
Si l’on met à l’abri un tableau pendant très longtemps dans un frigo, Guernica par exemple, est-ce qu’il aura toujours la même valeur quand on le ressortira ?
Le problème numéro un c’est de trouver un frigo assez grand pour pouvoir contenir Guernica (3,50 x 7,77 m quand même).
Le problème numéro deux c’est de ne pas renverser mon bol de mayonnaise. J’ai déjà bousillé deux oeufs avant de la réussir.
Le problème numéro trois c’est de s’entendre sur le mot « valeur ». S’il s’agit de valeur financière, qu’est-ce que ça veut dire pour la Joconde, Guernica ou les tournesols de Van Gogh ?
Admettons que Guernica soit à vendre. Chez Drouot ou Sotheby’s, de richissimes millionnaires ou milliardaires joueront au jeu des enchères avec un commissaire-priseur de bon tabac et de jolies femmes - mais ce n’est pas le problème, il prise ce qu’il veut -. Ce monsieur jouera de la prunelle, du marteau et de la voix pour qu’enfin dans la fièvre montée et le silence soudain qui suit le plus gros chiffre soit entendu le bien connu « Une fois, deux fois, trois fois ? Adjugé, vendu ! ».
Le problème numéro quatre est celui-ci : pourquoi l’acheteur tient-il tant à rester anonyme ? Il a peur que quelqu’un ne vienne dévaliser son frigidaire ? Lui aussi en est rendu à sa troisième mayonnaise ?
Problème numéro cinq : que fait-on d’un objet de grande valeur commerciale auquel on tient autant qu’à la prunelle de ses yeux qu’à la prunelle du commissaire Maigret envoyée à Mme Maigret par sa sœur qui exerce la profession de bouilleuse de cru en Alsace ?
Réponse numéro cinq. On le met à la banque, enfin dans le frigidaire de la banque. Si Guernica n’en sort plus, quelle est sa valeur, quelle est sa chance ou plutôt son risque de tomber dans l’oubli complet au bout de 10, 20 ou 30 ans, voire un quart d’heure ? Combien de Youtubers savent-ils que Picasso est autre chose qu’une voiture de Citroën ?
Réponse numéro trois : si Guernica a une valeur non-commerciale mais historique, de quelle histoire ce tableau est-il le référent ? De l’histoire de l’Espagne ? De l’histoire du monde qui laisse s’installer sans trop bouger des régimes dictatoriaux ? De l’histoire de l’art qui voit un artiste seul protester à sa façon en peignant-dépeignant l’horreur de la guerre et des bombardements de civils ?
Le problème numéro six est celui des rapports entre les musées et le marché de l’art.
Si un musée achète et expose une toile de Francis Bacon, peut-il encore être appelé musée des Beaux-arts ? Le musée de la boucherie charcuterie installé de l’autre côté de la rue peut-il porter plainte pour concurrence déloyale ?
Quand une œuvre, - prenons le portrait d’Isaure Chasseriau par exemple - fait partie des collections d’un musée elle ne peut plus être vendue. Quelle est alors sa valeur ?
Problème numéro sept : peut-on enfermer Isaure dans un frigidaire ? Certes elle est moins grande que Guernica mais le rose de sa robe ne jurera-t-il pas par trop avec le jaune de la quatrième mayonnaise du conservateur en chef du musée des beaux-arts de Rennes ?
Est-ce que les réserves du Louvre déménagées à Liévin dans le Pas-de-Calais ne sont pas quelque part le réfrigérateur de ce grand musée parisien ? La Vénus de Milo ne tenait-elle pas à la main un bol de mayonnaise ? La police manifeste beaucoup ces temps-ci mais depuis le temps pourquoi n’a-t-elle pas retrouvé les bras de la victime ?
Problème numéro huit : existe-t-il quelque part un musée de la mayonnaise ?
En résumé je me réjouis, chers enfants de l’école Joseph Lotte, de votre sublime interrogation.
Je me réjouis de la même manière que notre camarade Karl Valentin qui disait ceci :
"Ich freue mich wenn es regnet denn wenn ich mich nicht freue regnet es auch."
Ce qui signifie : « Je me réjouis quand il pleut parce que si je ne me réjouis pas il pleut quand même ».
Je me réjouis parce que j’ai pu jouer ce jour au jeu de l’avocat sans cause, écrire pour ne rien dire mais faire rire, organiser un atelier d’écriture semi-philosophique dans une maison d’une rue de Rennes que je ne connaissais pas - merci à notre hôtesse ! -, disserter de questions qui dépassent forcément les limites de mon seul et unique neurone.
Le problème numéro neuf et je m’arrêterai là est que je voulais au départ raconter l’histoire d’un sac de chaussures oubliées à Lannion auquel j’attache plus de valeur qu’à Guernica car je suis un randonneur plutôt mesquin ces jours –ci. Ce sera pour une autre fois.
Le problème numéro neuf bis est que j’ai choisi cette carte représentant le beffroi de Lille et la porte de Paris, sise dans cette même ville, et que je ne l’ai pas utilisée pour écrire. Ce sera pour une autre fois aussi. Si cela gêne foncièrement quelqu’un, il ou elle peut m’enfermer dans son frigidaire ou plutôt dans son réfrigérateur : s’il y reste des Paris-Brest de la séance d’il y a 15 jours je saurai, en bon avaleur, le débarrasser de ces valeurs-là !
P.S. Une prochaine fois je vous parlerai du travail de mon logiciel de reconnaissance vocale. Voici comment il m’a traduit la citation de Karl Valentin :
« Il se fera yeux de mich vannes S ret Nat à toute des navets né il y fut mis niche royale rehmat est alors »
Intéressant, non ?
Pondu pour l'Atelier d'écriture de Villejean du mardi 25 mai 2021
d'après la consigne 2021-32 ci-dessous