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Mots et images de Joe Krapov
arthur rimbaud
8 janvier 2018

DE RIMBAINE A VERLAUD. 6, Constance

M. Arthur Rimbaine
Agence d’exploration de villes extraordinaires
et d’us et coutumes à mettre dans les annales
8, quai Arthur Rimbaud
08000 Charleville-Mézières

Monsieur Paul Verlaud
Société de géographie des Maladives et du Miraginaire
73, rue Sonneleur
62812 Vent-Mauvais

Charleville le 1er janvier 2018

 


Mon cher Paul, 

171230 265 058

Qu’est ce que c’est joli, la Bretagne ! Déjà dans la toponymie, cela transparaît : Plougrescant, Ploumanac’h, Plougastel. Il suffit juste d’y ramener sa fraise et on voit tout de suite que c’est plou zoli qu’ailleurs !

Me voilà d’humeur fort primesautière ce soir et pourtant je n’en menais pas large avant-hier en fin d’après-midi dans la Kangoo rouge que conduisait Madame J. sur la route de Lannion à Plougrescant. Contrairement à l’autre malade de Saint-Nectaire, Madame J. conduit très bien son char à bœufs sur les routes plus qu’humides du Trégor balayées par le vent de la tempête Carmen. C’est juste qu’il fait un temps à rencontrer l’Ankou, ce personnage mythologique muni d’une charrette à ramasser les morts et à les autantenemporter au diable Vauvert.

Il est dix-sept heures vingt et il fait déjà nuit en cette veille de dernier jour de l’année. La route sinue dans la campagne morne au milieu de champs immenses, dénudés et trempés, traverse quelques petits villages où il doit faire bon s’emmerder l’hiver, rencontre des carrefours qui mènent vers l’inconnu : Trélévern, Penvenan, Plouguiel, Tréguier, Kéralio…

Chez Constance à Plougrescant

Les illuminations de Noël sont chiches, les calvaires des carrefours paraissent sinistres et les vingt-deux kilomètres ne laissent pas d’insinuer dans les veines une angoisse qui se transforme bientôt en questions saugrenues :

- Et si on allait voir la maison entre deux rochers célèbre pour avoir servi jadis à une campagne d’affichage malencontreuse ? Comment la repérerait-on dans la nuit ? Est-elle illuminée d’une guirlande –gabegie clignotante représentant le père Noël et ses rennes ? C’est quoi ce « Chez Constance » ? Un endroit avec un piano à queue derrière lequel un ludion à perruque massacre avec joie du Mozart ? Où tu m’envoies encore, Paulo ?

171230 265 055

Vingt-deux kilomètres ! Comme toute écologiste bourrée de contradictions qui se respecte, Madame J. ne lésine pas sur son bilan carbone ! On peut pester contre Donald T., avoir «Zéro déchet» de Béa Johnson comme livre de chevet dans ses toilettes – j’y ai trouvé aussi "Olympe de Gouges" par Sophie Musset, je l’ai lu et ça se mariait très bien avec «Les Onze» de Pierre Michon dont j’ai entrepris la lecture, mais ça n’a rien à voir avec mon propos – et pour autant multiplier les déplacements en voiture ! Mais peut-on faire autrement dans ce pays-ci où les villes ne sont pas encore verticales ? D’autant que ce voyage-ci est pour la bonne cause, à savoir notre bon plaisir de découvrir des mœurs qui ne sont pas les nôtres.

Arrive enfin le panneau « Plougrescant », le ralentissement à cinquante à l’heure – mais ne roulait-on pas déjà à cette vitesse depuis Lannion ? – et le moment de repérer l’enseigne. En effet M. Googlemaps nous a situé le bar-restaurant-librairie Chez Constance à quelque mètres de P’ty Lypous mais avant l’entrée du village.

- C’est là !

On passe devant l’établissement et on va garer difficilement un peu plus loin sur la droite.

171230 265 040C’est que – surprise ! – après la traversée du désert agricole on trouve par ici des voitures en pagaille. Il y a du monde dans le bled ! Je suggère à Madame J. de fermer à clé sa voiture : je ne me vois pas rentrer à pied sous la pluie à Lannion dans la nuit ! Je ne suis pas sûr non plus qu’elle ait fermé à clé la porte de son domicile avant de partir ! « Il n’y a pas de voleurs par chez nous ! » dit-elle pour se justifier. C’est peut-être vrai mais il n’y a pas de médecin non plus à Plougrescant. Et c’est vrai qu’avec le « tout en ligne » et la retenue à la source qui s’annonce il n’y a peut-être plus de percepteur non plus à Lannion ! S’ils pouvaient faire pareil avec la pluie, la retenir à la source, ça arrangerait les cons qui ne sont pas bretons et qui vont chez Constance une veille de réveillon pluvieuse.

On entre dans ce qui devait être autrefois une petite boutique et a l’air aujourd’hui d’une échoppe de libraire-bouquiniste. S’ensuit un corridor où se situe le comptoir du bar. Il est déjà difficile de se frayer un chemin. Contrairement aux dires de Madame J. la session irlandaise a bien débuté à 17 heures et le patron et la patronne sont déjà bien débordés par le tirage de bière à la pompe. Il faut dire, je l’ai constaté par la suite, que M. ChezConstance met un soin extrême et un temps certain à éliminer le faux col des demis de certains clients.

Pour l’heure nous sommes surpris ou étonnés : l’immense salle du restaurant est bondée. Madame J. repère néanmoins un espace libre au bout d’une table ovale ou siègent déjà cinq personnes. Elles acceptent que nous nous installions auprès d’elles. Ne reste plus qu’à trouver deux chaises. Nous slalomons entre les consommateurs avec la chaise au bout des bras : on dirait une figure de danse bretonne même si, paradoxalement, nous sommes dans la posture des anciens égyptiens en profile indienne.

171230 265 020Je propose une bière rousse à madame J. mais, très sagement, elle s’aligne sur mon propre désir d’un chocolat chaud – je ne me reconnais plus ! - . Je vais donc prendre mon tour au comptoir. Il y a là un chat roux que le vacarme ambiant ne semble déranger en rien. Formant un cercle quasi parfait, posé lascivement sur l’osier du tabouret de bar, il écrase. Monsieur ChezConstance demande à Madame ChezConstance de rester là puis il disparaît dans ce qui doit être la cuisine. Il revient deux minutes après avec des cartons desquels il extrait de grands bols à chocolat. Retiens cela, mon cher Paul ! En contrée trégorroise, si tu vas dans un pub, au fest-noz ou au bistrot, c’est bière obligatoire ! Retiens aussi qu’on ne te tient pas rigueur de ta commande farfelue mais que tu vas la payer bonbon. Visiblement le lait chaud et la cuillère de chocolat van Houten sont vendus plus cher que la bière du coin.

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Je vais me rasseoir dans le brouhaha d’où s’échappe un fond de musique celtique. Les musiciens ont bien du mérite de jouer dans un bordel pareil. Ils sont au moins une vingtaine, assis autour d’une longue table, à tâter du banjo, du bodhran, de la flûte, de la guitare, de l’accordéon ou du violon. Ils portent barbe et gapette, ont l’œil fatigué de ceux qui ont beaucoup vécu et descendu de bières locales, ont vu Paimpol et sa falaise, Dublin, Cork ou les lacs d’Ecosse, le loch Guinness, par exemple. Je n’ai pas trouvé plus malin, pour exprimer cette celtitude assemblée là, que de les photographier en sépia et en plan rapproché. Tant pis si le zoom donne du flou aux photos, l’effet d’ubiquité est garanti : on est à Plougrescant et on est en Irlande. On se croit réfugié pour cause d’averse au dehors dans un pub de la verte Erin au milieu des années cinquante ou soixante et je n’ai même pas besoin de préciser le siècle.

Que te raconter d’autre sinon que nos voisins étaient insupportables ? Ils allaient se recharger en bières avant que les précédentes ne soient terminées, ils et elles tapaient comme des ivrognes sur la table et même pas en mesure au lieu d’écouter la musique avec religiosité comme je le fais de mon côté.

- Je n’emploierais pas ce mot-là. » m’a dit Madame J. à qui je m’en ouvrais.
- Moi si. » lui ai-je répondu.

Chez Constance à Plougrescant 2

Nous avons fini par prendre notre mal en patience et, sages comme des enfants au milieu d’un bal de papys et mamys en goguette qui, ne pouvant plus danser, se contentent de bavasser et secouer leurs bijoux en prenant des selfies ou des photos de leur groupe, nous sommes allés chercher un jeu de solitaire auquel il manquait deux billes. En jouant à tour de rôle nous sommes arrivés à n’en laisser que quatre puis deux.

J’ai fait un tour des étagères de la librairie. Je n’y ai pas dégoté d’ouvrages de Pierre Michon ni l’introuvable de Giovanni Guareschi. J’ai photographié deux citations humoristiques dont le souvenir m’évite de pester contre ce connard de Parigot qui m’a fait une queue de poisson sur la route du retour ce jour.

171230 265 056

Peut-être bien qu’il était lui aussi chez Constance avant-hier ! Peut-être qu’il n’y avait là que des Parisiens en vacances dans leur résidence secondaire à Plougrescant et autour ?
Madame J. te fait ses amitiés. Elle a gardé et encadré dans son salon le poème que tu lui avais écrit autrefois à partir de vos folles parties de « Dixit » ( ?). Je n’ai rien compris à ce laïus mais c’est ce qu’elle m’a dit.

Moi je transmets ! Bonne et heureuse année 2018 à toi et à ta jambe de bois ! Longue vie à nos échanges épistolaires ! Continuons à sourire avec constance !

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6 janvier 2018

LES BELLES HISTOIRES D'ONCLE FRIEDRICH. 1, UBIQUITÉ

Rimbaud 1866 première communion

Il m’a dit d’aller voir là-bas s’il y était. 

J’y suis allé. Il y était.

- Comment cela est-il possible ? lui ai-je demandé.
- Je suis partout ! Je suis dans tout ! a-t-il ricané.

Il avait une gueule d’ange et un sourire méchant de garnement rusé.

- Va voir à Charleville si j’y suis !

Je suis allé à Charleville. Il y était.
Je suis allé à Londres. Il y était.
Je suis allé au restaurant chez Godefroi, à Bouillon. Il y était.
Je suis allé, enfantin, voir la tour de Paris. Il y était.
Je suis allé à Stuttgart. Il y était.

C’était quoi, ce jeu ? Ca ne rimait même plus. Même pas avec rien.
C’est là que j’ai compris que c’était un vaurien.

Quand tous les clignotants ont été au rouge – c’était à Bruxelles encore, une fois ça marche, une fois ça marche pas – j’ai sorti mon revolver et je ne l’ai pas raté. Une balle en plein cœur et deux autres qui lui ont fait deux trous rouges au côté droit.

Je ne sais pas comment c’est dans le vôtre mais dans cet univers-ci, Dieu est mort. C’est moi qui l’ai tué. Son don d’ubiquité m’énervait.

On a ramené sa dépouille de Marseille et on l’a enterrée avec son corps de Bruxelles. Bien sûr personne ne sait où a eu lieu l’enterrement ni où on a mis le corps d’Arthur – ici Dieu se prénommait Arthur – mais on s’en fout. Depuis, sans lui, c’est le paradis, ici.

Extrait de : « Ainsi parlait Sarah Fouchtra, Auvergnate irascible » de Friedrich Nichts.


P.S. 1   Si tu lui avais dit, oncle Friedrich, qu’ici Dieu est un type avec une jambe de bois qui rêve de retourner au désert, Sarah aurait compris pourquoi notre monde boite autant !

P.S. 2   L'illustration (Copyright la Bibliothèque Nationale de France) représente Augustin et Arthur Dieu en premiers communiants. Si vous avez d'autres photos d'Augustin Dieu, faites le savoir à Pierre Michon, il est preneur !


Ecrit pour le Défi du samedi n° 488 à partir de cette consigne : Ubiquité

2 janvier 2018

ECRIRE A RIMBAUD. 12, Thuriféraire

Monsieur Arthur Rimbaud
B.P. 01 au vieux cimetière 
08000 Charleville-Mézières

Mon cher Arthur

"Entends-tu les clochettes tintinnabuller ?"
Graeme Allwright

 

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Nous autres les thuriféraires de la poésie volatile, les apôtres des hashtags #balancetonencens, #diffusetonpatchouli, #assumetonbabacoolisme et #décroissantsaubeurre, nous avons fort à faire ces jours-ci avec les sommations de la société de consommation.

Nous voici à peine sortis de la célébration coûteuse et somptueuse de la naissance d’un fils de pauvre dans une étable que d’aucuns songent déjà à remettre le couvert le 31 décembre pour commémorer la venue au monde de Jean-Marc Sylvestre, le thuriféraire n° 1 du libéralisme galopant nez au vent, ou pas, sous sa bannière emplie d’étoiles.

Consommons ! Consommons ! Consommons la dinde et le marron, les serpentins, les cotillons, les canapés sur le napperon, la veuve Clicquot, le Dom Pérignon, soignons-nous aux petits oignons, gavons-nous jusqu’au troufignon de foie gras d’oie, foie gras d’oie voilà les Dalton !

Car il ne sert à rien de jouer les Harpagon, Picsou nageant dans ses millions, d’avoir la passion des actions et d’honorer le dieu Pognon.

Claquons tout ! Soyons fous ! Sauf que moi je ne le puis. Mon bonheur sur cette Terre me coûte excessivement peu cher. Je suis le thuriféraire des captations de lumières ; l’objectif de ma prêtrise est de dispenser des bêtises et mon déguisement en Merlin l’encenseur ne vise que des petits bonheurs, ceux qui n’ont pas de prix parce qu’ils sont gratuits.

170710 265 045

J’opère en toute simplicité d’esprit et – beati spiritu pauperes – je m’en trouve bienheureux. J’entre dans les églises pour aimer leur silence et faire mon miel photographique de leurs vitraux. C’est par-là que je crois au mot «divinité». A ce jeu-là, si c’en est un, il me semble que nos chemins sont à l’inverse.

Y a-t-il un coeur sous ta soutane d’autrefois ? Qu’est-ce qui bave à la poupe sinon l’encre d’un certain fiel ? N’était-il pas par trop facile de retourner Verlaine comme tu le fis à chaque fois ?

Sur le bateau ivre de la photographie, dans cette chapelle marginale, ne rencontré-je pas, de mon côté, un certain mysticisme planant ?

Là où nous nous rejoignons, finalement, c’est au désert ! J’écarte soigneusement les humains de mes paysages, tel un herboriste rousseauiste et me réjouis des attraits des bois et guérets de la Creuse.

Mais je ne dédaigne pas pour autant les portraits de groupe, la sainteté volée des musiciennes au travail ou la gaîté posée ou joyeusement éclatée des carnavaleuses complices.

J’adore aussi ces krapoveries à la W.C. Fields qui me viennent je ne sais comment : « Ca y est ! Je me suis encore fait avoir. L’estomac plein, le cœur au bord des lèvres. Fruits de mer, pâté en croûte, vins, Champagne, chocolats, gâteaux. Trop, trop, trop. Pourquoi ai-je tant participé à ces festivités alors que je ne crois même pas au Père Noël et encore moins à sa naissance à Bethléem entre un bœuf et un âne ? En Laponie, entre deux rennes, passe encore ! ».

A part ça j’ai découvert ce week-end un bien plus terrible thuriféraire que nous autres. Il s’agit de Pierre Michon dont, jusqu’à la semaine dernière, le nom et l’oeuvre m’étaient inconnus.

Ce monsieur s’est fait une spécialité d’écrire autour des portraits, d’en dresser de bien littéraires à des moments-clés de la vie des glorieux. Dans son livre «Le corps du roi» il nous met sur la table des lois son idolâtrie pour Samuel Beckett et William Faulkner se faisant portraiturer chez un photographe ou nous dépeint Gustave Flaubert sortant pisser un coup dehors après avoir mis le point final à la première partie de "Madame Bovary". A tous les coups Michon a dû écrire quelque part une prose poétique du même acabit sur Proust. A bon entendeur, Port-Salut ! Voilà, c’était une idée de cadeau à rechercher pour votre oncle de Belgique !

Mais surtout j’ai appris en parcourant les Cahiers de l’Herne à lui consacrés qu’il a commis un «Rimbaud le fils» dont je ne peux pas te dire grand-chose car il était sorti, comme tous les livres de Michon, de la bibliothèque où j’ai mes habitudes. J’ai d’autant plus d’appétence pour cette lecture que son projet de départ était d’écrire sur ton frère, Frédéric Rimbaud, le conducteur d’attelage ! Je trouve cette idée géniale, gaguesque à souhait mais je doute qu’il en ait fait un bouquin réellement rigolo.

Voilà, mon cher Arthur, ça sera tout pour aujourd’hui. Ite missa est !

Je t’envoie mes salutations distinguées de thuriféraire de Sainte-Boîte-à-lettres-du-Cimetière qui me permet depuis six mois maintenant de correspondre avec un mort d’importance !


P.S. Ceci n’est pas une grossièreté : existe-t-il pareille boîte à lettres dédiées au cimetière de Montcuq ? Car je me ferais bien aussi le thuriféraire de Nino !
 



Ecrit pour le Défi du samedi n° 487 d'après cette consigne : Thuriféraire

20 décembre 2017

DE RIMBAINE A VERLAUD. 5, Paske et Pourkwa

M. Arthur Rimbaine
Agence d’exploration de villes extraordinaires
et d’us et coutumes à mettre dans les annales
8, quai Arthur Rimbaud
08000 Charleville-Mézières

Monsieur Paul Verlaud
Société de géographie des Maladives et du Miraginaire
73, rue Sonneleur
62812 Vent-Mauvais

Oukipudonktan, île de Porqué-Portquai, le 19 décembre 2017

Mon cher Paul

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Je crois que trop c’est trop. Dans un sens comme dans un autre. Si on écoute la radio, regarde la télé ou lit les journaux, on entend le discours de gens qui sont des savants absolus. Ils ont réponse à tout, même aux questions qu’on ne leur pose pas, même aux questions qui ne se posent pas. Rien ni personne ne peut arrêter leur débit mais ce n’est jamais drôle très longtemps de les écouter. Ils sont capables de nous pondre des phrases, des thèses, des romans sur le fameux incipit de Marcel Proust «Longtemps je me suis couché de bonne heure et j’ai toujours mis trois plombes à ne pas trouver le sommeil» sans qu’aucun ni aucune ne fasse le rapprochement avec l’histoire de la princesse au petit pois !

Le petit Marcel a du mal à s’endormir et en plus ce rigolo néglige de surveiller sa literie ! Sur un matelas Epéda multispores il y a tellement d’acariens que tu peux devenir asthmatique et cet idiot-là l’était ! Supposons qu’il soit né sous une étoile mystérieuse : les multispores de l’Epéda peuvent donner naissance à des champignons qui grossissent, grossissent et éclatent en faisant «Schploff» ou «Pffflurt». Va-t-en t’endormir avec ça si tu n’es pas aussi sourd que Tryphon Tournesol ! Si ça se trouve, sous son matelas, à Marcel Proust, il y a le crayon de bois de Jean d’Ormesson ! Une farce de Céleste Albaret !

Bref, si je suis devenu explorateur c’est pour rencontrer les gens qui n’en savent pas plus que moi et qui sont curieux de naissance plutôt que Messieurs Jesaistout, Fermela et Cémoikikoz. Et alors là, mon cher Paul, chez les Pourqwa-Pourkoi chez qui tu m’as envoyé, j’ai été servi !

Dès la descente du bateau – Porqué-Portquai est une île – les habitants te sautent dessus, t’enguirlandent, t’emmènent dans leur case et commencent à te bombarder de questions saugrenues :

Pourquoi y a-t-il des papous à poux et des papous pas à poux ?
Pourquoi les occidentaux ne vont plus à la messe le dimanche ?
Pourquoi, en échange, se précipitent-ils à l’approche du 25 décembre dans les temples de la consommation de la rue Le Bastard ou dans les hyper-Noëls des alentours de Rennes-au-nez-Rouge-et-Noir ?

Un beau jour, les Pourqwa-Pourkoi ont fait comme moi. Ils se sont équipés d’un petit dictaphone et ils ont enregistré les réponses que les visiteurs apportaient à leurs questions. Ils ont déversé les enregistrements dans un ordinateur central mais comme il n’y a ni archiviste ni bibliothécaire chez eux personne ne va compiler les résultats pour en faire une encyclopédie ou un dictionnaire ! Car, à vrai dire, les Pourqwa-Pourkoi se fichent du savoir comme de leur premier slip aéré ! Autant les Passe-queue-Paske dont je parlais au début de cette lettre se fichent de nos questionnements, autant les Pourqwa-Pourkoi ne s’intéressent pas aux réponses qu’on leur apporte. Eux sont sur terre pour poser des questions, alors ils les posent. Quel est la couleur du cheval blanc d’Henri IV ? Quelle est la différence entre un écureuil et une brosse à dents ? Pourquoi y a-t-il un h à «rhododendron» ? Pourquoi n’y en –t-il pas à «rodomontade» ?

Le plus cocasse survient à chaque fois qu’on leur répond «Je ne sais pas» ! Les Pourqwa-Pourkoi éclatent alors d’un rire tonitruant et ils viennent nous taper sur l’épaule en disant «Mais c’est pas si grave !». Comme tous ces échanges s’effectuent en buvant de leur alcool de mangue de cinquante ans d’âge vieilli en fût de chêne et que cette boisson frappe un maximum l’hilarité vous gagne très vite et on assiste alors à des échanges de questions-réponses d’une drôlerie inimaginable. Et tenez-vous bien, on en redemande ! J’en ai tellement bu que je vois double et que je te vouvoie, dis-donc !

Tout allait donc pour le mieux sauf qu’à un moment de la soirée la jeune fille de la maison est entrée dans la case. Très jolie, très sympathique, on me l’a présentée mais elle était bien plus collet monté cul pincé lèvres gercées que son géniteur et sa génitrice.

Elle ne m’a posé qu’une seule question.

- Monsieur Rimbaine, vous qui avez beaucoup voyagé, savez-vous pourquoi on nous appelle les Pourqwa-Pourkoi et pouvez-vous me dire à quoi correspondent ces différentes graphies d’un même phonème ?

170419 Nikon 010Comme j’étais arrivé au bord de l’ivremortitude, j’ai trouvé très malin de lui répondre : «Je ne sais pas» pour la faire rire ou au moins pour la décoincer. Mais ça n’a pas marché avec elle. Elle n’est pas venue me taper sur l’épaule et ça, en tout cas, je l’ai bien vu, ça a jeté un froid.

- Il faudrait que vous sachiez, Monsieur Rimbaine. On ne construit rien sur du sable et on ne laisse aucune trace dans l’histoire du désert si on n’a pas aux pieds des tongs de l’UMP.

- Des tongs de l’UMP ? ai-je demandé. Qu’est-ce que c’est ? Un genre de semelles de vent ?

Là j’ai senti que j’avais commis un impair phénoménal. Les parents de la jeune fille, redevenus sérieux comme des papes, se sont levés. Ils ont retrouvé toute leur dignité, ils m’ont accompagné dehors jusque sur la plage et là ils m’ont indiqué un hamac dans lequel je pourrais passer la nuit. Ils m’ont retiré la guirlande de fleurs et la bouteille d’alcool de mangue et ils sont rentrés dans leur paillotte qu’ils ont fermée à double tour.

Le lendemain matin le père est venu m’expliquer que chez les Pourqwa-Pourkoi les étrangers ne devaient jamais poser de questions et surtout pas aux filles métisses que les habitantes de Porqué-Portquai ont eues avec des missionnaires blancs.

Voilà pourquoi, mon Cher Paul, j’ai quitté le pays des Pourqwa-Pourkoi.

Joyeux Noël et bonnes fêtes de fin d’année à toi !


Pondu le mardi 19 décembre 2017 à l'Atelier d'écriture de Villejean
d'après la consigne suivante :


Extrait du jeu "Comment j'ai adopté un dragon" :
 
écrire sur le thème "Pourquoi j’ai quitté le pays des Pourqwa-Pourkoi"
en insérant successivement dans le texte :

En plus - Et alors - Un beau jour - Mais c'est pas si grave - En tout cas

19 décembre 2017

A La Rochelle (Charente-Maritime) le 19 avril 2017 (3)

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La Rochelle ? Une ville qui a plus d'une tour dans son sac !

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18 novembre 2017

DE RIMBAINE A VERLAUD. 4, Noctambule

M. Arthur Rimbaine
Agence d’exploration de villes extraordinaires
et d’us et coutumes à mettre dans les annales
8, quai Arthur Rimbaud
08000 Charleville-Mézières

Monsieur Paul Verlaud
Société de géographie des Maladives et du Miraginaire
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Saint-Nectaire le 28 octobre 2017


Mon cher Paul

Ton copain Octave n’est pas un très bon conducteur. Déjà, quand il a mis le contact, le moteur à injection a rugi aussi fort que Clarence, le lion qui louche de «Daktari», ou que son cousin de la MGM. Mais bon, restons objectifs, je ne suis pas là pour jouer les détracteurs et ton factotum, bien que fort silencieux, m’a mené à bon port.

DDS 481 stnectaire1

La nuit était tombée sur Saint-Nectaire et il y faisait un temps assez infect pour qu’on se croie au mois d’octobre et, du reste, on y était. Il n’était pourtant que dix-neuf heures. Octave a garé sa vieille Peugeot sur le parking près de la basilique romane et nous avons traversé la rue pour entrer au Relais de Sennecterre.

Moi qui croyais trouver là une assistance clairsemée, succincte, composée de deux ou trois loqueteux égarés ou d’un groupe d’autochtones casquettés écoutant le facteur local rendu au bout de sa tournée – générale – et en train de jacter doctement sur les derniers potins du district, je dois avouer que je me suis mis le doigt dans l’œil jusqu’à l’adducteur rectal !

Le restaurant était bondé et s’il était peuplé d’ectoplasmes provinciaux rien dans leur mise ni dans leur diction n’en laissait rien paraître. Tout le monde était habillé classe, l’ambiance était sélect au possible avec autant de jeunes connectés et de fashion victims à smartphones fluorescents que de sexy-, septua- et octogénaires ayant connu Epictète à l’époque où il manquait d’adjectifs.

- Victor, tu nous mets deux kirs, STP ! a lancé un Octave péremptoire et limite irrespectueux : j’eusse peut-être préféré boire autre chose ?

- C’est ici qu’on va becqueter ? ai-je demandé sur le même ton.

- Non. Ici on prend l’apéro. Alors ? Comment il va le Paulo ? Toujours aussi «Laudver, Laudver, Laudver come back to me» ? Encore à collecter des destinations improbables et à étudier la tectonique des à-côtés de la plaque ?

- C’est un peu ça ! lui ai-je répondu tout en continuant à me délecter du spectacle du réfectoire.

- Et toi, Arthur, tu es la paire de semelles qui va devant et qui ramène au directeur de la Société de géographie les infos nécessaires à ses dissections de parcours ?

- Vous avez eu fait ça aussi, Monsieur Octave ?

- Exact ! Jadis, quand j’étais belle ! Adieu les infidèles !

- Fréhel !

- Bravo ! Monsieur Rimbaine a des lettres ! 

DDS 481 Anquetil Poulidor

Quel curieux mecton ! Ca n’allait pas être simple de pactiser avec ce guide-là ! C’était quoi, cette tagada-tactique du gendarme ? Il n’avait pas décoincé un mot dans son tracteur à roulettes entre Clermont-Ferrand et Saint-Nectaire et voilà que maintenant, tout à trac et sans aucun tact, il me tapait sur le ventre comme si on avait fait la dictée de Pivot côte à côte avec des antisèches de Mérimée ou fait gonfler nos pectoraux ensemble à l’époque où Monsieur Muscle et Jacques Anquetil imposaient leur diktat devant les foules du Puy-de-Dôme et d’ailleurs ! Mais j’exagère. D’une part c’est Poulidor qui avait pris le dessus dans cette étape et puis moi je n’ai commencé la muscu que sous Eddy Merckx et Schwarzenegger.

Le dénommé Victor, serveur réactif de son état, nous a servi les cocktails. Le kir auvergnat était onctueux à souhait.

- Sirop de châtaigne et Saint-Pourçain blanc ! C’est quand même plus gouleyant que la Volvic, non ?

Quand nous sommes arrivés au troisième verre, après avoir finalement trouvé le biais pour caqueter ensemble, Octave a éructé :

- Bon, ça c’était du prophylactique. Maintenant on éjecte et on passe aux choses sérieuses. On va dîner chez Wiwi.

Malgré les fluctuations de la sesterce arverne et de nos guiboles alcoolisées, nous avons regagné sa 206 et avons traversé le bled pour gagner Saint-Nectaire le Bas.

Ambiance un peu plus feutrée chez Wiwi mais toujours autant d’autochtones – ou pas ? – étiquetés « beau linge », de cliquetis de coupes et verres et de dégaines de sectateurs nyctalopes parés pour une virée nocturne du genre assez festif. Des noctambules, quoi.

- Tu vas goûter la marquisette maison, mon pote ! Objecte pas, c’est la tradition !

La décoction qu’on nous a servie était effectivement un pur nectar ! Je te passe les détails, mon cher Paul, sur l’abominable tripoux, même pas clandestin, que ton ancien collaborateur, semble-t-il addict à la charcutaille, s’est envoyé. Rien que le mot « tripe » me débecte et pourtant, je ne cesse pas de voyager ! Une infection ! En guise de victuailles je me suis contenté d’une succulente truite aux amandes.  

171116 265 003

Au dessert, Bénédicte, une connaissance d’Octave, est venue s’asseoir à notre table. Bises affectueuses, présentations effectuées, « Mes respects Mademoiselle ! », « Madame ! », Zut ! C’est une jeune femme d’une trentaine d’années qui a dû signer un pacte avec le diable pour hériter de pareille beauté et lui a refilé en échange un dictaphone des plus actuels – il paraît qu’on trouve peu de sténo-dactylos efficaces en Enfer -.

Une beauté picturale, sculpturale, pas piquetée des hannetons et pourtant Mme Terrail-Duponson – c’est son nom et, oui, elle est hélas bien mariée à un prénommé Hector – exerce ses talents d’artiste en dessinant, peignant, découpant des insectes fabuleux. Elle nous a montré cela sur sa tablette tactile. Comme on avait un peu disjoncté et que nos attitudes n’avaient, stricto sensu, plus rien de strict ni de sensé, on s’est retrouvés, à force de surfer, sur le site web d’un collectionneur de coquetiers auvergnats dont les pièces maîtresses étaient un service orné de cactus ayant appartenu aux Pompidou et un œuf peint décoré d’une tronche de Giscard d’Estaing datant d’avant Vulcania et les ptérodactyles, des collectors uniques en leur genre.

- On a quand même de satanés fortiches en France ! De sacrés crânes d’œuf ! a commenté Octave avec son rictus qui ne le quitte jamais même quand il prépare des mouillettes.

- C’est pas du fictif ! ai-je Percevalé façon Kaamelott revisité.

Après un dernier café et un dernier pousse-café – une Bénédictine pour Bénédicte ! – celle-ci a déclaré :

- Mektoub ! Activons-nous, messieurs ! Il faut absolument que je sois au casino à 23 heures ! Je pars devant. Vous m’y rejoignez directement ?

- On passe d’abord à l’hôtel !

Octave s’est ré-empaqueté dans son duffelcoat. On est retournés à la voiture et puis on a déposé nos paquetages à l’Hôtel de Lyon. On aurait dû commencer par-là d’ailleurs parce que, même en rectifiant la position, j’ai bien senti que la fille de l’accueil hoquetait intérieurement à la vue des deux poivrots auxquels nous commencions à ressembler. Elle imaginait sans doute, sur la moquette vert amande de nos chambrettes, quelque tas de vomissure abjecte déposé là par nous dans la nuit ?

- Ne t’inquiète pas, mon charmant petit dictateur, ai-je songé en lui remplissant le chèque, Arthur tient bien l’alcool et les impacts de balles ! Et l’Octave a l’air bien équipé aussi pour monter haut ! 

Et nous arrivons maintenant, mon cher Paul, au dernier acte de « Saint-Nectaire by night », celui dans lequel tous les acteurs et actrices du récit se trouvent réunis au même endroit, celui où Hercule Poirot donne lecture du verdict, celui où le faisceau du licteur s’abat sur le coupable, celui où l’hologramme de Sarah Bernhardt en fait des kilooctets et des mégatonnes dans la tératralité. 

DDS 481 casino st-nectaire

Cela se déroule au casino de Saint-Nectaire. Car il y a un casino à Saint-Nectaire ! Et pas une supérette, non ! Un vrai ! Du genre « Faites vos jeux, rien ne va plus » ! Il y a bien eu un architecte, un maire, des entrepreneurs assez fous pour imaginer et implanter ici un lieu de rendez-vous intergalactique de type « Carrefour des étoiles » pour les gens qui souffrent d’addiction au jeu et au divertissement : une salle de jeux Las Végassienne, sans doute importée de Sarthe, une boîte disco, une salle de spectacle, un restaurant…

Et ce soir les animateurs de la soirée techno sont le docteur DJ Kill et Miss Terrail-Duponson ! Hector et Bénédicte ! Et tous les clients et clientes du Sennecterre, du Z, de l’Auberge de l’Ane, de l’Hermitage, du Regina et de chez Wiwi s’agitent le rectum sur le dance-floor, complètement insoucieux des actualités du monde (dictatures, sectes, tromperies d’électeurs, guerres et catastrophes) et du nombre grandissant de victimes d’une Histoire dont personne ne comprend plus les vecteurs actuels.

Le tictac de l’horloge, la folie du gros son nous mènent à un minuit sans trac, sans tracts, sans rectitude morale, vers une victoire factuelle des corps en transe, vers toujours plus de sons électroniques et l’on entend partout, bien qu’aucun lecteur ne les prononce, les paroles du dicton de banlieue descendu jusqu’ici : « On ne peut rien contre le nycthémère alors nique ta mère, nique l’amer et toujours chéris l’homme libre !». « Et même la femme aussi » ajouté-je pour ma part.

Et on entend aussi, à un moment donné, une fois que trois sept ont été alignés sur un écran, le vacarme des pièces qui roulent un peu partout, le silence de toutes les autres machines qui s’arrêtent. Quelqu’un a décroché le jackpot ! Quelqu’un va emporter le pactole ! Sous le plafond en fausse voie lactée je vois trente-six étoiles car ce quelqu’un… c’est moi !

Voilà pourquoi, pour une fois, mon cher Paul, tu ne trouveras pas de facture jointe à ce courrier. Je te fais cadeau des frais liés à cette expédition-ci et je t’octroie même un chèque qui correspond à la moitié de mes gains. Il me semble normal qu’une somme recueillie auprès d’un bandit manchot revienne à un honnête homme unijambiste.

Avec mon indéfectible amitié, mon cher Paul !

P.S. Surtout, comme dit le poète : « Carpe diem et lapin noctem ! »

 

P.S. de Joe Krapov : En lisant ce texte, amie lectrice, amie lecteur,
tu as prononcé au moins 130 fois le son « ct ». Kèk t’en dis ?

Ecrit pour le Défi du samedi n° 481 à partir de cette consigne : noctambule

17 novembre 2017

Choses vues à Rennes le 11 novembre 2017 (2)

Tiens donc ! Mais qui voilà d'un seul coup d'un seul ? ;-)

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Ce que fait Yves Missaire, toujours en lien avec la poésie et la musique
est très bien et visible ici.

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15 novembre 2017

DE RIMBAINE A VERLAUD. 3, Forêt automnale

M. Arthur Rimbaine
Agence d’exploration de villes extraordinaires
et d’us et coutumes à mettre dans les annales
8, quai Arthur Rimbaud
08000 Charleville-Mézières

Monsieur Paul Verlaud
Société de géographie des Maladives et du Miraginaire
73, rue Sonneleur
62812 Vent-Mauvais

                                                                                                      Saint-Pétersbourg, le 15 novembre 2017

Mon cher Paul

J’ai toujours cette musique dans la tête, « Nathalie » de Gilbert Bécaud, et c’est d’autant plus idiot que je suis à Saint-Pétersbourg et non à Moscou. Qui plus est mon guide ne s’appelle pas Nathalie mais Gabrièle. Oui, je sais, ça ne fait pas très russe non plus comme prénom.

Je t’écris pour t’annoncer que nous avons trouvé, dans la salle de bal du palais de l’Ermitage, le tableau dont tu nous avais parlé. Il est, paraît-il, d’un certain M. Piekielny et représente un paysage de forêt automnale. Le phénomène que tu m’as indiqué s’est reproduit à merveille. J’ai dit à Gabrièle :

- Frappe-toi le cœur trois fois en prononçant le mot "ardeur" et nous nous retrouverons ensemble dans ce tableau !

Nous avons fait cela et soudain la liberté de délirer s’est emparée de moi.

IL 171113 forêt d'automne peinture à sec

J’étais devenu un jeune chevalier en armure et en quête de l’épée de vérité. Je devais la ravir à la sorcière Bakhita et la remettre à ma reine bien-aimée. Mais avant cela, comme il est de tradition dans ce genre de contes, il me fallait subir un certain nombre d’épreuves redoutables : affronter le géant Zabor, soulever et déplacer les huit montagnes de l’Altaï, couper trois griffes au dragon Tchoudo-Youdo, etc. Je te fais grâce des détails pour te perdre un peu moins mais dis-toi que je sais désormais comment vivre en héros même si, après tous ces exploits, ça s’est encore compliqué. Car sur le chemin du retour je me suis aperçu tout à coup que Gabrièle ne m’avait pas accompagné, qu’elle était absente de l’aventure.

IL 171113 chevalier bilibine

Lorsque je fus rendu au château je remis à la reine, devant toute la cour assemblée, les trois griffes du dragon et l’épée de vérité. Sa Majesté me demanda ce que je désirais en récompense. Je lui répondis qu’il était dans la nature des choses que je refusasse les cadeaux et que, simplement, je ressortisse du tableau et retournasse dans la réalité qui était la mienne. La reine éclata de rire et toute la cour suivit son exemple.

- C’est la légende d’un dormeur éveillé que tu nous contes là, chevalier Arthur ! me répondit la reine. Il n’y a qu’une réalité ici et c’est la nôtre ! C'est comme si tu nous racontais que je est une autre !

Tu imagines bien, j’espère, mon cher Paul, combien fut grand mon désarroi. Heureusement pour moi l’épée de vérité se leva de la table où on l’avait posée. Elle se mit à flamboyer, à venir tourner autour de ma tête et je m’apprêtais déjà à rédiger mon autopsie quand l’objet magique s’immobilisa et me glissa à l’oreille :

- Tire-lui la tresse gauche !
- Euh ? Côté cour ou côté jardin ?
- Ia nié ponimaiou ? Je ne comprends pas ?
- La tresse gauche, c’est celle qui est à ma droite ?
- Oui, espèce d’idiot ! Tire-la vite !

Alors, sans craindre aucunement de commettre un crime de lèse-majesté, je m’approchai de la reine et lui tirai les cheveux comme on le faisait jadis dans les cours d’école et… je me retrouvai dans la salle de bal du Musée de l’Ermitage. Mais seul, désemparé et encore hanté de ces hérésies glorieuses : Gabrièle avait disparu et le paysage d’automne du tableau aussi : à sa place on voyait une fille dans la jungle. Elle tendait les bras devant elle comme pour sortir d’un labyrinthe, comme si elle était au fond de l’eau d’un aquarium et cherchait à briser la vitre en la poussant. Et, bien sûr, elle avait le visage de Gabrièle !

A l’accueil du musée j’ai été pris en charge par Mercy, Mary, Patty et Irina, les guides interprètes stagiaires. La dernière parlait un français impeccable. Elle m’a annoncé que Gabrièle en avait eu marre de m’attendre et que je la retrouverais au café Pouchkine pour y prendre un chocolat sur le coup de dix-sept heures.

Pour le tableau je n’avais pas à m’inquiéter. Les conservateurs de cette vénérable institution étaient au courant du phénomène. Ce mystérieux M. Piekielny l’avait peint avec des encres d’automne fabriquées par lui : une décoction de feuilles mortes, de couleurs changeantes, de matières mouvantes et il avait versé dans ses godets trois verres de vodka. Cela expliquait la nature mouvante et kaléidoscopique de la toile.

L’autre explication étant que depuis que je suis à Pétrograd qui est devenue Leningrad puis Saint-Pétersbourg, j’en bois moi aussi trois à l’apéro du midi et six au repas du soir, des verres de vodka.

Do svidania et Na zdorovié, cher Paul !


Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 14 novembre 2017

à partir de la consigne des Impromptus littéraires du 13 novembre 2017

et d'une autre consigne gardée secrète pour l'instant

11 novembre 2017

ECRIRE A RIMBAUD. 11, Maléfices

Monsieur Arthur Rimbaud
B.P. 01 au vieux cimetière 
08000 Charleville-Mézières

Mon cher Arthur

“Sweet Lorraine
Let the party carry on… »

Uriah Heep (Ken Hensley ; Mick Box ; Lee Kerslake) 



A force de m’interroger sur le maléfice ardennais, sur cette suite de catastrophes que fut ton existence, j’en viens à me demander si je ne suis pas, moi-même, le maléfice ultime !

N’ai-je donc rien de plus intéressant à accomplir dans la vie que cette exploration non essentielle des bibliothèques et d’Internet au sujet de ton œuvre et de ta vie afin d’en souligner, s’il en est encore besoin, la malchance infinie ?

N’ai-je pas à rechercher des images plus colorées, plus joviales que celles du Harrar en noir et blanc ou de Charleville-Mézières après le passage de la météorite Rimbaud ou des bombes de 14-18 et 39-45? J’en connais pourtant ! Et des tonnes !

Est-il bien utile d’offrir en partage ma dernière trouvaille ? Sans doute que oui, histoire de relativiser le fait que «Non seulement j’ai écrit des bêtises mais j’en ai chanté aussi». J’avoue, j’aime bien balancer des horreurs dans les oreilles des gens, c’est pour cela que je chante ! Mais avec le «Rimbaud» de John Zorn, vous allez être gâté(e)s ! C’est du pire to pire !

Il ne sortira donc jamais, de la tête des hommes, que le génie du mal et le goût pour l’inaudible ? Serions nous tous ensorcelés ou quoi ?

Attention, passage litigieux : 

Uriah Heep Demons and wizards

Et pourtant, c’est bien la société elle-même et, paradoxalement, l’école qui nous encouragent à cela. On y prône la curiosité, le goût pour la lecture, pour les arts, pour la science, pour la découverte, bref tout ce qui a causé ton malheur… et mon bonheur !

Sans la fréquentation des livres, Arthur Rimbaud, tu serais sans doute devenu un paysan ardennais plus ou moins prospère. C’est à cela que te réduit d’ailleurs M. Thierry Beinstingel dans son roman «Arthur Rimbaud, vie prolongée». Arthur Rimbaud, contremaître à béquilles dans une carrière de marbre belge, marié puis veuf avec enfants, qui traverse l’affaire Dreyfus et 14-18 sans prononcer un mot plus haut que l’autre… Désolé de spolier celles et ceux d’entre vous qui souhaitent lire ce livre mais, à part le fait que c’est très bien écrit, ce scénario n’a rien de bien intéressant !

L'autocritique du jour : La malédiction des auteurs de romans c’est le lecteur qui se prend pour un critique littéraire !

Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne reproche rien à ce Charlemagne qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école. Je ne fais pas partie de ceux qui veulent l’interdire avec la musique, le jeu d’échecs et la liberté de parole pour voiler tout cela du grand manteau noir d’une religion. Allez-y, les jeunes gars, les jeunes filles, à l’école ! Allez y, vous n’en reviendrez pas, comme le chantait Brigitte Fontaine jadis. Oui, c’était assez inaudible aussi !

Uriah_Heep-The_Magicians_Birthday_Japan-Booklet-

En effet, sans les livres d’images, sans les bandes dessinées, sans la liberté de publier et de diffuser la culture, fût-elle d’abord souterraine (underground) puis récupérée (mainstream) et officielle (old dinosaurs, Pink Floyd, Rolling Stones, Bob « Nobel z’années » Dylan), sans les couvertures des romans de science-fiction et les pochettes de disques vinyles, comment aurais-je pu rencontrer les démons et sorciers dessinés par Roger Dean pour les albums d’Uriah Heep et d’autres groupes de rock des années 70 ?

Bien sûr, c’était en dehors de l’école, mais il n’y a pas que l’école dans la vie, ou mieux, toute la vie est une école et le professeur-cancre Joe Krapov y donne des cours de récréation ! Bien sûr c’est le hasard qui préside à la sorcellerie, à la magie et qui fait qu’un sortilège devient maléfice ou enchantement. Rien ne l’abolit et surtout pas un coup de dés. 

Uriah_Heep-very 'eavy

- T’as du faire nénette, deux, deux et un, Jean-Arthur, et moi casser la baraque avec trois six !

J’ai eu la chance de découvrir chez lui et d’emprunter à l’ami J.-B. B. le premier 33 tours de Uriah Heep, «Very ‘eavy, very ‘umble». Que faisait-il, égaré dans sa collection de disques de musiciens de la West Coast des Etats-Unis (Jefferson Airplane, Grateful Dead, Hot Tuna, CSNY) ? Mystère !

Toujours est-il que «The Magician’s birthday» est bien le premier disque de rock acheté par les pauvres deniers de mon argent de poche de l’époque. Je suis toujours aussi scotché par le morceau final de dix minutes sur la face deux avec son solo de guitare électrique et de pédale wha wha. Le plus enchanteur des sortilèges musicaux n’en reste pas moins Demons and Wizards, l’album qui précédait celui-ci, avec la suite magique de Ken Hensley, «Paradise / The spell». 

Greenslade 1 recto

Et donc, de maléfice en aiguille, pour le seul plaisir de posséder des illustrations de Roger Dean, j’ai été victime de fièvre acheteuse et je possède encore les disques du groupe Greenslade, de Yes et même de Badger.

Bon, assez disserté sur mes envoûtements personnels. Je m’aperçois que, tout à mes recherches et à mes écoutes de musiques folles, j’ai oublié de voir passer le 20 octobre et de te souhaiter un bon anniversaire ainsi qu’à ce cher oncle Walrus qui est né dans ces eaux-là aussi, un peu plus tard quand même qu’en 1854 !

C’est pourquoi je termine cette lettre en vous Balançant à tous les deux un «Happy birthday, magician !».

P.S. Et comme je ne suis pas chiche, je vous offre mes derniers trésors du Trégor. Vous pourrez ainsi constater que Messieurs Nikon et Canon ont prononcé à mon endroit aussi un terrible maléfice : «Chaque fois que tu prendras des photos, Joe Krapov, tu tourneras la molette des effets créatifs afin de te retrouver dans un autre monde qui te rendra fou ! Ha ! Ha ! Ha !" (Rire maléfique de Nippon ni mauvais qui te jappe au nez). 

P.S. Oui, je t’ai entendu, Jean-Arthur !

- Passer de Sweet Lorraine à Loreena McKennitt, c’est une belle façon de boucler la boucle. Et ce serait bien que tu la boucles un peu plus souvent, Joe Krapov !»

- Ha ! Ha ! Ha ! Compte là-dessus et bois de l’absinthe !


Ecrit pour le Défi du samedi n° 480 d'après cette consigne : Maléfices

8 novembre 2017

BARDAMU ET LANERVURE

171026 Nikon 008

C’est l’histoire de deux mecs. Je sais, chères amies du mardi, ce n’est pas idéal pour faire rêver, un incipit pareil !

Les deux mecs, le délabré et le baladin, quand le videur les amène dans le rond de lumière, on voit bien qu’ils n’ont pas bu que de l’eau minérale !

Le premier s’appelle Bardamu. Il a une tête de bedeau livide, pâle d’avoir dansé le laridé jusqu’à épuisement. Il a l’air de ruminer sa vengeance car quelqu’un lui a délivré un méchant gnon et il saigne de la lèvre.

Au fest-noz par ici, avec ou sans sosie d’Assurancetourix, ça barde ! Le nervi ne badine pas avec le blaireau, surtout s’il est aviné et taquin. Ici, sans vouloir médire, on cogne assez facilement sur le blair du débile en bermuda mauve !

Le deuxième s’appelle Merlin Lanervure. C’est autre chose comme vermine ! Un mineur de seize ou dix-sept ans, une espèce d’Aladin qui se fait reluire à la moindre occasion, un petit branleur, quoi ! On ne se lasserait pas d’admirer son œil bleu et gaulois, sa livrée idéale d’amiral en goguette, son air madré de type imbu qui a déjà avalé plus d’une brimade et culbuté maintes ribaudes en buanderie. S’il n’était pas accompagné de l’autre endive à barbe folle, on l’imaginerait bien en chef de bande malin à la tête d’une armée de ramiers veules prêts à partir en live, à libérer du délire vil, viril et velu, à mouliner à vent et à coups de chaînes de vélo au moindre signal du jeune merle.

Mais pour l’heure le videur reste calme sous son luminaire. On ne sait lequel des deux buveurs est le plus abîmé, le plus barré. Bardamu est parti éliminer sa bière : il urine contre la rambarde du pont sur la Vilaine. Lanervure brame des balivernes aux étoiles comme quoi un navire enivré ne se sent plus bridé par les valeurs.

Bref c’est l’histoire de deux mecs qui terminent leur nuit débridée en virade au drame ordinaire. Rien d’exceptionnel à mettre dans l’album cette nuit. Et zut !

171026 Nikon 081

Le lendemain matin, à onze heures, Bardamu se sent comme enfermé dans une armure de plomb au réveil ! Il se lève, tire le rideau et la tronche. Une brume épaisse a envahi la ville. Pas moyen de trier le bon grain et l’ivraie. Ah la débine ! Il s’aperçoit qu’il a vomi sur la moquette vert amande de la chambre.

Merlin Lanervure pionce encore parmi ses livres et ses revues, le visage raviné et le sexe raide, en train de bander, au milieu de cette animalerie qu’est devenu leur gourbi.

Bardamu aimerait bien se libérer de l’emprise de Merlin. Ne ferait-il pas mieux de se barrer, d’aller se balader le long de la rivière, de mettre un terme à cette braderie sans rime ni raison de leurs jeunes années ? Après tout, n’est-il pas le mari d’une jeune femme, enceinte, un peu sotte, très bavarde, certes, mais qui pourrait dire, elle, où se trouvent le Mir laine et l’Alka-Seltzer ?

Bardamu et Lanervure…

Quelqu’un leur a jeté un sort à ces deux mecs. Ils sont les victimes d’un maléfice puissant.

Un peu comme Verlaine et Rimbaud, si vous voyez ce que je veux dire !

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Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean du mardi 7 novembre 2017

d'après la consigne ci-dessous

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