D'YEU QUE LE GUIDE EST BON S'IL EST FERU D'HISTOIRE (S) ! (2)
- Eh oui ! Ca s’est passé en 1959. Le père Raballand était un vieux gendarme de l’île, alors en retraite et quelque peu décati à cause d’excès de table et de boisson. Outre cela, il se piquait d’histoire locale, de cuisine traditionnelle et de littérature de gare. En cheville avec la bibliothécaire de Saint-Sauveur, mademoiselle Georgette, mais quand je dis en cheville je devrais monter un peu plus haut parce que depuis longtemps déjà ils avaient pris le chemin des amoureux, ensemble donc ils avaient organisé un concours d’écriture littéraire. Quelque jour après avoir rendu leur verdict et décerné les prix du millésime 59 on a retrouvé le corps du père Raballand étendu inanimé sur la plage des Ovaires. Quand je dis inanimé, je devrais dire complètement mort en fait, vu qu’il avait le crâne défoncé, fendu, réduit en bouillie et la bouche pleine de sable car il était tombé sur le ventre. L’arme du crime avait été abandonnée à côté. Il s’agissait d’une hache à deux tranchants mais elle ne portait aucune empreinte digitale. Comme il n’y a de gendarmerie qu’en été sur l’île et qu’on était hors saison, on a fait venir un inspecteur du continent. C’était un drôle de fusil enfin quand je dis un drôle de fusil je devrais plutôt le décrire comme une vraie flèche ! Déjà, il s’appelait Kerpoiraud. Ici on l’a baptisé « Feu de recul » !
- Feu de recul ? Kerpoiraud ?
- Ben oui ! A cause d’Agatha, cristi ! Feu de recul Kerpoiraud ! A le voir tourner dans l’île avec son plan des rues récupéré à l’office de tourisme on a vite deviné qu’il mettrait du temps à trouver la clé de l’énigme voire qu’il ne la trouverait jamais ! Il s’était installé à l’hôtel de l’Escale, chez le Gégé Feudedieu. C’est sa fille Julie qui tient la maison aujourd’hui.
- C’est là que nous sommes logées aussi. C’est très bien !
- Il faut dire qu’au lieu d’aller relever les indices sur la plage du crime ou d’aller farfouiller dans le cabanon du gendarme retraité, il s’était mis à sillonner les rues de Port-Joinville selon un circuit bien particulier et à photographier les volets de couleurs, les vélos, les voitures et les plaques de rues ! Ce n’était pas un inspecteur, c’était un touriste !
Ca amusait beaucoup les gamins de l’île, alors en vacances de Pâques, qui lui avaient emboîté le pas. Ils n’avaient jamais vu Maigret autrement qu’au cinéma sous les traits de Jean Gabin et, pour une fois depuis bien longtemps, il se passait quelque chose dans notre île. D’après eux, l’inspecteur monologuait à voix haute tout le long du chemin. Ca donnait quelque chose comme ça :
« S’il s’agit d’un couple d’assassins, mettons un homme et une femme, ils ont pu venir, lui de la rue des Homardiers, elle de la rue de la Belle poule et se donner rendez-vous rue du Rendez-vous. Tout naturellement, ils ont pris la rue de la Lutine puis la rue du Paradis et la rue des Mariés. Je crois qu’ils ne sont pas du genre à entrer dans l’impasse des Bébés gris. Ils ont plutôt pris le chemin du Grand pas et passé un peu plus de temps dans la rue du Doux zéphyr, rue de la Missionnaire et rue de la Belle maison. Et puis à force de fréquenter l’Escadrille et le Café du centre, ils auraient pu aller rue des Petites côtes (du Rhône !), chemin de la Détourne et rue Gate-bourse. Rien que du classique jusque-là ! La question devient alors : « Est-ce que la rue du Secret mène au phare des Corbeaux ou est-ce que c’est l’inverse ? Vous comprenez, les enfants, il y avait deux endroits logiques pour se débarrasser du corps. L’anse de la Tuée mais c’est un homme qui est mort ou la plage de la Pipe pour qu’elle y paraisse cassée plus naturellement. Il y avait bien aussi le chemin des Poupounes mais la plage des Ovaires, franchement ! Ca ressemble à quoi ? ».