LA DERNIERE AFFAIRE
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Je n’allais pas lui dire « Adieu ma jolie ! » à Brigitte, mon aimable collaboratrice. Pas encore. On avait toutes les archives de l’agence de détectives Fiat Panda à sortir des armoires et à mettre dans des cartons. Après des années de bons et loyaux services, de défense de la veuve pulpeuse et de l’orphelin pervers, après toutes ces plombes de filature jusque dans Roubaix même, de planque au clair de lune à Maubeuge ou Paimpont, de photos de flagrant délit d’adultère, de mensonges féministes éhontés au mari trompé, il était temps que moi, Florent Fouillemerde, directeur de l’agence, je prenne ma retraite.
A cause des polars de la Série noire et des films américains des années cinquante on imagine plein de choses fausses à propos des privés et de leur boulot. C’est sûr que ce bureau a vu défiler du beau linge, des gens qui ont l’argent facile et qui croient que, pour des haricots, on va les détromper sur le comportement étrange de leur légitime.
Il n’y a rien d’étrange dans la vie des femmes, si je puis m’exprimer encore de façon très genrée. Il y a toujours un gentil gourou pour leur expliquer le monde façon gros bateau : « Pour bien se porter, il faut faire l’amour onze fois par mois ». Et toi, monsieur Crésus qui viens me trouver avec tes doutes, tu peux déposer combien aux pieds de la sirène pour calmer son coup de chaleur ?
Mais non, mon vieux ! Les manteaux de vison et les diams comptent pour beurre ! Fais pas le clown ! S’il y a du tirage dans le ménage c’est parce que tu n’assures pas ! Pendant que tu gagnes du pognon à la direction de ta boîte d’assurances, tu en manques tellement que c’est la panique à bord du côté libido. Surveille tes arrières, bon Dieu ! Tout le monde sont là pour mater le valseur énigmatique de ta douairière et l’adultère n’est pas fait pour les chiens : eux ne se marient pas, d’abord.
C’est sûr aussi, pour en revenir à la mythologie des privés, qu’on se balade entre les tombes, que le pavé brûle parfois. Mais n’exagérons rien, ne nous fâchons pas ! Nous, les privés, on décime peu. Quand j’ai été trop mort de trouille, j’ai toujours décroché le bigophone et appelé les flics à la rescousse. De toute façon je n’ai pas de port d’arme, je ne sais pas tirer et je n’ai même jamais été obligé à faire usage de mes poings.
La preuve que le métier s’est civilisé et qu’il a tout pour plaire aux Bac+5 au chômage c’est Brigitte qui est devenue bien meilleure que moi dans le maniement d’internet, la recherches de données en ligne et les outils de craquage. Une hackeuse n’est jamais prise la main dans le sac.
Brigitte, ça pourrait être la fille de mes rêves si je n’avais déjà rencontré et épousé Isabelle, ma blonde et très futée bibliothécaire. Son seul défaut à ma collaboratrice c’est qu’elle envoie du bois en matière de réplique et qu’elle pitanche un max. Ce jour d’hui elle a amené une bouteille de planteur comme là-bas, dis ! Les Martiniquais n’en sont pas revenus de son tour de main dans la confection du breuvage ! Les Martiniquais ne reviennent jamais, du reste !
Mais bon, je cause, je cause. Le boulot ne va pas se faire tout seul. J’ai reposé mon verre dans l’évier du burlingue et on était juste en train de scotcher le premier carton de déménagement quand, malgré le panonceau « Fermé pour cause de fermeture définitive », une fille a sonné à la porte. Oui, une fille. La porte vitrée est en verre dépoli et on distinguait bien sa silhouette au travers. Elle portait un imper turbable et des cheveux mi-longs.
- Qu’est-ce qu’on fait, Florent ? On ouvre ?
- Au pire, qu’est-ce qu’on risque ? Qu’elle essaie de nous vendre le calendrier des pompières ? Si c’est Firelli qui l’édite je veux bien me fendre de dix ou quinze euros. Mon dernier coup de folie avant la retraite !
Brigitte a ouvert la porte. La fille à l’imper était un mix entre Lauren Bacall et Rachida Dati. Une très jolie beurette à qui on aurait tout confié sauf les saintes huiles.
J’ai à peine eu le temps d’ouvrir la bouche pour lui annoncer que je ne prenais plus d’enquête mais, carrément, ma retraite, qu’elle nous déclarait de façon péremptoire, plus Dati que Bacall, quoique :
- Monsieur Fouillemerde, j’aimerais que vous m’aidiez à retrouver la trace de Claude-Julien Trochu !
- C’est qui ce gazier ?a demandé Brigitte qui connaît tous les synonymes de « zigoto » qu’on peut trouver dans « La Méthode à Mimile ». C’est un gars qui a usé trois culottes à te faire l’amour ?
Brigitte connaît aussi tout un tas de chansons olé olé du pays gallo, une région autour de Rennes où l’on n’est pas mauvais cheval mais ou on se montre un peu bourrin quand même parfois.
Rachida-Lauren lui a lancé l’oeil noir du taureau qui regarde Carmen, Escamillo ou Don José, on ne sait plus trop qui Georges visait ou bisait.
- Il a été boulanger vingt-cinq ans à la manutention de Blida.
- Blidat ? C’est un village de la Creuse ? De l’Ariège ? De la Lozère ?
- C’est en Algérie, Monsieur Fouillemerde. Je suis prête à payer très très cher si vous retrouvez les membres de la famille qu’il a fondée quand il est revenu en France.
- Encore un "cold case" ? Une histoire de revenant ? Il était pied-noir ? Il est rentré en 62 ?
- S’il est de la famille de Madame il vaudrait peut-être mieux employer, surtout après notre abus de planteur, « harki tout double » ? a rigolé Brigitte.
- Il est revenu en France en 72, a précisé la visiteuse.
- C’est tard, non ?
- En 1872 !
Les bras m’en sont tombés et le dévideur de scotch également, en faisant « splotch » ou « klong » dans le carton – je suis un gars dans le genre de Jeanne Moreau, j’me souviens plus très bien. J’ai la mémoire qui flanche et il paraît que je deviens sourd en vieillissant -.
Mais pourquoi ça n’arrive qu’à moi ces demandes d’enquête sans queue ni tête ? *
* Pour mémoire, c’est Florent F. qui a été chargé de partir à la recherche d’Isaure Chassériau le jour où elle est sortie de son tableau au Musée des Beaux arts de Rennes. D’ici à ce qu’on la retrouve dans l’arbre généalogique de la famille Trochu ! Avec le planteur de dame Brigitte, tout est possible, tout est réalisable !
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 30 janvier 2024
d'après la consigne AEV 2324-17 ci-dessous