13 mars 2020

FORFAIT DÉPASSÉ

AEV 1415-26 NSA

Monsieur et Madame Valentin, selon les informations en notre possession, votre forfait "je t'aime" est dépassé.

Nous vous proposons de le renouveler par le biais d'un voyage à Venise mais nous hésitons car vous ne faites rien comme tout le monde, M. Et Mme Valentin.

Vous avez attendu 10 ans pour effectuer dans cette cité symbolique un voyage de noces au cours duquel vous n'avez même pas sacrifié au rite de la ritournelle en gondole.

Vous avez préféré parcourir un nombre de kilomètres insensé dans la ville sans même avoir pris soin de vous équiper de chaussures de randonnée !

Vous n'avez pas attendu les 10 ans réglementaires pour y retourner : quatre ans après vous remettiez le couvert et l'année suivante, refais-le me le, encore, encore oh oui c'est bon et puis plus rien !

Nous voulions également vous suggérer l'option triplette de Belleville qui consiste en un stage de trekking au Népal. Bien que nous vous sachions assez adeptes de l'humour noir, nous avons récemment remplacé dans notre catalogue "J' voudrais finir ma vie à Katmandou" par "J' voudrais finir ma vie au Lavandou". Mais l'azur peut-il avoir la cote auprès de gens qui ne rechignent pas à aller marcher sous la pluie pendant quatre jours dans des coins perdus de la Manche dont même le bathyscaphe, plongé dans les profondeurs sous-marines d'océans abyssaux, n'a pas idée : Heugueville-sur-Sienne, Hauteville-sur-Mer plage, la Vendelée ou il n'y a même pas de Glolobe challenlenge !

Nous avons qui plus est découvert que votre forfait "je t'aime" n'était pas valable et ce depuis l'origine ! Il manque au document original émanant de la mairie de Redon la signature réglementaire des deux témoins !

C'est pourquoi l'alternative est désormais la suivante :

- ou bien nous vous dénonçons aux autorités en tant que couple déviant sans feu ni lieu ni foi ni loi
- ou bien vous déchirez la présente lettre de rappel et continuez de cohabiter comme bon vous semble mais c'est à vos risques et périls surtout depuis le vote de la loi sécurité et le catalogage des citoyens en fonction de leur prénom.

Si vous trouvez le moyen d'inventer ou d'ajouter un troisième terme à cette alternative, nous déclarerons forfait nous aussi.

***

C'est bien simple, quand j'ai vu la médaille "Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain" j'ai mis l'enveloppe et le prospectus de la NSA qu'elle contenait à la poubelle !


Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 5 mai 2015 d'après cette consigne :

Incipit n° 220 de Pascal Perrat

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22 septembre 2017

ESCARPINS EN ESCAPADE

 

AEV 1718-02 mocassins

Chaque nuit, rue de la Pompe, une paire de mocassins s’échappait du présentoir sur lequel elle s’exposait le jour pour se dégourdir les semelles. Personne jusque-là ne l’avait surprise. Mais un soir, deux petites sandalettes lui emboîtèrent le pas. Elles étaient peu discrètes et leur déplacement faisait des «cataclop» «cataclop», un bruit de tatanes qui se pavanent dans la savane.

- Cessez de nous suivre ou nous appelons un agent !» menacèrent les mocassins en se retournant vers elles.

- Mais enfin ! Nous sommes libres d’aller et venir à notre guise, nous aussi, dans ce magasin ! Les volets sont fermés, les vendeuses sont parties, on peut bien si on veut faire notre numéro de claquettes !

- Peut-être, mais pas dans notre sillage. Nous sommes sur une piste sérieuse. Nous travaillons, nous ! Nous ne songeons pas à danser comme de vulgaires ballerines ou des scandaleuses à boucles blondes !

 

AEV 1718-02 sandalettes

- Nous sommes des sandalettes, pas des scandaleuses ! Vous êtes sur la piste de quoi ? Du dernier des Mohicans ?

- Nous cherchons la sortie. Quand nous étions dans la vitrine nous avons bien vu que le monde au-dehors est immense et plein de toutes sortes de chemins. Nous avons hâte de les parcourir. Aussi nous n’allons pas attendre que quelqu’un nous achète. Nous allons nous faire la paire avant ! Si on peut se tailler, on se taille !

- C’est vrai que vous êtes de drôles de pointures, tous les deux ! Du 45 ! Y’a pas grand monde qui chausse de ça. Même en soldes, et aussi de caractère, vous avez l’air un peu coincés pour longtemps ici !

1311268-Verlaine_et_Rimbaud_marchant_dans_LondresA la loterie des rêves, les mocassins et les Nikolettes, car c’étaient des sandalettes de marque, ont gagné leur liberté : la dernière des vendeuses avait oublié de fermer la porte de l’arrière-boutique. Un coup de pieds dedans et voilà nos deux com-paires dehors et les commères qui les suivent.

- On a décroché le pompon ! chantaient les mocassins.

Comme ce fut amusant, au début, d’aller de bec de gaz en bec de gaz, de parcourir le vieux Paris d’où n’émergeait, dans le ciel étoilé, aucune tour Eiffel ! Bien sûr il fallait éviter le crottin des chevaux sur le pavé et les merdes de chien sur les trottoirs mais c’est une discipline que l’on apprend très vite, le slalom géant. Pratiquement au pied levé. Mais bientôt du monde arriva.

Enfin… Quand on dit « du monde »… C’étaient deux-va-nu-pieds des Ardennes, en déroute, qui s’avançaient bourrés sur le bord de la route.

- Regarde, Arthur ! Je le crois pas ! La bonne chance qu’on a ! Des pompes, et des neuves ! Comme on en portait jadis et naguère ! Et les mocassins sont pile-poil à la taille de mes ripatons !
- Parallèlement, les sandalettes me vont impec, Paulo !

Et c’est ainsi que, pour la première fois depuis bien longtemps, Verlaine et Rimbaud regagnèrent le domicile des Mauté de Fleurville, les beaux-parents de Paul, sans marcher à côté de leurs pompes.

Rimbaud derrière, qui prenait ses cliques et ses claques comme à l’habitude. Et Verlaine, chaussé de mocassins, qui battait la semelle devant.

 
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 19 septembre 2017 

d'après la proposition  d'écriture n° 347 de Pascal Perrat
 

qu'on ne remerciera jamais assez de pondre pareils incipits !

(MANUS-) CRI DU (MOT-) COEUR!

Dans le noir d’un tiroir un manuscrit attendait anxieusement le résultat de son test de grossesse. Serait-il relié ou broché ? Cette question le tourmentait.

Car ce n’est pas le tout d’être et de se savoir génial. Il faut aussi passer par un stade de reconnaissance. Il faut que quelqu’un d’autre, après l’auteur, vous lise, vous apprécie, ce qui pousse votre géniteur à contacter un éditeur. Il faut aussi que celui-ci soit convaincu non seulement de la valeur littéraire du texte mais encore de sa valeur marchande.

C’est pourquoi « La Chasse spirituelle » - c’était le nom du manuscrit – s’inquiétait de rester là aussi longtemps dans le noir de ce tiroir-purgatoire. On n’était même pas chez Arthur mais chez Paul, son pote et quand on dit « son pote » il faudrait plutôt préciser qu’on était chez les beaux-parents de son pote, le père et la mère Mauté de Fleurville, les parents de la maudite Mathilde, la souris, la fée Carotte, la punaise comme Paulo l’a appelée dans un billet qu’il a fait parvenir récemment à sa jeune épouse.

Ca n’est pas très délicat. Et ça n’est pas très sérieux car dans son dernier courrier il réclame qu’on lui renvoie à Bruxelles ses effets personnels, le manuscrit de Rimbaud et « les lettres qui en font partie ».

Qui en font partie ? Mon cul, si on peut dire ! Si un manuscrit peut dire ça ! Du fait de leur entassement dans la même chemise, pas très propre, du reste, le manuscrit sait bien ce qu’il y a dans les lettres. Si elles tombent entre les mains du beau-père, c’en est fait du mariage. Y’a d’la rumba dans l’air et de la séparation de corps dans l’décor !

Il y a là-dedans de quoi refaire le procès des « Fleurs du mal ». Toutes les preuves des mauvaises mœurs de ces messieurs les poètes vont ravir les défenseurs plutôt fripouilles de la morale traditionnelle et de «Une famille c’est un papa + une maman».

Et de fait, lorsque Mathilde les découvre, les missives, la jeune épouse se jure cette fois-ci que tout est bien fini.

AEV 1718-02 chasse spirituelle

Que devient «La Chasse spirituelle», le manuscrit d’Arthur Rimbaud ? Il disparaît! Mais on le voit réapparaître, enfin édité, au Mercure de France, s’il vous plaît, en 1949, soit plus de soixante-dix ans après.

Relié ! Broché ! Préfacé par Pascal Pia ! Encensé par la presse !

Mais, car il y a un mais, ô scandale, semelles de vents et scandalettes, il s’avère qu’il s’agit d’un faux ! L’engouement pour la poésie, la bibliophilie et surtout pour Rimbaud est devenu tel qu’à part André Breton personne ne veut croire qu’il s’agit d’un canular pondu par deux théâtreux.

Ah il est bienheureux, le faux manuscrit ! « La vie est une farce à mener par tous », a écrit Rimbaud. Et les deux comédiens ont réussi leur coup. Après reconnaissance de la mystification, la maison d’édition retire le livre de son catalogue. Les exemplaires déjà vendus valent aujourd’hui une fortune sur E-bay ou dans les salles de vente.

Oui mais… le vrai manuscrit ? Celui du début ?

Il semble que la maudite Mathilde ait mis le feu au test de grossesse et jeté le bébé avec l’eau du bain.

Les vrais Rimbaldiens ont fait une croix dessus. Tout comme Rimbaud a terminé sa vie en faisant du trafic d’armes, ils ont changé leur fusil d’épaule. Ils sont tous au Harar et ils creusent. Ils retournent tout. Ils cherchent dans le sol les bras de la Vénus de Milo.

Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 19 septembre 2017 

d'après la proposition  d'écriture n° 354 de Pascal Perrat
 


qu'on ne remerciera jamais assez de pondre pareils incipits !

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LE TEMPS DÉRÉGLÉ

Subitement le temps s’était déréglé. Il ne pleuvait plus des cordes mais des escaliers. Toutes sortes d’échelles et de rampes d’accès. Les croyants y voyaient un signe, les athées tentaient de démystifier le phénomène.

Ils étaient tous d’accord cependant sur un point, c’est qu’il était désormais impossible de sortir les jours de pluie. Quand on se prend trente-neuf marches sur le coin de la gueule, c’est assez hitchcockien comme situation !

Tout le monde tremblait de terreur devant l’échelle de Richter lorsqu’elle descendait du ciel !

Sans parler des spécificités locales. En Bourgogne, finis, les escargots. Il ne pleuvait plus que des escaliers en colimaçon.

Si encore, après la bataille – on appelait désormais ainsi les précipitations et on avait hâte qu’elles soient terminées – les escaliers, rampes ou échelles menaient quelque part ! Mais non !

AEV 1718-02 échelle (JP)

Des audacieux, des téméraires avaient entrepris, le soleil revenu, de gravir les marches, de les escalader. Tous ces maîtres du barreau étaient vite redescendus ! Aucun qui menât au septième ciel ou chez des haricots géants.

Il y en avait un, en Normandie qu’on avait étudié en long et en large. En hauteur, en fait. Il comportait 365 marches, 52 fenêtres flottantes de type windows 10 et 12 paliers qui ne palliaient pas le problème posé par ces chutes d’escalier. Quand on arrivait au sommet on avait la tête dans les nuages alors on se sentait cotonneux, on comptait les moutons, on s’endormait, on titubait, on dévalait l’escalier et on se retrouvait en bas couvert de contusions et de confusion.

En haut des échelles on trouvait des toits. Les plus hardis posaient le pied sur cet atoll ondulé mais parfois l’échelle tombait. De là-haut ils faisaient signe aux passants, aux avions. Tout le monde répondait « coucou », surtout les vieux avions, croyant qu’ils agitaient la main juste pour dire bonjour. Certains sont morts de faim là-haut dans cette canopée où il n’y avait ni canapés ni petits fours.

Tout ce phénomène s’arrêta cependant un jour que l’on dira béni. Lorsqu’une grande échelle de pompiers réussit à trouver sur son chemin la femme de Gargantua, Badebec, elle s’accrocha à son mollet entraînant tous les autres à sa suite.

- Zut mon bas a filé ! s’exclama Madame Gargantua en constatant l’échelle.

Je m’aperçus alors que je m’étais donné un quart d’heure pour répondre à cette consigne et qu’il avait filé lui aussi. J’en fus bien content.


Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 19 septembre 2017

d'après la proposition  d'écriture n° 351 de Pascal Perrat


qu'on ne remerciera jamais assez de pondre pareils incipits !

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12 juin 2017

ÉQUIVOQUE LA GALÈRE !

L’invitation était sans équivoque : « Rejoignez notre bacchanale à pied et déguisés en arbres ! ». Ils s’y rendirent. Ce n’était vraiment pas une bonne idée : déguisés en bouleaux, ils avaient l’impression d'y aller et tous les dalmatiens du quartier, attirés par le noir et blanc flambant neuf de leurs costumes, s’en venaient uriner sur leurs racines, enfin sur leurs pieds.

AEV 1617-29 Cabaret-neant-enfer

C’est d’ailleurs ce qui les sauva. La fête avait lieu dans une grotte dont l’entrée était gardée par un diablotin cornu, barbichu, vêtu d’une grande cape rouge et doté d’une impressionnante fourche à trois dents.

- Comment est l’ambiance à l’intérieur ? demanda Bouleau premier.

- Y hêtre ou ne pas y hêtre, là n’est pas la question, répondit le vigile. Elle est du feu de Dieu, si je puis dire, l’ambiance. Mais je ne laisse entrer que les grands secs.

- Mais ce n’est pas de notre faute si on a les pieds mouillés ! protesta Bouleau deuxième. Des dalmatiens nous ont épicéa dessus. Allez, M’sieu, S’iouplaît !

- N’insistez pas, il y a peu de chances que je tremble même devant des menaces ! Arrêtez de me faire du charme, je ne cèdrerai pas. De toute façon, vous pourrez remercier les dalmatiens au retour. C’est d’enfer là-dedans ! Il y a une atmosphère à couper à la hache ! Tous les beaux messieurs de Bois doré ont été très vite abattus par les briseurs de chênes qui ne se sont pas cassé le tronc pour les transformer en rondins. Mais désolé, vieilles branches, on refoule le bois humide. Surtout quand il refoule des nougats.

- Mais quand même ! On a fait tout comme il était dit sur l’invitation : sans équivoque. Vous pouvez nous fouiller : on n’a pas d’équivoque sur nous !

- J’ai bien vu ! Rentrez chez vous, je vous dis ! Ils sont d’un con, ces damnés de la terre, aujourd’hui ! Comment ils croient qu’on l’alimente, la boule de feu qui est à l’intérieur de la planète ? Ils coupent à tous les tissus de mensonges, les coups de pub et à trèfle, ces idiots !

Alors, plus pleureurs que des saules, plus dépités que des Gaulois en Halésia, un peu pliés, beaucoup voûtés, déçus d’avoir échoué cyprès du but, Bouleau 1 et Bouleau 2 reprirent sans équivoque le chemin du retour.

Ils firent même ce que leur avait conseillé le virgilier : ils dirent merci aux dalmatiens. Lesquels se marrèrent franchement, sans aucune équivoque.


Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 6 juin 2017
à partir de la consigne-incipit n° 338 de Pascal Perrat.

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UNE SEMAINE DE VACANCES

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Deux oreillers s’aimaient d’amour tendre jusqu’à ce qu’un polochon vienne troubler la paix du ménage. Leur brouille naquit sur un tissu de mensonges, vous allez comprendre pourquoi très vite quand je vous aurai dit que cela se passe en juillet dans la maison de vacances de Roméo et Juliette.

Appelons comme ça ces deux quadragénaires. Ils travaillent tous les deux, ils sont cadres moyens, ils ont deux enfants et depuis qu’ils ont acheté cette résidence secondaire sur la Côte d’émeraude, ils viennent y passer tous les week-ends. Tout au long de la semaine, les deux oreillers brodés de leurs initiales, que nous nommerons R et J, ont la paix vu que Roméo et Juliette retournent bosser ensuite à Rennes.

Quand il n’y a pas d’humains dans la pièce les oreillers s’envoient en l’air. Le plumard, c’est le meilleur moyen qui existe pour ne jamais se plumer. Il faut voir comme ils n’arrêtent pas ! Quand Roméo et Juliette sont là, R et J vivent plus calmement. A tête reposée. Ils ne sont pas mécontents du tout de leurs propriétaires qui lisent beaucoup au lit. Par-dessus leurs épaules R et J ont ainsi des nouvelles des mondes imaginaires qui peuplent les romans.

Mais voilà : la maison a coûté cher et c’est la crise. Afin de rembourser leur emprunt Roméo et Juliette la mettent en location en juillet-août. Et on y est.

Voici donc la famille Tuyaudepoêle-Recomposé qui débarque. Il y a Monsieur Tuyaudepoêle avec ses trois garçons d’un premier lit, Madame Recomposé avec ses deux filles d’un premier canapé-lit et le petit dernier, Chevalier-Braillard Tuyaudepoêle-Recomposé qui est là pour sceller la nouvelle union.

Dans la famille Tuyaudepoêle, les enfants sont rois. Les trois frères, Georges, Jacques et William ont réclamé de dormir dans la chambre de Roméo et Juliette et l’ont obtenu, jurant qu’ils roupilleraient mieux là, bien sagement, le soir, épuisés qu’ils seraient par les jeux de plage et les bains de mer. Ils ont amené un grand traversin trouvé dans les placards et du coup on a mis R et J dans des coffres. Séparés, les coffres.

A l’intérieur du premier, R a vécu une semaine de promiscuité avec une couette en plume d’autruche. Dans le second J. a côtoyé de manière très proche un édredon et un coussin de bergère en forme de cœur.

De quoi était constitué le tissu de mensonges dont nous parlions au début ? C’est très simple : tous les soirs les garçons Tuyaudepoêle et les filles Recomposé se sont adonnés à d’homériques batailles de polochons. Ces parents modernes, avec leurs lubies de bains de minuit, de tour au casino, de restaurant en amoureux ou de promenade au clair de Lune de Chevalier Braillard dans sa poussette, c’est permissif à un point qu’on n’imagine pas !

Mais bon, la semaine est finie, ils sont retournés chez eux et Roméo et Juliette sont revenus mettre la maison en état pour la location suivante.

Mais pour R et J, ça n’est plus pareil.

Maintenant que les propriétaires sont repartis, chacun des oreillers se taie. Non, pardon, se tait.

J rêve d’un retour de la famille foldingue. Afin de retrouver ses compagnons de partouze.

R espère que le pavillon sera loué tout l’été à d’autres tribus du même type. Pour la même raison.

Il faudra que je demande à mon psychanalyste pourquoi les monte-en-l’air, inconsciemment, rêvent toujours de se faire coffrer. Il sait peut-être, lui !


Pondu à l'atelier d'écriture de Villejean le 6 juin 2017
à partir de la consigne-incipit n° 340 de Pascal Perrat

DEBORDEMENT

Une rivière en avait marre de vivre sous les ponts, de refléter le soleil puis la lune et quelques pêcheurs à la ligne. Elle décida de sortir de son lit. Il était temps, elle approchait les 50 berges !

Par bonheur pour elle, les hommes avaient inventé le réchauffement climatérotique. Tout le temps était tout le temps détraqué et un jour, deux jours, trois jours durant, il se mit à pleuvoir du pont. Du pont des Arts, pour être précis, il plut des cadenas et des rambardes.

Quand toutes ces amours ou preuves d’amour furent tombées dans l’eau pour y rejoindre les clés des cadenas et les amours de Guillaume Apollinaire, la Seine, car c’était elle, déborda de reconnaissance :

- Ah merci, merci, Pont des arts, Averse et Pluie de cadenas ! Depuis le temps que j’étais serrée dans ce lit ! Je ne pouvais même pas étendre mes bras ni sentir le sang affluer à mes joues ni même jouer à l’habile beau quai ! De quoi perdre la boule !

AEV 1617-29 zouave 8678937

Et la Seine d’envahir Paris, de se répandre en bavardages dans ce nouvel entourage, d’aller rire au nez et à la barbe du zouave du pont de l’Alma, de mettre la main, comme une sœur, dans sa culotte, de se moquer de sa chéchia.

- Fichez le camp sur le champ ! » ordonna la statue du militaire.

Ça tombait bien, le Champ de Mars n’était pas loin. Elle s’ébattit gaiement sur ce nouvel espace mais soudain elle entendit une grosse voix qui lui disait :

- C’est ça ! C’est ça ! Entrez dans mon cabinet sans rendez-vous ! Allongez-vous sur la canopée, pendant que vous y êtes !

- Oh je ne monterai jamais jusque là-haut, répondit la graine d’évaporée. Car il est dit dans le « Livre sacré des fleuves et des rivières » que l’histoire du patriarche de la Noë est une légende lutécienne non vérifiée. Mais qui êtes-vous donc, Monsieur ?

- E.I. Felturm, psychanalyste. Qu’est-ce qui vous amène ? Vous avez de la chance, je le suis aujourd’hui. Amène.

- Eh bien voyez-vous j’avais comme qui dirait une petite envie de m’épancher et j’ai trouvé une fenêtre de « j’me tire ».

- Allongez le pognon et vos fesses sur le champ et racontez-moi vos débuts dans la profession. Remontez bien à la source, surtout !

AEV 161729 4626- Eh bien voilà, Docteur Felturm, c’est assez oedipien comme comportement et somme toute naturel pour un fleuve : j’ai toujours eu envie de voir la mer ! Alors je me suis nourri de ce rêve, de l’eau qui tombait des nuages, j’ai grossi, j’ai tracé mon chemin, j’ai fait les quatre cents coups dans le calcaire, j’ai suivi ma voie, j’ai coulé des jours heureux, j’ai passé l’été en pente douce, puis j’ai décliné…

Il s’ensuivit tout un flot de paroles plaintives, une dégoulinade de souvenirs en cascade, d’épanchements de Seino-vie que le psychanalyste écouta impassible. Ou plutôt il entendit tout ce roman-fleuve comme un clapotis de potins, des bruits de vagues et de ragots de virago, une remémoration de murmures sous ramure qui l’endormirent presque. Il se demanda si la cliente ne lui montait pas un bateau-mouche tant elle versait de larmes sur son sort de voyageuse énurétique en perpétuel transit avec des aspirations au voyage vers le large à la longue étouffées sur les bords. Quand elle eut vidé suffisamment son sac il l’arrêta et lui dit :

- Rentrez chez vous, remettez-vous au lit et laissez faire les choses. Ne traitez que le courant. Vous allez la voir bientôt, la mer. Vous allez le trouver, votre havre de paix. Si vous êtes pressée, vous n’aurez qu’à regarder le film homonyme d’Aki Kaurismaki en DVD. Ou alors en streaming.

- Merci beaucoup, Docteur Felturm. Je vous dois combien ?

- Il est d’usage qu’on me paie beaucoup et en liquide mais pour vous ce sera gratuit. D’habitude on me casse les pieds avec de vieilles histoires mais vous, vous me les avez lavés avec des rêves d’avenir. J’ai juste une chose à vous demander.

- Oui ?

- Vous avez une voix de crécelle un peu énervante. Aussi, quand arriverez aux Andelys…

- Oui ?

- Bouclez-la !

P.S. Cette histoire d’inondation de Paris était totalement imaginaire mais il est tout à fait possible – vous m’en verriez alors ravi - que certaines et certains d’entre vous l’aient… crue !

AEV 1617-29boulevard-haussman-crue-de-la-seine-1910

Pour voir d'autres images de la Seine en crue, c'est ici.


Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 6 juin 2017
à partir de la consigne-incipit n° 336 de Pascal Perrat

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29 avril 2017

LA CHASSE AUX MOTS

FuretDuNord

A la chasse aux mots, Momot s’en est allé. Dans quantité de dicos, même chez Furetière, il a fureté mais aucun terme n’a détalé, pas même « furet » et pourtant il court bien, l’animal ! Alors il a pêché les plus rares, les plus colorés, les plus sonores, les plus drôles. C’est comme ça qu’il enrichit son vovocabulaire, Momot.

Il a ramené dans ses filets le mot « zambic ». C’est un mot de l’ex-Congo belge, une déformation de « Gueuze Lambic », et cela désigne soit les coureurs de jupons, soit ceux qui aiment la bière mais on peut faire les deux si on veut.

Il a adoré le mot « Zaïque ». C’est une interjection malgache que l’on lance aux enfants pour leur intimer l’ordre de se tenir à carreaux.

Il a apprécié le mot américian « less » qui signifie plus ou moins la même chose que le mot «laisse » en français sauf qu’on l’attache uniquement à un teckel, un basset artésien ou à ce genre de chiens lymphatiques comme Droopy ou François Fillon dont on se demande bien pourquoi on les laisse (ou less) proclamer que « Vous savez quoi ? Ils sont le héros. ».

Momot a moins aimé le mot « losse ». Le mot « losse » s’était perdu dans le dictionnaire allemand entre « berger » et « mirador ». Un losse est un chien qui ne supporte pas la laisse et le manifeste de façon agressive. Ce n’est jamais très agréable de tomber sur un losse.

Il a bien aimé le mot « fritz » qui signifie « ami » en alsacien.

 

AEV 1617-25 M le maudit

Il a flashé sur le mot « Die » qui est le nom d’une ville dans laquelle vivent une jolie fille qui s’appelle Clairette et un cochon qui sent (le fameux cochon qui sent de Die, dont on tirait jadis un parfum très recherché).

Mais de tomber amoureux de ce dernier vocable, cela a causé sa perte, à Momot. Il n’aurait jamais dû le clamer aussi fort. Quand il a crié : « J’aime le mot « Die » ! », ça n’a pas loupé, tout le monde a crié « Zaïque » s’est emparé de sa less, a lâché son losse et lui est tombé dessus.

C’est que, voyez-vous, par ici, les gens ont vis-à-vis de la langue et des Fritz une culture assez cynéphilique.

Alors si vous aussi vous allez à la pêche aux mots, n’en parlez à personne. Rappelez-vous le proverbe touareg made in Breizh :

« Chameaux tus et babouche cousue,
La Lune d’or lit en silence ».

AEV 1617-25 chameau

Image de Michel Moyne
extraite de
"Un Petit canard... comme ça" de Jean Sauvestre.

Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 25 avril 2017
d'après  la consigne n° 332 de Pascal Perrat (incipit en gras)

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05 avril 2017

LA MAMAN DES POISSONS : REVISITE

Ma très chère Lolotte, il me faut, je l’avoue
Battre ma vieille coulpe et tendre gauche joue.

Vous m’avez engueulé comme poisson pourri :
Je suis allé trop loin. Vous m’en voyez marri.

Oui j’ai bien employé le vocable « morue »
Afin de mettre un terme à une aigre querelle

Avec votre mother, cette infâme barbue
Que j’aurais pu traiter aussi de maquerelle !

James Christensen Fish 115351483_o
James Christiansen - Fish (1998)

 Mais, sans vouloir noyer le poisson dans l’étang,
C’est ell' qui a commencé en me traitant d’ « hareng »,

Au prétexte que j’ai, sur les bords d’la Baltique,
Suivi un dur régim’ de maqu’reau-biotique !

Fariboles ! Fadaises ! Mots d’affabulateurs !
Je ne relève pas ce que jazzent les conteurs !

Si je veux vivre heureux comme un poisson dans l’eau
Il faut que je maigrisse et donc, j’y vais mollo,

Moi, je ne râcle pas le fond des casseroles !
Je le surveill', vois-tu, mon taux d’cholestérol !

Mais s’il s’agit d’amour, Lolotte, ou de passion
Je boirais bien la mer avec tous ses poissons !

Je veux que notre amour grossisse avec le temps,
Que ce petit poisson un jour devienne grand

Amadoue ta maman ! Présent'-lui mes excuses :
C’était poisson d’avril ! Le premier on s’amuse,

On se fiche du sérieux comme de Colin-tampon !
Il n’y avait pas lieu que l’on haussât le thon !

Excepté en avril où tous sont polissons
Rien ne doit se finir comme queue de poisson !

Je regrette, Lolotte, cette exaspération :
Je suis un poissonnier, je n’suis pas un barbeau !

Reprenons sur l’étal, demain, notre passion !
Je te promets, Chérie : je mettrai le turbot ! 

Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 4 avril 2017 
d'après la consigne n° 331 de Pascal Perrat

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NEUF DE CHUTE

Nous vivions sur un trait, bien centrés en haut de la page. On était les deux U, un A, un E et Hélène M. qui faisait notre pub sur son FB.

Petit à petit on avançait. Notre union faisait des envieux. Tout le monde nous regardait émerveillé. On était à deux doigts de tutoyer les étoiles.

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Le trait était d’acier solide. Il courait du bord gauche au bord droit de la feuille. Il fallait juste ne pas tenir compte de la hauteur : on était quand même à plus de 25 centimètres du sol. Bien sûr, pour vous ça ne semble rien mais pour nous c’est quand même cinquante fois notre hauteur.

Le seul problème qu’on avait c’était ce balancier qui changeait tout le temps. Mon père m’avait mis les points sur les i : « Un i à chaque bout et tiens bien le mot en son milieu ! ».

Quand on a eu « interverti », je me suis bien agrippé au R et au V.

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Avec Iphigénie, c’était plus difficile : j’ai pris le balancier par la queue du G mais ça penchait à gauche à cause du poids de la majuscule. J’ai donné un coup dans l’L avec N et ça a rétabli la situation.

Avec « Ouistiti », Illogisme » et « Mississippi » on tenait encore la route.

Mais quand le balancier est devenu « Icare » puis « Vertige » il y a eu du tangage. On a dû se raccrocher à l’ « Inaccessible ». Aussi bizarre que ça puisse paraître ça nous a stabilisés pour un temps.

Ensuite le scénariste-démiurge a bien triché : le balancier s’est transformé en « spaghetti », en « canelloni », puis en « déséquilibre » et enfin en « dégringolade ». Fatalement, on a perdu les points des i, on a basculé dans le vide et on s’est écrasés au sol.

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Là on s’est regroupés. B était tout écrasé, les U s’étaient fait mal au cul et le M était tout tordu. Avec ce qui nous restait de voix on a crié : « Au secours ! Pompiers ! Ambulance ! A l’aide ! A lettres ! Un FUNAMBULE à la ramasse ! ».

Mais on était au bas de la page. Il n’y avait absolument personne dans les parages à part un tout petit numéro qui n’était même pas de cirque.

On a crié encore : « On veut remonter là-haut ! ».

On a crié, crié, pleuré. Mais je n’ai rien vu venir.

Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 4 avril 2017
d'après la consigne n° 327 de Pascal Perrat

Posté par Joe Krapov à 10:48 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
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