MOI, MES AMOURS D'ANTAN. 6, Le vent sucré
Comme elle sent bon, cette lettre ! Elle sent la violette et la camomille ! Elle sent les amours d'antan, elle a le parfum automnal des cavalcades envolées et le bruit des mots qu'elle contient doit être si discret, si raisonnable désormais que je pense à une Pénélope câline dont l'Ulysse ne serait jamais revenu répondre d’Ithaque au tac à la question super-banco du jeu d’Émile Franc !
Ulysse ! Le prototype du marin sémillant qui a une femme dans chaque port, qu'il aime à l'italienne comme Frédéric François, et qui passera toujours à côté de l'ancolie, fleur discrète s'il en est. Le secret du bonheur est disposé chez lui, faisant tapisserie en chantant sérénade et défaisant la nuit les fils de cet amour qui se barre en capilotade et lui ne le voit pas, ne comprend rien. Ulysse ? Un Tartarin !
- Eh quoi ! s’étonne le marin, « sorbetière » et « bourguignon » dans le dictionnaire de l'amour ? Laissez-moi rigoler! Courailleur je suis, courailleur je reste et, du reste, je cours ailleurs ! C'est quoi ma prochaine aventure ? Être transformé en cochon par Circé ? Oh oui, j'y cours de ce pas ! Balance ton sort, magicienne, j’accoste dans ton port !
Mais il est temps de tourner l'enveloppe et de laisser ce fat sur sa portée fort singulière. Tout cela ne nous rajeunit pas et Violette-Camomille doit certainement donner elle aussi dans l'histoire ancienne.
L'expéditrice s'appelle, de fait, Suzette Cabestan. Le destinataire est Maître Cornille, avocat. Sans doute une lettre d’affaires ? Comme on ne trouve plus dans les courriers actuels que des publicités ou des factures, je veux bien prendre le risque d’être encore déçu. J’ai trop de curiosité pour le genre humain et je n’accepte pas de rentrer bredouille de ma tournée, sans lettre à décoller à la vapeur, sans lecture à savourer à l’apéro du soir. Je me la mets de côté. Du reste, je ne fais que l’emprunter à l’ange gardien de la correspondance. Demain je la remettrai dans ma sacoche et la déposerai dans la boîte aux lettres de l'avocat. Qu’il fasse des effets de manche en attendant !
***
- Scrongneugneu ! s'écrie le facteur rentré le soir chez lui en lisant cette lettre :
« Cher maître
Merci encore une fois des bons conseils que vous m'avez donnés. Hélas, Les recherches entreprises par l'agence Fiat Panda en vue de retrouver le jeune berger auprès de qui, toute jeune adolescente, j'ai passé une nuit idyllique n'ont pas abouti.
Monsieur Florent Fouillemerde, le directeur de cette agence de détectives, m'a déclaré ceci :
- C’est un « cold case » un peu spécial, Madame Cabestan ! Il n'y a eu ni mort, ni sévices, ni enlèvement, pas même un attouchement, aucun attentat à la pudeur. Ce fut juste de la part de ce jeune berger un geste très attentionné.
Comme le soir était tombé et que vous ne pouviez plus, suite au débordement de la rivière, regagner votre domicile, il vous a accueillie à l'entrée de sa bergerie, vous a proposé de vous réchauffer au coin de son feu et il vous a couvert les épaules de sa pèlerine. Vous aviez alors dix-sept ans tous les deux. Vous avez chantonné des airs à la mode pour vous réconforter puis, sous le double effet d'une infusion de sauge et de la contemplation d'un ciel soudain dégagé et superbement étoilé, vous vous êtes endormie au creux de son épaule. Vous croyez l'avoir entendu vous susurrer - excusez-moi mais l'orthographe de ce mot qui m’horripile me fait doucement rigoler maintenant que je l'ai entendu faire chuter deux candidats du jeu de Lucien Jeunesse - il vous aurait susurré « Vous êtes une étoile descendue sur la terre ! ».
Lucien Jeunesse ! Comme c’est loin tout ça ! Aujourd'hui, au crépuscule de votre vie, Madame Cabestan, vous avez voulu que mon équipe et moi retrouvions ce berger dont vous ignorez le nom et même le prénom ! Nous avons couru la garrigue, été estomaqués par le maquis, éventés sur le Ventoux, vaincus par la montagne Sainte-Victoire et klaxonnés par des pas futés à Tarascon. Nous avons compulsé des tonnes d'archives et nous n’y avons rien trouvé.
Ce moment où vous avez Daudetliné de la tête, où vous avez, comme vous le dites, vécu le meilleur moment de votre vie amoureuse de pauvre petite fille riche, personne ne peut le retrouver : c'est juste un souvenir nostalgique. Peut-être que ce jeune homme est devenu trompettiste dans une boîte de jazz, vendeur de canapé chez Anguille-sous-roche et Robin des Bois, ou de cannabis aux Ulis ? Aujourd'hui de toute façon c'est sans doute un vieux bonhomme qui s'achète des pull-overs pour aborder la crise automnale. Peut-être, contrairement à vous, ce grand-père au bout du rouleau n'aura t il pas les moyens de se chauffer et de passer l'hiver ?
Vous courez après un rêve, Madame Suzette ! Nous, on jette l'éponge. La seule chose que je puis vous conseiller c'est l'agence Rimbaine et Verlaud, sur le palier d'en face. Eux organisent des expéditions scientifiques extrêmes, enfin, extrêmement décalées. Il y en a une qui peut vous intéresser : ça s'appelle « Les passagers du livre ».
Cher maître Cornille, avant de me lancer dans cette nouvelle aventure, pouvez-vous m'assurer que cette entreprise « Rimbaine et Verlaud » est réellement fiable ? Je vous joins leur dépliant. Il y a bien un séjour d'une semaine « Au pays des lettres de mon moulin » qui reste ma seule chance de retrouver mon petit prince et son mouton.
Je vous remercie par avance de vos précieux conseils et encouragements éventuels.
Suzette Cabestan ».
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 11 octobre 2022
d'après la consigne 2223-05 ci-dessous
et dans le plus pur respect du jeu n° 81 de Filigrane
MOI, MES AMOURS D'ANTAN. 5
Comme elle a une odeur bizarre, cette lettre ! Un parfum inaccoutumé au possible ! Il faut que je la hume et la re-hume pour deviner quelle personnalité se cache sous ce patronyme de Marike Urède.
Je bute. Je ne distingue pas bien. Scrongneugneu ! Vais-je perdre la foi en mon long tarin ?
Ah si ! Je perçois mieux maintenant ! Le chocolat ! Il y a du chocolat et... de la clinique !
Une infirmière à l'hôpital peut-être ? De la droiture, un sens de la discipline, du respect des rites mais aussi une volonté de soin, de l'affection envers les autres mais dispensée de manière égale dans une atmosphère de large fraternité.
De la bonté. Des bontés ? Des bontés pour un seul homme qui aurait su faire tomber le bouclier, percé la cuirasse et découvert sous le casque de cheveux blonds de beaux yeux auxquels s’associer pour regarder ensemble dans la même direction, vers la ligne bleue des Vosges, les gondoles à Venise ou le printemps sur la Tamise ?
Pourquoi est-ce qu’elle m’ emène vers le Nord cette enveloppe ? Je suis en train de faire des infidélités à la Provence ? Je n'entends plus la musique des fifres et des galoubets, pas même pourtant le carillon des beffrois ou les valses qui ont mis le temps ou Bruxelles bruxellait de Jacques Brel. C'est autre chose, une autre musique plus discordante, plus sérieuse, plus sérielle, de la musique Daudet-cacophonique.
Chocolat et clinique... ou plutôt laboratoire ! Noir et blanc ! C'est qui, le destinataire ?
Léonidas, 4 rue de l'Hermine 35000 Rennes
Elle aurait pu écrire son nom quand même ! Je vais devoir refuser de le distribuer, ce courrier : adresse incomplète, destinataire inconnu au bataillon !
Ou plutôt non, je me la garde aussi, celle-là. Je la décollerai à la vapeur ce soir chez moi et je la remettrai dans ma sacoche pour ma tournée de demain.
J'ai très envie de savoir en quels termes elle lui chante « Je te plais, tu me plais, viens donc beau militaire !
***
Scrongneugneu ! s'écria le facteur rentré chez lui le soir en sortant ceci de l'enveloppe :
MOI, MES AMOURS D'ANTAN. 3
Comme elle sent bon cette lettre !
Le thym et la farigoulette ? Non, là c'est autre chose. Quelque chose de plus fruité, de plus doux. Plus du côté du dessert, vous voyez ?
Je ne sais pas pourquoi, moi qui ai le nez pour ça, je ne subodore pas une relation amoureuse entre deux personnes.
Elles sent bon la passion pourtant, cette missive ! Une passion contenue, réfrénée, comme par peur de commettre un péché.
Et justement la lecture du nom du destinataire confirme mon intuition :
Boutique d'artisanat monastique, 40 rue d'Antrain 35000 Rennes
Elle aurait fait un béguin dans le Sud la petite vendeuse qui tient la caisse et relève le courrier dans ce magasin ?
Mais pourquoi ne lui écrit-il pas directement, Roger-Paul Gaucher, enfin R.P. Gaucher - c'est moi qui extrarogerpole le développement des initiales.
Elle ne lui a pas donné son 06 la Niçoise exilée en Bretagne pour qu’il la relance ainsi à l’ancienne ?
Allez zou, je me la garde celle-là ! Je la décollerai à la vapeur ce soir chez moi et je la remettrai dans ma sacoche pour la tournée de demain.
De toute façon le timbre est vert, J+2 et jamais deux sans trois ! Et en plus, à œuvrer dans le monastique elle doit avoir une patience d'ange !
***
Scrongneugneu ! s'écria le facteur en sortant ceci de l'enveloppe !
Ecrit pour le jeu n° 81 de Filigrane d'après cette consigne
MOI, MES AMOURS D'ANTAN. 4
Comme elle sent bon cette lettre !
Elle sent... Elle sent les marchés de Provence, le bagou des commerçants, le voleur à la tire, le garde-champêtre, le gendarme à rouflaquettes et à moustache, l'escapade du forçat enfermé, l'arrière-pays du Cap Ferrat, la montagne mon Dieu qu'elle est belle !
Qu’est-ce qu’elle sent encore ?
Elle a un goût de liberté, une pointe de passion animale aussi. S'il y a une femme là-dessous, elle tient plus de la sauvageonne que de celles qu'on appelle Bichette!
Elle est sûrement du genre à promettre de belles nuits... et à assurer jusqu'au petit matin !
Allez trêve de supputations, examinons le nom inscrit sur l'enveloppe :
Yves Leloup, grossiste, rue Le Bastard, 35000 Rennes
Voilà ! J'ai gagné ! C'est bien une femme qui écrit à son chevalier servant !
Et comme elle est discrète et modeste malgré tout, elle n'a pas inscrit son nom au dos de l'enveloppe. Allez zou ! Je me la garde aussi, celle-là ! Je la décollerai à la vapeur ce soir chez moi et je la remettrai dans ma sacoche pour ma tournée de demain. Le marchand de crayons en gros l'attendra bien un jour de plus, sa carte postale !
***
Scrongneugneu ! s'écria le facteur en sortant ceci de l'enveloppe :
Ecrit pour le Défi du samedi n° 736 d'après cette consigne : Scrongneugneu
et d'après celle du jeu n° 81 de Filigrane
DEUX LETTRES DE PROVENCE = MOI MES AMOURS D'ANTAN. 1 et 2
Comme elle sent bon, cette lettre, le thym et la farigoulette, la lavande et le romarin ! Elle donne envie de sourire, d'être toujours de bonne humeur. Cela me fait le cœur joyeux de lui venir en aide, de la transporter à son destinataire, en toute simplicité.
Bienvenue à toi, lettre de Provence, pays qui dans mon souvenir est naturel et généreux ! Les passionnés de la pétanque profitent du soleil et de l'ombre sous les platanes de la place, l’Issole, rivière indolente, coule sous le pont de Cabasse dans la direction du lac de Carcès. Il y a la magie des vacances, l'apéro dont on profite sur la petite place près de la fontaine, le restaurant de Jean Dotto. Il y a la créativité rythmique des cigales heureuses tout l'été de faire partie de l'élitre et qui ne réalisent pas qu'il vaudrait mieux parfois suivre les conseils de Dame fourmi. Il y a ce vin, divine surprise pour le palais, du domaine de Campdumy cultivé par la famille de Bernard Gavoty.
Merci, merci à toi, la lettre de Provence, d'avoir créé en moi ce moment de rêverie spontanée mais le service public m'appelle. J'ai pris la liberté de m'arrêter un temps mais je reprends mes esprits. Je m'en voudrais beaucoup de ne pas transmettre l'invitation que tu contiens : un séjour d’un week-end pour vivre une aventure dans la garrigue et concrétiser une liaison naissante ? Répondra-t-il positivement à Dulcinée ? Ou bien se fait-elle des idées ? Je ne saurai jamais, hélas, ce qu'elle lui propose, la petite ! C'est quoi son nom à l'expéditrice ? Mireille Mathieu. Et lui, le destinataire ? Yves Mourousi.
Oh merci les amoureux de m'avoir mis des petites fleurs bleues dans la tête et rappelé l'accent qu'on attrape en naissant du côté de Marseille !
***
Comme elle sent bon, cette lettre ! Un parfum de femme, une lettre d'amoureuse à tous les coups !
Et il dit quoi, le cachet de la poste faisant foi ? Arles ! L’Arlésienne de Bizet qui fait suite à celle d'Alphonse Daudet ! C’est dans quoi, déjà, ce récit ? Dans les "Lettres de mon moulin", peut-être. Je ne sais même plus de quoi ça parle, cette nouvelle, tellement l'autre œuvre de Bizet, Carmen d'après Mérimée, a joué au cannibale avec ce morceau-là ! Un monument chasse l’autre ! On a tous en tête le toréador Escamillo, le regard noir du taureau qui craint un peu pour ses oreilles et pour sa queue, la passion de Don José pour la belle cigarière. En même temps, tout ce brouhaha musical, tout cet opéra en fanfare, ce meurtre au milieu de la foule pendant la corrida, c'est juste une histoire de cœur un peu vide, des mots de folie d'un brigadier génialement doué pour le sabotage ! Parce que Mickaëla, là quand même ! Il faut vraiment ne penser à rien et ne rien avoir dans la coucourde pour ne pas voir qu'il est là, le bonheur ! Bonheur certes tranquille, pépère, peinard où les jours se suivent et se ressemblent comme marabout et bout de ficelle mais quoi ? T'es pas Don Quichotte, Don José ! Tu n'es pas le « Fool on the hill » et ton enfermement quasi insulaire dans le mirador du désir jaloux, si tu savais comme il nous escagasse les esgourdes ! D'ailleurs c'est simple : moi, le dernier acte de cet opéra, je ne l'écoute jamais tellement ça me les brise menu, ta bêtise !
Et puisque c'est comme ça, la lettre de Mickaëla, je me la garde ! Je ne la dépose pas dans ta boîte aux lettres ! Et puis même je vais lui répondre à l'Arlésienne, lui dire que tu ne vaux pas un clou, que tu as des aventures avec des messieurs, que tu as entrepris une psychanalyse même et que si elle veut faire un petit transfert tranquille je suis là, moi !
En reprenant ma tournée je la lui écris dans ma tête la lettre que je lui ferai ce soir.
"Ma chère petite Mireille
Patati patata... Don José... Bouh le vilain... Patati patata…
Et je signe, très affectueusement :
Joe Nistarque
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 4 octobre 2022
d'après la consigne AEV 2122-04 ci-dessous.