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Mots et images de Joe Krapov
13 février 2021

LE FOU DE BERGERAC

Tintin Macron

Heureusement, à l’endroit où Emmanuel est tombé du train, le ballast est du genre sablonneux. Il s’est quand même chopé des égratignures et de vilaines écorchures mais apparemment, quand il se relève et se tâte les côtes, nulle douleur ne le lance. Il voit juste un peu de sang sur ses mains et sur son pyjama.

Maintenant, pour juger de son état, il n’est pas le mieux placé. Pour lutter contre ses insomnies et ses angoisses il avait pris la veille un médoc appelé Elpénor. Géant ! Il s’était endormi d’un coup mais deux heures après il s’est réveillé dans le wagon surchauffé avec une sensation d’étouffement et des vertiges inimaginables. Il n’a trouvé ni la lumière ni la porte alors il s’est dirigé vers ce carré plus lumineux. A tâtons il a trouvé deux poignées qu’il a abaissées. L’air frais de la nuit s’est engouffré. Il s’est penché au dehors car il n’était pas en état de se souvenir des recommandations de son docteur, Bernard Hinaus-Le Nen.

- Méfiez-vous des nuit d’orages et de la foudre de Jupiter !

Boum ! Boum ! Badaboum ! Bonjour M. Ballast dur ! Eh, le train je vous demande de vous arrêter !

Emmanuel, une fois relevé, a retrouvé un peu de ses esprits.

Le voilà en pyjama, le long d’une voie ferrée française, dans les bois, quelque part dans le Sud-Ouest, sans téléphone portable pour joindre son chef de cabinet resté à bord de Rail-Force One.

Pour le discours d’inauguration de la place des Chrysanthèmes à Biarritz et l’hommage à Jean Borotra, c’est bien évidemment râpé. Il ne reste plus qu’à se mettre en route vers un monde plus civilisé que cette forêt inquiétante traversée par des rails.

Casting Tintin 02Un kilomètre à pied, ça use les souliers et encore plus la plante des pieds nus. Deux kilomètres à pied… Un point de lumière apparaît. Il presse le pas, appelle.

- Monsieur ! Monsieur ! Mon cher compatriote !

En arrivant près du chantier il a un mouvement de recul. Le travailleur de nuit porte un gilet jaune !

- Qu’est-ce qui vous arrive ? demande l’homme, un barbu à casquette à l’air méfiant. Qu’est-ce que vous foutez-là en pyjama ? Et puis d’abord qui êtes-vous ?

- Je suis Emmanuel Macron, le président de la République. Je suis tombé du train deux kilomètres plus haut !

- C’est celaaaaa, oui ! Je veux bien vous croire vu que moi-même je suis le pape ! Mais peu importe il faut soigner vos blessures. La maison de la garde-barrière est juste après le virage. Suivez-moi, on va s’occuper de votre cas !

- Vous n’avez pas un téléphone portable ? Il faut que je prévienne mon chef de cabinet.

- Un téléphone portable ? Vous êtes vraiment tombé sur la tête, mon pauvre garçon !

***

Casting Tintin 17La garde barrière ressemble à cette cantatrice dont Emmanuel, dans son état pitoyable, n’arrive pas à se rappeler le nom. Le rossignol dylanesque ou quelque chose comme ça, enfin ça c’est son surnom.

Elle a désinfecté à la hussarde les écorchures et Manu a hurlé :

- Ça pique !

- Vous pouvez gueuler tout ce que vous pouvez ! Faut que ça se fasse ! Moi je suis vaccinée ! J’étais infirmière pendant la guerre. J’en ai entendu des malades qui hurlaient et ils avaient autre chose que vos petits bobos. Voilà c’est terminé. Vous allez finir la nuit dans mon lit. J’ai changé les draps mais ne rêvez pas que je vous y rejoigne ! Bas les pattes ! Je dormirai dans la pièce à côté. C’est un grand honneur pour moi d’héberger le président de la République mais je ne voudrais pas abuser de la situation !

Le cheminot à gilet jaune et la garde-gestes-barrières se marrent comme des brochets maousses vu qu’on ne trouve pas vraiment de baleines dans la Dordogne.

***

Une fois que l’homme a été remis au lit Clémentine a fermé la porte de la chambre à clé. Elle a servi un coup de rouge à Méluchon. Celui-ci lui a dit :

- Garde ton fusil à proximité. Il a l’air inoffensif mais c’est peut-être lui l’assassin. Je vais prévenir les gendarmes. D’ici une heure ils viendront le capturer pour l’emmener à Bergerac.

***

Casting Tintin 13- Mais puisque je vous dis que je suis le président de la République ! Emmanuel Macron ! Vous me reconnaissez, quand même ? Mon portrait est dans toutes les mairies !

- Mais oui, mais oui ! Vous aussi vous êtes sorti de la cuisse de Jupiter ! Macron ? Inconnu au bataillon ! Si vous êtes le président de la République, moi je suis Napoléon !

Le commissaire Siraneau jubile. Mettre la main sur un coupable ce n’est rien, il est habitué. Mais surtout faire la nique à ce commissaire Maigret qui est venu de Paris, qui enquête depuis son lit où il est allongé après blessure dans l’hôtel d’Angleterre, et qui sème la pagaille dans toute la ville en soudoyant les administrés pour qu’ils viennent témoigner contre les notables, ça restera un des grands plaisirs de sa vie !

Nul doute que la confrontation entre Maigret et Macron - les « tombés du train » comme il les surnomme en son for intérieur - mettra un terme à l’affaire du « fou de Bergerac ».

***

- Commissaire Maigret, cet homme ressemble-t-il à celui que vous avez suivi il y a une semaine en vous jetant en marche du train de Bordeaux ? Dans la couchette au-dessus de la vôtre il soupirait, toussait et vous empêchait de dormir puis il s’est levé, est allé au bout du couloir et, à un endroit où le train ralentissait, il a sauté. Vous avez sauté vous aussi à sa suite et l’homme mystérieux, se voyant filé, vous a tiré dessus. Eh bien figurez-vous qu’il vient de récidiver exactement au même endroit. Un signe, non ?

- Je suis le président de la République, merde ! Enlevez-moi ces menottes !

- Je ne peux pas l’affirmer vraiment, commissaire Siraneau. Il faudrait qu’il cesse de fulminer et qu’il tousse un peu à la place.

- Je suis le président de la République ! Vous allez le payer cher, votre cirque ! Je vais vous faire traverser la rue vite fait, bande de mariolles ! Dans l'autre sens ! Bande de Gaulois réfractaires !

- Docteur Rivaud, faites tousser l’inculpé !

Pendant que les gendarmes maintiennent vigoureusement Emmanuel le docteur lui enfonce un bâton d’esquimau bien profond dans la cavité buccale. Macron tousse.

- Je pense que c’est bien lui, affirme Maigret. Fais les valises, Liliane ! On va rentrer à Paris, l’affaire est close.

- Je suis le président de la République !

Emmanuel s’effondre en larmes, complètement épuisé.

Siraneau conclut l’affaire avec ce qu’il croit être une marque de panache :

- Monsieur, nous sommes en 1920. Le président de la République s’appelle Paul Deschanel. Jamais il ne serait assez stupide pour tomber d’un train de nuit en pyjama ! Vous imaginez le ridicule de la situation ? Et le bonheur, en apprenant cela, des plumitifs de tout poil ?
 



N.B. Les illustrations "Tintinesques" sont l'oeuvre de Ludo D. Rodriguez.
Merci à L'Adrienne de me les avoir fait découvrir.

Les paroles, la musique et l'interprétation de
"Le pyjama présidentiel" sont signées de Lucien Boyer.

Ecrit pour le Défi du samedi n° 650 d'après cette consigne : ballast.

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Commentaires
J
Joe Krapov n'a peur de rien (vu qu'il a peur de tout !) !<br /> <br /> <br /> <br /> P.S. J'y ai bien pensé aussi ! Un recueil de parodies sur le thème "Nos présidents sont des héros !" ? ;-)
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G
A quand un commentaire sur "courtines" et les tribulations de la " connaissance"dans les coloirs de l'Elysée du temps de Félix Faure?<br /> <br /> Mais cela tomberait peut-être sous le coup de la loi sur le séparatisme?...
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J
Merci à toi surtout pour les images qui portent le récit... bien loin !<br /> <br /> La suite sera publiée ici demain avec la fin de ce qui pourrait être, en tirant à la ligne, un roman assez marrant... que j'ai pris beaucoup de plaisir à imaginer !
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A
génial! jusqu'à la chute (si j'ose dire) avec Deschanel, génial!<br /> <br /> (moi je vois le mot 'ballast' et je me dis: qu'est-ce que je pourrais bien faire avec un mot pareil! rien... )
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