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Mots et images de Joe Krapov
8 juin 2021

LETTRE OUVERTE A MICHEL-ÉDOUARD L.

Mon cher Michel-Edouard

Michel Houellebecq et moi-même te remercions des efforts que ton équipe et toi-même accomplissez pour que « le monde d’après soit identique à celui d’avant mais en pire ».

Je n’ai absolument rien à redire sur la succursale de ton enseigne où je me rends tous les lundis matins afin de remplir mon frigo et mes placards de victuailles qui nourriront nos estomacs pendant la semaine. Depuis bientôt vingt ans que j’habite à proximité d’icelle jamais rien de fâcheux ne m’est arrivé en ce lieu. Je mets de côté le fait que nous ayons dû patienter une heure avant de passer en caisse un certain lundi de mars 2020 mais c’était celui du début du confinement et nos contemporains étaient venus remplir leur caddie ® de papier hygiénique et de pâtes par kilos entiers en vue de tenir un siège… qui dure encore.

Aujourd’hui, cher Monsieur L., je suis allé, après mes courses alimentaires, faire un tour dans le magasin où tu vends des produits jugés non-essentiels par notre gouvernement. Je n’ai pas trouvé de livre, de disque, de CD ou de DVD qui m’intéressât au point de ressortir ma carte bleue. Ma maison est déjà bien pleine de ces objets culturels que j’ai achetés par le passé à la FNAC, chez Odyssée, chez OCD et même parfois ici, chez toi.

Je suis donc ressorti du magasin tel que j’y étais entré, avec mon panier de victuailles, mon petit sac à dos accroché aux épaules et ma casquette de golfeur qui n’a jamais touché à un club en soixante ans d’existence. Même pas à l’envers, la gapette, ce qui à priori, ne me fait ressembler en rien à un rappeur des cités sensibles.

Le croiras-tu, Michel-Edouard de mon cœur ? Le portique antivol de ta boutique n’a pas sonné ! C’est normal du reste. Citoyen respectueux des lois et de santé encore convenable, je ne promène pas encore de pacemaker intégré et je n’ai pas pour habitude de dérober illégalement des biens que je peux tout à fait payer de ma poche. Sans être millionnaire et même en étant retraité je gagne correctement ma vie et suis assez sage pour ne pas prendre le risque d’aller en prison, d’aller directement en prison sans passer par la case départ ni toucher frs 20.000.

210608 1529-53534

Mais il se trouve que derrière le portique il y avait ton agent, le vigile Longtarin. Il m’a gentiment intimé l’ordre de lui présenter pour la fouille le panier empli de fenouil, champignons, rillettes de thon, gaufrettes pralinées et crevettes emballées par ton poissonnier, Monsieur Ordralfabétix. J’ai aussi ouvert à sa demande mon sac à dos afin qu’il constate la présence à l’intérieur d’une boîte de cassoulet, d’un litre de lait et d’une bouteille de 33 cl de bière belge, une Corsendonk rousse pour ne pas la nommer, et surtout l’absence du disque de Rosemary Standley «Schubert in love» que je te recommande vivement bien que depuis avril, je ne l’aie jamais vu dans les bacs de ton étage à disques.

J’ai bien craint un instant que ton employé zélé ne cherche à vérifier si je n’avais pas caché un vinyle de Neil Young à l’intérieur de mon slip ! Un slip de sexygénaire est un endroit suffisamment vaste pour qu’on puisse y dissimuler un objet de 30 centimètres de diamètre, non ? Dieu merci, sa suspicion à mon égard n’est pas allée jusque-là !

Il m’a poliment remercié. Je n’ai pas ajouté un mot puisque je n’en avais pas prononcé un seul. Je lui avais déballé mes affaires dans un silence qui confinait à l’obéissance solidaire. J’avais pensé, tout au long de cette interpellation : « Je ne vais pas te chercher des crosses, camarade prolétaire ! On te fait faire un drôle de métier pour gagner ta vie mais je ne vais pas t’engueuler pour l’irrespect que tu me manifestes en me soupçonnant de malhonnêteté. Je comprends bien que c’est du pauvre Michel-Edouard qu’il s’agit. Il faut le protéger de la ruine dont le menacent les gangs de papys kleptomanes, de mamies chouraveuses, de ces septuagénaires pillard·e·s en bande organisée qui ne font rien qu’à l’embêter dans l’exercice de son petit commerce ».

J’ai refermé mon sac à dos, ramassé le petit panier qui me donne l’air d’un con comme dans la chanson « Marinette » de Georges Brassens et je suis rentré à la maison ranger tout cela dans le réfrigérateur et les placards idoines.

Et puis je me suis dit que les occasions de rire en faisant un bon mot sont assez rares et que ce petit incident méritait bien une lettre ouverte. Tu avoueras comme moi, mon cher Michel Edouard, que toi non plus, celle-là, tu ne l’as pas volée !

Ton pas bégueule ami et toujours client pour autant

Joe Krapov

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Commentaires
W
... et tu risques pas d'en trouver chez Michel Edouard :-)
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W
De la Corsendonk rousse ! Ils ne savent plus quoi inventer... je n'en ai jamais bu, de la blonde et de la brune oui. Bon, de toute façon, je m'en fous : je suis à la Westvleteren (une trappiste qui a été pendant quelques années déclarée meilleure bière du monde), ma fille en a dégotté deux casiers (à un prix exorbitant comme il se doit).
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