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Mots et images de Joe Krapov
11 mai 2021

UN DRÔLE DE RÊVE

John Salminen17S’il y a bien un endroit où il est interdit de fumer et de jouer à la petite marchande d’allumettes, c’est ici, dans ce bâtiment d’allure classique. C’est un grand quadrilatère qui a son entrée au 58 de la rue de Richelieu à Paris. Y était conservé, jusqu’à il y a peu, tout le patrimoine écrit imprimé sur le territoire français et ce depuis 1539. Voilà pourquoi il n’était pas rare de voir sur le trottoir, entre 1975 et 1980, Mlle Lhéritier ou M. Peyraube clopant "comme clopains" à gauche de la porte principale de la Bibliothèque Nationale qui n’était pas encore « de France ».

J’y allais avec mes collègues et ma chef de service, peut-être le mardi et le jeudi, je ne sais plus trop, visiter leur antre souterrain, la salle des catalogues. On y effectuait des recherches bibliographiques dans le National Union Catalog et d’autres monuments du genre encyclopédique en plusieurs volumes pour repérer ce qu’on n’avait pas trouvé dans le Cumulative book index ou le Books in print.

AEV 2021-29 JK - salle des catalogues BN 2

J’y étais encore cette nuit, à la B.N. Si, si, je vous le jure : bien que je n’y sois plus obligé je retourne bosser la nuit. Je ne maîtrise pas tout dans la vie et surtout pas mes rêves.

Si quelqu’un peut m’expliquer d’ailleurs ce que le président de la Maison de Quartier de Villejean de Rennes, Monsieur Deuxpoints Jacky, y faisait ! Il devait encore être en train de blablater en français mâtiné de gallo avec d’autres gens autour d’une table basse ronde et quand il m’a vu passer, il m’a interpellé pour me vendre un billet de tombola. Ça c’est sans doute parce que j’ai fait le pari pascalien de me faire vacciner samedi dernier !

AEV 2021-29 Jean-Paul - Escher

J’ai repris mon chemin et je me suis perdu. Dans mes rêves la Bibliothèque nationale est un compromis entre une maison de M.C. Escher et un labyrinthe pour rats de laboratoire… ou de bibliothèque. Il y a des passerelles, des escaliers, des couloirs, c’est tortueux, périlleux et parfois lorsque je n’ose pas avancer sur un pont de singe ou me suspendre aux bords d’une trappe, je déchausse et je me réveille.

Pas cette nuit. Parce que cette fois j’étais parvenu dans une partie inconnue, luxueuse, avec portes matelassées et meubles anciens. Un véritable home sweet home dans lequel on entendait une musique de clavecin qui s’arrêta au moment où j’allais sortir. Apparut alors à la rembarde de la mezzanine au-dessus de moi un vieil homme élégant. Il avait une allure de Michel Bouquet mais ressemblait en fait à cet acteur au regard noir, au masque froid que l’on voit encore dans les rôles secondaires de certains films mais dont on oublie forcément le nom. Alors que je m’excusais platement de ma présence en ces lieux privés, le directeur de la BN, car c’était lui, s’adressa à moi.

- Monsieur Krapov ! Vous vous y connaissez, en solfège, vous ?

AEV 2021-29 JK- Mademoiselle-Therese-Kleindienst1- Un peu seulement, répondis-je étonné de ce qu’il connût les noms de tous ses employés et les reconnût – sans que j’aie le souvenir de l’avoir jamais rencontré puisque la BN avait en 1974 une directrice du genre petite souris grise, native de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, qui s’appelait Thérèse Kleindienst et qu’on appelait T.K.

- Parce que, voyez-vous, ajouta l’homme à l’allure de lord anglais, je suis en train de composer un opéra.

- Intéressant ! De quoi s’agit-il ?

- C’est l’histoire d’un vieil homme qui aime deux femmes. Il vit alternativement avec l’une et avec l’autre mais aucune des deux ne sait que l’autre existe. Il hésite à choisir entre les deux à cause de sa bibliothèque. Il a conservé tous les livres que l’une et l’autre lui ont conseillé d’acheter ou qu’ils ont lu ensemble ou qui évoquent des moments de leur vie. S’il choisit de vivre avec l’une, comment lui expliquera-t-il ces traces d’une autre. ?

Le reste de l’argument se perd dans les limbes du sommeil et dans un éclat de rire nocturne. Un opéra à un seul personnage !

***

Au réveil, une fois redescendu de l’escalier aux esprits, j’ai eu la répartie qu’il fallait, d’autant plus irrespectueuse qu’elle s’adressait à un fantôme :

- Si t’es embêté avec tes deux vieilles, t’as qu’à tomber amoureux d’une gamine de seize ans ! Les Lolita s’en foutent des livres, elles préfèrent leur smartphone !

Je lui ai même trouvé un titre, au dirlo, pour son opéra : Docteur Folamour !

Quand je rêve la nuit, je suis encore plus con que quand j’écris le jour !

P.S. Oui, je sais, sur l’image, ce sont les guichets du Louvre et pas la B.N. ! Si vous êtes sages je vous parlerai de Belphégor une autre fois ! Et puis on ne disait pas "directeur" mais "secrétaire général" dans cet établissement.


Pondu pour l'Atelier d'écriture de Villejean du 4 mai 2021

d'après la consigne AEV 2021-29 ci-dessous

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Commentaires
W
Secrétaire général ! Ça fait un brin parti communiste, non ?<br /> <br /> C'est marrant, ça fera bientôt vingt ans que je suis retraité et je rêve moi aussi régulièrement de mon ancien boulot et les bâtiments du laboratoire central de mes rêves recèlent eux aussi des escaliers surnuméraires menant à des endroits inconnus. Ce doit être une caractéristique familiale ;-)
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