"Jour de fête" au Parlement de Bretagne à Rennes le 27 juillet 2022 (1)
Ce mercredi-là, c'était galette complète ! D'abord un "Transat en ville" avec Dan Gharibian et ses deux acolytes absolument géniaux (musique tzigane à deux guitares et un accordéon fou !). Ensuite un Mercredi du Thabor moins percutant musicalement mais plus dansant que la fois précédente et enfin un arrêt place du Parlement pour admirer la nouvelle production de la Société "Spectaculaires".
Très bien mais très voire trop rapide. Comme je n'avais pas de trépied, j'ai photographié ces illuminations avec l'oeil collé dans le viseur de l'appareil. Du coup je n'ai pas vu grand chose du spectacle et je sais pourtant que l'appareil photo lui non plus n'a pas tout capté. Le genre "Too many notes, Mozart" si vous voyez ce que je veux dire et si vous avez vu "Amadeus" de Milos Forman ! ;-)
99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 73, Turlututu chapeau pointu
Apercevant la bête en quête d'un rôti, le petit pâtre a fui le riant pâturage, abandonnant sa tâche et ses quinze brebis à la furie du monstre.
- Bêêê ! Bêêê ! Bêêê ! bêlent-elles.
- C’est là charmant hôtel ! considère le dîneur verdâtre – il s’agit d’un dragon -. Le couvert est fameux, l'entrecôte saignante et le gîte agréable même si caillouteux. Je vais leur imposer ma dîme à ces bêtas !
Mais le maître des lieux, aussitôt prévenu, n'est pas de cet avis.
- C'est fâcheux ! lâche-t-il et j'éprouve dégoût que ce drôle de gâte-sauce vienne bâfrer tout son soûl et devienne mon hôte sans qu'il ne lui en coûte et sans que je l'aie prié de venir assister au goûter ou même au déjeuner.
Et bientôt Mathurin Labrême se hâte vers le château. Tout proprement vêtu, bien droit dans ses guêtres, il demande à paraître devant sa majesté.
- Quelle est est votre requête, paysan opiniâtre ? l’interroge le roi.
- Sire, envoyez vos reîtres pour occire le traître qui mâche mes brebis ! Ce bâtard qui revient pour la énième fois, ça laisse un arrière-goût de saloperie suprême par derrière le serre-tête !
Ce nouvel embêtement fâche pareillement le roi un peu voûté qui blêmit sur son trône. C’est qu’il y a là vraiment de quoi péter un câble ! Car cette drôlerie qui revient continûment, - c’est la soixante-treizième fois, quand même ! -, ce destin qui folâtre et se prend avant l’heure pour Bill Murray dans le film « Un jour sans fin », c’est de l’envoûtement, une disgrâce imméritée, un rabâchage de cruauté, du théâtre de l’absurde ! De la malhonnêteté, oui, même !
Qui donc a décrété une telle âpreté pour ces temps ? La vie n’est plus un combat, c’est une débâcle perpétuelle !
Sauf que, cette fois-ci, surgit de la tempête à briser tous les crânes un navire-hôpital inattendu, un trois-mâts barque dont le quartier maître se prénomme... Georgina ! Une sauveuse qui a du foie, qui a la foi, qui se sent responsable, pas coupable et porte une guêpière et des vêtements de guerrière qui lui vont à ravir.
Elle est ni plus ni moins que la fille du roi, grande prêtresse de la religion nouvelle qui dispense dans son dos, traîtreusement, des patenôtres peu ragoûtantes qui visent à rebâtir un monde juste et fraternel mais mâtiné de menaces de bûcher pour les défraîchis du bulbe qui iraient à la pêche le jour de la fête-Dieu, sécheraient les vêpres ou ne se découvriraient pas devant l'évêque.
- Vous brûlerez en enfer, hérétiques, si vous n'idolâtrez pas Jésus! Les geôliers de Satan vous planteront leur fourche dans le côlon et vous n’aurez plus qu’à vous faire porter pâles après ce supplice !
- En attendant ce jour que j’espère tardif, Georgina ma câline, demande le roi, aurais-tu un moyen de nous débarrasser d'un fâcheux animal qui commet un grand gâchis dans notre économie ?
- Mon père, vous qui avez le charisme d'une huître et l'armée engourdie par l'absorption trop fréquente de gâche vendéenne et de brûle-gueule du Gâtinais, vous croyez me tendre une embûche ? Sans vouloir paraître crâneuse je puis vous dépêtrer de cette gêne qui est la vôtre mais je vous préviens que cela aura un coût.
- Lequel ? Quel intérêt trouverez vous à ce désenchevêtrement, ma jamais folle guêpe ?
- Si je vous débarrasse de ce bélître ce sera tout d'abord au prix du baptême chrétien pour toute votre population.
- J'y consens. Je trouve ça dégoûtant d'asperger des benêts avec de l'eau bénite mais ça fait soixante-douze fois qu'ils en pâtissent, ils commencent à connaître et ça vaut toujours mieux que votre extrême-onction aux îles essentielles !
- Huiles ! Ne blasphémez pas, ô mon père ! Écoutez ma deuxième requête. Après mon acte de bravoure je quitterai le château et mènerai une vie d'aventure à travers le monde.
Le roi fut fort embêté par ce deuxième projet de la têtue. Il adorait sa fille et ce serait un crève-coeur pour luide la voir disparaître. Il pâlit, maîtrisa une petite larme de papy gâteux mais comme il était un papa-gâteau, il accepta, saumâtre, ce lâchage et signifia à la traîtresse que son hôtellerie resterait toujours ouverte pour elle.
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On ne sait pas ce qui plut le plus au dragon dans le prêchi-prêcha de Georgina. Est-ce que ce fut l'idée d'effrayer les mômes pour de rire ? Est-ce que ce fut le concept de dîner-spectacle ? La reconquête de sa dignité par l'exercice d'une vraie tâche au sein d'une entreprise de spectacle où chacun à son tour aurait le rôle-titre ? La séduction réelle exercée par cette pimbêche hâbleuse dont les idéaux planaient à cent lieues au-dessus des pâquerettes ? Toujours est-il qu'il n'y eut pas crêpage de chignon, âpre combat ou enchevêtrements uccelliens.
L'enjôleuse emmena le dragon après l'avoir rebaptisé Turlututu, le clown au chapeau pointu, jusqu'au faîte de la gloire circassienne en compagnie de la tarasque flûtiste, du Phénix étêteur et de tant d'autres numéros effrayants, étranges ou comiques du fameux cirque Cornflakes.
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Le lecteur avisé ne s'empêchera pas de poser la question qui, croit-il, tue: que donnait-elle pour le dîner à sa drôle de ménagerie ? Aux animaux remis en cage après la représentation, ce qu'on offrait en récompense, cette viande fraîche et goûteuse dont ils se régalaient, c'était de la côtelette d'enfants de bûcheron, du gîte de fils d’archevêque, du boudin d'âne bâté, de la macreuse d'hérétique. Cela avait un avant-goût de « Blade Runner » sans douleur. On ne bâtit pas une civilisation sans qu’il y ait, sur le bas-côté, des dégâts collatéraux. Faire disparaître au cours d'un dîner spectacle les futurs tyranneaux qui eussent sans cela bâillonné le monde, abêti les peuples, déchaîné leur violence pour toujours plus d'impôts et toujours plus de guerres, voilà qui moralement apparaîtra infâme voire moyenâgeux mais il ne convient pas de juger hâtivement nos ancêtres : il y a toujours un bas qui file et un bât qui blesse. Quelquefois mi-carême rime avec carton-pâte ! Avale ce casse-croûte où choisis de jeûner, camarade chrétien que ce manquement au cinquième commandement fait tomber en pâmoison !*
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Bien sûr il est curieux que Sainte-Georgina ait été quasiment oubliée dans l'historiographie chrétienne. Aucune icône qui la représentât - ce portrait-ci est de Su Laing, artiste contemporain·e -, aucun hôpital qui portât son nom, aucune hagiographie même bâclée d’un rêvasseur proustien ne survécurent à l'inconsolable fuite du temps qui délave tout et rend plâtreux même les Pont l’Évêque ! Son entreprise d'édification-évangélisation des foules après conversion des monstres en légendes du cirque est devenue œuvre de fantôme dont on n’entend plus guère les chaînes. Nul apôtre n'a chanté sa louange. Évidemment, la religion et les femmes, la religion et les gens du spectacle vivant ! Mais pourtant, si vous regardez bien les portails de certaines cathédrales, les détails sculptés de certains cloîtres, les gargouilles des églises ici et là, vous verrez qu'ils sont là, eux, pêle-mêle, les monstres terrifiants qui ont hanté les cauchemars des enfants et des rois et auxquels la foi de Georgina a transmis ni plus ni moins que... la grâce !