TROIS CONTES GLACÉS (2)
Le miroir
Il y a une explication à tout. Enfin, je crois.
Au-delà d'un certain âge, quand vous vous regardez dans le miroir vous apercevez une image de vous qui ne correspond plus à votre réalité : vous avez des traits plus jeunes, des lunettes cerclées, bien plus de cheveux sur le haut du crâne. Ce n'est pas que vous souffriez de nostalgie de votre jeunesse ou que vous refusiez de voir les marques du vieillissement, c'est juste qu'on vous a vendu un miroir intelligent. Même si cela ne correspond pas à votre désir profond, de jour en jour, votre reflet rajeunit dans la glace.
Plus je profite de ma retraite en faisant enfin, de temps en temps, une grasse matinée bien méritée et plus dans le miroir mon visage devient celui d'un homme dynamique, actif, jeune. Ces plaisanteries de la machine m'amusent un peu, me surprennent toujours mais quand j'ai reçu ce matin les papiers m'intimant l'ordre de partir à la guerre j'ai compris que je m'étais fait avoir quelque part.
(Â MaxPPP / Annie Viannet/MAXP)
***
La Photographie
Arkhipov ? Matoušek ? Robakowski ? Podgorny ?
Tous ces gens qu'a connus mon grand-père quand il était espion pour le compte d'un pays de l'Est, ils doivent être aussi morts que lui à l'heure actuelle. De la même manière que la première institution dans laquelle j'ai travaillé n’existe plus et n’aurait plus lieu d'être à l'heure du partage de presque tout sur internet, les autocrates n'ont plus besoin d'espions. Ils savent déjà tout, ils invitent les chefs d'État étrangers et les installent au bout d'une longue table puis ils les toisent. C'est bien plus humiliant encore que de capturer quelqu'un et de l'envoyer au goulag. Il n'empêche, la photographie de ces gens-là et surtout celle de ce militaire médaillé, si je la publie sur internet, qu'est-ce que je risque ? Ou surtout combien d'années de prison je risque si quelqu'un là-haut se met réellement à croire que je ne délire pas, que mon grand-père était réellement un espion, que j'ai hébergé la migrante Isaure Chassériau quand elle a fui une vie à croupir au Musée des beaux-arts et qu'après un certain nombre d'infusions de sauge Laure Manaudou vient m'enseigner le kamasutra en gardant son bonnet de piscine sur la tête ?
***
Le bricoleur
Il avait subi une avarie et avait dû poser son astronef sur un satellite rocheux d'Aldébaran. Il était en train de bricoler la tuyère défectueuse et la clé anglaise intelligente lui tomba des mains quand il entendit soudain la petite voix. Il se retourna et reconnut un de ces moutons à cinq pattes comme on en trouve souvent attablés au Carrefour des étoiles, le bistrot de Clifford D. Simak sur Bételgeuse.
Qu'est-ce que tu veux, Mister Sheep ? demanda l'astronaute-bricoleur.
- S'il te plaît, dessine-moi un petit prince !
Interprétation, très pourrie comme à l'habitude, par Mr Deepdream
de la commande "Un petit prince à tête de mouton" avec costume fourni !
J'ai aussi ajouté moi-même la cinquième patte au mouton !
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 14 mars 2023
d'après la consigne AEV 2223-23 ci-dessous
JOE KRAPOV CHERCHEUR ?
- Joe Krapov, il semble que vous ne soyez plus d'une grand régularité dans l'alimentation de votre blog "http://krapoveries.canal.com" ?
- C'est que j'ai repris le boulot, Toto ! Depuis lundi dernier je suis devenu chercheur en chansonnettologie à l'Université de Saint-Brieuc-les-choux !
- C'est nouveau ? Ça vient de sortir ?
- Non. J'avais commencé ce travail de recherches il y a quelques années et puis j'avais laissé dormir la chose dans un fichier .doc.
- Quel est votre domaine de recherche ?
- Un domaine familial et militaire ! Je m'intéresse au carnet de chansons du 71e Régiment d'Infanterie de Saint-Brieuc qui fut tenu de 1895 à 1898 par un nommé Francis B. qui n'est personne d'autre que l'arrière-grand-père de Marina Bourgeoizovna.
- Quelle est l'ampleur de la tâche ?
- Le cahier contient 73 chansons manuscrites avec juste les titres et les paroles. L'objectif est de retrouver une version imprimée du texte, une version audio de la chanson ou à défaut une partition qu'il m'incombera plus tard de déchiffrer et d'interpréter moi-même. Je n'ai peur de rien !
- Pourquoi dites-vous ça ?
- Parce qu'il y a de tout dans ce répertoire ! Du graveleux, du patriotique, du lyrique, du religieux, du revanchard. On est pile-poil entre les deux premières guerres avec les Prussiens et ce sont aussi les débuts du café-concert, du music-hall.
- Votre travail avance bien ?
- On peut dire que je suis rendu à la moitié. Madame Beuneufeu, mon ancienne mère nourricière me facilite la besogne. Elle a tout catalogué et a numérisé des partitions sur Gallica. Toutes ces chansons ont été publiées sous forme de petits formats de 4 pages avec une image sur la première, la partition et les paroles à l'intérieur et éventuellement sur la quatrième. Je trouve des images chez Monsieur Hal que j'ai côtoyé autrefois dans un certain sous-sol, pardon, un rez-de-jardin rennais, des diaporamas musicaux chez M. Youtube et des extraits en mp3 chez M. Pierre Valray de Radio Bleue.
- Un dernier commentaire ?
- Mon commanditaire, le professeur Bourgeoizov, a trouvé mon travail formidable. Dans le même temps je continue, l'après-midi, ma randonnée périphérique rennaise. Je prends vraiment mon pied ! Je ne sais pas si je ne ferai pas bibliothécaire comme boulot quand je serai grand ! Le seul souci... c'est que je me réveille à sept heures désormais le matin, comme si... je devais me lever pour aller au travail !
- On peut voir vos travaux d'art et de tri de bazar ?
- Bien sûr, c'est ici : Chez Francis ! Tiens, deux exemples pour la route !
MARIE G.
C’est incroyable comme ces temps de confinement auront été, chez nous, le temps de Fouillarchive ! Vous chantiez, nous dit-elle ? Eh bien scannez, maintenant !
Comme si nos propres accumulations ne suffisaient pas, nous avons hérité, à Noël, de «la valise de Marie-Louise». Marie-Louise C. épouse d’André G. est la grand-mère maternelle de Marina Bourgeoizovna, mon épouse. Après le décès de la grand-mère, la valise qui est plutôt une sacoche noire du genre "attaché-case", est allée se poser à Redon, chez la fille aînée de Marie-Louise qui est la maman de Marina. Vous suivez encore ? Parce que ça va se compliquer !
Elle a été retrouvée récemment, la sacoche, et confiée à la fille cadette de Marie-Louise, Marianne, pour identification des gens sur les photos. Après un détour en Savoie, la sacoche nous a été remise à Nantes le lendemain de Noël. Elle se balade donc aujourd’hui à Rennes !
Tout comme je l’ai fait avec mes propres photos de famille, la tante Marianne a classé les photos et les a mises dans des enveloppes 13x18 cm. Il y avait donc une enveloppe « inconnus » dont je me suis servi pour un atelier d'écriture, une enveloppe « famille B. », une autre marquée « Famille G. » et une enveloppe « Marie G. ». C'est la désormais fameuse "bayadère".
Récit de la tantine, qui l'a connue, à Marina B. :
« Au mariage de tes parents, la cousine est venue avec son mari, ses enfants et son amant. Fallait pas être sorcier pour deviner que les deux enfants étaient de l’amant ! ».
- Et alors ?" comme disait un prétendant à la Présidence de la République à propos d'affaires faites sous le manteau. Ou sur le manteau ?
Elle me plaît, moi, la cousine Marie. Voici une autre photo d’elle, prise en Nouvelle-Calédonie, d'où elle envoyait à ses cousins nantais des photos de sa famille sur lesquelles elle écrivait à l'encre pervenche. Sur la première, elle ressemble à Rosemary Standley !
Elle avait épousé un M. Marcel B. de B, né en 1898 , qu'elle avait donc suivi là-bas à Nouméa. Leur fille se prénommait Josiane.
Ils ont terminé leurs jours à Antibes et Monsieur Généanet nous a même permis de voir leur tombe sur la toile !
Marie-Louise et ses enfants avaient gardé le contact avec eux et allaient les voir dans le Sud. La photo ci-dessus a été prise à Cannes. la tante Marianne est au premier rang et le grand échala à tignasse touffue est son grand frère, Jean G. Marcel de B. est décédé en 1972.
***
Elle est née à Rennes le 7 juin 1906 et est décédée en 1993. Son second prénom était Françoise. Elle était en fait la cousine du grand-père, André G., le mari de Marie-Louise, et c’était la seule avec laquelle il était resté en contact pour la bonne raison qu’il en était très amoureux. Il devait avoir pourtant pas mal de cousin(e)s puisqu’il avait quatre oncles et une tante. Mais aucun d’eux ne le prit en charge quand il devint orphelin, à treize ans, en 1913. Il fut élevé par un voisin.
C’est drôle (?) comme ce ne sont jamais des histoires gaies qu’on trouve dans les albums de photos « spécial confinement » ! Faut dire que que d'aller chercher des dates ici, dans le fichier des personnes décédées, ça n'incite pas forcément à la krapoverie. On fera plus drôle demain, promis !
LE JEU DES SEPT DIFFÉRENCES
Ces deux photographies semblent identiques à première vue. Saurez-vous déceler cependant les sept différences qu'il y a entre elles ?
Solution du jeu :
1 Augustin Caron, celui qui imite Napoléon avec sa main dans son gilet, ne sourit plus ;
2 L’érection un poil gênante de Georges Manaudou, à ses côtés, est enfin terminée ;
3 Christine Caron dite Kiki, casaque noire, cheveux au vent, s’est mise en position pour participer au match de water-polo à cheval sur le dos d’Emma Chassériau, casaque bleue, toque jaune ;
4 Georgette Manaudou a cessé de prendre la pose de la Vénus d’Urbin du Titien. Elle s’est assise sur le ponton et regarde le slip de Napoléon-Augustin ;
5 Adolphe Chassériau s’est rapproché de sa femme Emma et lui prodigue des conseils stratégiques pour le match de water-polo à venir ;
6 Amandine Manaudou est allée noyer sa petite soeur Laure qui criait vraiment trop fort ;
7. La petite Isaure Chassériau a encore disparu.
Pondu pour l'Atelier d'écriture de Villejean
d'après la consigne 2021-13 du mardi 5 janvier 2021 ci-dessous.
DEUX CARTES ET UNE LETTRE DE 1965
Chère Grand-mère
Je t’envoie une carte de notre pélerinage à Sablé-sur-Sarthe où tu étais réfugiée pendant la guerre. Aujourd’hui on y est avec Papa, Maman, ma petite sœur Dominique, Tata Roberte et la Deux chevaux Citroên. On n’a pas pu visiter le château parce que c’est une usine de chicorée mais Tata Roberte a acheté une boîte de biscuit en métal chez Drans. Elle a dit qu’elle me la donnerait quand elle serait vide. Papa a fait une réflexion et ils se sont encore chicorée ensemble. « C’est pas du gâteau de voyager avec vous deux ! » a dit Maman. Moi je suis resté baba devant des tas de choses ici. Déjà ils connaissent aussi Donald dans la Sarthe ! Il me faudrait au moins mille feuilles pour te raconter cette journée. Du coup je t’écrirai une lettre quand nous serons rentrés à Redon.
Je t’embrasse bien fort.
Annie.
P.S.
On a monté sur un cheval ! Tata Roberte a pris des photos !
***
Les photos que Tata Roberte a prises de nous sur le cheval des Guilmo à Auvers-le-Hamon sont un peu ratées comme tu peux le voir. J’aurais bien voulu garder celle où je tiens le cheval par sa ficelle et où Dominique est dans la chaise de bébé en bois mais Maman a dit qu’elle te plairait alors j’obéis et je te la donne de bon cœur.
En voyant les photos aux têtes coupées, Papa a dit, pas très diplomate :
- Quand elle guillotine, celle-là, ce n’est pas du flan !
Et Maman et lui se sont encore chicorée parce que Tata Roberte est quand même la sœur de Maman et la belle-sœur de Papa. Papa s’est tu. Ca lui a claqué le beignet, comme on dit.
C’était quand même une belle journée que ce pélerinage à Sablé. Le matin on est passés embarquer Tata Roberte qu’on a mise à l’arrière de la 2CV avec nous et on a traversé de la campagne et de jolis villages : Saint-Nicolas-de-Redon, Chateaubriant, Pouancé, Renazé, Craon, Château-Gontier…
A Sablé on a retrouvé Colette, la grande copine de Maman. Elle habite en plein centre, sur la place Raphaël Elizé. Ce monsieur, le premier maire noir de France, a été déporté par les Allemands parce qu’il avait une tête de nègre. Ils sont pas gentils, les Allemands. Ils pouvaient pas rester dans leur Forêt Noire pendant la guerre de 14-45 ? Mais bon, c’est compliqué, les histoires de grands. Parce que les bombardements de Nantes c’étaient les Anglais et les Américains ! C’est gentil de balancer des bombes sur nos framboisiers ? Pas très chou, je trouve !
Donc en octobre 1943, vous êtes venues, toi, maman et Tata Roberte vous réfugier à Auvers-le-Hamon dans la ferme de M. et Mme Guilmo. Leur fille Colette est devenue la grande amie de maman et puis maintenant la marraine de Dominique. Elles allaient ensemble au collège à Sablé.
Pendant le repas de midi les trois copines ont parlé de ce temps-là et pendant leur conversation Papa a eu l’air de bien s’ennuyer. Du coup il a repris deux fois des rillettes de l’entrée et aussi une deuxième part de Pithiviers au dessert.
L’après-midi on nous a emmenés voir l’abbaye de Solesmes, un grand bâtiment dressé au bord de l’eau dans lequel on enferme des religieuses, des jésuites ou des sacristains, j’ai oublié et puis on est allés voir Monsieur Guilmo, le père, dans sa ferme à Auvers. C’est celui qui fume avec son panier sur la photo.
C’est là qu’on a monté sur le cheval. Maman a chicorée encore Papa parce qu’il avait oublié d’emmené son Kodak à soufflet mais Tata Roberte avait le sien.
- A tous les coups, elles vont être ratées, qu’il a dit entre ses dents Papa en nous maintenant sur le bidet pour pas qu’on en tombe.
C’est vrai. On ne voit que ses jambes à lui et pas nos têtes à nous. Mais Tata Roberte est myope comme une taupe modèle. Ca explique.
Du coup, après la bataille, il a repris un autre coup de la « gnôle » du père Guilmo.
- Raymond, n’oublie pas que tu conduis ! a grondé Maman.
- Heulà ! C’est pas bien grave, a dit le père Guilmo. Les gendarmes d’ici n’ont inventé ni le fil à couper le beurre ni l’alcootest. Et puis, ce n’est que de l’eau ferrugineuse !
Tout le monde a ri mais je n’ai pas compris pourquoi. Et puis Monsieur Guilmo a repris de façon assez croquignole :
- De toute façon on ne peut pas doubler sur nos petites routes à cause des gros culs, alors autant ne pas rester sur une jambe ici !
Après on est reviendus à Sablé. On a fait un tour dans la rue de l’Île où il y a une place Dom Dérangé avec un bac à sable pour les enfants et des bancs pour s’asseoir discuter. Puis on est passés chez Drans, sur le quai, pour acheter des biscuits spéciaux de Sablé qu’on appelle des sablés de Sablé. Tata Roberte a acheté une grande boîte métallique. Maman en a acheté aussi mais moins et dans une boîte en carton.
Avant qu’on reparte, j’ai bien regardé le château en face. Je me suis dit que plus tard je reviendrai peut-être vivre ici. Ce serait merveilleux si j’épousais le fils des chicorées Willot qui le possède ! Il doit avoir de la galette, non ? On verra bien !
Quel dommage que tu n’as pas pu venir avec nous ! Ca t’aurait rappelé le bon vieux temps !
J’espère que tu vas bien, je t’embrasse très fort et je te souhaite une bonne et heureuse année 1966 !
Annie
P.S. Fais des bises de ma part au cousin Jacquot et à son tonton Hulot quand il passera te voir !
Pondu pour l'Atelier d'écriture de Villejean du mardi 5 avril 2021
d'après la consigne 2021-13 ci-dessous.
CONSIGNE D'ÉCRITURE 2021-13 DU 5 JANVIER 2021 A L'ATELIER DE VILLEJEAN
D'autres inconnu·e·s
Voici vingt-deux photos d'inconnu·e·s retrouvées dans une sacoche d'archives familiales ainsi que deux photos de paysages. Faites-les parler ! Inventez, racontez ce que vous voulez à partir d'une ou plusieurs d'entre elles. Si cela peut vous aider, vous insérerez dans votre texte cinq noms de gâteaux tirés de la liste jointe au bas des photos.
Oui, on sait, ce n'est pas de la tarte, aujourd'hui ! Bonne année 2021 à vous quand même !
Vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir.
Africain - Alléluia - Ardéchois - Baba au rhum - Baklava - Barquette aux marrons - Bavarois - Beignet aux pommes - Bichon au citron - Biscuit - Bretzel - Brioche - Bûche de Noël - Cake - Ça va se savoir - Canelé bordelais - Cannoli siciliens - Chanteclair - Charlotte - Chausson aux pommes - Chausson italien - Chinois - Chocolatine - Chou à la crème - Clafoutis - Colombe de Pâques - Concorde - Congolais - Conversation - Cookie - Cornes de gazelles - Craquelin - Crème brûlée - Crêpes - Croissants - Croquignoles - Croustillon - Crumble - Divorcé - Échaudé - Éclair - Far breton - Feuilleté - Financier - Flan - Fondant au chocolat - Forêt noire - Fraisier - Framboisier - Frangipane - Friand - Gâche de Vendée - Galette - Galette des rois - Gâteau - Gaufre - Gaufrette - Gland - Gougère - Halva - Hérisson - Jésuite - Kadaïf - Kouign amann - Langue-de-chat - Loukoum - Madeleine - Macarons - Mendiant - Meringue - Merveilleux - Miche - Mille-feuilles - Mirlitons de Rouen - Moka - Mont-Blanc - Muffin - Navette de Marseille - Noix charentaise - Nougat de Tours - Opéra - Oranais - Oreillettes - Omelette norvégienne - Oublie - Pain au chocolat - Pain perdu - Paris-Brest - Pastis - Petit four - Pithiviers - Pompe à l'huile - Pont-neuf - Profiteroles - Pudding - Praline - Quatre-quarts - Queue de castor - Religieuse - Rose des sables - Sacristain - Saint-germain - Saint-honoré - Savarin - Spéculoos - Tarte - Tarte Tatin - Tête-de-nègre - Tiramisu - Tourteau fromager - Tourtière - Tresse au beurre – Vitréais.
L'HYMÉNÉE DE JOSEPH ET MARIE
La mémoire, c’est comme une maison. On court de la cave au grenier, ou plutôt du grenier à la cave, oui, c’est plutôt ça. On descend des photos du grenier, on écrit des textes à partir d’elles et les textes finissent à la cave. Ou parfois on retrouve un texte à la cave et on le modifie un peu pour qu’il colle avec une photo du grenier.
C’est le cas ici. La semaine dernière je retrouve mes vieilles amies de la chorale «La Ritournelle» et je leur fredonne «Obladi Oblada» des Beatles, histoire de moderniser un peu ( ?) leur répertoire qui va de «Froufrou» à «La Bonne du curé» en passant par «Ca vaut mieux que d'attraper la scarlatine». Je me souviens que j’ai commencé à écrire une version française de cette Liverpoolienne rengaine pour la leur faire chanter car ces dames détestent utiliser la langue de la perfide Albion.
Une fois rentré à la maison, je retrouve la traduction-trahison-adaptation dans mon ordi (qui est ma cave à moi !). En fait la chanson est déjà complètement écrite, il n’y manque que les accords pour pouvoir être chantée. Je la fredonne pour vérifier que tout coule bien et je bute, dès le deuxième vers, sur la prononciation de « Jean-Jean joue» :
« Marie vend des œufs sur le marché d’Vill’jean
Jean-Jean joue dans un groupe de rock’n’roll ».
Et c’est là que j’ai l’idée du siècle (mwarf !). Pourquoi ne pas l’appeler plutôt Joseph, le gars ? Un couple Joseph et Marie, ça sonne bien, non ? Joseph et Marie. Joseph et Marie !
Joseph et Marie ? C’est bizarre, ça me rappelle quelque chose. Jésus ce que c’était mais je ne me souviens plus bien où j’ai entendu ça.
Ah mais si, bien sûr ! Mon oncle Joseph et ma tante Marie ! J’ai récupéré cette année la photo de leur mariage. Mon cousin Pascal avec qui nous avons beaucoup parlé de la famille m’a remis aussi en mémoire l’histoire de leurs deux enfants, un couple de jumeaux, un garçon et une fille, né·e·s à cheval sur deux années la nuit de la Saint-Sylvestre, le 31 décembre et le 1er janvier ! Comment se choper un an d’écart en moins d’une heure !
Mais bon, je ne suis pas là pour raconter ma vie ni celle des autres alors, musique, maestro !
OBLADI-OBLADA
(Lennon-MacCartney ; traduction-trahison-adaptation par Joe Krapov)
1
Marie vend des œufs sur le marché d’ Vill’jean
Joseph chante dans un groupe de rock’n’roll
(comme une casserole)
Joseph dit à Marie : «Qu’est-ce que tu es jolie !
Est-ce que ça t’dit de v’nir danser au bal sam’di ?"
"Oui ça me dit"
Refrain
Obladi ! Oblada ! C’est la vie ! Oui !
La la ! C’est la vie qui va !
Obladi ! Oblada ! C’est la vie ! Oui !
La la ! C’est la vie qui va !
2
Marie joue maint’nant du piano dans le groupe
Sur la moto d’ Zèph elle monte en croupe
On n’sait pas comment ça s’est fait les amis
Voilà que le ventre de Marie s’arrondit
(Au refrain)
Pont 1
Pas plus tard que sam’di place de la mairie de Rennes
Lalala Lalala Lalala
La-a
Devant tous les amis ils se sont dit oui Amen
Mari-és par Nathali-ie
3
Joseph est dev’nu le mari de Marie
Ils ne dansent plus le boogie-woogie
Ils ont raccroché la guitare à son clou
Et le groupe de rockabilly lui est dissous
(Au refrain)
Pont 2
Dans une couple d’années ils auront un « home sweet home »
Lalala Lalala Merci Giboire !
Avec un bout d’pelouse et une balançoire
Pour leurs deux jolis petits mômes
4
Marie vend des œufs sur le marché du Blosne
Joseph fait des autos à La Janais (des SUV !)
Le dimanche midi ils déjeunent chez Mamy
Et puis ils vont au CGR à La Mézière
(Au refrain)
5
Cette histoire d’amour est vraiment bien partie
Elle va leur durer toute une vie
Et lorsque Joseph aura 64 ans
Marie l’aim’ra peut-être encore plus que maint’nant
(Au refrain)
P.S. 1 Désolé, mais à force de courir de la cave au grenier, je n’ai pas eu le temps encore de mettre les accords ni de l’enregistrer ! A vous de la chanter sous la douche, l’air est connu !
P.S. 2 Ah et puis si, j'ai trouvé le temps, finalement !
Ecrit pour le Défi du samedi n° 630 à partir de cette consigne : Hyménée.
A Paris en janvier 1975 (3)
J'avais à l'époque un voisin du dessous qui était natif du même village que moi. Il nous arrivait encore de faire de la photographie ensemble. J'ai retrouvé aujourd'hui dans cette boîte de diapos quelques poses surréalistes qui témoignent de cela. Il vient normalement me visiter demain après qu'on se soit perdus de vue depuis... 35 ans ! Ces retrouvailles sont liées aux hasards de la navigation sur Internet : merci, Mr Google ! Je lui remettrai les négatifs qu'il a oubliés chez moi et quelques trésors numérisées de cette époque-là comme ceux-ci :
LE COMMUNIANT
Qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire pour l’obtenir, cette montre !
Ce jour-là, passe encore ! On l’avait habillé en dimanche, chemise blanche, cravate, pochette et jolie veste. Il avait fait comme si c’était le carnaval, qu’on avait décidé de déguiser les enfants en hommes, un peu comme, autrefois, on habillait les mômes en costume de marin. Ca viendrait assez vite, d’ailleurs, qu’on leur fasse endosser le costume de soldat. Il était trop jeune pour ça pendant la guerre de 39-45 mais il aurait pile-poil l’âge pendant « les événements ». Mais on n’en savait rien encore de l’Algérie en ce temps-là dans ce coin-là.
La cravate lui serrait un peu le kiki, les gants blancs étaient un peu trop grands et ce chapelet, franchement, comment le tenir, qu’en faire… Le pire c’était ce brassard énorme dont Cédric Villani dont on ne parle plus beaucoup se serait volontiers servi comme d’une lavallière.
Voilà, le petit chrétien angélique avait été immortalisé par P. Martin, photographe à Carvin (Pas-de-Calais). Il y avait de l’innocence dans le portrait, toute une porte ouverte dans le regard sur un avenir aux normes, bien encadré par les rites de passage, la communion, la première clope, la conscription, le premier bal, les fiançailles, le mariage à l’église, le «Croissez et multipliez», l’épouse, les enfants, le travail, la messe, les enterrements…
La montre mesurerait tous ces temps-là. Il faudrait juste oublier qu’avant de l’obtenir on s’était déguisé en fille, on avait enfilé une robe ! La honte de sa vie !
- On appelle cela une aube, Guillaume ! avait dit l’abbé Mouret comme s’il avait entendu ce que le petit garçon taciturne pensait dans sa caboche de Ch’ti.
***
Oui, je vais l’avoir, la montre. On va tous en avoir une, même les cousins Hervé et Pierre, dont le père est pourtant syndiqué à gauche, mais moi j’ai prévenu papa :
- Ce sera une Rolex ! Ou sinon…
- Sinon quoi, espèce de petit « trop de gueule » ?
- Sinon je vous explique pourquoi je suis toujours le dernier à sortir du catéchisme !
- Eh bien dis-le pourquoi tu arrives toujours en retard !
- Et j’aurai une Rolex ?
- Abats ton jeu et je te dirai si ton coq a les pattes cassées ou pas !
- L’entraîneur, au foot, Monsieur Zola, il nous a dit de faire sanctionner toutes les fautes. Carton jaune, carton rouge, coup franc, penalty.
- Je ne vois pas le rapport entre le football et l’abbé Mouret ?
- Quand il y a faute, moi je fais comme monsieur Zola, j’accuse !
- Ca veut dire quoi, ça, Guillaume ?
***
Je l’ai eue, ma Rolex !
L’abbé Mouret va être muté à Aix-en-Provence. En attendant il ne me caresse plus les cheveux. J’ai horreur qu’on me décoiffe quand je suis bien peigné.
Pondu le jeudi 9 avril pour l'Atelier d'écriture de Villejean d'après cette consigne
LA MÈRE ET SES TROIS ENFANTS
Il n’a pas le sens de l’humour, ce gamin ! Par contre il a du coffre quand il fait ce genre de grosse colère !
Il n’a pas le sens du décor, le père qui prend la photo ! Ce tas de pierres devant ce champ à l’abandon envahi d’herbes folles ! Peut-être qu’elle est jolie la forêt à l’horizon mais elle est loin et les deux poteaux télégraphiques, devant, franchement, c’est trop tout moche !
Il aurait mieux valu montrer la maison en briques neuves, ses volets à l’encadrement blanc. S’approcher plus. Choisir entre les gens et le paysage. D’ailleurs, c’est peut-être ça qu’il éructe, le môme ?
- T’es trop loin ! Elle va être ratée, ta tof ! Quand on photographie des enfants on s’accroupit pour être à leur hauteur !
La mère semble excédée elle aussi. Pourquoi l’a-t-il fait mettre à genoux ? Pourquoi la pose dure-t-elle si longtemps ?
Il n’y a que le grand frère et la grande sœur qui s’amusent de la farce, de la situation ou de la colère du cadet.
- La chance qu’on a ! semblent-ils penser. Grâce à la photo bonus découpable on va pouvoir montrer à quelqu’un d’autre que l’album comme on a passé des bonnes vacances à… en…
A vrai dire, on ne le saura jamais, où et quand ni qui c’était. Rien n’est écrit au dos de la photo. Elle a juste été prise à une époque où on achetait les mêmes fringues aux deux frangins.
Est-ce que c’est cette similitude dans la vêture qui a fait chanter au père « Bzz ! Bzz ! Bzz ! Les abeilles » et provoqué l’ire du blondinet ?
Non, c’est sûrement autre chose !
- Je ne suis pas colérique ni coléreux ! T’es qu’un méchant, papa ! Et pis d’aboreuh, je sais même pas qui c’est ou ce que c’est qu’un Jodaltonne !
Pondu le jeudi 9 avril 2020 pour l'Atelier d'écriture de Villejean d'après cette consigne