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Mots et images de Joe Krapov
24 janvier 2025

SOURICIÈRE POLICIÈRE

 

 

Qu’est-ce que c’était beau une ville, la nuit, en ce temps-là !

 

Même si à l’époque il y avait plus de « cops » que d’apocopes. On parlait encore des automobiles et non des autos bien que certaines tirassent déjà leur révérence en devenant des tires, des bagnoles ou des caisses. « Mais où sont les limousines d’antan ? » se lamentaient alors les nostalgiques de la Haute-Vienne à qui tout ce progrès filait des "Nom De Dion de boutons".

 

Au 36 quai des Orfèvres on buvait sec – sic ! -. Qu’est-ce qu’il en est monté, de la brasserie Dauphine, des bières et des sandwiches vers les propos fumeux, les bureaux enfumés, les interrogatoires fameux des passeurs à tabac, Maigret, Janvier, Lucas, Torrence…

 

- Mets-toi à table, Paulo ! Crache le morceau ou sinon tu vas déguster !

 

Dans le Paris d’avant les errances modianesques les néons clignotaient porte de Clignancourt, les caves se rebiffaient et touchaient au grisbi et à Pigalle parfois quelqu’un brisait la glace. Police ! Secours ! C’est alors qu’hurlaient les sirènes, n’évoquant qu’à grand’ peine le fleuve Mississippi dont tout le monde ignorait l’orthographe parce qu’on préférait rêvasser par-dessus la Seine au pont Mirabeau et danser dans les caves et la nuit de Saint-Germain des Prés. Des estafettes queue-de-pie arrivées près des danseuses du gai Moulin rouge sortaient des pèlerines, des képis et des bâtons blancs, des inspecteurs melvilliens en imper et chapeau, passagers de la nuit aux traits encore plus tirés que ceux d’un pianiste de bar louche.

 

C’était encore plus beau, ces descentes aux enfers, lorsque la pluie tombait et que se reflétait la lune dans le caniveau.

 

A parcourir les rues de la grande truanderie on ne comprenait pas toujours tout. C’est que la dame du lac n’était pas HPI et que c’est compliqué, à la fin de la nuit, aux fins fonds de l’Amérique, le grand sommeil quand la ville dort dans le parfum des dahlias noirs.

 

Aujourd’hui que le crime est à plus grande échelle, que les autocrates élus relancent les guerres, que les mômes de quinze ans se flinguent pour des histoires de points de deal, je veux qu’on m’attribue deux points sur mon permis… de vider mon grenier !

 

 

J’ai éteint le néon qui faisait scintiller le nom de Simenon sur le Livre de poche. Paradoxalement, c’en est fini, du noir ! J’ai trié mes Goodis, mes Chandler, mes Westlake, mes Malet, mes Irish et mes Brown. Après la corrida sur les Champs-Elysées et la fièvre au Marais, le soleil naît derrière le Louvre : les plaques des rues de Paris, la pipe à tête de taureau et la poire Belle-Hélène de Nestor « Dynamite » Burma sont de nouveau en vente au Secours populaire !

 

Quoi qu’il advienne du futur

Nous n’aurons pas connu l’ennui

Dans la bonne ville de Paris.

Nous fîmes partie de ceux qui lurent

Ces jolis récits d’aventures

Jusque parfois tard dans la nuit.

 

 

 

Écrit pour le Jeu n° 102 de Filigrane (La Licorne)

 

à partir de cette consigne

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Commentaires
L
Oui, on s'y croirait...<br /> L'homme sur la photo, avec son allure à la "Humphrey Bogart",<br /> évoquait une ambiance "polar", que tu as très bien rendue.<br /> Etonnant que personne d'autre n'y ait pensé !
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J
J'ai pensé tout de suite à David Goodis et au Grand Sommeil de Chandler et comme je suis réellement en train de vider le grenier, le reste de la pelote est venu tout seul ! ;-)
C
Superbe évocation, mon oncle.<br /> Hantée par de bien beaux fantômes...<br />  •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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J
Surtout celui d'Hélène, chez Burma ! ;-)<br /> Ah ! Natacha Lindinger et Guy Marchand ! ;-)
A
extra! <br /> et je me rends compte en te lisant qu'l y a un tas de choses chez Simenon qui sont tellement d'une autre époque que le lecteur né vers l'an 2000 doit avoir besoin de notes en bas de page ;-)
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J
J'en ai relu deux ainsi, que les nouvelles, avec grand plaisir. Dans "Une confidence de Maigret" il faut expliquer aux jeunots l'usage de la guillotine jusqu'en 1977 chez nous ! ;-(
W
Quelle merveilleuse époque !<br /> Même Paris était sympa, c'est dire ! ;-)
Répondre
J
C'est vrai ! J'adore surtout revoir dans les films anciens ou adaptations télé les vieilles voitures de l'époque : au moins, elles je connais leur nom ! ;-)
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