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Mots et images de Joe Krapov
17 août 2014

FERME TA BOÎTE !

Sur la petite place de ce petit village il n’y avait personne. Et pourtant je n’avais pas rêvé. Une petite voix m’avait interpellé et elle continuait de me parler.

Boîte aux lettres MAP DDS 311

- … Et c’est vrai que maintenant il n’y a plus besoin d’entrer dans une cabine téléphonique pour appeler du dehors le 22 à Asnières ? C’est ça que ça veut dire tous ces gens qui se promènent en se tenant l’oreille droite et qui causent tout fort dans la rue comme des débiles sans plus rien regarder autour d’eux ? Au début j’avais cru à une recrudescence d’idiotisme de village cumulée avec une épidémie d’oreillons ! Et les courriels, c’est quoi exactement ? Vous tapez un message sur votre clavier, vous tapez « envoi » et il arrive instantanément dans la boîte de votre destinataire ? On est en pleine science-fiction, là ! Comment ça fonctionne ? C’est un facteur factice sur un vélo virtuel qui pédale pour faire passer le pli dans les tuyaux ? Vous n’écrivez vraiment plus sur du papier ? On m’a même dit qu’aux Etats-Unis ils allaient arrêter d’apprendre aux mômes à écrire avec un stylo ! Vous vous rendez compte ? Qu’est-ce qu’on va devenir, nous ? Des pièces de musée ? Déjà qu’il n’y a plus qu’une levée par jour ! Et vous, vous écrivez encore ? Vous avez envoyé des cartes postales cet été ?".

C’était bien de la boîte aux lettres archaïque que la voix sortait. C’était bien la boîte elle-même qui me questionnait. Je n’ai pas eu le cœur de lui parler de Skype, de Facebook, de Twitter, des SMS ni de la blogosphère où je suis très actif.

Et puis j’ai paniqué. Jeanne d’Arc aussi a commencé par entendre des voix et puis après son destin a basculé tragiquement parce qu’elle est allée bûcher dans un autre domaine que le sien. Alors j’ai eu pitié de la boîte aux lettres jaune et verte et j’ai fait un truc idiot. Dans la fente réservée aux lettres et aux cartes j’ai glissé mon baladeur MP3. Si elle farfouille un peu dedans elle y trouvera, avec les petites merveilles d’Emmylou Harris ou de Cécile Corbel, la carte postale virtuelle et sonore de mes vacances à A…
 

 

Ecrit pour le Défi du samedi n° 311 à partir de cette consigne.

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7 juillet 2014

CELESTE EST MAL BARREE !

(E-specially dedicated to my dear uncle Walrus)

Quand il commençait à se battre avec son oreiller, à constater qu’il s’était mis au lit trop tôt, à décortiquer les phases de son endormissement et ses impressions de rêve éveillé ou pas, elle arrivait pour le soutenir, pour l’abrutir, l’embrouiller, l’embrumer mais elle faisait pis que tout car malgré son homosexualité, elle voyait bien qu’il ne voulait pas se laisser aller dans les bras de Morphée et c’est donc elle qui, hachée de points-virgules, souillée de subjonctifs plus que parfaits mais fortement chargés en miasmes et en chiasmes, étirée jusqu'à plus soif en vue de perturber la compréhension du lecteur éventuel, récupérait les symptômes de l’écrivain asthmatique et se trouvait comme aspirée dans le tourbillon de la douche mémorielle projetée à jet continu sur les parois du souvenir et la nostalgie crasse se détachait par bribes, l’encalminait au point que tout un univers de jeunes filles en fleurs, de barons, de causeurs, d’aristocrates, de salonnards et de gloseurs, avec un art certain de ventiler le snobisme et la pseudo-modernité au sein d’un classicisme verbeux et pédantesque l’envahissait, lui donnait le tournis, lui faisait oublier sa justification première, à savoir la joie de communiquer simplement une idée, une émotion, une douleur, une banalité, un échange de politesses, du genre « Si le nez de Cléopâtre avait été plus long on n'en s'rait pas là !», « Tiens tiens tiens c’est le printemps qui vient !» « Et l’on dit merde en se pinçant les doigts », « Tout va très bien madame la marquise », «Vous permettez que j’déballe mes outils ? Oui mais faites vite qu’on lui a dit» et c’en était au point qu’elle avait des velléités grossières de soulager son maître, son auteur, de lui suggérer les mêmes pratiques physiques que celles qu’il faisait subir à l’intellect patient de ses lecteurs intellectuels et elle riait sous cape en imaginant que le petit Marcel eût pu, plutôt que de perdre son temps à s’agiter les neurones dans le noir, étrangler frénétiquement le borgne, recourir à la veuve Poignet, dessiner dans ses draps fins une carte de France animée sur laquelle le hasard lui eût fait disposer, d’un jet ou de plusieurs, Jouy-en-Josas, Gif-sur-Yvette, Bourg-la-Reine et Tremblay-les-Gonzesses dans un même alignement géographique surréaliste mais elle savait bien que chez ces gens-là, monsieur, ça ne se fait pas et que cet humour de garçon boucher ou de troisième mi-temps de match de rugby qu’elle tenait de son mari chauffeur de taxi, s’il avait eu sur l’insomniaque l’effet d’endormissement béat souhaité, n’eût pas été goûté de la postérité admirative pour qui elle-même, tirant à la ligne, usant de ficelles grosses comme celles qui soutiennent au-dessus de la rue populeuse le funambule somnambule, faisait tout son cirque ce soir, bien qu’elle ne fût qu’une modeste servante dévouée à l’accomplissement de l’œuvre majeur, se fatiguant au bout du compte de ce qu’on pût passer ainsi sa vie à causer, gloser, dégoiser sur un monde si étriqué alors que l’on sortait d’une énorme boucherie, 14-18 qui eût dû logiquement faire agir, réagir et lutter contre le même système qui avait permis cela, et rêvant du moment où, à la phrase alambiquée, tortueuse et finalement très amusante qu’elle était, Marcel, malgré qu’il en ait, consentirait à mettre un terme en posant, à l’issue d’une dernière aspiration d’air frais à la fenêtre ou au terme d’une énième relecture, son stylo et un point final qui lui eût permis à elle-même, pauvre phrase céleste égarée dans un océan de papier prétentieux comme une humble prolétaire ne comptant que pour beurre dans un magma de sept milliards d’individus, de se terminer à sa façon, ou plutôt à celle de Charles Trénet qui chantait que « Les jours de repassage, Dans la maison qui dort, La bonne n'est pas sage Mais on la garde encore : On l'a trouvée hier soir, Derrière la porte de bois, Avec une passoire Se donnant de la joie".

DDS305 Céleste Albaret

Céleste Albaret par Jean Claude Fourneau (1957)

Ecrit pour le Défi du samedi n° 305 à partir de cette consigne.

29 juin 2014

LEGENDE URBAINE DE LA CAMPAGNE ET JAVA BLEUE AVEC CHAPEAUX

Edinburgh, le 24 juin 2014, de notre envoyé spécial :

DDS 304 Monstre du lac

Un drame affreux a failli se dérouler tout au fond du Loch Ness où une équipe de scientifiques de l’Université de Rennes 3 opérait des recherches autour du soi-disant « monstre » qui sévirait ou aurait sévi par ici.

Deux hommes-grenouilles se sont en effet violemment querellés en cours de mission sous-marine. D’après les premiers éléments recueillis auprès du commissariat de Drumnadrochit il s’agirait – Ah, ces Froggies ! - d’une rivalité amoureuse qui aurait pu très mal tourner si le professeur Denis D'Eglise-Trouée, responsable de l’expédition, n’avait pas fait appel à la brigade internautique locale commandée par Mlle Imogène Mc Carthery.

Nos agents ont fourré les deux Frenchies au bloc au motif d’envoi de pêches en eau trouble. On peut donc affirmer sans aucune Nessie-tation que le « monstre du lac » court toujours mais que l’aura négative qu’il projette sur notre pays a encore fait des victimes.

Il n’y aurait pas là de quoi en faire tout un plat si quelques membres facétieux de cette université de Rennes 3 n’avaient tiré de cet incident une chanson qui tourne sur les campus et fait un carton (-pâte) monstre sur Youtube. 

N.B. "La Java des hommes-grenouilles" est une oeuvre du formidable Ricet Barrier.

Texte écrit pour le Défi du samedi n° 304 d'après cette consigne.

15 juin 2014

HALLUCINATION AUDITIVE

J'hallucine ou quoi ? Je le croate pas, ça !!!

Voilà que je chante en serbo-croate ? en bosniaque ?  en yougoslave !

Et ces bâtiments aux formes bizarres qui m'entourent ? Où suis-je ? 

Qu'est-ce qu'on a renversé sur ma moquette ? Au secours, j'hallucine !

 

Ecrit pour le Défi du samedi n° 302 à partir de cette consigne.

8 juin 2014

LA CURE DE REPOS D'ISAURE CHASSERIAU

DDS 301 100117_081

Situé en lisière d’un bois, l'hôpital psychiatrique était un vaste complexe gris comme notre immeuble. La procédure d’admission dans l’établissement fut relativement simple. On enregistra son nom et son prénom, Chassériau Isaure, sa date de naissance, 1er avril 1818 et les raisons de son admission pour une cure de repos : « hallucinations inexplicables ». On lui donna une chambre agréable avec une fenêtre sans barreaux. Elle se mit tout de suite à la fenêtre, contempla l'immensité bleue du ciel et ne rêva plus de sortir pour partir à la recherche de « sa ville idéale».

Dans un cahier à petits carreaux, elle se mit à noter ses rêves, à parler de ce monde à elle qui l’avait envahie et lui avait fait perdre le sens des convenances nécessaires à la vie bourgeoise en cet an de grâce 1845. Dans le premier cahier elle parle d’un établissement nommé « Le vieux Saint-Etienne », sis rue de Dinan dans une ville nommée Rennes-en-Délires. Derrière le comptoir de ce mastroquet imaginaire, il y avait le patron, un type nommé Camille Cinq-Sens, son « oncle », chez qui passer un samedi sans rire relevait du défi pur et simple. Là en effet se réunissaient de drôles de clients qui jouaient aux cartes en philosophant à haute voix sous forme de « brèves de comptoir » ou de dialogues plus ou moins absurdes.

- Il ne faut pas oublier que dans « Brèves de comptoir, il y a « toir » !
- Et il faut songer que c’est hasardeux d’aller à Thouars !
- J’y suis allé, moi, l’année où j’ai participé au Festival des jeux de Parthenay. Il y avait une jolie fontaine à laquelle il ne fallait pas dire « je ne boirai pas deux tonneaux ».
- Tout ça, c’est une histoire de capacité. Pour un poète ne pas avoir de capacité en droit est moins gênant qu’avoir une incapacité en vers !
- Et contre tous !

D’autres fois Camille Cinq-Sens, Jacques-Henri Casanova et Jean-Emile Rabatjoie s’asseyaient autour d’une table et découpaient des images dans des magazines illustrés.

DDS 301071209_rococo_chanteur_aveugle_480jpg

- Encore un que les clients du coiffeur ne liront pas, disait l’un en jetant le périodique désossé dans la grande corbeille amenée à cet effet !
- Ils ne risqueront pas, c’est un « Télérama ». Je l’ai piqué chez le dentiste.
- Dis donc, il y a longtemps qu’on n’a rien découpé avec les carrés verts ?
- Ah oui, le jeu des douze images en 4x4 ! Mais ça c’est pour écrire et là vous découpez pour que je puisse faire des collages.

D’autres jours, il y avait des animations musicales dans l’établissement. Un guitariste et un accordéoniste venaient s’exciter sur « La Java bleue », « Tel qu’il est » ou « Quitte-moi pendant la coupe du monde » et sur leurs instruments respectifs tandis que deux chanteuses blondes et une rousse papotaient plus qu’elles ne vocalisaient. De toute façon les deux musiciens russes, Krapov et Kaïrakovsky, n’en finissaient jamais de ne pas se mettre d’accord sur la tonalité du morceau, le nombre de croches que le pianiste à bretelles modifiait sur la partition commise par le gratteux à ceinture sur Noteworthy Composer.
- C’est des noires ! Rechante- le pour voir!
- Chanter c’est pour écouter, c’est pas pour voir !

Cette équipe-là, plus jeune, avait un travail et de ce fait ils semblaient plus épuisés et épuisants que les papys découpeurs et fendeurs de cœur.
- Un jour, je serai libre à jamais ! lançait parfois Joe Krapov. J'ai fait tout le chemin qui va de l'école au collège, du collège au lycée, du lycée à la fac, de la fac au travail, j'ai changé plusieurs fois de boîte et pour la première fois on me laissera sortir pour ne plus revenir. Je ne sais pas ce que j'aurai gagné. Un aller simple pour un voyage chez Kirikou l'Ankou ? Le droit de réécrire en phrases courtes la « Recherche du Temps perdu » ? Ou le plaisir du temps retrouvé et des apprentissages aussi tardifs que les vendanges ? Apprendre la sculpture, le dessin animé image par image avec des statuettes en pâte à modeler, faire du théâtre et jouer avec une robe et des chaussures à talons hauts un rôle travesti ? J’ai toujours rêvé d’interpréter le répertoire de Fréhel avec une perruque de Sabine Azéma, un collier de perles et du rouge aux lèvres !
- Maintenant que ce sont des femmes à barbe qui remportent le concours de chant de l’Eurovision, tu peux faire ce que tu veux, tu ne surprendras plus personne ! De toute façon, en Ille-et-Vilaine, tout le monde s’en fout de la musique. Le plus important, c’est de bagouler avec sa voisine et avec une galette-saucisse à la main !
- Je sais ! Je sais ! Je sais que je ne suis pas là pour surprendre le monde mais j’avoue que le monde, lui, me surprend ! Avant on avait le droit de cracher dans la soupe : elle était vraiment mauvaise. Maintenant il n’y en a plus assez pour tout le monde et plus personne ne dit rien. Pire que ça, les gens s’en vont élire des cracheurs professionnels qui seront payés onze mille euros par mois pour foutre le feu à la cuisine !
- Arrête donc de parler de tes glaires, Krapov, on va passer à table d’ici peu, nous ! l’interrompt Camille.
- C’est sûr qu’avant, c’était mieux, commente Kaïrakovsky. Je me souviens que Gabriel, mon frère, piquait des pinces à linge à maman. Il s'en servait pour attacher un bout de carton sur le cadre de son vélo. A chaque tour de roue, cela faisait un bruit de pétarade. Il jouait à faire de la mobylette en gueulant par-dessus ça comme un Apache jusqu'au carrefour. Mais c'est vrai qu'on est devenus tous un peu fous depuis la disparition d'Isaure Chassériau.
- La dernière fois qu'on a eu de ses nouvelles elle était dans le petit village de pêcheurs de Trentemoult, près de Nantes.
- Est-ce qu’elle s’habillait toujours en rose ?
- Paraîtrait que non.

L’oncle Camille s’immisçait volontiers dans la conversation du Club des cinq.

- Avant ça, il y a d'abord eu un autre événement, majeur, primordial en ce qui nous concerne. Nous avons refusé de lire « La Bicyclette bleue » et nous avons préféré fréquenter les filles des forges, dont la fameuse Régine, celle qui avait un boa. Il faut toujours préférer la vie aux livres car les jouissances sont plus diverses et l’exercice ça ne fait pas plus de mal aux gens que de manger cinq fruits ou légumes par jour, même si chez nous c’était plutôt bidoche, patates et charcutaille, histoire d’alimenter sans le savoir notre taux de cholestérock’n’roll !
- Moi je n’en ai pas eu longtemps de cette maladie-là ! répond Krapov. J’ai supprimé le beurre et l’argent du beurre c’est Marina B. qui le dépense quand elle promène son QI sur les remparts de Varsovie ou son quant-à-soi sur les ramblas de Barcelone. Mais c’est vrai, quand Isaure est partie de chez nous, j’ai bien profité de ses archives pour alimenter un site web nommé Rennes-en-Délires. Il fallait faire montre de fantaisie, visiter la cité avec un regard neuf, y piocher de quoi rire ou sourire, réécrire l'histoire de cette ville d'art et de bizarre qu’est Rennes.

***

Isaure neige

Elle prit vite ses habitudes à l’hôpital. Le personnel était gentil et l’effet des cachets qu’on lui donnait ne se faisait sentir que le soir. Comme si, dans la journée, les infirmières s’étaient trompées de médicament. Ou bien, comme quand, après une longue marche, on a les endorphines qui travaillent encore et on se sent prêt à embrayer sur un autre exercice physique.

Comment se faisait-il qu’elle soit autant inspirée ? Au fil des jours les cahiers, car il lui en fallut plusieurs, se remplissaient. D’où venaient tous ces personnages bavards qui coupaient la parole à sa plume, avec lesquels elle semblait tout à fait complice alors que d’habitude, le regard presque éteint, l’apparence toujours réservée, elle semblait posée là, discrète et immobile, comme une cousine de province en visite à Paris, comme si elle était habitée par la peur de déranger un grain de poussière de la surface du monde, comme si elle veillait à ce que, du bouquet d’églantines de sa coiffure, aucune fleur ne tombât jamais ?

- J’ai la réponse, ricanait l’oncle Camille. C’est comme quand ils m’ont donné du Fludex pour mon hypertension. C’était marqué sur la notice ! Ca faisait le même effet que l’EPO en intraveineuse à un cycliste qui planque du fric en Suisse et qui regarde le Tourmalet et Isaac et l’Aubisque de homard les yeux dans les yeux en disant que, sans mentir, c’est Zigomar et Pussomar qui m’ont tuer ! Tes cachets, ma pauvre Isaure, ce sont eux qui font tout le boulot ! Comme le chapeau d’Amélie Nothomb. Retire-le lui et il n’y a plus d’écrivaine. Ou comme celui de Neil Young ! A croire qu’ils dorment avec la nuit ! Des chapeaux de magiciens dont il sort des lapins à profusion et certains ne valent pas un pet.
- Putain ! Et il s’y connaît l’oncle en cuniculiculture !
- En même temps, dit une des deux blondes, ca doit pas être top d’épouser un presti-digi-tâteur ! On ne doit avoir droit qu’à des coïts furtifs !

Fallait-il y voir un signe du destin? Lorsque la nuit tombait les nuages s'assombrissaient, leurs formes devenaient inquiétantes et un enfant apeuré ou un être trop imaginatif y auraient vu peut-être 99 dragons aux aguets attendant Saint-Georges de pied ferme, la gueule prête à cracher le feu. Quand ses paupières devenaient lourdes, Isaure, apaisée, sereine, reposait la plume dans l’encrier et allait se mettre au lit. Elle s’endormait alors très vite et toutes les nuits, elle rêvait qu’elle allait visiter un musée. Elle passait devant une chasse au tigre, des oiseaux hollandais, une jeune mère et son nouveau-né, une scène biblique et lorsqu’elle arrivait devant le tableau ovale avec le magasin de magie, elle entrait dans le tableau, poussait la porte  et elle oubliait tout.

 

DDS 301 isaure et la boutique de magie

Ecrit pour le Défi du samedi n° 301 d'après cette consigne
et aussi à l'Atelier d'écriture de Villejean du 27 mai 2014 d'après la consigne n° 1 de l'Atelier de Zulma

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31 mai 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 27, VILLANELLE

Galopez dans le ciel, blancs chevaux des cortèges !
Une rose a mis fin au règne de l’hiver,
Une rose a percé la pierre de la neige !

Nous voici libérés de l’affreux sacrilège,
Du monstre qui sema ici un bel enfer !
Galopez dans le ciel, blancs chevaux des cortèges !

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Répandez la nouvelle en délicieux arpèges !
Notre libérateur nous a sauvés hier :
Une rose a percé la pierre de la neige !

Il s’appelle Saint-Georges et son Dieu le protège.
Dans l’infâme dragon il a planté son fer.
Galopez dans le ciel, blancs chevaux des cortèges !

140501 077

Dîtes à l’étonné l’étrange sortilège :
Des entrailles glacées, de ce frigo ouvert,
Une rose a percé la pierre de la neige !

Clamez-le haut et fort, plus rien ne nous assiège !
Portez la foi nouvelle aux bornes d’Univers !
Galopez dans le ciel, blancs chevaux des cortèges !
Une rose a percé la pierre de la neige !

140429 336

N.B. Les trois photos qui illustrent cette villanelle
ont été prises à Barcelone en avril et mai 2014

Ecrit pour le Défi du samedi n° 300 à partir de cette consigne

25 mai 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 26, PREDICTION DE CHIROMANCIENNE

DDS 299 - Le_Caravage_-_Diseuse_de_bonne_aventure

La jeune gitane a pris la main gauche du bonhomme entre les siennes. Elle lui a dit de bien écarter les pouces et de serrer les autres doigts. Elle a maintenu immobiles le majeur et l’annulaire de l’inconnu et a commencé à lire les lignes de la main.

- Ta ligne de coeur est très courte et très hachurée. Je vois des croix partout. Les femmes ne comptent pas pour toi. Tu places tes idéaux bien au-dessus de la rencontre de tes congénères. Tu dois être une espèce d’artiste du meurtre passionnel. Si tu tues, c’est pour asseoir la puissance de ton Seigneur, la droiture de tes conceptions. Tu veux élever ton prochain vers le beau, l’éduquer au bien dans lequel tu crois. Et pourtant, on va t’offrir une princesse, de la richesse, un terrain pour bâtir ce monde idéal… mais tu n’accepteras pas. Tu préfères t’éparpiller, papillonner, ramasser la vaisselle cassée, unifier toujours. Et pourtant, ça c’est très bizarre : la famille est sacrée pour toi !

DDS 299 Main de Gaudi

L’homme n’a pas répondu. Il a juste acquiescé d’un hochement de tête. Carmen a hésité avant de continuer. C’était la première fois qu’elle découvrait un tel lacis de lignes emmêlées dans la paume d’une main. La promesse d’un être d’exception, d’un héros, d’un génie à venir. Un grand homme assurément. Ou alors… un serial killer ! Mais pourquoi tant d’ébouriffantes perspectives alors, que, vu de près, le type était commun, avec plein de poils blancs dans sa barbe, des habits usagés qu’il n’avait pas dû quitter depuis un mois, une dégaine de clochard un peu aristocratique. Cependant, son regard semblait survoler tout le petit monde du parvis de l'église de Saint-Philippe Néri sans y prêter autrement attention. Un géant parmi les nains.

- Ta ligne de chance est toute droite elle aussi. Tu traces ton chemin en toute continuité. La place sur laquelle tu te meus est nette, ornée de lampadaires, de lumières qui t’accompagnent tout au long du chemin. C’est pourquoi ta voie est royale. Quelqu’un de très puissant va t’aider à faire preuve de tes talents. On va te dérouler un tapis rouge pour que tu deviennes célèbre jusqu’à la fin des temps mais tu ne devras pas craindre de surprendre, de désarçonner les autorités dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont à cheval sur les principes. Tu feras preuve d’anticonformisme, tu arrondiras les angles mais sur la fin, il y aura un accident. Es-tu prêt à entendre quelque chose à propos de ta propre mort ?

- Je suis prêt, dit l’homme. Mes grands amis sont morts. Je n'ai pas de famille, ni de client, ni de fortune, ni rien. Donc, je peux me livrer entièrement au Temple.

- Ta ligne de vie s’arrête brutalement. Tu mourras renversé par la méchanceté, victime d’une vengeance. Il y aura un temps où tu seras peu reconnu malgré tes exploits et ton beau parcours. Par contre ta gloire posthume sera mondiale. Tu seras le patron de cette ville, de cette région même et ton œuvre sera admirée par l’Eglise tout entière et cela sur toute la planète. Mais le dragon sera vengé de toi par une dernière plaisanterie du destin à ton égard.

La petite gitane a lâché la main du vieil homme. Elle a tendu sa paume et tandis que le vieillard sortait d’un porte-monnaie usé quelques pesetas qui avaient bien bourlingué et lui en faisait cadeau, elle se demanda s’il n’y avait pas maldonne. Etait-ce vraiment là Saint-Georges ? Que faisait-il en Espagne en 1926 sous les traits d’un vieux clodo ? Toutes ces lignes et tous ces points qu’elle avait interprétés comme il convenait, elle en était certaine, lui avaient donné le tournis. Elle rangea les pièces dans sa poche et regarda le vieil homme qui, plongé dans ses pensées, s’appuyant sur sa canne, s’éloignait vers le haut de la ville où il avait peut-être sa maison.

DDS 299 tram

Et puis un grand fracas se fit entendre au bout de la rue. Le monstre de ferraille, le dragon cracheur d’étincelles, négocia son virage et s’élança dans la dernière ligne droite, celle de sa revanche fatale. C’est à ce moment-là qu’elle comprit son erreur. Tout ce qu’elle avait dit était juste mais se trouvait déjà derrière cet homme. Tout s’était précipité, aggloméré, les temps s’étaient mélangés mais il y avait une espèce d’unicité, de présence continue de l’audace, du danger, du drame, de la folie qui s’était transmises du héros à l’homme de la rue, du soldat d’hier à l’architecte d’aujourd’hui. C’était la même ligne, les mêmes lignes.

- Hombre ! Hombre ! appela-telle

Le vieil homme sortit des pensées qu’elle avait fait naître en lui, il se tourna vers celle qui l’appelait et c’est à ce moment-là que le tramway rancunier le percuta de plein fouet.

***

140502 290

Parce qu’elle était le seul témoin de l’accident, on avait accordé à la petite Bohémienne le droit d’accompagner le mourant jusqu’à l’hôpital et pour l’heure, sagement assise sur une chaise à côté du lit, elle dessinait.

Le vieil Antoni agonisait. Il voyait un dragon immense, une sculpture tout aussi baroque et effrayante que certaines des ornementations qu’il avait lui-même inventées comme les guerriers sur le toit de la Pedrera ou le G du Palais Güell. Et le dragon lui parlait, méchamment mais sereinement.

- Tu n’as jamais voulu que je monte jusqu’à ton parc à la con, avec ses maisons pour aristocrates, ses colonnades penchées et ses décorations de trencadis. J’aurais pourtant été ravi de la voir, moi, la maison d’Hansel et Gretel ! J’adore les légendes. J’ai beau être une machine, j’ai une âme, je carbure à la poésie autant qu’à l’électricité. Moi aussi j’aurais désiré quitter les rails du quotidien, de la réalité et de la fonctionnalité. J’aurais voulu être ce chemin de fer qui emmène les enfants sur la colline du Carmel en sortant de l’école. Désolé, Gaudi, tout a une fin et je suis bien content de ne pas t’avoir raté. Je n’avais que le crime comme moyen de communication avec toi. Pour dialoguer avec un type comme toi qui a toujours la tête dans les étoiles, ce n’était pas facile. Par certains côtés, tu me rappelles Saint-Georges, le patron de la Catalogne qu’un de mes ancêtres a bien connu.

140501 040

On a mis du temps avant d’identifier Antoni Gaudi. Il se promenait sans papiers, ressemblait à un traîne-misère alors que dans sa jeunesse il avait été un dandy. Et c’est vrai que ça ressemblait à une plaisanterie du destin. Il avait refusé que les tramways puissent accéder au parc Güell et c’est justement une de ces machines infernales qui avait causé sa mort.


La Petite gitane a vécu fort vieille. Elle a toujours gardé chez elle le dessin qu’elle avait tracé, à la va-vite, pendant qu’elle le veillait, des lignes de la main de Gaudi, l’architecte fou des Catalans, le génial concepteur de la Sagrada familia, du parc Güell et de la casa Batlo. Elle a même fini par faire encadrer ce croquis d’un moment de confusion mentale qui a lancé sa carrière de diseuse de bonne aventure. A sa mort, elle en a fait don à la maison-musée de Gaudi où il est exposé.

Aujourd’hui où l’on parle de faire passer d’autres dragons sous la plus folle des cathédrales, à savoir une ligne de TGV souterraine en plein centre de Barcelone, celui qui regarde la paume de la main de Gaudi n’en revient toujours pas. Toutes ces lignes emmêlées représentent le réseau actuel du métro de Barcelone !

DDS 299 Main de GaudiDDS 299 plan du métro de Barcelone

 

Ecrit pour le Défi du samedi n° 299 à partir de cette consigne

17 mai 2014

NE ME PARLEZ PAS DE CE TRIANGLE : JE SUIS IMMORTEL !

Tout doit disparaître aux Bermudes !

Chopin qui nous pondait nocturnes et préludes,
Don Quichotte et Sancho, leur dissimilitude,
Venise qui moisit dans sa décrépitude,
L’Olympia de Manet, océan de quiétude,
Et Claud’ François qui chante un peu comm’ d’habitude
D’étranges platitudes et va la trouver rude,
La not' bien ampoulée du vol en altitude :
En électricité ? Zéro ! Inaptitude !

Tout doit disparaître aux Bermudes !

De l’horloge parlante, havre d’exactitude
Aux marées d’équinoxe éprises d’amplitude,
Du fumeur opiomane enivré d’hébétude
Au voleur des cités émule de Latude,
De la néologiste en pleine bravitude
Jusqu’au coureur de fond pétri de solitude
Chacun doit le savoir : sous cette latitude
Rien ne subsiste et c’est la seule certitude :

Tout doit disparaître aux Bermudes !

Le procureur peut bien vanter sa rectitude,
L’avocat réclamer de la mansuétude,
L’accusé adopter la plus humble attitude,
Les jurés avouer leur grande incertitude :
Charlot Tanguy a-t-il occis Dame Gertrude ?
L’acquitté dira-t-il son peu de gratitude ?
Si le procès émeut un temps la multitude
On oubliera bientôt toutes ces turpitudes :

Tout doit disparaître aux Bermudes !

MIC 2014 05 12 procureur


Je puis envisager avec béatitude

D’ouvrir un parapluie en guise d’interlude
Et de lire, abrité, de savantes études
Sur la philosophie et ses vicissitudes ;
La mer viendra troubler ma douce plénitude.
Marée ou Tsunami, c’est avec promptitude
Qu’elle s’en vient noyer mon peu de certitudes
Sur la façon d’atteindre enfin la zénitude :

Tout doit disparaître aux Bermudes !

Nature, peu encline à la sollicitude,
Et la fuite des ans, dans leur similitude,
Nous condamnent toujours à cette servitude
Qu’il faut, du lendemain, avoir quelque inquiétude
Mais j’ai, pour le déni, une énorme aptitude
Et ne me résous pas à cette ingratitude.
Que tout doive périr en mer près des Bermudes
C’est inexactitude et pour moi, je l’élude

En n’allant pas traîner sous cette longitude.

Pour m’envoyer en l’air je me la joue très prude :

Je n’ prends jamais l’avion
Et bannis le triangle, amoureux ou bien non,
De ma conversation !

Ecrit pour le Défi du samedi n° 298 d'après cette consigne (à laquelle j'ai rajouté un peu celle de Un mot une image une citation (Cf le texte ci-dessous) et celle de l'atelier d'écriture de Villejean qui incitait à placer dans un texte des rimes en "ude")

11 mai 2014

99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 25, ARRÊT DE JUSTICE

DDS 297 Saint-Louis 3

Cour de Cassation
Chambre civile 2
Audience publique du 24 octobre 1257
N° de pourvoi : 57-11359
Publié au bulletin.

Président : Sa Majesté Louis IX, roi de France ; Rapporteur : M. Grand-Saint-Eloi ; Avocat(s) : M. Marron, la SCP Rina, Bühler et Tarinetta-Bella (arrêt 1), la SCP Sarcozoute Van Ty (arrêt 2) ; Avocat général : M. Castagnetas.

Titrages et résumés : ACCIDENT DE LA CIRCULATION - Indemnisation - Exclusion - Victime autre que le cavalier - Faute inexcusable.

Définition : Seule est inexcusable, au sens de l'article 4 de la loi n° 45-677 du 5 juillet 1245, la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience. Par suite viole le texte susvisé l'arrêt qui déduit l'existence d'une faute inexcusable des énonciations selon lesquelles, après avoir marqué un temps d'arrêt au signal "dragon prioritaire" et circulé ensuite sur une voie d’auto-défense, le chevalier Saint-Georges s'est engagé sur la voie réservée aux véhicules de livraison de moutons alors que survenait sur cette voie un dragon princessophage riverain et qu'il a ainsi manqué à l'une des obligations édictées par l'article R. 27 du Code de la route en caillasse en ne cédant pas le passage au dragon pourtant autochtone (arrêt 1). Viole également le texte susvisé l'arrêt qui déduit l'existence d'une faute inexcusable des énonciations selon

DDS 297 1000 bornes

lesquelles le chevalier Saint-Georges s'est engagé dans un combat sanguinaire sans respecter les obligations que lui imposait la présence d'un panneau "port d’armes prohibé" et que l'obligation de marquer l'histoire et de ne s'engager qu'après s'être assuré qu'il pouvait le faire sans danger, s'imposait d'autant plus à lui que, le parking du restaurant étant situé hors agglomération, les dragons peuvent jouer la carte «véhicule prioritaire» à une vitesse relativement élevée (arrêt 2) sans que le chevalier Saint-Georges ne dispose de la carte «camion-citerne», même pas dans sa manche, pour éteindre le feu craché par icelui.

ROYAUME DE FRANCE
AU NOM DE SA MAJESTE LOUIS IX

Sur le moyen unique :

Vu l'article 4 de la loi n° 45-677 du 5 juillet 1245 ;

Attendu que seule est inexcusable au sens de ce texte la faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience ;

Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, que, dans une altercation, une collision-contusion se produisit entre M. Saint-Georges à cheval et le dragon géniteur de MM. Eliott, Ballzède et Coutainville, ici-plaignants, que celui-ci fut blessé, que ses descendants ont réclamé à M. Saint-Georges la réparation du préjudice subi ; que M. Saint-Georges, reconnu vainqueur, reprit la route avec indifférence ;

Attendu que pour exclure l'indemnisation des dommages subis du fait du chevalier Saint-Georges en retenant une faute inexcusable de la victime, l'arrêt se borne à énoncer que M. Saint-Georges s'est engagé dans le carrefour sans respecter les obligations que lui imposait la présence d'un panneau "Attention dragon" et que l'obligation de marquer l'histoire et de n’engager un combat qu'après s'être assuré qu'il pouvait le faire sans danger s'imposait d'autant plus à lui que, le carrefour étant situé hors agglomération, les vésicules empruntant la voie hépato-biliaire pouvaient s’enflammer à une vitesse relativement élevée ;

Qu'en déduisant de ces énonciations l'existence d'une faute inexcusable à la charge de M. Saint-Georges, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu le 22 mai 301, entre les parties, par la cour d'appel de Silène (Lybie) ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Vincennes pour un règlement du litige autour d’un échiquier avec obligation pour M. Dragon de jouer les coups suivants avec les noirs : 1.e4 c5 2.Cf3 d6 3.d4 cxd4 4.Cxd4 Cf6 5.Cc3 g6.

DDS 297 140501 068

(Photo prise à Barcelone le 1er mai 2014)

- Je ne comprends rien ! dit le roi. Si les faits remontent à 301, comment les plaignants peuvent-ils être encore vivants en 1257 ? Et surtout, n’y a-t-il pas prescription, avocat général Castagnetas ?

- Si fait, Votre Majesté. Si fait ! Excusez-nous, mais depuis que nous rendons la justice sous un chêne, des feuilles tombent parmi nos parchemins, surtout en automne, et celle-ci s’est trouvée mêlée à nos dossiers en cours.

- Vous pourriez faire le tri, quand même !

- Cela ne se reproduira plus, Majesté, nous vous le promettons. Passons à l’affaire suivante, voulez-vous ?

Tandis que l’avocat général entame la lecture d’un autre parchemin, le roi Saint-Louis se tourne alors vers son voisin et lui confie :

- On n’est vraiment pas aidés, Grand-Saint-Eloi ! Parfois j’ai l’impression d’être à la tête d’un royaume habité par des glands !

DDS 297 Saint-Louis et les glands

 Ecrit pour le Défi du samedi n° 297 à partir de cette consigne.

26 avril 2014

MES DEBUTS DANS L'EXISTENCE (LIPOGRAMME EN C CEDILLE)

Cette Vénus, là, dans la vitrine, ce n’est pas une vanité. Mais c’est aussi violent. Pour un peu, à sa vue, Violette vacillerait. La vache ! A quelle vitesse la vie va ! Quel voyage spatio-temporel en vérité !

Car c’est bien elle qui est représentée, pratiquement nue, de dos, en train de regarder via le miroir sans tain ce qui se passe dans la chambre d’à côté. C’est elle, dans un bordel de la rue Chabanais, à l’époque où, toute jeune encore, elle vivait de ses charmes. Ce client-là, elle s’en souvient, était un drôle d’excentrique. Un rapin, comme on disait alors, un peintre à veste en velours verte, chapeau rond et lavallière. Il avait monnayé avec la sous-maîtresse, au tarif de plusieurs passes, le droit de remplacer la partie de jambes en l’air par deux ou trois séances de pose dans ce décor particulier. Un comportement peu académique en vérité, mais quand il paie, le client est roi. En même temps, bon camarade, peu exigeant, même pas émoustillé, tout appliqué à donner des coups de pinceau pour peindre une femme à poil par-dessus la vieille croûte.

 

AEV 2014 04 22 Doisneau regard oblique II

 

Car à l’issue de la première séance Violette avait demandé à voir la tournure que prenait le chef-d’œuvre. L’homme avait souri et lui avait dit de s’approcher. Elle avait surtout regardé son fessier, qu’elle n’imaginait pas aussi charnu et elle avait noté que le peintre à lavallière n’avait pas posé une toile vierge sur son châssis pour peindre le sien mais qu’il peignait par-dessus une autre toile.

Aujourd’hui, elle ne se souvient plus de ce que représentait le tableau original. Tant de temps avait passé, elle avait vampé tant de voyous et de voyeurs avant de décrocher et de se ranger des voitures une fois qu’elle eut rencontré Victor. Hélas, ce militaire va-t-en-guerre, rencontré au lendemain de la première guerre mondiale, n’était pas revenu vivant de la seconde. A la fin de cette grande vadrouille, Violette était devenue pour tout le quartier « la veuve du colonel ».

Fort heureusement pour elle il avait du bien, n’avait pas beaucoup de famille et ils avaient validé leur union en passant devant monsieur le maire. Elle avait donc hérité de son grand appartement et de toutes ses valeurs.

Elle resta bien cinq longues minutes à visionner encore le nu aux bas bleus, à repenser au peintre à veste verte, à ouvrir des mirettes vertigineusement admiratives devant cette « Chute des reins près du rocher de la Lorelei, anonyme, 1919 » puis elle sortit de sa torpeur et entra dans la boutique, faisant retentir un carillon assourdissant. Il y avait là un client avec une casquette et un appareil photographique, un petit gars à tête de titi parisien, visiblement gêné de la voir surgir, comme pris en faute. Le vendeur délaissa le jeune homme et s’approcha d’elle.

- Que puis-je pour votre service, madame ?
- Le tableau, là, dans la vitrine… Vous le vendez combien ?
- Trois cent cinquante mille francs.
- Je le prends. Vous trouverez mes coordonnées sur cette carte.

Elle lui tendit une carte de visite sur laquelle on pouvait lire « Mme la colonelle Violette Lavictoire, 6, rue Vavin, Paris 6e arrt ». De son sac à main, elle sortit la somme en liquide et régla l’antiquaire.

- Vous me le ferez livrer cet après-midi par ce charmant monsieur qui doit être votre coursier, j’imagine !"

Elle examina le jeune gars de pied en cap et lui dit :

- Il va falloir vous remplumer, mon moineau ! La guerre est finie et j’aime les jeunes gens bien en chair !"

Elle prit congé là-dessus. Le carillon rejoua son « Concerto en raie des fesses majeure pour quelque chose qui cloche, une porte et un soupir».
Le soupir de soulagement, ce fut le photographe cachottier du « Regard oblique » qui l’interpréta. Ce n’était autre que Robert Doisneau.

 

AEV 2014 04 22 FIN

 

Oui, l’histoire s’arrête là.

Oui, je devine que cela vous dérange.

Oui, je me doute bien que cela vous démange.

Oui, je sens bien que vous voudriez savoir ce que la colonelle a fait ou aurait pu faire de ce tableau.

 

Elle aurait pu, précédant en cela Jacques Lacan, installer son portrait derrière un rideau noir pour se réjouir de sa contemplation dans ces moments de solitude où l’on a besoin de s’adonner au narcissisme et où l’on a plaisir à se dire  : « Je possède « L’origine de monde » de Courbet » ou « C’est moi qui ai eu le plus beau derrière de Paris ! ».

Elle aurait pu aussi y mettre le feu pour que personne n’apprenne jamais, parmi ses amies du directoire de l’Institution des demoiselles de la Légion d’honneur, les circonstances dans lesquelles elle avait connu feu le colonel qui aimait à se faire fouetter par une femme à bas bleus comme était sa maman.

Elle aurait pu faire appel à un détective privé, lui expliquer que « là-dessous, voyez-vous, il y a une autre toile et j’aimerais bien que vous me disiez si, en 1918, il n’y a pas eu un vol de tableau important, une toile de grand maître qu’on aurait dérobée et jamais retrouvée depuis. Et si vous pouvez faire expertiser la toile par un expert du Louvre… ».

Oui, certes elle aurait pu faire cela. Et l’expert aurait découvert…

…tout comme moi…

… qu’il est 19 h 59, que la séance d’atelier d’écriture de Villejean est terminée et que je dois poser mon stylo pour lire mon texte puis écouter ravi la lecture de ceux des autres ! Et ces autres, dites-vous bien que je ne veux pas savoir comment elles ont débuté dans la vie ! Si je l’apprenais, comme tout ce texte est un lipogramme en « c cédille », je crois que je serais décu !

Ecrit à l'Atelier d'écriture de Villejean pour le Défi du samedi n° 295 d'après cette consigne : "Excentrique".
La consigne de l'Atelier d'écriture de Villejean était d'écrire par un monologue ou un dialogue à partir de la photo et  de n'inclure que des substantifs commençant par V dans le premier paragraphe

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