Oh ! La Vilaine ! / Maryvonne E.
Les circonstances actuelles - fortes inondations en Ille-et-Vilaine - m' ont donné l'envie de repartager ce texte de l'amie Maryvonne écrit à l'Atelier de Villejean en juin 2017 (consigne AEV 1617-29) avec des illustrations actualisées. Mais comme j'adore les collages surréalistes, j'ai choisi de positionner, en préambule à son chant d'amour, des images de débordements... de l'Ille !
Oh ! La Vilaine !
Une rivière en avait marre de vivre sous les ponts, de refléter le soleil puis la lune et quelques pêcheurs à la ligne. Elle décida de sortir de son lit. Il était temps, elle approchait des 50 berges.
Elle était née du ventre de la terre, fécondée par un amont terrible. Ça coulait de source que son nom de bébé fût Ru puis elle fut baptisée très vite à l'eau sauvage de la première cascade d'un joli nom qui aurait pu être la Loire, la Seine, la Meuse mais non, elle, ce fut : la Vilaine.
Elle aurait tellement aimé qu'on la nomme, par exemple, la Gironde : ses courbes, ses sinuosités lui auraient paru plus sexy. Vilaine ! Elle se demande qui est le con influent qui lui a trouvé ce nom stupide.
Elle a tant de chagrin que pour le noyer elle écluse l'eau de vie. Elle est grise, elle a la vase triste, elle dit qu'elle va se jeter à la mer.
Ceux à qui elle rendait service autrefois et qui égayaient ses rives lui ont tourné le dos. Les laveuses, les bouilleurs de cru, les bouchers qui venaient se tordre les boyaux, c'était gai à l'époque.
Alors elle se dit avant le baiser à la mer avec son embouchure qu'elle sent que son chagrin va déborder. Ses flots de larmes sautent les barrières, envahissent les champs, baignent les villages. Tant pis pour eux ! C'est un peu de leur faute aussi !
- Autrefois les racines des arbres et les haies me prenaient dans leurs bras, se dit-elle. Avec le « démembrement » plus de câlin, plus de chemin creux. Je fais des poutous partout en dehors de mon lit, je les cocufie, je les inonde d'un chagrin amer. Je déversoir(e), je m'infiltre, je catastrophe mais au moins je passe à la télé, je fais la Une de « Ouest-France ».
- La Vilaine est sortie de son lit » disait mon père quand je me levais mal coiffée le matin.
- Voyez comment on me traite ! Comment on parle mal de moi !
Elle est au courant que l'on se moque d'elle.
Mais non La Vilaine n'est pas moche , elle est bien chahutée avec son nom mais elle se dit pour se consoler qu'il y a pire : ce sont les candidates qui prétendent au titre de Miss Ille-et- Vilaine. Il faut oser porter ce titre même si elles n'ont que 18 ou 20 berges et que leur jeunesse leur sert d'écrin. Il faut avoir la ligne et la pêche pour se jeter dans le grand bain médiatique. Mais avec l'aval de leurs parents elles peuvent gravir « l'amont-agne » et ça les fait rêver.
La Vilaine, elle, a fini de rêver, elle s'est noyée et pendue au fil de l'eau. Elle aurait aimé finir en delta , elle n'a même pas eu cette chance. Ça ne rigole pas beaucoup du côté de l'estuaire. Alors elle s'étend alanguie sur le banc de sable, attendant la fin.
Mais elle arrive surprise au paradis bleu, là où la vie a le goût du sel, elle prend la vague, elle va danser, elle va voir du pays, elle se marie avec l'océan, elle prend son nom. Fini la Miss Vilaine, elle est Madame Atlantique. A elle les escales de port en port, à elle l'immensité, le tour de la Terre. Au revoir la petite Bretagne riquiqui qui lui serrait les courbes et les méandres !
Les voyages, voilà ce qui la rend jolie, La Vilaine !
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