99 DRAGONS : EXERCICES DE STYLE. 75, Belgicismes
- Le Lumeçon ? Tu veux aller au Lumeçon de Mons qui a lieu pendant le Doudou ? Quelle langue tu causes, là ? C’est quoi, encore, ce mystère que tu nous fais ?
- Justement, c’est un mystère ! La reconstitution du combat de Saint-Georges contre le dragon ! Le dragon s’est accaparé des moutons des paysans...
- Il est très amusette, très amitieux, il veut juste leur faire une baise sur les joues, alléï !
- Non, non, il les grille au chalumeau, les met dans son assiette profonde et les avale en buvant une gueuze Lambic à fond pour éviter d’astruquer ! Tu penses bien que l’éleveur qui s’est fait ainsi arranger, ne reste pas les deux pieds dans ses babys. Il s’en va faire le beideleir chez le baas, le bourgmestre.
- Quel pitch ! Il va déranger le roi pour juste une petite bisbrouille, un simple conflit de voisinage, une brette ? Il va entrer avec ses chaussures pleines de berdouille dans un château où c’qu’y a tout qui blinque ?
- Qu’est-ce que tu viens encore braire, Mathurin ? dit le roi au nuton pelant. Quelles carabistouilles vas-tu nous raconter, espèce de breyoû ?
- Y’a du brol, majesté ! Va falloir lui dire « Coucouche panier ! » à la bibiche qui vient jouer les crapuleux de ma strotje dans votre petit royaume ! Quel goulaf ! Vu son appétit énorme, vos croustillons et votre bloedpens sont menacés par ce dzoum-dzoum qui bâfre !
- C’est bon, retourne affronter la drache, je vais sonner le sauve qui pleut général et rassembler les échevins, on va régler ça vite-fait.
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Ce qui m’épastrouille dans cette version-là, c’est qu’il se trouve tout un tas de baraquîs, de castards et de dikkeneks pour faire le chipot, aller direct au casse-pipe, mouiller la chemisette (leur marcel !) et chauffer l’encombreur qu’on a déjà surnommé la bête bise de Combray.
Ils sont meilleurs qu’ailleurs les estaminets, les bars à schnick et les caberdouches de Mons ? Les guindailles sont spéciales, par là-bas ?
Toujours est-il qu’ils sont tous partant pour aller filer des calottes à Elliott, le faire tourner en rond et en bourrique comme sur un carrousel, lui faire avaler sa chique Hollywood ! Pas un seul clopard dans la bande, pas un seul qui ait la chite au moment d’en découdre avec le gros fumeur ! Aucun labbekak dans la troupe ! Ils ont mis quoi dans la flamiche pour que ça gaze autant ?
Les voilà tous sur la grand place, excités comme au jeu de balle ! Ah, la kermesse ! Ça vous donnerait la kikkebiche, pour un peu !
Toute la population autour a délaissé son kot, même les ménagères ont posé leur loque et tordu leur wassingue pour venir voir la margaille.
C’est vrai qu’il est spittant le Saint-Georges, même si son cheval est noir ! Il ne s’est pas habillé chez un marchand de loques ! Casaque jaune bordée de rouge, chemise bleue, gants blancs, maronne de cavalier blanche et bottes noires, il porte un casque de cuirassier belge de 1845 (en 303 ?) : cimier cuivré, plumet rouge et queue de cheval à la nuque.
Autour de lui il y a douze Chinchins avec des fouffes de tissu écossais et des chapeaux noirs et si on ne voit pas leur kilt avec rien en-dessous c’est qu’ils sont engoncés dans des chevaux-jupons couverts de peau de vache et qui symbolisent des chiens-chiens (qui sont peut-être des chiennes-chiennes).
L’ange gardien de Saint-Georges, le treizième homme, est appelé Chinchin protecteur. Il est un peu comme le sélectionneur de l’équipe qui s’occupe des lances et des relances. Le D.J. des champs de bataille !
En face il y a onze diables qui brandissent des vessies de porc en faisant croire au public qu’il s’agit de lanternes mais les Belges ne sont pas aussi sot-l’y laisse qu’on le croit et rétorquent du tac au tac « Et mon cul, c’est du poulet ? ».
A côté de ça il y a onze hommes blancs qui manipulent le dragon, huit hommes de feuilles qui soutiennent sa queue dont tout le monde dans le public veut arracher le crin ( ??? Même dans le Kâma-sûtra, on ne lit pas de phrases aussi affriolantes que celle-ci !).
Depuis 2001 il y a deux sorcières rousses, Cybèle et Poliade, qui ne font pas partie de la diégèse (ce n’est pas un belgicisme, c’est juste un mot savant qui signifie qu’elles n’ont rien à fiche dans l’histoire, qu’elles n’étaient pas dans le storyboard original) et c’est ce qui me fait dire qu’ils sont fous, ces Belges, mais que je ne les remercierai jamais assez de m’offrir d’aussi belles poilades.
Il y a donc du monde, 46 personnes, sur le terrain et l’arbitre ne siffle aucun penalty, ne sort aucun carton, ni jaune ni rouge, n’arrête pas le match qui, dans ces conditions extrêmes, va durer non pas nonante mais trente minutes ! Même qu’à la fin, fait pratiquement inédit dans les annales du sport, le héros sort de sa huche à pain un pistolet du modèle « Verlaine à Bruxelles en 1873 » et assassine son adversaire qui pète voï et s’en va passer quatre saison en Enfer !
Ben oui, il reviendra l’année prochaine. Le mystère n’en est pas un, c’est du cinéma, ou plutôt du théâtre qu’on suit ici avec passion. Ça existe depuis 1248, ça se passe tous les ans à la Trinité sauf quand ce zot de Malbrough et cette folle de Covid reviennent nous faire jouer à carnaval !
La Ducasse de Mons, le Doudou, est même inscrite au patrimoine oral et immatériel de l’humanité. C’est dire si, en vous le présentant ici de manière aussi peu sérieuse que possible, j’ai encore accompli un grand pas dans l’iconoclastie chère au capitaine Haddock !
Mais je suis sûr que les admiratrices et admirateurs de monnonc' Archibald me pardonneront la chose !
P.S. Je ne suis absolument pas certain d'avoir fait un emploi correct des belgicismes.
Je les ai relevés ici où, semble-t-il, ils ont déjà fait l'objet de contestations.
Ecrit pour le Défi du samedi n° 745 d'après cette consigne : belgicisme.