Quelle que soit la longueur du serpent, il a toujours une queue. Il a même parfois aussi des sonnettes mais ce n’est pas la peine d’aller les lui tirer, de s’adresser à lui pour résoudre notre problème du jour. Nous nous demandons en effet à qui appartiennent les prénoms qui identifient les salles à la Maison de quartier de Villejean !
- Bonjour ! Je voudrais la clé de la salle Rosalie pour la danse country !
- Bonsoir, elle a bien lieu en salle Gaston la réunion du Conseil d’administration de « Rencontre et Culture » ?
Le serpent des origines le sait-il ? Qui étaient ces huit personnages ? Fiacre, Mandoline, Auguste, Rosalie, Marius, Gaston, Achille et Narcisse ! Les premiers administrateurs de l’association «Rencontre et Culture» qui gère la maison ?
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Le plus rigolo de la bande était Fiacre de Villejean. Il allait toujours trottinant, cahin-caha, Hue dia, Hop-là, et il avait un indéniable franc-parler. Ce n’était pas pour rien qu’il était délégué syndical à l’usine Citroën de la Janais. Il avait des saillies exceptionnelles.
- Si ta parole n’est pas plus belle que le silence, ferme-la !
Avec ça, féru de poésie… mais seulement de celle d’Aragon, Eluard et Maïakovski. Il connaissait aussi toutes les chansons de Jean Ferrat et Leny Escudero. Avoir sa carte au Parti communiste en 1975 c’était aller à la rencontre d’une certaine culture.
- Tu peux être-là pour la braderie de Villejean, Fiacre, afin de vérifier les emplacements ?
- Non, désolé, camarades, ce dimanche-là je suis à la Fête de l’Huma !
La fête du journal L’Humanité à la Courneuve, c’était sacré pour lui. Fiacre aurait pu assister là-bas aux concerts de Jacques Higelin, de Malicorne, de Bernard Lavilliers mais il s’en fichait. Il aurait pu y écouter Leonard Cohen, Pink Floyd ou les Who.
- Les Qui ? Moi j’y vais pour le discours de Georges Marchais et pour boire des coups avec les copains !
Au royaume des sourds, les borgnes ne la ramènent pas. Il n’y avait qu’une ligne, celle du parti. Et des chemins de traverse pour la rigolade : on soupçonnait fort Fiacre et ses copains de la cellule Maurice Thorez d’être montés sur le toit de la fac de lettres de Villejean pour aller peindre sur le haut de la façade du hall B ce slogan resté longtemps visible : «Vive la dictariat du prolétature !»
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Mandoline, c’était le camp d’en face ou presque. Elle ne jurait que par le curé de Saint-Luc, par les œuvres de la paroisse, la kermesse, le Secours catholique où elle faisait du bénévolat.
- Ah oui, la clique à encycliques de Paul VI qui mérite des claques ! plaisantait gentiment Fiacre.
Il la chinait toujours mais ils s’entendaient comme larrons en foire. Elle avait beau jeu de lui rabattre son caquet en lui rappelant qu’il avait lui-même été enfant de chœur autrefois !
- Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes ! maugréait-il en mode Gino Cervi-Peppone face à Fernandel-Don Camillo.
Toujours active, positive, constructive, la Mandoline. Elle quand elle n’était pas à la braderie, c’est qu’elle avait un week-end de « La Vie nouvelle ». On la voyait souvent dans le hall de la maison prendre le café avec ses copines ou alors, toute seule, assise tranquillement en train de lire Témoignage chrétien sur une banquette à côté de la table marocaine. Celle-ci est toujours là encore aujourd’hui.
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Gaston n’en pouvait plus, de Nino Ferrer et de son «téléfon qui son». Gaston était bougon. Gaston sortait de ses gonds. Gaston pétait les plombs. Mais Gaston était toujours là à la braderie. C’était son jour de gloire à lui, celui où, chaque année, il tentait de battre le record de vente de galettes-saucisses détenu par Narcisse. Pas de bol pour lui, on était en 1976, l’année de la sécheresse et il faisait encore, en ce début de septembre, une chaleur à crever.
- Vends des bières, Vendémiaire ! lui avait balancé Fiacre au Conseil d’administration de rentrée.
- Ton humour à la con, ça me tarabuste l’omoplate du côté des trapèzes ! avait répondu Gaston qui était décidément très bougon.
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Que sont-elles devenues, ces huit personnes ? Je n’ai trouvé trace que de ces trois-là, étant pris moi-même ces temps-ci par un maelström d’activités plus ou moins folles. Je ne suis pas historien de profession, juste journaliste occasionnel et il n’y a pas d’archives consultables en ligne sur ces histoires locales. Tous ces instants de vie des années 1970, il n’a que Marius Aznavourian, le premier président de l’ARC qui aurait pu nous en livrer les secrets mais il vient de décéder hier.
Et du coup, je crois que j’ai trouvé la réponse à la devinette posée par Pépito Matéo dans son livre «Contes à régler» : «Tant qu’on le porte, c’est celui d’un autre mais si c’est à nous, c’est qu’on n’est plus là».
Vous avez trouvé la solution ? Non ? Retournez le journal ou faites le poirier devant l'ordinateur pour découvrir la mienne !
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 2 octobre 2018
d'après la consigne ci-dessous.