LA CURE DE JOUVENCE
La cure de jouvence à laquelle il ne croyait pas a dépassé toutes ses espérances. S’il avait été raisonnable, il en serait resté là mais le Monde est comme ça, insatiable, il part dans tous les sens. Surtout le jeunisme n’a jamais été aussi développé qu’en ces années 2010. Golden boys, traders à la Jérôme Kerviel, Mr et Mme Smith, Angelina Jolie. C’est comme ça qu’on a vu tous les vieux enfourcher une trottinette (électrique) ou un vélo (électrique forcément) pour aller manifester dix ans plus tôt contre le nucléaire et le tout-financier. Allez le Monde, en route !
Faut dire, en 2010, le Monde venait de se payer la crise des subprimes et ça avait coûté bonbon, voire mistral gagnant, à bon nombre d’Américains. Alors du coup le Monde a encore voulu rajeunir de dix ans pour voir si ça n’était pas mieux encore avant.
Il a franchi sans bug le tournant de l’an 2000 et s’est retrouvé au vingtième siècle. Encore cinq ans et on vivait sans Internet ! On collait à nouveau des timbres sur les lettres en léchant le cul de Marianne ! On ne savait rien de l’Amazon – c’était juste un fleuve ou une chasseresse à un seul sein – et on commandait ses soutiens-gorge (quel pluriel à la con !) à la Redoute à Roubaix ou aux Trois Petits Suisses à Pré Saint-Gervais.
Et puis en reculant encore le Monde a chuté du mur de Berlin, il est passé du bilan globalement positif de la fin du socialisme à l’Est au monde du rideau de fer avec d’un côté la queue pour pas de viande et de l’autre des manifs de vieux qui clamaient « Ce qu’il leur faudrait c’est une bonne guerre froide !».
Après, ou plutôt avant, je ne sais plus : je n’étais pas né. Et de toute façon ce retour vers les jours heureux, moi je n’y crois pas. Les jours heureux c’est aujourd’hui. Ma cure de jouvence je la fais tous les jours : je me replonge dans mes bandes dessinées, j’écris des bêtises, je caresse ma guitare et je relis – sur une liseuse - mes bouquins de... science-fiction !
Sorti de là, le Monde va où il veut ! Je n'en ai cure !
Pondu le 21 mai 2020 pour l'Atelier d'écriture de Villejean
d'après cette consigne empruntée à Pascal Perrat.