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Mots et images de Joe Krapov
6 mars 2019

RECHERCHER MARILYN M.

Ils ont détruit l’hôtel de Verdun. Quelle idée aussi, au pays du Saint-Nectaire et des volcans éteints, d’évoquer ainsi les taxis de la Marne, l’ossuaire de Douaumont, les tranchées dans le lard d’une génération et la guerre préférée de Georges Brassens, celle de 14-18 ? J’y avais habité quelques temps à mon arrivée au Mont-Dore, au pied du Puy-de Sancy. Puis j’avais trouvé une pension de famille, moins chère, baptisée « Les Tilleuls ».

Que faisais-je à dix-huit ans dans cette station thermale réputée ? Eh bien, comme tout le monde, je m’y embêtais à cent sous de l’heure, sans idée de ce que serait mon avenir, de ce que je ferais plus tard, sans envisager le moins du monde qu’un jour je reviendrais, dans ce cœur de l’Auvergne, chercher le souvenir de Marilyn M.

150718 B 049

***

Elle était assise dans le hall de l’Hermitage, sur l’un des grands canapés du fond, et ne quittait pas des yeux la porte-tambour, comme si elle attendait quelqu’un. Quand je suis entré elle s’est levée, s’est approchée de moi. Elle faisait star de cinéma, gravure de mode comme le sont toutes les jeunes filles aujourd’hui mais cela ne m’impressionna pas.

- C’est vous qui êtes envoyé par l’agence Westminster ? Je suis Mademoiselle Modiano.

- Enchanté, Madame. Comme vous le voyez, nous ne sommes pas difficiles à identifier grâce à notre uniforme de groom jaune pétant et notre chapeau à la Spirou sur lequel le nom de l’agence est inscrit en lettres dorées. « C’est étudié pour » comme dit un comique local.


- Suivez-moi, nous allons monter dans ma chambre. Je vais vous présenter Trésor et Trésor.

AEV 1819-20 Domergue 1 76Nous prîmes l’ascenseur dans lequel le garçon, lui aussi sanglé dans l’uniforme de l’hôtel, me jeta un sale œil. Je n’étais pourtant pas venu lui piquer sa place à ce gros naze. Moi mon boulot consistait à promener dans la ville les clébards improbables de ces cocottes de la haute. Tant pis pour lui s’il devait se contenter de voir monter les poules de luxe sans les approcher plus.

Nous nous engouffrâmes dans le couloir. Une moquette à motifs orientaux étouffait le bruit de nos pas. Elle sortit sa clé et ouvrit la porte de la chambre 13.

A l’Hermitage elle disposait non seulement d’une chambre mais aussi d’un salon meublé de trois fauteuils à tissus imprimés, d’une table ronde en acajou et d’un divan. Un vieux type au crâne dégarni était assis à cette table. Il faisait du tri dans une montagne de correspondance et de dossiers divers. Un petit bichon tout blanc avec un nœud rose entre les oreilles était venu frétiller de la queue et respirer mes pompes quand nous étions entrés.

- Comment vous appelle-t-on, Monsieur de Westminster ?

- Vous pouvez m’appeler Patrick, Madame Modiano.

- Eh bien Patrick je vous présente Trésor et Trésor. Le Trésor plein de poils s’appelle Trésor et le trésor sans poils sur le caillou s’appelle Jean-Philippe Meinthe. C’est mon secrétaire.

- Enchanté ai-je répondu.

- Vous viendrez chercher Trésor et le promènerez le matin de 11 heures à 12 heures. Puis, c’est convenu ainsi avec votre agence, de 18 h à 19 h.

- C’est aussi ce que j’avais noté.

- Si vous n’y voyez pas d’inconvénient je vais vous accompagner pour la première promenade. C’est aussi inscrit dans le contrat.

La cliente est reine. Je n’ai pas tiqué. J’étais prêt à tout accepter de ces foldingues en villégiature. Je n’étais pas en mesure de réclamer quoi que ce soit dans ce boulot de larbin. C’était mon premier contrat de travail à temps partiel. De 9 h à 10 h je sortais le lévrier de madame Simenon qui résidait au Grand hôtel des Thermes. De 14 h à 15 h c’était le caniche noir de la princesse Troubetzkoï. Le reste du temps je bouquinais dans le parc s’il faisait beau ou dans ma chambre aux Tilleuls les jours d’intempérie.

***

Il suffirait que je retrouve l’un des programmes édités par le syndicat d’initiative, couverture blanche sur laquelle se détachaient en vert le casino et la silhouette d’une femme dessinée à la manière de Jean-Gabriel Domergue pour que, immédiatement, parce que c’était elle sur le croquis, je retrouve son parfum, son charme et sa désinvolture.

Etait-ce le prestige du ridicule uniforme jaune ? Etait-ce ma juvénilité empreinte d’une totale naïveté ? Fut-ce un caprice de star, une lubie du mannequinat, un besoin irrépressible dû à une nymphomanie chronique ? Toujours est-il que quelques jours plus tard j’ai quitté les Tilleuls pour habiter avec elle à l’Hermitage.

Le soir nous prenions sa Facel Vega, la Facellia, cette voiture qu’on a appelée ensuite « le piège de cristal »et nous nous rendions dans un café de La Bourboule qui s’appelait « L’Âne rouge ». C’est elle qui conduisait à l’aller avec Meinthe à la place du mort et moi à l’arrière. Au retour le secrétaire prenait le volant tandis qu’à l’arrière de la berline nos lèvres se touchaient et nos mains se baladaient.

Quand nous sommes entrés la première fois dans ce bistrot typiquement auvergnat Meinthe a regardé attentivement l’homme en imperméable qui rangeait les verres derrière le comptoir. Puis il lui a serré la main et il a plaisanté.

- Je suis désolé, Colombeau, mais j’ai embouti votre 403. Je vais vous envoyer la facture du garage. C’est à vous de la payer. Vous étiez stationné en zone bleue et votre disque était absent du apre-brise.

- Qu’est-ce que je vous sers, madame Modiano ?


- Tu peux l’appeler Marilyn, toi aussi, si tu veux. Et on dit mademoiselle aux actrice. Quelque chsoe de léger.


- Une Suze ?


- Un porto.


- Un Saint-Pourçain blanc ?


- Un porto, le plus clair possible, mon petit, répète Meinthe.

Je trouvais bizarre que ces gens de la haute, enfin, des superstructures de la haute société, viennent s’acoquiner tous les soirs avec des prolétaires du coin dans cette gargote typique du début des années soixante. Il y avait derrière le comptoir, outre les cartes postales des clients, des photos de Louison Bobet, Jean Stablinski, des trophées de courses cyclistes, une coupe hideuse que le patron ou quelqu’un de sa famille avait dû gagner dans les boucles des gorges d’Avèze ou lors d’une ascension du Puy-de-Dôme.

Cette coupe, où se trouve-t-elle maintenant ? Si l’hôtel de Verdun n’existe plus, le bistrot « L’Âne rouge » n’a pas dû survivre bien longtemps lui non plus. J’irai le vérifier demain à La Bourboule.

Le temps a enveloppé toutes ces choses d’une buée aux couleurs changeantes, tantôt vert pâle, tantôt bleu légèrement rosé.

AEV 1819-20 slider_Suze-690x363

***

C’est arrivé un soir simplement. C’est son troisième porto clair. Meinthe et Colombeau jouent au 421.

Elle m’embrasse goulûment et je n’en peux plus d’être ici avec une érection incandescente qui ne s’éteindra… jamais.

De son sac elle sort une enveloppe volumineuse et me la remet sans un mot. Puis elle sort, seule, et on entend la Facel Vega qui démarre.

***

Ce fut à peu près à cette époque-là que Marilyn Monroe nous a quittés.

Et Marilyn Modiano aussi. Je ne l’ai jamais revue, je n’ai plus entendu parler d’elle. On aurait dit une sentinelle qui rapetissait, rapetissait. Un soldat de plomb.

AEV 1819-20 Domergue 2

Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 5 mars 2019 d'après la consigne ci-dessous.

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Commentaires
J
"Tu t'en es" sans T ... bien sûr.<br /> <br /> L'idée du baladeur de chiens est très bonne.
Répondre
J
Tu t'en est fort bien tiré malgré cette consigne, disons, sévère...<br /> <br /> Bravo, c'est excellent.<br /> <br /> J'ai un peu de mal avec Modiano, il arrive qu'on s'y ennuie, et j'ai laissé le dernier inachevé.<br /> <br /> Il a d'ailleurs été très surpris de recevoir le Nobel.
Répondre
J
Merci. Comme j'ai dit aux copines (et au copain) , il constitue un résumé de tous les romans de Modiano qui a écrit vingt-six fois le même livre ! ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Allez, Dame Adrienne ! Piochez dans votre bibliothèque ! Faites le test ! ;-)
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A
ton texte est vraiment excellent!<br /> <br /> (et la consigne tentante, une fois de plus :-))
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