RECHERCHER MARILYN M.
Ils ont détruit l’hôtel de Verdun. Quelle idée aussi, au pays du Saint-Nectaire et des volcans éteints, d’évoquer ainsi les taxis de la Marne, l’ossuaire de Douaumont, les tranchées dans le lard d’une génération et la guerre préférée de Georges Brassens, celle de 14-18 ? J’y avais habité quelques temps à mon arrivée au Mont-Dore, au pied du Puy-de Sancy. Puis j’avais trouvé une pension de famille, moins chère, baptisée « Les Tilleuls ».
Que faisais-je à dix-huit ans dans cette station thermale réputée ? Eh bien, comme tout le monde, je m’y embêtais à cent sous de l’heure, sans idée de ce que serait mon avenir, de ce que je ferais plus tard, sans envisager le moins du monde qu’un jour je reviendrais, dans ce cœur de l’Auvergne, chercher le souvenir de Marilyn M.
***
Elle était assise dans le hall de l’Hermitage, sur l’un des grands canapés du fond, et ne quittait pas des yeux la porte-tambour, comme si elle attendait quelqu’un. Quand je suis entré elle s’est levée, s’est approchée de moi. Elle faisait star de cinéma, gravure de mode comme le sont toutes les jeunes filles aujourd’hui mais cela ne m’impressionna pas.
- C’est vous qui êtes envoyé par l’agence Westminster ? Je suis Mademoiselle Modiano.
- Enchanté, Madame. Comme vous le voyez, nous ne sommes pas difficiles à identifier grâce à notre uniforme de groom jaune pétant et notre chapeau à la Spirou sur lequel le nom de l’agence est inscrit en lettres dorées. « C’est étudié pour » comme dit un comique local.
- Suivez-moi, nous allons monter dans ma chambre. Je vais vous présenter Trésor et Trésor.
Nous prîmes l’ascenseur dans lequel le garçon, lui aussi sanglé dans l’uniforme de l’hôtel, me jeta un sale œil. Je n’étais pourtant pas venu lui piquer sa place à ce gros naze. Moi mon boulot consistait à promener dans la ville les clébards improbables de ces cocottes de la haute. Tant pis pour lui s’il devait se contenter de voir monter les poules de luxe sans les approcher plus.
Nous nous engouffrâmes dans le couloir. Une moquette à motifs orientaux étouffait le bruit de nos pas. Elle sortit sa clé et ouvrit la porte de la chambre 13.
A l’Hermitage elle disposait non seulement d’une chambre mais aussi d’un salon meublé de trois fauteuils à tissus imprimés, d’une table ronde en acajou et d’un divan. Un vieux type au crâne dégarni était assis à cette table. Il faisait du tri dans une montagne de correspondance et de dossiers divers. Un petit bichon tout blanc avec un nœud rose entre les oreilles était venu frétiller de la queue et respirer mes pompes quand nous étions entrés.
- Comment vous appelle-t-on, Monsieur de Westminster ?
- Vous pouvez m’appeler Patrick, Madame Modiano.
- Eh bien Patrick je vous présente Trésor et Trésor. Le Trésor plein de poils s’appelle Trésor et le trésor sans poils sur le caillou s’appelle Jean-Philippe Meinthe. C’est mon secrétaire.
- Enchanté ai-je répondu.
- Vous viendrez chercher Trésor et le promènerez le matin de 11 heures à 12 heures. Puis, c’est convenu ainsi avec votre agence, de 18 h à 19 h.
- C’est aussi ce que j’avais noté.
- Si vous n’y voyez pas d’inconvénient je vais vous accompagner pour la première promenade. C’est aussi inscrit dans le contrat.
La cliente est reine. Je n’ai pas tiqué. J’étais prêt à tout accepter de ces foldingues en villégiature. Je n’étais pas en mesure de réclamer quoi que ce soit dans ce boulot de larbin. C’était mon premier contrat de travail à temps partiel. De 9 h à 10 h je sortais le lévrier de madame Simenon qui résidait au Grand hôtel des Thermes. De 14 h à 15 h c’était le caniche noir de la princesse Troubetzkoï. Le reste du temps je bouquinais dans le parc s’il faisait beau ou dans ma chambre aux Tilleuls les jours d’intempérie.
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Il suffirait que je retrouve l’un des programmes édités par le syndicat d’initiative, couverture blanche sur laquelle se détachaient en vert le casino et la silhouette d’une femme dessinée à la manière de Jean-Gabriel Domergue pour que, immédiatement, parce que c’était elle sur le croquis, je retrouve son parfum, son charme et sa désinvolture.
Etait-ce le prestige du ridicule uniforme jaune ? Etait-ce ma juvénilité empreinte d’une totale naïveté ? Fut-ce un caprice de star, une lubie du mannequinat, un besoin irrépressible dû à une nymphomanie chronique ? Toujours est-il que quelques jours plus tard j’ai quitté les Tilleuls pour habiter avec elle à l’Hermitage.
Le soir nous prenions sa Facel Vega, la Facellia, cette voiture qu’on a appelée ensuite « le piège de cristal »et nous nous rendions dans un café de La Bourboule qui s’appelait « L’Âne rouge ». C’est elle qui conduisait à l’aller avec Meinthe à la place du mort et moi à l’arrière. Au retour le secrétaire prenait le volant tandis qu’à l’arrière de la berline nos lèvres se touchaient et nos mains se baladaient.
Quand nous sommes entrés la première fois dans ce bistrot typiquement auvergnat Meinthe a regardé attentivement l’homme en imperméable qui rangeait les verres derrière le comptoir. Puis il lui a serré la main et il a plaisanté.
- Je suis désolé, Colombeau, mais j’ai embouti votre 403. Je vais vous envoyer la facture du garage. C’est à vous de la payer. Vous étiez stationné en zone bleue et votre disque était absent du apre-brise.
- Qu’est-ce que je vous sers, madame Modiano ?
- Tu peux l’appeler Marilyn, toi aussi, si tu veux. Et on dit mademoiselle aux actrice. Quelque chsoe de léger.
- Une Suze ?
- Un porto.
- Un Saint-Pourçain blanc ?
- Un porto, le plus clair possible, mon petit, répète Meinthe.
Je trouvais bizarre que ces gens de la haute, enfin, des superstructures de la haute société, viennent s’acoquiner tous les soirs avec des prolétaires du coin dans cette gargote typique du début des années soixante. Il y avait derrière le comptoir, outre les cartes postales des clients, des photos de Louison Bobet, Jean Stablinski, des trophées de courses cyclistes, une coupe hideuse que le patron ou quelqu’un de sa famille avait dû gagner dans les boucles des gorges d’Avèze ou lors d’une ascension du Puy-de-Dôme.
Cette coupe, où se trouve-t-elle maintenant ? Si l’hôtel de Verdun n’existe plus, le bistrot « L’Âne rouge » n’a pas dû survivre bien longtemps lui non plus. J’irai le vérifier demain à La Bourboule.
Le temps a enveloppé toutes ces choses d’une buée aux couleurs changeantes, tantôt vert pâle, tantôt bleu légèrement rosé.
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C’est arrivé un soir simplement. C’est son troisième porto clair. Meinthe et Colombeau jouent au 421.
Elle m’embrasse goulûment et je n’en peux plus d’être ici avec une érection incandescente qui ne s’éteindra… jamais.
De son sac elle sort une enveloppe volumineuse et me la remet sans un mot. Puis elle sort, seule, et on entend la Facel Vega qui démarre.
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Ce fut à peu près à cette époque-là que Marilyn Monroe nous a quittés.
Et Marilyn Modiano aussi. Je ne l’ai jamais revue, je n’ai plus entendu parler d’elle. On aurait dit une sentinelle qui rapetissait, rapetissait. Un soldat de plomb.
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 5 mars 2019 d'après la consigne ci-dessous.
Randonnée du lac Chambon (Puy-de-Dôme) le 17 juillet 2015 (1)
Allons bon ! Notre dernier séjour en Auvergne remonte seulement à 2015 ! J'ai l'impression qu'il s'est écoulé un siècle depuis. Je me suis rendu compte hier que, fidèle à mon habitude, je n'ai pas partagé tous les répertoires photographiques ramenés de ces vacances pour une fois bien ensoleillées ! Voici donc un aperçu des paysages "offerts par Elvire Debord" ! ;-)
Randonnée du lac Chambon (Puy-de-Dôme) le 17 juillet 2015 (4)
Ce n'est pas un grand lac d'Italie mais bon, l'illusion tricolore me suffit !
Faire tout péter ? Pas mon genre. Mon astrologue m'a dit que j'ai besoin de hiérarchie. Je lui obéis. C'est vrai, sans hiérarchie, comment ferais-je pour manifester ce petit côté rebelle fantaisiste qu'elle a aussi décelé rien qu'en regardant un dessin compliqué des planètes dans le ciel le jour de ma naissance !
L’APPRENTIE-SORCIÈRE AU SAINT-NECTAIRE
Aujourd’hui le cabinet du docteur Pinterest, l’acupuncteur de Vezet-le Coquin (Ille-et-Vilaine) est fermé. On a épinglé sur la porte : «Clos pour cause de Closer».
Et c’est vrai que le docteur Pinterest est en train de lire le journal qui vous mène au plus près de la vie des stars dans la salle d’attente du « Venus Beauté Institute » de Vezet. Mais c’est bientôt son tour. Il se dessape derrière un paravent puis se confie aux bons soins de Madame Debord, la directrice du salon de beauté. Seulement il s’aperçoit qu’il a mis pour venir ici le caleçon offert par ses collègues de l’AFA (Association Française des Acupuncteurs). C’était pour son anniversaire qui tombe en même temps que le congrès et ça se passait au restaurant du château de Chantilly où l’on célèbre le duc d’Aumale.
Sur la face arrière du caleçon est écrit « Suivez la flèche !». Sur la face avant est représentée une horloge où la petite et la grande aiguille se chevauchent sous le nombre douze. Pour insister à peine lourdement sur la symbolique il est aussi écrit «Toujours sur midi !».
- C’est un peu gênant, Madame Elvire. J’espère que vous n’y verrez pas malice ? s’excuse-t-il avant de s’allonger sur le dos et sur la table.
- Oh vous savez, j’en ai vu d’autres ! répond Madame Debord, l’esthéticienne, en le décorant de rondelles de concombre avant de l’enfourner sous la chaleur des lampes à UV.
- Elle est un peu curieuse, votre spécialité locale, vous ne trouvez pas ? Qu’est-ce qui se passe quand le concombre est cuit ?
- Les carottes le sont aussi et on arrête le légume coupable ! D’ailleurs, je ne sais pas si vous avez vu mais la gendarmerie est sur la piste !
- Sur la piste du concombre masqué ?
- Hier le brigadier Pandore est venu nous interroger à propos de l’affaire.
- L’affaire ?
- Vous n’êtes pas au courant ? L’affaire des caleçons qui rétrécissent ! Depuis une semaine tous les caleçons des gendarmes rétrécissent.
- Au lavage ?
- Pas plus au lavage qu’à l’essorage ! Pendant que les gendarmes les portent ! Pandore n’y comprend rien. Il pense qu’on a jeté un sort à la brigade. Du coup il oriente l’enquête vers les sectes du secteur.
- Il y aurait des sectes vaudoues à Vezet-le-Coquin ? En Ille-et-Vilaine ?
- Moi ce que j’en dis, hein, c’est ce que j’en sais ! Et ça m’a mise en colère, d’ailleurs. J’ai été suspectée ! Il paraît qu’ils ont reçu un coup de fil anonyme.
- Ca disait quoi ? Une demande de rançon pour que les caleçons retrouvent leur taille normale et que ça ne leur serre plus le kiki ?
- Non ça disait « le vaudou est toujours Debord ».
- Debord avec un d, comme Guy Debord, la société du spectacle et… comme vous ?
- Ben oui ! Vous vous rendez compte ? Elvire Debord soupçonnée d’envoûtement, de hashtag #balancetonsort, de sorcellerie, de planter des aiguilles… Mais où va-t-on ? Mais où va-t-on ?
Là-dessus elle se tait, car elle vient de se rendre compte qu’il n’y a pas mieux qu’un acupuncteur désorganisé pour transpercer une statuette maléfique.
***
Voilà. Je me suis arrêté là. Si j’avais mis la suite, ça aurait été trop long, j’aurais encore fait fuir tout le monde ! Parce que ce n’est pas le tout d’installer un mystère, après il faut procéder à sa résolution. Et dans les polars d’aujourd’hui, plus c’est compliqué, plus c’est long, plus ça plaît. Sauf à moi qui ai d’autres choses à écrire et à vous qui avez autre chose à faire !
Voici quand même mes pistes de développement de ce scénario :
De retour à son cabinet le docteur Pinterest reçoit la visite du gendarme Pandore. On a en effet retrouvé des aiguilles dans une botte de foin à l’entrée de son cabinet. Le docteur explique qu’il plante en effet dans la paille ses aiguilles usagées afin que les employés du Centre de tri des déchets ne se piquent pas par mégarde.
On suit alors le brigadier Pandore qui rentre chez lui. On découvre qu’il est célibataire, qu’il est auvergnat et que pour résoudre les mystères de Vezet-le-Coquin il s’installe dans son fauteuil et visionne des dévédés de films de cape et d’épée tout en réfléchissant au problème posé. Ce soir-là il s’envoie « Le Capitan » avec Jean Marais. Et pendant la scène où l’acteur escalade la muraille du château de Val – ah, les paysages de sa jeunesse ! – il a une illumination rimbaldienne ! « Le vaudou est toujours Debord » ? Non ! « Le vaudou est toujours de Bort !». Bort les Orgues. C’est la ville importante la plus proche du château de Val ! Sa ville natale !
Le lendemain matin il entre dans la boutique dont l’enseigne est « Papa pique et maman coud ». La patronne de la boutique de couture est nouvellement arrivée dans le village. Une dame d’à peu près le même âge que lui qui rougit, confuse, devant son uniforme et son prestige. Et soudain, il la reconnaît ! Céline Lapiquouse ! Son ancienne voisine de pupitre à l’école de Bort-les-Orgues ! Ils se tombent dans les bras l’un.e de l’autre et dans la mode de l’écriture inclusive en même temps.
D’habitude les histoires d’amour finissent mal en général mais pas chez moi. Même si Céline doit lui avouer que c’est bien elle la coupable. En effet elle est venue s’installer ici pour le retrouver car elle l’aime depuis toujours mais est timide et n’a jamais oser lui avouer et patati et patata comme dans Closer. Alors quand elle a reçu dans sa boîte aux lettres le prospectus de Monsieur Hamidou elle est allée le consulter pour obtenir un retour de flamme.
De retour chez elle, elle a suivi les conseils du marabout. Elle a confectionné dans du Saint-Nectaire fermier une poupée représentant un gendarme. Elle a habillé la figurine d’un caleçon bleu marine et l’a coiffée d’un képi Playmobil. Puis elle a planté une aiguille à coudre dans les fesses de la poupée. Pas très fort pour ne pas lui faire mal.
- Mais dis-moi, Céline, a demandé Hugues – Pandore se prénomme Hugues, ne cherchez pas, il n’y a pas de jeu de mots au frais pour une fois – T’es toujours aussi bête ou quoi ? C’est pas là qu’il faut piquer ! C’est de l’autre côté ! Regarde, c’est écrit : Suivez la flèche !
- Ah oui ! J’avais pas vu ! Alors c’est ici ?
- Oui, vas-y. Et pique fort !
Elle plante son aiguille à l’endroit idoine.
Aussitôt tous les caleçons de la gendarmerie française se dilatent, les pantalons eux-mêmes tombent, le retour de flamme a lieu et pas qu’un peu. Si bien qu’aujourd’hui « Papa pique et maman coud » est fermé. On a épinglé sur la porte : « Clos pour cause de Closer ».
Quelques semaines plus tard tout le village de Vezet-le-Coquin est invité à un mariage auvergnat avec marquisette et tripoux à volonté, chabrot obligatoire et Saint-Nectaire en roue libre au dessert. Bien sûr le docteur Pinterest a cru rigolo d’offrir comme cadeau de mariage un service à fondue bourguignonne avec douze piques. Elvire Debord, pas rancunière a offert un bon pour une croisière sur le lac Chambon et une cure thermale à La Bourboule.
Elle n'est pas belle, la vie, par chez nous ?
P.S. OK, pour le coup de fil anonyme, j’avoue, c’est moi. Ben quoi, il faut bien un deus ex machina aussi, non, avec une consigne d’écriture aussi tordue ?
Ecrit pour les Impromptus littéraires du 27-11-2017
à partir de cette consigne
Du lac de Guéry à la Banne d'Ordanche (Puy-de-Dôme) le 17 juillet 2015 (8)
Comme hier je n'ai rien de plus à ajouter à ces images sinon que mes vacances du moment me permettent de profiter du festival Télérama et que j'ai vu ces deux films-ci avec beaucoup de plaisir :