Collages de Jean-Emile Rabatjoie rassemblés ici le 2 octobre 2022
Est-ce par hasard ou par "manipulation" que je me retrouve en situation de retourner à l'école ? Peu importe, ça me plaît bien. Le mercredi soir désormais je vais prendre des cours d'informatique graphique à la Maison de quartier de Villejean. Depuis deux séances, je travaille sur Photopea, un substitut de Photoshop gratuit, en ligne, sans inscription. Je vais devenir un pro de la retouche stalinienne. Vous pourrez en juger d'après les deux photos au bas de ce billet. J'ai découvert avec gratitude l'outil "tampon" que je n'avais jamais utilisé auparavant !
Il n'en reste pas moins que j'aurai du mal à convaincre Jean-Emile Rabatjoie du bien-fondé de ces gadgets. Il prétend qu'un bon collage est un collage "sur lequel on voit que c'est un collage" !
Voici donc certains de ceux-ci, scannés sur mon disque dur et jamais publiés auparavant. Je suis en retard, je suis en retard, Dame Alice !
Si tu veux faire mon bonheur....
... Marguerite, donne-moi ton coeur ! (air connu).
Et donc, ce 13 février 1916, Marguerite De... devient veuve et ses deux enfants, Léon et Constant, 6 ans et 3 ans, orphelins de père. La guerre de 14-18, contrairement à ce que chante Brassens, ce ne sera jamais la guerre que ils et elle préfèrent !
Après il faut du courage à ce beau monde pour porter un tel deuil. N'étant ni psychanalyste, ni historien, je n'ai pas eu à interroger mes aïeux sur cette période alors du coup je n'ai que les dates de Généanet pour faire le lien avec les deux autres photos qui me restent de la famille De... qui peuvent être datées d'avant la deuxième guerre mondiale.
Et donc le 2 novembre 1921, Marguerite, pas forcément vêtue de noir et pas forcément veuve joyeuse de Franz Lehar pour autant, devient Madame Li... Elle épouse Auguste Li..., un autre ouvrier mineur né à Oignies le 1er septembre 1887, fils de Auguste Li... 1853-1902 et Augustine Tu... 1858-1922.
Cet Auguste avait épousé en 1911 une Fernande De... qui lui avait donné deux fils : Auguste Arthur Li... 1912-1996 et Fernand Li... 1913-2004.
Le mystère de Fernande !
Qu'est-il arrivé à Fernande qui me fait tant rire ce soir où j'investigue sur des parfaits inconnus ? Simplement, d'après certaines notices de Généanet, elle serait décédée en 1911 avant de donner naissance à ses deux fils ! J'ai fini par arriver sur la bonne notice qui me dit qu'elle est morte en 1972 à l'âge de 80 ans et qu'elle et Auguste avaient divorcé le 9 mars 1920.
Abrège, Joe Krapov !
Marguerite et Auguste, quatre garçons sur les bras - encore qu'on ne m'ait jamais parlé de ces demi-frères en forme de pièces rapportées de famille recomposée - sont heureux de vous annoncer la naissance de Gilberte-Augustine Li... !
A vous de trouver sa date de naissance d'après la photo suivante !
Cette photo a été prise en 1933. Elle représente Gilberte avec ma grand-mère, Victorine, qui tient sa fille Jeanne, ma mère, dans ses bras. Si vous lui donnez entre neuf et onze ans, elle est née en 1922 ou 1924.
Et comme la vie des pauvres gens n'est parfois qu'une suite de malheurs, Gilberte est décédé d'une méningite seize ans après sa naissance. Cela a bien affecté mes grands-parents qui l'aimaient beaucoup et qui, pudiques ou orgueilleux, s'abstenaient de parler d'elle pour ne pas raviver leur douleur quand on explorait avec eux, avec la grand-mère surtout, les boîtes de photos qu'on avait sorties du buffet du couloir.
***
Mais j'en viens au meilleur en retournant au grand-père Auguste que j'ai dû connaître alors que j'étais tout petit. Il est mort en 1962 alors que j'avais sept ou huit ans. 1962 ! Epoque opaque où tout le monde n'avait pas une voiture, un frigidaire, un joli scooter, une tourniquette à faire la vinaigrette ou un smartphone pour s'empêcher de penser ! L'arrivée de la télévision dans les foyers, ça a été d'abord chez Auguste et Marguerite. Elle était en noir et blanc, une seule chaîne, posée dans le coin de la pièce unique de la longère où ils habitaient. La visite aux aïeux était devenue un rituel pour les différentes branches de la famille : les enfants de Léon venaient du centre du village, ceux de Constant du coin de la rue. Il y avait un poêle à charbon qui ronflait, on pouvait bien être dix ou quinze là-dedans à regarder le jeu de la Chance, Télé-dimanche, à regarder le film, puis, plus tard, Les Trois coups et Thierry la Fronde avant de s'en retourner chez soi.
Je n'ai pas assisté à la scène mais ma grand-mère me l'a racontée. C'était un dimanche où on passait un bon vieux western des familles avec une bataille entre cow-boys et Indiens. A un moment le Grand-père Auguste est parti dans sa chambre et puis il est revenu armé d'un pistolet à bouchons et à bombardé le poste en hurlant : "Pan t'es mort !" L'ambiance !
Un autre de ses faits d'armes de retraité qui s'amuse comme il peut est le suivant. Il avait fabriqué un piège à oiseaux de ce style. Le bâton qui soutenait la cage était relié à sa main droite par une longue ficelle. Quand l'oiseau allait picorer les graines qu'il avait mises dessous, il tirait la ficelle et le piaf était emprisonné. Il allait le chercher et procédait à la même opération savamment préparée : il avait découpé dans du carton une espèce de crète de coq qu'il avait colorée en rouge ; il l'enduisait de colle et la posait sur le bec de l'oiseau puis attendait que ça sèche. Alors il sortait et relâchait l'oiseau ! Et il se réjouissait quand un oiseau ainsi décoré par ses soins se faisait prendre au piège une deuxième fois !
Si mes enfants passent par ici, qu'ils le sachent : je ne suis décidément pas le plus farfelu des zozos de la famille !
Sacré (arrière-)grand-père, va !
P.S. Vous avez remarqué ? Cet Auguste était fils d'un Auguste tout comme Léon 2 était fils de Léon 1 et comme Constant 2 était le neveu de Constant 1 et comme Léon 3 est le neveu de Léon 2 ! Eh bien, il n'empêche ! Avec ce système de prénommer les enfants comme leur père, je puis affirmer qu'il y a un phénomène constant dans la famille De... : depuis 1885 il y a toujours eu un Léon De... à s'agiter du côté d'Oignies et de Libercourt ! ;-)
Oh, mes aïeux !
Ce serait bien de classer les photos dans l'ordre chronologique. C'est ce que je fais avec les miennes et j'indique bien, sur la pochette de négatifs, de tirages papier ou sur le dossier de photos numériques, ce dont il s'agit : le lieu, la date, le numéro constitué de l'année suivie d'un numéro d'ordre...
Mais comment faire dans cette photothèque héritée quand le verso des clichés est vierge ? Eh bien on passe des heures sur Généanet et on récolte ceci à propos de son arrière-grand-mère maternelle, Marguerite Du... dont voici la bobine immortalisée sans doute au début du XXe siècle. C'est donc la plus ancienne des photographies familiales en ma possession.
Marguerite Du... est née le 27 juillet 1887 à Annoeulin (59), décédée à Bapaume (Somme) le 11 juillet 1976.
Elle est la fille de Philippe Du... né en 1854 et de Marguerite Re... née en 1858.
Sa fratrie est composée de :
Pierre Du... 1879-???
Guy Du... 1882-1915
Marie Thérèse Du... 1884-1951
Joseph Du... 1886 - ????
Clarisse Du... 1890-1977
Olivier Du... 1891-1973
Théophile Du... 1901-????
Ici, une photo des deux soeurs aînées, Marguerite et Marie-Thérèse qu'on appelait la tante Thérèse.
Je crois avoir connu l'oncle Olivier qui avait épousé une tante Berthe un peu portée sur la bouteille (mais qui ne l'est pas un peu dans le Nord ? Elle buvait du Muscat). La tante Clarisse est allée habiter dans les Vosges, peut-être après avoir épousé un nommé Georges-Joseph An..., sans doute le fameux parrain chez qui mon grand père avait fait un stage d'apprenti boulanger-pâtissier et qui l'entraînait en le faisant courir derrière sa moto pour qu'il gagnât "le tour de Charmes ", une épreuve de course à pied que, d'après ses dires, il remporta effectivement.
Parenthèse : La vie est merveilleuse ! En cherchant sur Gallica, j'ai trouvé le compte-rendu de cette épreuve sportive disputée le 14 juillet 1929. Eh bien, c'est vrai, dites donc ! Et peut-être bien que le parrain a lui-même gagné le 800 mètres organisé ce même jour pour les vétérans !
Mais revenons à Marguerite. Elle épouse le 3 décembre 1909 à Libercourt (62) Léon De... Lui est le fils de Adolphe De... 1837- et Virginie Br... 1844-
Il est né le 28 février 1885 à Oignies (62) et décédera sur le front le 13 février 1916 à Bellemagny (68), à l'âge de 30 ans. Il a été soldat en 1907 puis ouvrier mineur en 1909.
Il est le frère de Constant De... qui a épousé Marie-Thérèse Du... le 23 février 1903. Si vous êtes perdu·e, résumons : les deux soeurs ont épousé les deux frères !
Léon De... est le fameux grand-père à moustache dont j'ai déjà parlé ici. (On peut voir aussi mon grand-père jeune, au service militaire, sur cette même page).
De leur union naîtront deux fils :
Léon De... 1910-1986, mon grand-père
Constant De... 1913-1988 dont voici la photo de mariage avec Marie Li...
Comme la vie n'est pas un long fleuve tranquille et comme le montrent les dates de décès des deux frères, les deux soeurs deviendront veuves à la fin de la guerre. Ca fâche vraiment quelqu'un si je répète avec Prévert que c'est une connerie, la guerre ? Eh bien tant pis, je le pense vraiment.
J'ai encore deux photos de mon arrière-grand-mère.
Une avec sa soeur Marie-Thérèse. Le bébé qui est dans ses bras est ma mère. La date est donc 1933. D'après une note au dos de la photo la tante Thérèse serait la maman d'un Olivier Delfosse dont Généanet ne dit rien mais que j'ai connu. J'ai des photos de son fils André, instituteur, qui est venu en vacances avec nous une année en Auvergne et qui m'a aidé sur un problème de maths lorsque j'étais en 6e.
Je crois me souvenir aussi que la tante Thérèse habitait une maison du genre coron en face de celle de Marguerite de l'autre côté de l'avenue Jean-Baptiste Delobel à Garguetelles, un hameau de Libercourt qu'on appelait aussi "Guerté".
Ici je peux aussi dater approximativement la photo. Marguerite tient sur ses genoux ses deux petits-fils, Georges, fils de Léon et Léon fils de Constant. Si vous leur donnez deux ou trois ans, la photo est de 1948 ou 1949. La jeune fille à droite est ma maman, Jeanne, fille aînée de Léon et la jeune fille à gauche ma grand-tante Lucie, soeur de ma grand-mère. Oui, bizarre, hein : la tante et la nièce ont le même âge ! Mais là on passe du côté des No... et Généanet est bien muet sur les "immigrées d'Erchin" !
Allez hop, fini pour aujourd'hui !
Mes grands-parents à Karpacz en 1950 !
Il y avait aujourd'hui 15 mai 2022 dans "le dimanche Ouest-France" un article très intéressant intitulé "Les petits souvenirs de famille écrivent l'histoire". C'est une historienne de Rennes 2, Caroline Muller, née sous le signe du cancer (tiens donc !), qui raconte comment les documents familiaux de tout un chacun peuvent intéresser la recherche universitaire.
L'article est disponible ici pour je ne sais combien de temps, avec une interview en podcast de la dame.
Cela tombe d'autant plus à pic pour moi que je me suis débattu cette semaine avec mes deux caisses de photographies héritées de ma famille. Me voilà donc à pester contre l'absence d'étiquetage, de localisation, d'identification, de datation de ces petits objets de papier dont certains sont très abimés. Mais aussi à avancer un peu grâce à des éléments extérieurs. Ainsi de ces deux photos prises à Karpacz en Pologne (Silésie, Monts des géants) en 1950, le 12 août précisément. C'est écrit en filigrane sur la photo. On y voit mon grand-père et ma grand mère maternels et leurs deux enfants, donc ma mère et mon oncle. Je ne sais rien du couple qui est présent sur la première photo. Ils ont des têtes de Polonais, je trouve. Ce que dit Caroline M. est vrai : c'est ma grand-mère qui a inscrit la date du 12 août 1950 sur la première. Mon grand-père a écrit "1951" au dos de la deuxième !
Sur la deuxième je reconnais, à droite, Joseph Legrand qui fut maire de Carvin et député de la 14e circonscription du Pas-de-Calais.
Là-dessus, illumination ! La photo de ma grand-mère habillée en costume polonais qui a trôné sur la cheminée tout le temps où nous avons habité au 73... elle date du même séjour !
Bingo ! Elle porte le même filigrane !
Heureusement que je l'avais scannée parce que... je ne la retrouve plus ! Ca doit être congénital : maintenant c'est moi qui mets le souk dans ce boxon ! Au secours, Caroline ! ;-)
En complément d'enquête j'ai trouvé sur le web cette photo-ci qui représente la cascade devant laquelle tout ce monde a posé. C'est un déversoir-barrage de la rivière Lomnica.
De plus le fait de recenser les lieux dans lesquels ils sont passés m'a donné une idée d'atelier d'écriture pour mardi prochain !
LA GLOIRE DE MON PÈRE
La gloire de mon père est très similaire à celle du capitaine Haddock. Ces deux individus bruts de décoffrage sont, ou plutôt étaient, toujours sur leurs gardes, prompts à s’emporter et surtout capables d’invectives fleuries.
Dans le répertoire de mon père il y avait par exemple « Flamind d’bos » (Flamand de bois). Pourquoi en avait-il contre les Belges ? On n’en connaissait pas, on n’allait jamais Outre-Quiévrain même si on était des Boïaux rouches (boyaux rouges) vu qu’on habitait la partie extrême-orientale du Pas-de-Calais ! Et surtout la découverte, certes tardive, grâce à un cousin, de notre arbre généalogique du côté paternel montre que ses ancêtres, peu mobiles il est vrai, ont été Belges pendant près d’un siècle !
On ne voyait pas plus d’Espagnols dans le coin, plutôt des Polonais puis des Algériens et des Marocains, mais le mal dégourdi, l’imbécile étaient forcément des « agosils », mot qui vient de l’ancien « alguazil » des Ibères.
Un « trop d’gueule » désigne un beau parleur, « faquin » un hâbleur trop bien habillé, « Marie Toutoule » une femme qui parle pour ne rien dire, une pas grand-chose. L’« ébeulé » est un abruti. Le « pourchiau » n’est autre qu’un cochon mais #balancetinpourchiau ça le fait moins que #dénoncetonmacho.
Je n’ai pas retrouvé « bouloute » (pour Mouloud ?) qui désigne un individu mal vêtu, dépenaillé.
Ses expressions étaient également assez pittoresques :
« Ramasse tin cô, y a les pattes cassées » invitait le destinataire à rabattre son caquet, à se montrer moins vantard ou moins fanfaron. Et pourtant il n’y avait pas de ces traditionnels combats de coqs du Nord par chez nous.
« Compte tes blèques ! » vient sans doute de la belote quand l’adversaire n’a fait qu’un ou deux plis.
« Qui qu’ch’est qui t’a dit gros genoux, ti qui as d’aussi belles gampes ? » permet de mettre un bémol, de calmer le ton et les susceptibilités quand l’agressé-agresseur monte sur ses ergots. (Qui t’a traité de « gros genoux », toi qui as de si belles jambes ?)
De ma cousine très bavarde il disait qu’« elle avait été vaccinée avec une aiguille de phonographe ».
A part ça la vie de mon père n’a rien eu de très glorieux et, semblable en cela à bon nombre de ses congénères, dont le dénommé Archibald Haddock quand on fait sa connaissance à bord du Karaboudjan dans « Le Crabe aux pinces d’or », il avait un penchant certain pour la bouteille. De ce fait, comme il passait toutes ses soirées au bistrot, j’ai très peu connu mon père et je suis très mal placé pour parler de sa gloire.
Celle-ci m’a paru surtout être du genre posthume et très vite éphémère. Le jour de son enterrement on a découvert qu’il était connu « comme le houblon » et apprécié de tout le village. Enfin de tous les habitants du village qui, comme lui et comme le personnage fictif d’Andy Capp, le « héros » de papier de Reg Smythe, consacraient l’essentiel de leur temps à picoler chez Sidonie, chez Marie Taillez, chez Albin ou chez Figaro. Avant ce jour-là je n’avais jamais vu autant de trognes d’alcooliques, bien marquées par la cirrhose naissante ou galopante, rassemblés dans un cimetière !
Mais qui suis-je pour juger? Je n’ai pas très envie de me faire traiter de « trop d’gueule » même si je sais que j’en suis un quelque part.
Déjà, allez savoir pourquoi, je suis un très petit buveur dans ma catégorie : je ne fréquente pas les cafés, je ne bois que chez moi, de l’eau gazéifiée le plus souvent, un porto rosé le samedi et une vodka polonaise le dimanche. Je ne suis même pas rancunier : je lève mon verre à la santé de mon père, de ses copains d’estaminet et à celle du capitaine Haddock, en fait à la santé de tout le monde à part peut-être Madame Thatcher, Vladimir Poutine et quelques autres agosils plus ou moins sinistres ici et là de par le monde.
Je bois surtout à la santé de mes deux enfants dont je me demande parfois ce qu’ils pourront se dire à propos de « la gloire de leur père ».
- Qui, vous dites ? Papa ? Celui qui a donné la petite graine à Maman pour qu’on naisse ? Le gars qui jouait au jeu d’échecs et qui chantait des chansons stupides ? Ah si ! On se souvient ! On sait même : il faisait très bien la cuisine et il racontait sa vie sur Internet sous le pseudonyme de Joe Krapov !
Mais bon, ils n’auront même pas à se préoccuper de ce questionnaire Pagnolo-Proustien vu que je serai encore là, encore et toujours là. C’est que voyez-vous, Messieurs et Mesdames, je suis immortel, moi ! « Et ch’est pas des cacoules !» (Ce ne sont pas là des carabistouilles !).
Que celles et ceux qui, à la lecture de cette dernière assertion se sont posés le bout de l’index sur la tempe, l’ont fait tourner quatre fois en pensant « Y’est dumm dumm, ch’ti lal ? » se le tiennent pour dit : dans ce que m’a légué mon père, mon proverbe préféré est « Intique, intasse, n't’occupe pas de ch’ti qui passe !".
Ce qui signifie, en quelque sorte, « Bien faire et laisse dire » !
Ecrit pour le jeu n° 76 de Filigrane (la Licorne) d'après cette consigne
SOUVENIRS PAS ASSEZ NÉBULEUX A SON GRÉ D'UN HYPERMNÉSIQUE DÉBORDÉ
Je suis assez âgé maintenant pour pouvoir dire que j’ai vécu à l’époque du dieu Vintage.
La vie y était résolument en noir et blanc comme sur cette-photo-ci où l’on me voit avec mon frère William. Mes trois frères et moi portons les mêmes prénoms que les frères Dalton mais ça m’importe aussi beaucoup, à moi l'affreux Joe-Joe, de savoir quand est-ce qu’on mange et quand est-ce que les restaurants rouvriront.
Ça date d’entre 1960 et 1970. La maison se trouvait dans une rue tranquille de Bonneuil-sur-Marne. C’était le pied-à-terre que mes grands-parents occupaient quand mon grand-père montait à Paris pour travailler à la « Fédé ».
La voisine s’appelait Madame Bidart ou Bidard mais ça ne m’a pas permis de retrouver l’adresse du lieu sur Google maps. A quoi bon du reste ? A quoi bon mémoriser une adresse de plus qui ne servira à rien ni à personne ? Reste juste une photo du genre « jours heureux de l’enfance ».
C’est comme les PILI dont j’ignorais qu’on les désignât sous ce vocable ! Je me souviens très bien que ça les amusait beaucoup, les grands-parents, de faire découvrir à ces innocents du village que nous étions l’univers encore très Jacques Tatiesque de la capitale. Notre premier escalier roulant à la station de métro Ourcq ! Le panneau indicateur lumineux d’itinéraires, le Pili donc, avec tous ses boutons et ses voyants colorés qui affichaient le trajet à effectuer pour aller de «Vous êtes ici» à «vous voulez aller là-bas». Oui, un genre de GPS avant l'heure si vous voulez, «Pour Invalides, changez à Opéra» comme chantait le poète poinçonneur. Le PILI, une invention qui met du piment dans votre vie !
Parce que plus tard le pied à terre s’est trouvé au 4e étage d’un immeuble de la rue de Lunéville à Paris. Grand-mère nous emmenait parfois à pied jusqu’au 213 de la rue Lafayette retrouver Grand-père à l’heure de sortie du bureau. C’était tout droit dans le prolongement de l’avenue Jean Jaurès et on s’arrêtait pour regarder les bateaux dans l’écluse du canal Saint-Martin.
Je me souviens encore du hall d’entrée et du grand ascenseur qui nous emmenait au 2e étage où se trouvait la Fédération nationale des travailleurs du sous-sol. Je me rappelle les noms des collègues de «l’homme fort du Pas-de-Calais», je revois des visages : Henri Martel, Achille Blondeaux, Stanis Walczak, Charles Diet, Lucien Labrune, Augustin Dufresne, Victorin Duguet qui m’avait surnommé «L’avocat sans cause». J'étais sans doute assez bavard et "rameneur" à l'époque !
Ca vous fait des bosses à vous, hein, tous ces estimables fantômes, ces braves types qui n’ont pas vécu centenaires. Vous, vous attendez juste la nébuleuse ! Eh bien c’est là qu’elle était, au 213, venue directement d’URSS, installée sur une petite étagère parmi quelques livres du même acabit : «La Nébuleuse d’Andromède» un roman d’Ivan Efremov publié aux Editions de Moscou en 1959.
Pourquoi je me souviens encore de cela ? Je ne vais pas partir en chasse de ce vieux nanar puisque je ne lis plus rien désormais que des blogs ici et là avec leurs récits de frottements qui durent depuis vingt ans, le Canard enchaîné, des bandes dessinées de cette même époque vintage récupérées grâce à des camarades roumains et des revues de jeu d’échecs qui m’apprennent qu’un joueur russe nommé Nepomniachtchi a gagné le tournoi des candidat ?
Nepomniachtchi ! A peu de chose près, en russe, c’est "nié pomniat’" : Ne te souviens pas !
Ultime gag, l’image du PILI qui clôt ce billet a été capturée sur un site qui parle de Patrick Modiano, grand nostalgique d’un Paris qui n’existe plus, et le site s’appelle… Spacefiction ! Ca ne s’invente pas !
YOLAINE M.
Tout est faux ou presque dans la fiction précédente, exercice d’atelier d’écriture pondu à partir de la consigne du Défi du samedi n° 647 (yoyo) mais forcément trop décalé par rapport à ce qui est attendu là-bas. J’ai choisi en effet de truffer ce texte, ou plutôt de l’écrire, avec des mots à syllabes répétées.
Puis j’ai changé l’image et j’ai changé les noms à cause du paragraphe sur le canari ! J'ai parfois des pudeurs de rosière ! Mais tout ce qui vient après « Ils tenaient un bistrot quelque part dans le Gard » est vrai, au moins dans mon souvenir !
Du coup, à cause des babas, ce texte répond plutôt à la consigne AEV 2021-14 « D’autres inconnues » de l’Atelier de villejean !
***
De toute façon, à un hypermnésique, il ne faut pas demander de redoubler d’efforts pour qu’il se souvienne ! Envoyons donc les photos de la vraie Yoyo !
Yolaine est la deuxième fille de ma grand-tante Marie-Anne, sœur de ma grand-mère maternelle.
L’aînée se prénommait Jacqueline et était la filleule de ma mère.
Leur papa, Louis M., était surnommé « Nos maît’s » et lui, en retour appelait mon grand-père, qui était son beau-frère, «euch' tchiot bonhomme" .
On voit ici les deux beaux-frères en question avec leur beau-père, le grand-père Victor N. et la tante Marie-Anne.
Ils habitaient, à Guesnain, dans le Nord, près de Douai, un coron d’un type particulier : ils disposaient d’une cour fermée sur le devant et le groupe de maisons, toutes pareilles et soudées les unes aux autres, faisait face à un champ. Je n'ai rien retrouvé de cela chez M. Google-Street et chez M. Google-images.
Il y avait chez eux des disques de Leny Escudéro, de Jean Ferrat et surtout de Salvatore Adamo que Yolaine adorait. Elle dessinait très bien et je me souviens surtout d’avoir lu un de ses livres qui doit être celui-ci :
C’est le recueil n° 1 du Club de lecture des jeunes. Il contient quatre romans et des illustrations.
Le monde perdu, d’Arthur Conan Doyle ;
Annik Reporter, de Mireille (la chanteuse du petit conservatoire !) ;
Les Indes noires, de Jules Verne ;
Les Aventures de William, de Richmal Crompton.
Voyez comme je suis : il y a un an ou deux j’ai racheté « Annik reporter » dans l’édition de la Bibliothèque verte. Et je me souviens encore bien de cette histoire de « traction ovale » !
***
Pour en terminer avec le jeu fiction-réalité, rectifions donc le tir : le mari de Yolaine se prénommait Bernard et son fils Fabien. La mère et le fils ont été photographiés ici par moi-même dans la cour de la maison où j'ai grandi.
Amitiés aux survivants et survivantes de ces temps à qui les moins de vingt ans n’ont pas grand-chose à dire et qui le leur rendent bien en retour ! (Les temps sont durs !) ;-)
P.S. Ca ne se voit pas mais j'ai eu du boulot pour nettoyer ces photos !
LE SALE GOSSE A ENCORE DÉSOBÉI !
Longtemps je me suis privé du bonheur de farfouiller dans les boîtes de photos que ma grand-mère puis ma mère avait conservées dans le buffet, celui du couloir du 73 de la rue C.Q. qui avait déménagé avec elles dans la rue des Bleuets et s’était retrouvé, là-bas, dans le séjour au sol à damiers et à la tapisserie mauve. Il y en avait aussi, des photos, des albums et des cartes postales, dans la vitrine aux mignonnettes et aux poupées, elle aussi ramenée du 73 mais repositionnée rue des Bleuets dans le vestibule de l’entrée, à gauche.
A vrai dire, le mot bonheur est un peu excessif ici et quand on parle de photographie, les lieux de stockage n’ont pas d’importance ; cependant il faut bien, à un moment donné, qu’un archiviste vienne mettre de l’ordre et de l’information dans ce paquet de temps arrêté sur des petits carrés de papier glacé, aux bords dentelés, entourés de grandes marges blanches ou pas, un bloc de temps figé dans du sépia pour les plus anciennes, du noir et blanc pour la plupart et, quand il y a des couleurs, ce sont celles des photos prises au Polaroïd ou avec un Instamatic Kodak de qualité moyenne, certains tirages de format carré d’après des négatifs 4x4 ou 6x6 ayant même été agrémentés d’une photo bonus, cadeau fait à l’acheteur pour ne pas gâcher le papier qui se commercialisait au format rectangulaire de 8,9 x 12,7 centimètres.
Bien sûr, de par ma profession, ce rôle d’archiviste était taillé sur mesure pour moi, je n’ai pas rechigné à l’accepter, bien qu’on ne me demandât pas de le tenir et, à chaque fois que je le pouvais, j’interrogeais ma mère pour qu’elle cherchât dans sa très bonne mémoire qui étaient ces hommes et ces femmes immortalisés le jour de leur mariage ou posant dans un studio de photographe professionnel devant des décors peints ou des corbeilles de fleurs, ce qu’étaient devenues ces jeunes filles du groupe de danse, ces jeunes communiants, les gens qui se trouvaient avec la famille aux bains de mers à Bray-Dunes ou dans le camping de Berck-Plage et ces personnages sortis d’un roman de Modiano sur l’esplanade du Trocadéro à Paris avec la tour Eiffel en arrière-plan.
Je m’empressais de noter au dos des photos et au crayon de bois des prénoms et des noms et je peste aujourd’hui contre le manque de méthode, de sérieux, de volonté familiale de transmettre une histoire mise au propre de ces mêlages de clans : aucune de ces photos n’est datée, aucun négatif n’a été conservé, il n’y a pas de pochette du photographe et pas plus de récit de voyage pour ce qui est de ces albums dans lesquels on voit le métro de Moscou, le croiseur Aurore à Saint-Pétersbourg ou plutôt, vu la date supposée antérieure à 1989, Léningrad, on ne saura jamais rien de cette jeune interprète longiligne dont je me souviens juste qu’elle se prénommait Irina et avait accompagné mes grands-parents lors de leur séjour à Sotchi sur les bords de la mer Noire.
J’en viens à croire, et c’est une sensation qui m’emmène à la limite de la paranoïa, que mon grand-père a peut-être été, réellement, un espion du K.G.B. et que, si ces photos étaient restées muettes, enfouies, comme cachées au monde, c’est que toutes ces réminiscences de vie politique, syndicale et familiale étaient volontairement vouées à une nuit salvatrice. Procéder à leur publication demande peut-être de la hardiesse ou de l’inconscience ? Du plus profond des enveloppes dans lesquelles j’ai mis ces photos après les avoir rassemblées et classées par branche de la famille, par lieu, par période, toutes ces personnes semblent me rappeler à l’ordre :
« Ne nous oublie pas mais oublie-nous quand même ! N’écris pas sur nous ! Nous étions des gens simples, nos vies ne furent pas drôles, nous n’avions pas beaucoup d’argent mais nous avons veillé à ce que ton enfance soit heureuse malgré ton asthme ; tu n’as pas connu comme nous la cruauté de ces époques de la guerre et de son après, tu as reçu en suffisance des nourritures terrestres et intellectuelles qui t’ont permis d’avoir un métier correct, te voilà grand maintenant, tu trouves ton bonheur dans la musique, l’écriture et la photographie alors… laisse-nous en paix ! Publie tes aquarelles de Venise ou tes « Elucubrations d’un poète » sur internet si tu veux mais laisse dormir nos photos ; les publier relèverait de l’exhibitionnisme à peu de frais, nous avons droit au repos et au silence, prétendre le contraire relèverait de la cruauté. Et ne crois pas t’en tirer, pour contourner notre demande, avec cette phrase de Brassens extraite d’une chanson que tu n’as même pas mise dans ta guitare : énoncer que « les morts sont tous des braves types » ça sous-entendrait que nous ne l’étions pas, non ? Allez ! Pose ton stylo, sale gosse ! Ca fait une heure que tu joues à parodier Proust en faisant de trop longues phrases et le temps imparti aux écrivant·e·s de ton atelier d’écriture est écoulé ! ».
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 22 septembre 2020
d'après la consigne ci-dessous
Et Mona s'enlisa (1)
J'ai créé ce jour un nouveau mot-clé (un tag, comme disent les gens pressés) pour retrouver toutes ces bêtises que l'on faisait dans le laboratoire photo au 1er étage du 73. Il ne me reste que huit jocondes, la boîte qui contenait les autres a disparu lors d'un prêt à je ne sais plus qui.
Les gens de ma famille avaient une fâcheuse tendance à prêter ou donner ou embarquer des choses qui m'appartenaient !
Si quelqu'un, là-haut dans le Nord, a ça par-devers lui et qu'il ne sait pas quoi en faire, qu'il ou elle me contacte, ça me plairait assez de les récupérer !
(Comme si je n'avais pas assez de boxon comme ça dans mon grenier !)
P.S. En fait c'est un tag inutile ou que je devrais utiliser pour chaque billet : ma folle jeunesse continue et des bêtises, j'en écris ou commets quotidiennement !
Reliques photographiques d'entre 70 et 80
- Alors, Joe Krapov , qu'est-ce qui vous a le plus épaté dans vos retrouvailles avec votre voisin du 65 de la rue C.Q. qui était aussi votre voisin du dessous du 11 de la rue de L. et est également votre petit-cousin ?
- Sa compagne !
- Qu'avait-elle de particulier ?
- Elle est née le même jour et la même année que moi, juste trois heures avant !
De fait, pouvait-on attendre autre chose de ce gars qui est né le même jour que sa soeur ainée et que son père ?
L'Epée de Damoclès et autres dangers suspendus au-dessus d'une jeune fille écrivant
(rayogramme de 1971, 72 ou 73)