SI JE PEUX METTRE MON GRAIN DE SELLE…
Bien sûr que ça pourrait être eux ! Mais ça pourrait aussi bien être Yves et Paulette, à cause de la chanson de Pierre Barouh à laquelle tout le monde va penser, «A bicyclette».
Et ça pourrait aussi bien être d’autres qu’eux ! Alors ne donnons pas de prénoms. Disons que ce sont deux correspondants, une petite Française en séjour linguistique et un épais Allemand, pas très élégant, des lunettes de taupe, même pas de chaussettes dans ses godasses, ou alors une chaussette sans élastique partie voir le talon d’Achille.
Le garçon gentil mais pas séduisant, tu vois, genre le binoclard de la classe, premier en tout sauf en gym, celui pour qui une balade à vélo se prépare la veille si pas l’avant-veille. Pourtant il n’y a pas loin du centre de Münich au château de Nymphenburg, on ne risque quand même pas de crever sur le pavé de la Marienplatz.
Et, bien sûr, parce que c’est un porte-poisse, ce gars-là, ça arrive. Et il est le seul à avoir emmené des outils et une chambre à air de rechange, le seul à savoir démonter une roue, à savoir resserrer ce vélo sans ailettes. Tous les autres filent devant et il ne lui reste, à la Française, qu’à aguicher les piétons de son âge pendant que «Achtung bicyclette Pompe à vélo» opère à l'avant.
A croire que son truc, à Miraud-ro, c’est le vélo ! Pas vrai, Marcel ? Et la nymphette du bourg en visite dans la capitale bavaroise de penser à l’autre sketch où l’on parle de compétences dans le domaine de la pédale et où l’on conseille de surveiller son guidon. Elle ne comprend pas tout mais elle devine que ça doit être drôle.
Cinquante-trois ans ont passé. Moi non plus je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, ces deux-là. Elle, c’est certain, elle l’a oublié, cet Allemand-là, ce Kamerad de fahrrad plus insipide que Brad. Elle a gagné trop de tours de Miss France avec son joli minois et sa taille fine de Saint-Gervais et Saint-Gervien hanter ton Rhin. La championne se fiche des voitures-balais !
Mais lui, le porteur de bidons de la petite Française, le mécano dans la voiture de l’assistance technique, ça ne m’étonnerait pas qu’il soit doté maintenant d’une Gretchen aussi boulotte qu’Yvette Horner. Et que cette dame joue de l’accordéon à l’Oktoberfest !
Ca ne m’étonnerait pas qu’il ait suivi sa voie de serviteur de petite reine. Qu’il ait inventé les ailettes pour roues de vélo, histoire d’alléger sa sacoche à outils. Ou le vélo à assistance électrique. Voire même qu’il ait fait fortune avec ce truc improbable qu’on voit dans toutes les rues de Münich : le couvre-selle de vélo imperméable autant que publicitaire !
Il vaut quand même mieux rouler carrosse que pédaler dans la choucroute, non ?
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Ecrit pour le jeu n° 107 de Lakévio d'après cette consigne
N.B. Pour voir ma collection de selles münichoises, c'est ci-dessous !
VERS DE MIRLITEUTON
J’viendrais bien faire le mirlifore
Mirlitontaine, mirlitonton,
Avec mes vers de mirliton
Pour chanter la faune et la flore
Et les charm’s du pays teuton !
Je ne ferais pas de manières
Pour vous jouer un ou deux airs
Avec mon petit mirliton
Et vous dire’ comment,
sans façons,
Je me suis prom’né en Bavière.
Mais au kazoo vous l’sauriez pas
De cet instrument de carton
Ne sort pas le son de la voix,
Juste un bruit de vol du bourdon !
Pour s’exprimer, c’ n’est pas coton !
Et pour vos oreilles c’est rosse :
Le son est un poil casse-couilles !
Cet instrument est pour les gosses !
C’est la cinquième Ruhr du carrosse,
Ca n’vaut pas La Mirlitantouille !
Alors du coup je passe la main !
Alors du coup je passe le Main !
Tant pis ! Ce sera sans musique
Que je commencerai demain
Le récit quasi mirifique
De mon voyage magnifique
De Marktheidenfeld à Munich
Via le château de Nymphenburg
Et l’alte Brücke de Würzburg
Où l’on boit du vin en public.
Finalement ça vaut mieux pour vous !
Quand je turlute dans mon kazoo
Tous les mirlitaires tombent à terre
En criant « Dieu, épargnez-nous !
Ce Breton est un vrai calvaire !».
Aussi pour que grand bien vous fasse
Je passe mon tour, je laisse ma place
A ces chanteuses sympathiques
De la Kantorei germanique
Devant qui, humblement, j’m’efface !
N.B. Les tableaux ont été photographiés à la Neue Pinakothek de Münich.
Ecrit pour le Défi du samedi n° 506 à partir de cette consigne : mirliton
L’AMOUR EST UNE BOULE DE LOTO
C’était époustouflant de le constater mais Aurélien et Bérénice étaient bien une illustration vivante du mot «complémentaire».
On peut en juger ici sur ce tableau où ils sont portraiturés de face par Karin Jurick. Et ce même si le cadrage est particulièrement loupé. Parfois l’opérateur est victime de tremblote.
Il se dégage de ses mains de tortionnaire à elle une impression de drame ancien, de tristesse profonde et l’on ne serait pas étonné d’apprendre qu’elle a passé quelques années, plus jeune, à servir dans une armée révolutionnaire sud-américaine ou à purger une peine dans un pénitencier. Voire les deux.
La peine s’est arrêtée quand elle l’a rencontré. Lui respirait la joie de vivre du chanteur de cha cha cha, la légèreté de l’élégant en mocassins. Il oeuvrait au sein de l’orchestre dans les casinos de la Riviera. Il profitait de la baignade dans la piscine des hôtels à Monaco, Cannes ou Jersey et se mêlait aux magnifiques à la Gatsby en faisant comme s’il était des leurs. Il n’était qu’un parasite de ce monde-là, un musicien dont seul le costume était blanc, mais il eût été aberrant de se pourrir la vie avec des concepts crypto-marxistes de lutte des classes ou de révolution prolétarienne. Surtout quand le fait d’arborer un sourire et de balancer des rythmes cubains rapportait autant.
Il avait perdu la tête pour elle. Elle avait perdu la tête pour lui. Si l’amour est une boule de loto, ils avaient coché les numéros de la grille ensemble et à l’aveugle. Sans se prendre le chou, ils étaient devenus adeptes du «Carpe diem, mon lapin !» si cher aux statues de l’île de Pâques. Qui vivra verra ! Tant que l’on pourra, on en profitera !
Cela dure depuis trois décennies et ils ne s’en lassent pas. En astrologie, il y a des mystères. Lui est natif d’un signe d’air, elle d’un signe de terre. Est-ce lui qui la rafraîchit de son tourbillon de paroles, est-ce elle qui le retient en lui ôtant l’envie de s’envoler volage ?
Il y a d’autres couples dans lesquels l’eau n’éteint pas le feu et où les flammes n’ont pas pour effet l’évaporation du liquide.
Carpe diem, mon lapin ! Ne faites pas ces yeux en billes de loto : certaines et certains parfois tirent le bon numéro. Oui, c’est vrai, c’est une question de chance.
Ecrit pour le jeu n° 102 de Lakévio
d'après cette consigne
CAUSERIE LÉGUMIÈRE
Un jour, on ne sait plus trop quand, il y a eu, dans l’histoire de la peinture, un type qui a voulu faire son petit effet et qui a décidé de partir en éclaireur dans une voie jamais encore explorée. Jusque-là chaque peintre avait l’excellent projet d’édifier les foules en lui présentant, au sein de grands bâtiments appelés «églises», l’explication en images de scènes et de personnages de l’Histoire sainte.
La Sainte Vierge était vêtue de soierie bleue ; le Christ, bien que natif du Moyen-Orient où le soleil ne manque pourtant pas, avait tout à fait la tête pâlichonne de Jean-Paul Rouve, l’acteur qui joue le rôle du photographe dans le film «Le sens de la fête». Le gars ne peut dominer son appétit immodéré pour les petits fours du mariage et la belle-mère qui s’encanaille. Je parle de Jean-Paul Rouve, pas du Christ.
Notre peintre novateur n’était sans doute pas hostile à cette école picturale ancienne au sein de laquelle on ne craignait pas de représenter des scènes d’une violence effroyable. On voit ainsi sur un tableau du Caravage une nommée Judith user du tranchant d’une épée pour éliminer un nommé Holopherne en lui entamant largement la gorge. Le sang gicle, l’homme a les yeux exorbités et sur d’autres tableaux consacrés à ce sujet on voit même la tête du gars posée sur un plateau et arborée fièrement par la décapiteuse en chef.
Le harcèlement n’était pas dans le même camp à l’époque ! Ou alors, si c’était du féminisme, il ne s’embarrassait pas de mots ou de gestes inutiles. «Le sexe, c’est tout dans la tête» ? On coupe !
Notre peintre novateur a choisi ce jour-là d’inventer la nature morte. Il est allé dans son jardin, il a cueilli ce légume à la saveur douceâtre qu’on appelle carotte, il a composé un bouquet de treize carottes, a choisi l’exposition à la lumière et a peint la Cène. Pardon, j’ai fait une faute : « cène » ne s’écrit pas CENE mais «scène» SCENE.
Je ne sais pas pourquoi il a fait ça. Peut-être n’avait-il plus que de l’orange et du vert sur sa palette ? Peut-être que si, au fond, qu’il en avait marre de toute cette cruauté humaine envers les animaux, les hommes, les femmes, les légumes, la planète et Holopherne ?
Toujours est-il que depuis ce jour la peinture profane (de radis ?) et la nature morte ont proliféré. Des peintres belges ont portraituré des messieurs à chapeau melon au visage caché par une pomme et des pipes qui n’en sont pas. Des peintres espagnols ont peint des vues du bordel de la rue d’Avignon à Barcelone avant que les indépendantistes catalans n’y installent le leur en réclamant leur indépendance et dame Catherine Rey a peint des carottes.
Lors de notre prochaine causerie, j’évoquerai pour vous la naissance du navet au cinéma.
Ecrit pour l'Atelier de Lakévio n° 86 d'après cette consigne