(C) La Licorne
DU TEMPS OÙ JE M’APPELAIS JACKY
- Bien sûr, les fleurs, c’est périssable. Mais ça n’est pas une raison pour que tu t’empiffres avec les bonbons qui sont dans la boîte bleue. Quand Maman reviendra, je te dénoncerai !
- Je prendrai mon air le plus innocent et je dirai que tu en as mangé autant que moi, Marieke ! Mais tout de même, si Jason avait eu une fiancée dans ton genre, jamais il n’aurait conquéri la Toison d’Or !
- Conquis ! Comment peux-tu être aussi insoucieux de tout, sans exigences, même vis-à-vis de la langue ? Je suis bien bonne d’accepter de jouer avec toi le jeudi après-midi, Grand Jacques !
- Dis donc, Marieke, il y a des limites ! Je commence à comprendre pourquoi ta copine Mathilde t’a surnommée le caporal Casse-Pompon !
- Bon allez, assez de parlote, Grand Jacques ! C’est trop facile de faire et dire n’importe quoi parce qu’on est chez ma grand’mère et qu’elle a le dos tourné. Elle est toujours à nettoyer les fenêtres ou à naviguer entre les deux fauteuils du salon où il y a la pendule, à observer la rue, les bourgeois qui passent sur les pavés, les bigotes qui vont à la messe, les vieux qui vont au bistrot, les Flamandes qui passent sans rien dire, les gens, quoi ! Si tu revenais un peu au scénario au lieu de nous jouer l’air de la bêtise ? Je m’en remets à toi. Alors voilà : on est au printemps, on est habillés avec élégance. C’est le terme de l’aventure : demain l’on se marie. Sur la place, devant la cathédrale, tous nos amis sont réunis. Voici Zangra, Clara, Fernand, Isabelle, Jef, Madeleine, Titine, Manon, Rosa. Devant eux il faut que tu me dises « Je t’aime » et que tu m’embrasses.
- La veille du mariage ? On ne va pas plutôt boire de la bière chacun de son côté ? Je crois que ça s’appelle la bourrée du célibataire ou l’enterrement de la vie de garçon !
***
S’il vous plaît, ne pensez pas que je suis un affreux Jojo ! Rangez-moi plutôt parmi les timides, mettez-moi chez les moutons plutôt que chez les toros. Je n’étais et je ne suis toujours, au fond, qu’un enfant. C’est comme ça !
Et si j’ai sorti Marieke de mon enfance, c’est parce qu’il nous faut regarder, sur la photo jointe, comme elle doit être un peu vieille et pourtant très, très belle, maintenant. Je n’écris pas ici des litanies pour un retour dans le temps. Nous étions à l’âge idiot, heureux, à deux, très souvent ensemble, je ne sais pas, je ne sais plus pourquoi, peut-être parce que j’aimais son calme et sa sagesse.
Peut-être étais-je pour elle le fou du roi à la tête dans les nuages, le troubadour inoffensif qui ne demande pas à jouer au docteur ! Pas tout de suite, toujours ! Parce que j’ai tout ce qu’il vous faut, maintenant, mesdames ! Le stéthoscope, la vigueur du lion, la douceur, la tendresse : je suis bien… sous tous les rapports !
Mais bon, le temps s’en va et pourtant on n’oublie rien ! La preuve, je repense à elle aujourd’hui. Alors que faire de ce souvenir inutile de deux amants de coeur âgés de neuf ans, quelque part au plat pays ? Comment rejouer ces deux vieilles notes de musique étouffées dans la symphonie du grandir, du vieillir, des départs, des la… la… la… et facéties (fa et si ?) de l’accordéon de la vie ?
Aller les enterrer dans les jardins du casino ? Les jeter dans la Vistule depuis les remparts de Varsovie ? Les lancer dans l’eau du port d’Amsterdam ?
Ah, Marieke, Marieke !
Je te souhaite de t’être aussi bien mariée-marrée que moi dans ta vie !
Ecrit à l'Atelier d'écriture de Villejean pour le jeu 17 de Filigranes d'après cette consigne.
J'ai inclus 77 titres d'oeuvres d'un chanteur belge très connu dans ce texte. Ho, le malade, lui, hé !