DE RIMBAINE A VERLAUD. 3, Forêt automnale
M. Arthur Rimbaine
Agence d’exploration de villes extraordinaires
et d’us et coutumes à mettre dans les annales
8, quai Arthur Rimbaud
08000 Charleville-Mézières
Monsieur Paul Verlaud
Société de géographie des Maladives et du Miraginaire
73, rue Sonneleur
62812 Vent-Mauvais
Saint-Pétersbourg, le 15 novembre 2017
Mon cher Paul
J’ai toujours cette musique dans la tête, « Nathalie » de Gilbert Bécaud, et c’est d’autant plus idiot que je suis à Saint-Pétersbourg et non à Moscou. Qui plus est mon guide ne s’appelle pas Nathalie mais Gabrièle. Oui, je sais, ça ne fait pas très russe non plus comme prénom.
Je t’écris pour t’annoncer que nous avons trouvé, dans la salle de bal du palais de l’Ermitage, le tableau dont tu nous avais parlé. Il est, paraît-il, d’un certain M. Piekielny et représente un paysage de forêt automnale. Le phénomène que tu m’as indiqué s’est reproduit à merveille. J’ai dit à Gabrièle :
- Frappe-toi le cœur trois fois en prononçant le mot "ardeur" et nous nous retrouverons ensemble dans ce tableau !
Nous avons fait cela et soudain la liberté de délirer s’est emparée de moi.
J’étais devenu un jeune chevalier en armure et en quête de l’épée de vérité. Je devais la ravir à la sorcière Bakhita et la remettre à ma reine bien-aimée. Mais avant cela, comme il est de tradition dans ce genre de contes, il me fallait subir un certain nombre d’épreuves redoutables : affronter le géant Zabor, soulever et déplacer les huit montagnes de l’Altaï, couper trois griffes au dragon Tchoudo-Youdo, etc. Je te fais grâce des détails pour te perdre un peu moins mais dis-toi que je sais désormais comment vivre en héros même si, après tous ces exploits, ça s’est encore compliqué. Car sur le chemin du retour je me suis aperçu tout à coup que Gabrièle ne m’avait pas accompagné, qu’elle était absente de l’aventure.
Lorsque je fus rendu au château je remis à la reine, devant toute la cour assemblée, les trois griffes du dragon et l’épée de vérité. Sa Majesté me demanda ce que je désirais en récompense. Je lui répondis qu’il était dans la nature des choses que je refusasse les cadeaux et que, simplement, je ressortisse du tableau et retournasse dans la réalité qui était la mienne. La reine éclata de rire et toute la cour suivit son exemple.
- C’est la légende d’un dormeur éveillé que tu nous contes là, chevalier Arthur ! me répondit la reine. Il n’y a qu’une réalité ici et c’est la nôtre ! C'est comme si tu nous racontais que je est une autre !
Tu imagines bien, j’espère, mon cher Paul, combien fut grand mon désarroi. Heureusement pour moi l’épée de vérité se leva de la table où on l’avait posée. Elle se mit à flamboyer, à venir tourner autour de ma tête et je m’apprêtais déjà à rédiger mon autopsie quand l’objet magique s’immobilisa et me glissa à l’oreille :
- Tire-lui la tresse gauche !
- Euh ? Côté cour ou côté jardin ?
- Ia nié ponimaiou ? Je ne comprends pas ?
- La tresse gauche, c’est celle qui est à ma droite ?
- Oui, espèce d’idiot ! Tire-la vite !
Alors, sans craindre aucunement de commettre un crime de lèse-majesté, je m’approchai de la reine et lui tirai les cheveux comme on le faisait jadis dans les cours d’école et… je me retrouvai dans la salle de bal du Musée de l’Ermitage. Mais seul, désemparé et encore hanté de ces hérésies glorieuses : Gabrièle avait disparu et le paysage d’automne du tableau aussi : à sa place on voyait une fille dans la jungle. Elle tendait les bras devant elle comme pour sortir d’un labyrinthe, comme si elle était au fond de l’eau d’un aquarium et cherchait à briser la vitre en la poussant. Et, bien sûr, elle avait le visage de Gabrièle !
A l’accueil du musée j’ai été pris en charge par Mercy, Mary, Patty et Irina, les guides interprètes stagiaires. La dernière parlait un français impeccable. Elle m’a annoncé que Gabrièle en avait eu marre de m’attendre et que je la retrouverais au café Pouchkine pour y prendre un chocolat sur le coup de dix-sept heures.
Pour le tableau je n’avais pas à m’inquiéter. Les conservateurs de cette vénérable institution étaient au courant du phénomène. Ce mystérieux M. Piekielny l’avait peint avec des encres d’automne fabriquées par lui : une décoction de feuilles mortes, de couleurs changeantes, de matières mouvantes et il avait versé dans ses godets trois verres de vodka. Cela expliquait la nature mouvante et kaléidoscopique de la toile.
L’autre explication étant que depuis que je suis à Pétrograd qui est devenue Leningrad puis Saint-Pétersbourg, j’en bois moi aussi trois à l’apéro du midi et six au repas du soir, des verres de vodka.
Do svidania et Na zdorovié, cher Paul !
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 14 novembre 2017
à partir de la consigne des Impromptus littéraires du 13 novembre 2017
et d'une autre consigne gardée secrète pour l'instant
La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne) le 9 juillet 2017 (1)
La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne) le 9 juillet 2017 (3)
La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne) le 9 juillet 2017 (4)
Deux nouveaux collages de Jean-Emile Rabatjoie
LA SORTIE DE SECOURS EST AU FOND DE L’ESPACE
Sortie de secours !
Sortie de secours !
Sortie de secours ?
Rappel des faits :
Entrée des artistes
(Ou liste des personnages) :
Madame et Monsieur ;
La sœur de Madame,
actrice de théâtre.
Soirée de gala
Première de la pièce
Théâtre de l’Athénée
Entrée des spectateurs
Rideau de scène rouge
Place de parterre
Fauteuil de velours
Soupirs d’aise
Lever de rideau
Pièce de Feydeau
« Dame de chez Maxim »
Claquements de portes
Avalanche de quiproquos
Mots d’esprit
Scènes de ménage
Coups de théâtre
Eclats de rire
Fin de la pièce
Saluts au public
Déluge d’applaudissements
Visite aux loges
Remise de bouquet
Félicitations à la belle-sœur
Présentation au metteur en scène
Bouteille de Champagne
Cliquetis des coupes
Brouhaha de conversations croisées
Trop-plein de gaieté
Ecran de fumée.
Ecran de fumée ?
Ecran de fumée !
Quintes de toux
Mouvement de panique
Pompier de service :
- Début d’incendie !
- Mégot mal éteint ?
- Non, acteurs allumés,
Planches brûlées !
Jeu du feu de Dieu !
Evacuation des locaux !
Sortie de secours !
Sortie de secours !
Au fond du couloir !
Affolement des troupes
Bousculade effrénée.
Résultat des courses :
Chute du portefeuille !
Air frais du dehors.
- Pompier de service !
Pompier de service !
Incident de parcours !
Chute de portefeuille !
- Consignes de sécurité !
Entrée interdite
Risques d’intoxication
Menaces d’effondrement !
Remise à demain
Espoir de retrouvailles
Bureau des objets trouvés
Accueil du théâtre
Retour au parking
Horreur ! Malheur !
Salsa du démon !
Verre pilé par terre !
Bris de glace avant !
Vol d’auto-radio !
Crevaison des pneus !
Station de taxi
Appel assurances
- Cerise ? Groupama ?
Silence radio !
Panne de réseau ?
Non, batterie à plat !
Retour domicile
Tour de clé
Brossage des dents
Pyjama à rayures
Jet de la viande dans le torchon
Etat de sidération
Recherche du sommeil
Insomnie à répétitions
Journée de merde !
Vie de chien !
Théâtre de boulevard ?
Plus jamais de ça !
Relâche !
Fermeture définitive
Désormais dévédés at home
Ou relecture de Proust
Misère de misère !
Sortie de secours ?
Sortie de secours ?
Sortie de secours ?
Ecrit pour les Impromptus littéraires du 6 novembre 2017
à partir de cette consigne
SORTIE DE SECOURS
Suite aux commentaires reçus, j'ai essayé d'enregistrer le texte ci-dessus qui peut effectivement s'apparenter à un monologue théâtral. Je suis un peu déçu par le rendu : j'ai l'impression que ça le rend plus tragique que comique.
ECRIRE A RIMBAUD. 11, Maléfices
Monsieur Arthur Rimbaud
B.P. 01 au vieux cimetière
08000 Charleville-Mézières
Mon cher Arthur
“Sweet Lorraine
Let the party carry on… »
Uriah Heep (Ken Hensley ; Mick Box ; Lee Kerslake)
A force de m’interroger sur le maléfice ardennais, sur cette suite de catastrophes que fut ton existence, j’en viens à me demander si je ne suis pas, moi-même, le maléfice ultime !
N’ai-je donc rien de plus intéressant à accomplir dans la vie que cette exploration non essentielle des bibliothèques et d’Internet au sujet de ton œuvre et de ta vie afin d’en souligner, s’il en est encore besoin, la malchance infinie ?
N’ai-je pas à rechercher des images plus colorées, plus joviales que celles du Harrar en noir et blanc ou de Charleville-Mézières après le passage de la météorite Rimbaud ou des bombes de 14-18 et 39-45? J’en connais pourtant ! Et des tonnes !
Est-il bien utile d’offrir en partage ma dernière trouvaille ? Sans doute que oui, histoire de relativiser le fait que «Non seulement j’ai écrit des bêtises mais j’en ai chanté aussi». J’avoue, j’aime bien balancer des horreurs dans les oreilles des gens, c’est pour cela que je chante ! Mais avec le «Rimbaud» de John Zorn, vous allez être gâté(e)s ! C’est du pire to pire !
Il ne sortira donc jamais, de la tête des hommes, que le génie du mal et le goût pour l’inaudible ? Serions nous tous ensorcelés ou quoi ?
Attention, passage litigieux :
Et pourtant, c’est bien la société elle-même et, paradoxalement, l’école qui nous encouragent à cela. On y prône la curiosité, le goût pour la lecture, pour les arts, pour la science, pour la découverte, bref tout ce qui a causé ton malheur… et mon bonheur !
Sans la fréquentation des livres, Arthur Rimbaud, tu serais sans doute devenu un paysan ardennais plus ou moins prospère. C’est à cela que te réduit d’ailleurs M. Thierry Beinstingel dans son roman «Arthur Rimbaud, vie prolongée». Arthur Rimbaud, contremaître à béquilles dans une carrière de marbre belge, marié puis veuf avec enfants, qui traverse l’affaire Dreyfus et 14-18 sans prononcer un mot plus haut que l’autre… Désolé de spolier celles et ceux d’entre vous qui souhaitent lire ce livre mais, à part le fait que c’est très bien écrit, ce scénario n’a rien de bien intéressant !
L'autocritique du jour : La malédiction des auteurs de romans c’est le lecteur qui se prend pour un critique littéraire !
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : je ne reproche rien à ce Charlemagne qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école. Je ne fais pas partie de ceux qui veulent l’interdire avec la musique, le jeu d’échecs et la liberté de parole pour voiler tout cela du grand manteau noir d’une religion. Allez-y, les jeunes gars, les jeunes filles, à l’école ! Allez y, vous n’en reviendrez pas, comme le chantait Brigitte Fontaine jadis. Oui, c’était assez inaudible aussi !
En effet, sans les livres d’images, sans les bandes dessinées, sans la liberté de publier et de diffuser la culture, fût-elle d’abord souterraine (underground) puis récupérée (mainstream) et officielle (old dinosaurs, Pink Floyd, Rolling Stones, Bob « Nobel z’années » Dylan), sans les couvertures des romans de science-fiction et les pochettes de disques vinyles, comment aurais-je pu rencontrer les démons et sorciers dessinés par Roger Dean pour les albums d’Uriah Heep et d’autres groupes de rock des années 70 ?
Bien sûr, c’était en dehors de l’école, mais il n’y a pas que l’école dans la vie, ou mieux, toute la vie est une école et le professeur-cancre Joe Krapov y donne des cours de récréation ! Bien sûr c’est le hasard qui préside à la sorcellerie, à la magie et qui fait qu’un sortilège devient maléfice ou enchantement. Rien ne l’abolit et surtout pas un coup de dés.
- T’as du faire nénette, deux, deux et un, Jean-Arthur, et moi casser la baraque avec trois six !
J’ai eu la chance de découvrir chez lui et d’emprunter à l’ami J.-B. B. le premier 33 tours de Uriah Heep, «Very ‘eavy, very ‘umble». Que faisait-il, égaré dans sa collection de disques de musiciens de la West Coast des Etats-Unis (Jefferson Airplane, Grateful Dead, Hot Tuna, CSNY) ? Mystère !
Toujours est-il que «The Magician’s birthday» est bien le premier disque de rock acheté par les pauvres deniers de mon argent de poche de l’époque. Je suis toujours aussi scotché par le morceau final de dix minutes sur la face deux avec son solo de guitare électrique et de pédale wha wha. Le plus enchanteur des sortilèges musicaux n’en reste pas moins Demons and Wizards, l’album qui précédait celui-ci, avec la suite magique de Ken Hensley, «Paradise / The spell».
Et donc, de maléfice en aiguille, pour le seul plaisir de posséder des illustrations de Roger Dean, j’ai été victime de fièvre acheteuse et je possède encore les disques du groupe Greenslade, de Yes et même de Badger.
Bon, assez disserté sur mes envoûtements personnels. Je m’aperçois que, tout à mes recherches et à mes écoutes de musiques folles, j’ai oublié de voir passer le 20 octobre et de te souhaiter un bon anniversaire ainsi qu’à ce cher oncle Walrus qui est né dans ces eaux-là aussi, un peu plus tard quand même qu’en 1854 !
C’est pourquoi je termine cette lettre en vous Balançant à tous les deux un «Happy birthday, magician !».
P.S. Et comme je ne suis pas chiche, je vous offre mes derniers trésors du Trégor. Vous pourrez ainsi constater que Messieurs Nikon et Canon ont prononcé à mon endroit aussi un terrible maléfice : «Chaque fois que tu prendras des photos, Joe Krapov, tu tourneras la molette des effets créatifs afin de te retrouver dans un autre monde qui te rendra fou ! Ha ! Ha ! Ha !" (Rire maléfique de Nippon ni mauvais qui te jappe au nez).
P.S. Oui, je t’ai entendu, Jean-Arthur !
- Passer de Sweet Lorraine à Loreena McKennitt, c’est une belle façon de boucler la boucle. Et ce serait bien que tu la boucles un peu plus souvent, Joe Krapov !»
- Ha ! Ha ! Ha ! Compte là-dessus et bois de l’absinthe !
Ecrit pour le Défi du samedi n° 480 d'après cette consigne : Maléfices