Dans l’espace intersidéral, aux commandes de son vaisseau d’exploration, le Jefferson Starship XXL, P.A. Ward était le plus heureux des hommes. Il y avait à cela, ce jour-là, trois raisons :
- il était de retour en direction de la Terre avec le sentiment du devoir accompli ;
- il avait réussi à mettre hors service, pour le voyage du retour, les deux androïdes bavards comme des pies qui l’accompagnaient dans cette mission. A l’aller leur concours de composition de limericks avait été insupportable mais il fallait bien composer avec William et Jack dans l’habitacle : ils étaient chargés de piloter le vaisseau tandis que lui, à bord du LEM, descendait explorer la surface de la planète bleue.
- Dormez, mes petits agneaux ! Rêvez bien de moutons électriques, amis androïdes !» leur avait-il déclaré en les plongeant dans une provisoire léthargie ;
- Le monde entier allait l’acclamer. Dans l’histoire de l’humanité Paul A. Ward serait enregistré comme l’homme-sauveur, l’astronaute qui avait découvert une autre Terre sur laquelle l’humanité accomplirait son second grand pas : celui de sa migration.
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Car en 2111, sachez-le, braves gens, c’est la catastrophe pour la planète. A force d’élire des climato-sceptiques butés, des marchands de mensonges, des fabricants de fausses nouvelles, des constructeurs de murs en tout genre, à force de vouloir le tout en un eh bien il arrive que la banquise fonde, que les esclaves fuient, que les guerres fusent, que les murs se chopent un accent circonflexe sur le sommet du crâne et s’écroulent. Alors c’est la cata, c’est la faillite. Que peuvent les états ? Rien. Ils n’existent plus en 2111. C’est con, hein ? Oui, c’est conglomérats et compagnie. Si ce n’est pas gai, pagaie ! Rame, homme !
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A priori, Art Payntor ne risquait pas d’être touché dans l’immédiat par cette crise. Oligarque multimilliardaire à la tête d’un empire médiatico-industriel, Promptostar S.A., il ne craignait rien sauf les tsunamis, les inondations et les explosions de centrales nucléaires. Intéressé depuis toujours par les étoiles, exactement comme tous les gens qui veulent briller un jour, il avait déjà effectué trois vols spatiaux autour de la Terre. Quand les états n’avaient plus eu les moyens d’envoyer qui que ce soit là-haut, il avait financé un programme secret d’exploration des abysses et de recherche d’une planète habitable dans laquelle se réfugier en cas de cataclysme ultime.
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Après être rentré dans l’atmosphère terrestre, Paul A. Ward rebrancha les deux androïdes. Aussitôt le concours de limericks stupides reprit de plus belle :
« Il faut que cela se fasse ! / On pousse ! On fait la grimace ! / L’orifice entre les fesses / Libère un truc nommé fèces. / Après, on tire la châsse ».
« Si tu veux séduire une gonzesse / Opère avec délicatesse ! / Choisis bien le moment propice / Pour lui offrir de la réglisse. / Ouais, pas mal, la sortie d’la messe ! ».
« Tous les jours, c’était la sauce ! / Elles étaient trempées, nos chausses ! / La bouillasse, la mélasse, / Nous avons fait volte-face : / On n’ira plus, en Ecosse ».
Paul serra les dents et les fesses et il entreprit de contacter Whitney sur le tarmac de Cap Carnarrival.
- Miss Rouston, nous sommes de retour ! Jefferson Starship XXL !
- On vous suit Paul. Votre trajectoire est bien celle que nous avions prévue. Nous serons là à la réception. Mais s’il vous plaît, faites taire ces deux androïdes !
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En fait d’accueil triomphal P.A. Ward eut droit à l’évacuation de sa capsule au milieu d’un mauvais grain de noroît, à un voyage en bateau agité au cours duquel Jack et William eurent le mal de mer et vomirent et cela se conclut par un interrogatoire en bonne et due forme dans les locaux de son commanditaire, la Promptostar S.A.
- Bienvenue sur Terre, M. Ward. Je suis Yaddo Janik, le colonel chargé du programme d’explorations spatiales. Nous nous sommes vus lors de votre départ. Je suis accompagné de M. Joe Krapov, le chef de notre police. Et je ne vous présente pas M. Art Payntor que vous connaissez obligatoirement.
- Je suis ravi d’être de retour et de vous apporter de très bonnes nouvelles !» répondit Paul.
- Dites-nous, M. Ward ! Dites les nous ! Cette planète bleue… C’est de l’eau ? Ce sont des océans ?
- Non, c’est mieux que cela !
- Racontez-nous ça !
- La planète est cinq fois plus volumineuse que la Terre. Elle n’est pas vraiment ronde, juste un peu enveloppée et sphérique. Elle n’a aucun relief, elle est uniformément lisse ou presque. Un peu comme la surface d’une balle de golf ou d’un agrume. Elle est parfaitement habitable. L’atmosphère est similaire à la nôtre. Climat tempéré, non, pas tempéré, régulier : aucun vent, aucune précipitation, température constante.
- Mais alors, s’il n’y a pas d’océan et pas de pluie, il n’y a pas d’eau ?
- Il y a mieux que ça ! J’ai fait des prélèvements sous l’écorce. A cinquante centimètres sous la surface du sol on trouve une matière molle, comme pulpeuse, et quand la carotte arrive à ce niveau cela déclenche un phénomène de geyser.
- Il y a un liquide qui sort ? Quel est-il ? Vous l’avez analysé ?
- Mieux que ça ! J’en ai bu. C’est délicieux ! Un genre de curaçao mais avec la fraîcheur d’un jus de fruit glacé.
- Du curaçao ? Mais, que Potemkine me damne, c’est une boisson bleue !
- Oui, monsieur Krapov. C’est bleu. Tout ce qui se trouve sur cette planète est bleu.
- Diable ! répondit le chef de la police. Moi qui, en gros, n’aime que le rouge !
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Quand l’interrogatoire fut terminé on ramena PA Ward dans sa chambre et les trois hommes restèrent dans la pièce. On pouvait lire sur leurs visages un air de gravité consternée.
- Evidemment, Joe, tu nous le mets au secret, ordonna Yaddo. Personne ne doit savoir que nous avons encore échoué.
- Pas de souci pour ça. Je connais un village où il sera bien traité à condition qu’il ne cherche pas à en sortir ou à parler.
- Qu’est-ce qui ne va pas dans ce programme ? demanda Art P. C’est la drogue qu’on leur fait prendre pour dilater le temps du voyage ? Huit ans quand même pour celui-ci ! Ce sont les androïdes d’accompagnement qui sont mal programmés ?
- Je ne comprends pas pourquoi ils délirent à ce point ! répondit Yaddo. Comment font-ils pour inventer des mondes aussi stupides qu’inexistants ? Et pourtant nous prenons soin de veiller à la variété des intervenants lorsque nous lançons la consigne de vol et mettons la fusée sur rampe de lancement. Les faire partir tous un dimanche n'est peut-être pas une bonne idée. C'est quand même le jour du Seigneur ?
- C'est un hasard. Bon archivez-moi ce dossier. Ce n’est jamais que le septième à revenir. Il en reste encore trois. Tout espoir n’est pas perdu. » conclut Art P. en quittant la pièce et son air soucieux.
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Joe Krapov a archivé le dossier dans son coffre-fort. Sur la couverture on peut lire :
« Opération Dix petits nègres dans l’espace– Exploration n° 7 – Paul Averell Ward – Terre bleue comme une orange ».
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Ce jour-là, de son côté, Augustin Dieu s’écria : « Ma plus belle création, avec des tas d’ouvertures, de possibilités de développement, de passage d’un monde à l’autre, de richesses à partager ! J’ai vu souvent des Mexicains, j’ai rarement vu des mecs si cons ! ».
Sur son blog il écrivit : « Quand ça veut pas, ça veut pas !».
Ecrit pour les Impromptus littéraires du 8 mai 2017 d'après cette consigne : La Terre n'est pas ronde
Constitue une réponse en forme de prequel au texte de l'Arpenteur d'étoiles ! ;-)