C’QUE C’EST BEAU, LA PHOTOGRAPHIE !
Si on lui avait prédit, au gars Dubout du fond de la classe, qui faisait déjà, près du radiateur, des dessins dans les marges de ses cahiers d’écolier…
Si on lui avait prédit au gars Doisneau qui, une fois sorti des usines Renault, s’était mis en tête de fixer pour l'éternité les amoureux de Paris, les poètes attablés devant un verre de vin, les Hercule de foire et les forts des Halles, voire les pissotières des cours d'école…
S’ils avaient su, ces deux-là qui sont au Panthéon de l'observation amusée de la vie dans toute sa drôlerie qu'on peut faire aujourd’hui des photos avec un téléphone ils n'en seraient pas revenus ! « Et où est-ce qu'on branche le fil ? " auraient-ils demandé.
Ils n'en seraient pas revenus, ils ne reviendront pas et c'est à notre tour, en découvrant ce livre, « Les Photographes » d'Albert Dubout de revenir sur les mystères de la chimie photographique.
Je ne suis pas ici pour vous raconter ma vie mais quand j'ai commencé à prendre des photos le support des images était une pellicule argentique. On ouvrait l’appareil, on positionnait la cartouche cylindrique dans un logement prévu à cet effet à gauche de l'appareil. On enclenchait les perforations du film dans les petits ergots d'un autre cylindre pivotant à droite, on enroulait une fois. On refermait le boîtier, on tournait une une molette ou un levier (on « armait). Puis on déclenchait et c'était parti pour 24 ou 36 poses
Je vous fais grâce de la chimie qui suivait pour obtenir à partir de ce film des images en paier. Je l'ai pratiquée beaucoup moi-même ; c'est pourquoi les mots « chambre noire » « lumière inactinique » « révélateur » « fixateur » « glaceuse » « bain d'arrêt » évoquent des souvenirs bien révolus aujourd'hui. Les marques Durst, Agéfix, Ilford, Atomal ou Agfa me parlent encore.
Du reste, pour le commun des mortels qui ne se risquait pas à ces opérations délicates, l'étape du développement du film restait inconnue. Pareil pour la photo couleur. Après avoir déposé la pellicule chez un photographe on retournait une semaine plus tard récupérer chez l'homme de l'art une pochette contenant les photos tirées sur papier d'une part et d'autre part la pellicule qui, après traitement chimique contenait les mêmes images mais en négatif : tout ce qui était blanc dans la réalité était noir sur le film et vice-versa.
Plus rien de tout cela aujourd'hui avec le numérique.
Ce qui est étonnant dans le livre de magie du Grand Albert c’est de voir l'humour qu'il tire de l’appareil de de prise de vues antédiluvien qu'on utilisait sans doute au temps des frères Rimbaud, de Nadar, d'Étienne Carjat et de Tintin au Congo. L'appareil photographique était posée sur un trépied. Il devait rester fixe pour éviter les bougés et conséquemment les photos floues. Le boîtier était une caisse parallélépipédique en bois reliée à l'objectif par un soufflet.
Parenthèse : sachant que l'accordéon utilise lui aussi un soufflet, qu'il est appelé « boest en Diaoul » en Bretagne soit « la boîte du diable » on ne s'étonnera pas du fait que les peuplades indigènes que les explorateurs du XIXe siècle photographiaient pour la première fois voyaient là une machine qui risquait de voler leur âme ! Fin de la parenthèse sur la religion.
Le déclencheur de l’appareil était un genre de poire d'interrupteur comme on en trouvait dans les chambres jadis.
Surtout le photographe cachait sa tête sous un voile noir afin de pouvoir sortir la plaque photographique de son emballage et de l'introduire dans l'appareil . Une plaque par photographie.
Il y avait aussi des flash au magnésium qui permettaient d’oeuvrer en milieu peu lumineux.
La personne photographiée prenait la pose. Elle devait rester immobile au moment du déclenchement.
On allait se faire tirer le portrait chez le photographe qui mettait en scène ses sujets dans son studio à l'arrière de sa boutique. Il fallait sourire devant l'objectif : pour certains pisse-froid ou angoissés notoires c'était parfois très difficile
On immortalisait :
- la moustache du père dans un cadre en bois pour la mettre au-dessus du troupeau qui mange sa soupe froide (Jacques Brel)
- les bébés quelques jours après leur naissance, tout nus sur un coussin ou une couverture en fausse fourrure
- les jeunes filles à marier. Ça, ça plaisait bien au photographe
- les jeunes mariés
- les ébats des jeunes mariés. Non je déconne ! Ce n'est venu que bien plus tard ou si certains le faisaient le résultat était vendu sous le manteau dans des arrières-boutiques de librairies peu fréquentables. A vrai dire je n'en sais rien. C’est Simenon qui raconte ça dans ses nouvelles. Lui a beaucoup cherché ces choses-là, pas moi, même si j'avoue que je possède une édition du Kâmasûtra illustré par Albert Dubout.
Il y a bien entendu dans cette histoire de la photographie au 20e siècle un paradoxe que vous aurez peut-être observé.
Celui qui rend le mieux compte de tous ces éléments de sociologie, de la richesse de la relation complexe entre l'image qu'on a de soi, celle que l'on veut donner et celle que le photographe saisit, de ce moment particulier d'échange entre un montreur et des gens qui se montrent, celui-là n'est pas photographe, il est dessinateur !
Comme quoi sans le don la technique n'est rien qu'une sale manie !
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 26 septembre 2023
d'après la consigne AEV 2324-03 ci-dessous