Marianne et Sarah De Kat. La plus intrigante de toutes ces dames était la marquise Adrienne de Franquetot, laquelle portait immanquablement une longue cape rouge et tenait en laisse deux danois et un chihuaha.

Dans la vie comme dans le rêve, nous promenons toujours des attelages bizarres.

De toute façon, au réveil le lendemain, il ne retrouvait aucun cahier, aucune note et les conversations s’étaient enfuies dans la nuit de l’oubli.

Car après les fantômes, il y avait l’envahissement par Richard W. qui venait s’asseoir sur le banc, lui prenait le bras et lui racontait avec un enthousiasme forcené comment il avait trouvé le bonheur ici à Tribschen de 1866 à 1872 et comment auparavant il avait été sauvé par des biscottes. Si, si, des biscottes salvatrices, ça existe !

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- Figure-toi, mon petit Marcel, lui disait-il, que j’étais en panne d’inspiration sur l’acte III de «Tristan et Isolde». Mais en panne à un point qu’un aviateur dans le désert aurait pu me dessiner des moutons sans que ça ne me donne plus que ça d’idées pour avancer ou d’envie de becqueter des côtelettes. Alors pour oublier je canotais sur le lac des quatre Canetons, je m’épuisais en ascensions du mont Pilate et du Rigi, j’allais au musée des glaciers et même au Festival de la Rose d’or pour écouter des chansonnettes et ça n’y changeait rien. En panne, en panne, en panne ! Plus aucune musique à venir ! Tu ne sauras jamais grâce à quoi ça c’est décoincé !

Dans son endormissement Marcel ne répondait pas mais Richard n’en avait cure. Il était de ces locuteurs qui n’ont besoin d’une paire d’oreilles extérieures que comme faire-valoir, l’exemple même de l’Emetteur contemporain de pouces baissés plutôt que levés, qui twitte son avis sur tout, intervient partout et ne sait même plus que les oiseaux, lorsqu’ils ne sont pas bleus, chantent bien plus joli que le son du streaming. Ce genre de gens qui ignorent qu’au milieu des villes coule une rivière et que l’on peut murmurer à l’oreille des chevaux sur la route de Madison ou qu’on peut vivre plus proprement avec un portable éteint en permanence.

 

DDS 670 Zwieback

- Les Zwieback, Marcel ! s’esclaffait Wagner car c’était bien lui, les plus perspicaces de nos lecteurs et lectrices l’auront identifié sans peine. Je logeais alors à l’hôtel Schweizerhof et un jour où je contemplais le ciel gris avec un parfait désespoir je reçus par la poste, envoyée par Mathilde Wesendonck, de Zurich une boîte de biscottes (Zwieback). Enfant ! Enfant ! Enfin ! Les zwieback ont produit leur effet ; grâce à eux, j’ai franchi certaine mauvaise passe où je restais empêtré depuis huit jours, n’ayant pu avancer dans mon travail musical notamment pour trouver la transition du vers "ne pas mourir de désir" au voyage en mer de Tristan blessé. Quand les zwieback arrivèrent, je pus me rendre compte de ce qui m’avait manqué : ceux d’ici avaient un goût beaucoup trop amer. Impossible qu’ils me donnassent l’inspiration ! Mais les bons vieux zwieback, trempés dans du lait, remirent tout dans la bonne voie. Et ainsi je laissai de côté le développement du début, et continuai la composition à l’endroit où il est question de la Guérisseuse lointaine. Maintenant je suis tout heureux : la transition est réussie au-delà de toute expression par l’union absolument splendide des deux thèmes. Dieu, ce que les bons zwieback peuvent produire ! Zwieback ! Zwieback ! Vous êtes le remède qu’il faut aux compositeurs en détresse – mais il faut tomber sur les bons ! 

DDS 670129408923_o

***

Au réveil, Marcel ne se souvenait plus que de cette histoire de biscuit trempé. Fallait-il qu’il en parle à son ami Jacques qu’il accompagnait à l’accordéon tous les après-midi dans son tour de chant aux jardins du casino afin que ce récit de rêve le réconcilie avec sa maudite Mathilde à lui ou devait-il lui conseiller de ne plus rien attendre de Madeleine de Commercy ?

N’était-ce pas là une façon de tendre des verges pour se faire battre ? Son propre problème de tentative de record nocturne d’échec en identification de paysages au palais insomnisports de Bercy ne primait-il pas sur son amitié pour le Belge ?

Le Jacky ne l’avait-il pas accueilli hier, au kiosque à musique, avec ce méchant sarcasme :

- Hé ben mon vieux Marcel, à force de te coucher de bonne heure et pas dormir, t’en as une chouette tête de décavé ! Si tu voyais ta tronche de déterré éthéré et Lucerne que t’as sous les yeux ! On dirait que tu t’es fait battre par la Suisse à l’Euro ! Allez, enfile tes bretelles et chauffe-nous ça !

Et tout en appuyant sur ses touches, il éliminait : Vierzon ? Vesoul ? Pas de clocher à bulbe par là, ça ne colle pas. Varsovie, peut-être, à cause des remparts ou alors Montcuq ?

DDS



Ecrit pour le Défi du samedi n° 670 d'après cette consigne,

la photo d'été de Miss MAP :

DDS 670129408923_o

21 novembre 2020

PAS DE TEMPS A PERDRE !

S'il n'y a pas pléthore de délires sur le Défi du samedi, on ne pourra pas dire que c'est de ma faute !

Bonne lecture à vous !

Pas de temps à perdre ! / Marcel Proust

 Ecrit pour le Défi du samedi n° 638 à partir de cette consigne : pléthore.

Le recueil de haïkus a été constituté pour l'Atelier d'écriture de Villejean

à partir de la consigne 2021-07 "Le livre  dont vous rêviez"

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