Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mots et images de Joe Krapov
10 novembre 2021

AMNISTIE GÉNÉRALE !

2021-10-23 - Nikon 62

Longtemps nous méditâmes sur ce que pouvaient bien signifier les lettres colorées qui s’étendaient sur la façade du cinéma Manivel à Redon.

En matière de bon sens ces seize voyelles ou consonnes et cette esperluette ne faisaient que tièdement l’unanimité.

- Insinuent-elles qu’on ferait mieux de regarder « Les chiffres et les lettres » à la télé plutôt que de venir voir ici ce qui n’est peut-être qu’un navet de plus ?

- Un navet n’eût pas décroché de César, Rosalie ! fut la réponse immédiate de la dame qui m’accompagnait.

On pouvait composer « midi », « minuit », et « mâtines » mais ça clochait : rien ne sonnait, on n’entendait rien que les bruits légers des bateaux de plaisance amarrés en face de l’estaminet pour cinéphiles nourri·e·s aux éminentes critiques de « Télérama » ou du « Masque et la plume ».

Nous nous entêtâmes dans notre « Recherche du mot perdu » puis à force d’avoir été enduits d’erreur, nous conclûmes et admîmes en notre for intérieur que cela suintait fort le concept artistique.

- Fourguons leur de l’inattendu, aux Redonnais ! Avaient dû se dire les artistes-architectes plus ou moins déments. Ils sont si attachés à leurs vieilles antiennes, ils ont l’âme si sédimentée dans leurs traditions qu’un peu de surréalisme dans l’eau froide ne leur fera pas de mal !

Et puis cette année, nous nous mutinâmes :

- Je refuse d’être tétanisé par cette corporation médisante. Je décide que ces lettres sont mises là de façon immanente à la seule intention de notre amusement ! Je vais les confier à l’Atelier d’écriture. La muse de la danse des mots aura tôt fait de nous emmener, grâce au générateur d’anagrammes, vers les autres mystères qu’elle inspirera à mes coreligionnaires.

Or, l’heure étant venue de la médiumnité, je suis bien étonné pour ma part, devant cette liste de vocables que la machine émiette, d’y trouver les minutes de mai 68 ou de cette autre manifestation paysanne dont la femme de ma vie – celle qui m’appelait « Rosalie » ci-dessus – fut l’involontaire témoin à l’époque où ses parents créchaient et usinaient à Redon.

La famille habitait alors non loin d’ici, rue de l’Union, au bord du canal et les enfants devaient traverser le passage à niveau devant l’hôtel de ville pour aller à l’école de l’autre côté de la voie ferrée. Elle avait dix ans et en revenait ce soir de juin quand, avec son frère cadet, ils s’étaient retrouvés en pleine lutte intestine entre des paysans sainement remontés et des brigades anti-émeutes dont le destin consistait à « mater le mutin dès le matin». Les lacrymos pleuvaient comme des boules d’antimites. Les bras se tendaient sans aménité pour envoyer voler des poulets congelés sur les flics sans immunité qui se démenaient tant bien que mal pour ne pas y laisser des plumes. Bref ça se castagnait avec une intensité pas inusitée mais presque.

A cette époque-là, Marinette – appelons-là comme ça vu qu’elle change de prénom comme de chemise, ces temps-ci – n’était déjà pas du genre « Midineta minaudensis » (midinette qui minaude). Les demi-teintes n’étaient et ne sont toujours pas sa tasse de thé sauf lorsqu’elle fait de l’aquarelle.

La distribution d’horions ne diminuant pas, la main du petit frère fut fermement empoignée et maintenue dans la sienne ; elle s’insinua au milieu de l’échauffourée et traversa au galop le champ de bataille sur lequel les belligérants, tels des tennismen fous échangeaient en les lançant, sans craindre une quelconque tendinite, les projectiles qu’ils détenaient tout en braillant des injures sur un mode asinien.

Une qui fut bien médusée, voire néantisée, ce fut la maman des deux mômes.

- Mais il fallait attendre que ça se termine ! Vous vous rendez compte de l’immensité de votre bêtise ? Vous n’avez pas eu le sentiment que c’était dangereux d’être là au milieu de tout ça ?

2122-08 Jean-Paul - 26 juin 1967

Image empruntée ici

***

Bien sûr, un autre agencement des mots de cette liste était possible. J’aurais pu évoquer aussi par exemple ma propre vie estudiantine, les tissus d’indienne des amples jupes des filles des années qui suivirent, vous dire, grâce au mot "déniaisement", comment je fus intimement inséminé... par la poésie rimbaldienne et la musique étasunienne mais mon surmoi n’est jamais très chaud pour qu’on médiatise ne serait-ce qu'un poil de ma part intime.

Et surtout j’adore raconter la vie des autres !


Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 9 novembre 2021

d'après la consigne 2122-08 ci-dessous

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Aujourd'hui, je vois mieux que penser.<br /> <br /> :-)
Répondre
J
Merci ! <br /> <br /> <br /> <br /> Ne la cherche pas avant d'écrire si tu écris mais il y a une explication "démente" à ces lettres sur Internet !
Répondre
A
excellent et ce "plus ou moins dément" est tout à fait approprié, plutôt plus que moins ;-)
Répondre
Mots et images de Joe Krapov
Publicité
Derniers commentaires
Visiteurs
Depuis la création 788 500
Archives
Newsletter
Publicité