
Résumé du chapitre précédent : Florent Fouillemerde a pris en filature dans le métro un individu qui l'a mené devant le 36 de l'avenue de Wagram à Paris. Il y est entré à sa suite. Tandis que le détective privé feignait de monter l'escalier, l'homme a déposé une enveloppe dans la boîte aux lettres de Mlle Aude Rimbaud puis est ressorti. Florent est redescendu.
- Mince alors ! Voilà qui est étrange ! pense Florent Fouillemerde en constatant qu’il n’y a pas de clenche à la porte d’entrée de l’immeuble. Sans doute y a-t-il une gâche sur le côté pour ouvrir la porte ?
Un examen approfondi du mur de chaque côté du portail lui prouve que non. Par contre…
- Merde ! C’est quoi ce bordel ? C’est la première fois que je vois ça ! Un digicode pour sortir !

Allons bon ! Enfermé dans un immeuble parisien, avenue de Wagram, après avoir suivi à la demande d’une dame la piste d’un quidam qui suait le mystère au kilogramme ! Il n’y a pas, il va falloir qu’il aille sonner à une porte pour demander à quelqu’un de le libérer. Evidemment, il n’y a pas de loge de concierge et donc pas non plus de pancarte disant que « la bignole est dans l’escalier ».
Alors il faut monter, mon gars ! Cet immeuble cossu, bien qu’il soit situé dans le 8e arrondissement de Paris, a un aspect surprenant. L’escalier est étroit, la rampe branlante, les marches craquent et le peu de lumière des couloirs vient de fenêtres sur la cour situées dans le coude que le colimaçon effectue entre deux étages. Les couleurs des murs et des portes sont aussi fadasses que possible et on est surpris de ne pas trouver « des WC su’ l’ palier » comme dans la chanson « Germaine » de Renaud Séchan.
Il s’arrête au premier. Pas de nom sur la porte gris bleu, juste une sonnette sur laquelle il appuie. Un son de carillon à deux notes résonne dans l’appartement. Mais, exactement comme dans Venise la rouge pas un panneau ne bouge ! Pas rentré du boulot, le locataire, ou pas revenue des courses, la bergère. A moins que ce ne soit l’inverse. Chez lui aussi c’est Isabelle qui bosse en régulier et lui qui fait les courses entre deux filatures. Les détectives privés ont un horaire plus souple que celui des bibliothécaires à qui on promet comme une gâterie exceptionnelle maintenant de pouvoir-devoir travailler le dimanche.
Bon, ben, c’est pas le tout ça, mais deuxième porte. Bzz bzz bzz ! Les abeilles ! Là il faut laisser le doigt appuyé pour que bourdonne un grésillement fort désagréable. Ca devrait réveiller Madame Michu qui fait sa sieste entre sa télé et ses bengalis en cage. Mais non. On n’entend aucun poste de télévision chez la mère à Titi, la sonnette résonne dans le vide et on est chez monsieur Philippe Verlaine, c’est écrit sur la sonnette, suffit de lever le doigt pour le voir.
Bon, ben, c’est pas le tout ça, mais deuxième étage. Est-ce que c’est bien correct, pour le bien de l’enquête, d’alerter Mlle Aude Rimbaud ? C’est quand même dans la boîte à lettres de cette dame que le gus a déposé un courrier louche. Faire savoir à une des protagonistes d’une embrouille qu’un flic privé surveille ce qui peut bien être un trafic illégal ne serait pas très finaud. Alors il commence par la deuxième porte. Gwenola Sand et Hervé Balzac. Il n’y a donc pas que des célibataires par ici ?
Bon, ben, c’est pas le tout ça, mais troisième étage. Il n’y a pas plus de pékins au deuxième que d’imbéciles, en Chine, à regarder la lune de sang un jour de finale de coupe du monde de foot.
En parlant de sang, celui de Florent commence à se glacer dans ses veines. Le meilleur moment de l’amour est dans la montée de l’escalier, mais allez savoir pourquoi, plus il monte et plus ce décor des années cinquante lui fout les jetons. Difficile d’atteindre le septième ciel ici : il n’y a que trois étages.
Noémie Bonaparte. Un bon apparte, au troisième droite sans ascenseur ? Allons donc ! S’il vous plaît, M’ââme Bérézina, ouvrez-moi, j’ai froid dans le dos ! On dirait que ça se corse, mon p’tit gars ! Pourvu que ça ne dure pas ! A force de tirer la sonnette on va te percevoir comme plus lépreux que les murs.
Bon, ben, c’est pas le tout ça mais après le dernier crochet silencieux au troisième gauche – Viviane Hugo -, c’est le gars Florent qui est sonné. Cahot technique dès le premier jour sur cette enquête !
17 heures 30. Y’a personne ? Vraiment personne ? Deuxième tentative de tirage des sonnettes.
18 heures. Ils font tous des heures sup’ ou quoi, ici ? Et est-ce qu’il faut mettre un s à sup ? Non, l’apostrophe suffit. Ah les brav’ con’ qui s’emmerdent à apprendre que le pluriel de « cheval » est « chevaux » ! Et les instit’ qui cherchent des pou’ dans la tête aux mioche’ !
18 heures 30. Pas la peine d’espérer sortir par les toits, le détective est sujet au vertige.
18 h 45. Tout compte fait, cet immeuble, c’est vraiment une ambiance lendemain de rafle du Vel’ d’hiv’. Ah tiens ? On peut mettre des apostrophes et que ça reste au singulier ? C’est singulier ! C’est comme d’avoir donné le prix Nobel à… qui déjà ? Fleur Pellerin ?
19 heures. Pas la peine d’appeler Isabelle, il ne peut lui donner la combinaison du digicode pour qu’elle entre. Et en plus elle est de longue soirée à la bibli.
19 heures 05. D’après les boîtes aux lettres, le locataire du premier s’appelle Arnaud Demusset. Ca lui dit vaguement quelque chose à Florent, tous ces blases, mais quoi ?
19 heures 10. En désespoir de cause, il va examiner le digicode. Rien d’autre que les chiffres et lettres usuels. Il ne va tout de même pas devoir taper sur la porte à coups de poings pour appeler les passants au-dehors ? Ni se farcir toutes les combinaisons possibles ? Eh ben si, il essaie, en commençant par le début. 0000A.
On croit rêver ! La porte s’ouvre ! Il est libre !

Anne-Françoise Couloumy
Ecrit pour le jeu n° 96 de Lakévio d'après cette consigne