Les adorateurs et adoratrices des déesses Poésie et Chanson avaient encore une fois rendez-vous ce week-end avec le public au Grenier à sel de Redon. Voici quelques portraits des résistant·e·s de ce soir-là.
Jean-Luc
Gabrielle et Robert, membres du groupe québécois "Serre L'écoute"
Si tout va bien, j'aurai chanté hier soir aux Apéros poétiques de la Bogue à Redon ce poème de circonstance furieusement intellectuel ! ;-)
J'ai plaqué les paroles, pondues vendredi matin, sur la musique de "Dance, dance, dance", un vieux titre de Neil Young.
REDON DANSE
1 Voici revenu le temps de la Foire Teillouse ! On met son mouchoir par-dessus son vieux blues, On file à Redon faire provisions de toutes sortes ; On se marche sur les pieds : attention aux femmes fortes !
Dense, dense, comme Redon est dense ! Que de monde !
Ce rassemblement trouble plus d’un sociologue Mais c’est une évidence : Redon dense à la bogue !
2 L’époque est opaque ! On a besoin d’autre chose Que d’voir Macron-Poutine ou de lire Jean Échenoz ! Pendant qu’ils se bombardent et qu’ils se biniou-causent On met ses bottillons et on file au fest-noz
Danse, danse ! Comme Redon danse ! Cendrillon
Va perdre sa pantoufle et rentrer en pirogue Mais son prince saura que Redon danse à la bogue
3 On voit des sonneurs de haut rang sur les estrades Et des musiciens qui jouent comme des malades Dehors dans les grilloirs y’a les marrons qui pètent Sous tous les chapiteaux de Redon c’est la fête
Danse, danse ! Comme Redon tricote Des gambettes !
Oubliant les soucis, les mots des désastrologues Redon danse danse ! Redon danse à la bogue !
4
Attention, il y a une devinette et un piège ici!
La bière et les coups d’cid’ réjouissent les Chimène, Les Guirec, les Kevin et même les Ségolène Sur le parquet de bal tout le monde son costard ôte Et s’ prend l’auriculaire pour danser… le rond de Saint-Vincent
(Ca ne rime pas mais on ne se prend pas pas par le petit doigt pour danser le kost ar hoat !)
Danse Danse ! Dans' la Redon-danse Comme tout le monde
Si tu n’aimes pas danser ou si t’es d’humeur rogue Alors reste au comptoir bois des coups à la Bogue !
5 Même au Grenier à sel rendez-vous des poètes Les mots viennent danser et chanter dans les têtes On déclame, on susurre, tous les signes trompettent ! A tournoyer dans l’air les rimes se la pètent !
Danse ! Danse ! Y a les mots qui dansent La Redon-danse !
Poème, conte, slam, airs plus ou moins en vogue, Quand Redon dense danse, y’a tout le catalogue !
6 Tant pis si je dilue, je délaye ou répète ! La superfluité réjouit les esthètes Je me dis que de jouer au gugusse un peu bébête Si s’que ça pléonasme, ça plaira aux minettes !
J’aime j’aime ! J’aime la redondance A outrance !
Aussi pour mettre un terme à cet aveu de drogue Je vous le réaffirme en guise d’épilogue
7 Quand Redon dense danse c’est un peu une transe Un signe d’allégeance ou bien d’appartenance Un goût d’intempérance, de retour en enfance Entre la survivance et même la transcendance
Danse ! Danse ! Alors, Redon, danse Encore longtemps !
Sans jamais te soucier de tous ces déclinologues Danse, danse, Redon ! Danse, danse à la Bogue !
Je le soutiens mordicus : il ne faut pas offrir chaque année pour son anniversaire un téléphone mobile neuf à une gamine qui perséphone ! L’homme de Gros-mignon n’avait pas de tels soucis : ne vivant pas dans une société de consommation, ses besoins se limitaient à chasser le mammouth et à écouter le chant de la mésange pour se sentir bien dans le monde.
Il a fallu attendre la Renaissance et Léonardo pour que les gens rêvent d’évasion et de vacances : allons au Louvre voir la Joconde,...
… à l’Archevêché d’Aix-en-Provence ou au Festival d’Avignon écouter des raconteuses d’histoire et des faiseurs d’opéra.
Puis viendront le cinéma, les stars qui jouent leur vie à T’Huppert ou tu gagnes mais qui restent toujours des daronnes. Après ça, va t’y retrouver : le dodo a disparu, bientôt ce seront les abeilles…
En plus les slips sont trop serrés, on ne bande plus quand se pointe la petite Lulu et pour ce qui est de cultiver la fleur de mai (68) on repassera : l’extrême-droite est partout.
A part ça, merci, ne vous inquiétez pas pour moi : je suis le plus heureux des hommes ou à peu près quand je me promène seul le long du canal de Nantes à Brest, sur les quais du port de Redon ou autour de l’usine Garnier.
Essaie un peu de refuser la 42e dose de vaccin et tu vas voir comme les beaux messieurs de Paris auront très envie de t’emmerder avec leur passe vaccinal !
Longtemps nous méditâmes sur ce que pouvaient bien signifier les lettres colorées qui s’étendaient sur la façade du cinéma Manivel à Redon.
En matière de bon sens ces seize voyelles ou consonnes et cette esperluette ne faisaient que tièdement l’unanimité.
- Insinuent-elles qu’on ferait mieux de regarder « Les chiffres et les lettres » à la télé plutôt que de venir voir ici ce qui n’est peut-être qu’un navet de plus ?
- Un navet n’eût pas décroché de César, Rosalie ! fut la réponse immédiate de la dame qui m’accompagnait.
On pouvait composer « midi », « minuit », et « mâtines » mais ça clochait : rien ne sonnait, on n’entendait rien que les bruits légers des bateaux de plaisance amarrés en face de l’estaminet pour cinéphiles nourri·e·s aux éminentes critiques de « Télérama » ou du « Masque et la plume ».
Nous nous entêtâmes dans notre « Recherche du mot perdu » puis à force d’avoir été enduits d’erreur, nous conclûmes et admîmes en notre for intérieur que cela suintait fort le concept artistique.
- Fourguons leur de l’inattendu, aux Redonnais ! Avaient dû se dire les artistes-architectes plus ou moins déments. Ils sont si attachés à leurs vieilles antiennes, ils ont l’âme si sédimentée dans leurs traditions qu’un peu de surréalisme dans l’eau froide ne leur fera pas de mal !
Et puis cette année, nous nous mutinâmes :
- Je refuse d’être tétanisé par cette corporation médisante. Je décide que ces lettres sont mises là de façon immanente à la seule intention de notre amusement ! Je vais les confier à l’Atelier d’écriture. La muse de la danse des mots aura tôt fait de nous emmener, grâce au générateur d’anagrammes, vers les autres mystères qu’elle inspirera à mes coreligionnaires.
Or, l’heure étant venue de la médiumnité, je suis bien étonné pour ma part, devant cette liste de vocables que la machine émiette, d’y trouver les minutes de mai 68 ou de cette autre manifestation paysanne dont la femme de ma vie – celle qui m’appelait « Rosalie » ci-dessus – fut l’involontaire témoin à l’époque où ses parents créchaient et usinaient à Redon.
La famille habitait alors non loin d’ici, rue de l’Union, au bord du canal et les enfants devaient traverser le passage à niveau devant l’hôtel de ville pour aller à l’école de l’autre côté de la voie ferrée. Elle avait dix ans et en revenait ce soir de juin quand, avec son frère cadet, ils s’étaient retrouvés en pleine lutte intestine entre des paysans sainement remontés et des brigades anti-émeutes dont le destin consistait à « mater le mutin dès le matin». Les lacrymos pleuvaient comme des boules d’antimites. Les bras se tendaient sans aménité pour envoyer voler des poulets congelés sur les flics sans immunité qui se démenaient tant bien que mal pour ne pas y laisser des plumes. Bref ça se castagnait avec une intensité pas inusitée mais presque.
A cette époque-là, Marinette – appelons-là comme ça vu qu’elle change de prénom comme de chemise, ces temps-ci – n’était déjà pas du genre « Midineta minaudensis » (midinette qui minaude). Les demi-teintes n’étaient et ne sont toujours pas sa tasse de thé sauf lorsqu’elle fait de l’aquarelle.
La distribution d’horions ne diminuant pas, la main du petit frère fut fermement empoignée et maintenue dans la sienne ; elle s’insinua au milieu de l’échauffourée et traversa au galop le champ de bataille sur lequel les belligérants, tels des tennismen fous échangeaient en les lançant, sans craindre une quelconque tendinite, les projectiles qu’ils détenaient tout en braillant des injures sur un mode asinien.
Une qui fut bien médusée, voire néantisée, ce fut la maman des deux mômes.
- Mais il fallait attendre que ça se termine ! Vous vous rendez compte de l’immensité de votre bêtise ? Vous n’avez pas eu le sentiment que c’était dangereux d’être là au milieu de tout ça ?
Bien sûr, un autre agencement des mots de cette liste était possible. J’aurais pu évoquer aussi par exemple ma propre vie estudiantine, les tissus d’indienne des amples jupes des filles des années qui suivirent, vous dire, grâce au mot "déniaisement", comment je fus intimement inséminé... par la poésie rimbaldienne et la musique étasunienne mais mon surmoi n’est jamais très chaud pour qu’on médiatise ne serait-ce qu'un poil de ma part intime.
Joe Krapov est poète, humoriste (?), musicien à ses heures et photographe à seize heures trente. On trouvera ici un choix de ses productions dans ces différents domaines.