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Mots et images de Joe Krapov
18 juin 2023

LA QUILLE, BORDEL !

Il n'y avait pas plus jubilatoire que cette phrase là ! Bien sûr elle était très vulgaire à cause de sa deuxième partie mais elle était un appel à respecter la devise de la République, au moins sur son premier tiers : « Liberté Égalité Fraternité » : « La quille bordel ! ».

La société était aussi malade que de nos jours pendant cette période qu'on a baptisée du joli nom de « Trente glorieuses ». La gloire n’a qu’un temps. Pas étonnant, à la longue, que les phrases se fatiguent.

Dans la tête des gouvernants il était bon de priver les jeunes gens de leur liberté pendant un temps déterminé - un an les dernières années avant la suppression du service militaire, bien plus auparavant - pour les envoyer faire un stage d' « égalité » dans des bâtiments appelés casernes.

On leur bourrait le crâne à coup de formules immuables : Garde-à-vous ! Repos ! Vous me balaierez les chiottes ! Corvée de pluche ! Au trou ! Veux pas le savoir ! Parcours du combattant ! Manœuvre ! Scrongneugneu ! Vous fais sauter votre permission ! Debout les Bleus ! Présentez armes ! Une deux, une deux !

Espérait on faire naître de ces mauvais traitements de la fraternité ? Il y en eut ! Mais avec le temps les fameux copains de régiment chers à nos pères et grand-pères sont devenus plus transparents, moins indispensables. Et pendant les derniers mois de ce service militaire elle fleurissait, elle éclatait, bien sonore, bien pétante et provoquante, la phrase « La quille, bordel ! » dans la bouche des les libérables.

AEV 2223-34 JK - Quille

"Je veux revoir ma Normandie !" clamaient les Rouennais et les Ébroïciens (habitants d'Evreux). Et les bidasses du Pas-de-Calais, natifs d’Arras ou pas, passaient un peu du temps libre qu’ils avaient à décorer l'objet lui-même, un parallélépipède de bois qu’ils brandissaient comme un trophée le jour où on les rendait à la vie civile, libérés de leurs obligations militaires mais pas de celle d'aller pointer à l'usine ou de retourner travailler à la ferme !

En trouve-t-on encore de ces quilles sur Ebay ou sur Le Bon coin ou bien ont elles brûlé, souvenirs inutiles, dans un feu de cheminée ? Et pourquoi n'a-t-elle pas repris vigueur, l’expression « La quille, bordel ! » lorsque les gens s'apprêtent à partir en retraite ? N’est-ce pas là aussi une libération, une sortie d'un monde de contraintes, d'obligations, de pressions ? La liberté devient elle moins appréciable avec l'âge ? Et si l'on a la chance d'être déjà en retraite, la phrase ne risque elle pas de s'éteindre d'elle-même, de devenir aphasique, de n'être plus qu'une minute de silence ou un mot en travers de la gorge à l’EHPAD ?

Parce qu’à 99 ans, quand on clame « La quille, bordel ! » c'est qu'on n'a plus beaucoup de choix entre la liberté ou la mort !


Pondu à
 l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 13 juin 2023

d'après la consigne AEV 2223-34 ci-dessous

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Commentaires
J
On disait aussi "trente au jus" ! Je viens juste d'acheter sur une braderie ce matin un livre de Jean Effel avec des illustrations qui eussent très bien trouvé place dans ce texte. C'est la série de la Création du monde avec Adam considéré comme un "bleu" !
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W
Marrant, chez nous il me semble qu'on n'utilisait pas cette expression. Par contre les plus motivés au départ avaient un mètre-ruban dont ils coupaient un centimètre chaque matin et se saluaient en s'exclamant "x (jours) demain matin !"
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