DICTIONNAIRE DE LA BONNE HUMEUR : VENTURA (RAY)
Ce chef d’orchestre de variétés a eu une renommée certaine et quelques tubes retentissants dans les années 1930-1940 de notre ère.
On peut se demander par quel effet du hasard des voyous de mon espèce qui ont été nourris, trente ans plus tard, aux sons des Beatles, Rolling Stones, Pink Floyd et de toutes sortes de groupes de rock psychédélique, progressif ou autres ont pu entendre ces vieilleries et développer un goût certain pour ces orchestrations très jazz et ces paroles à l’esprit essentiellement potache.
J’ai souvenir d’un double disque 33 tours prêté par un cousin ; je sais qu’à une certaine époque de ma vie j’ai écouté l’émission « Les Cinglés du music-hall » de Jean-Christophe Averty. Ce monsieur consacrait une heure sur France Inter ou France-Musique le dimanche à parler, avec son zézaiement et son débit si particuliers, de toutes les musiques nées, dans les années 1920 à 1940, du jazz américain. Les microsillons tournaient alors sur des gramophones à la vitesse de 78 tours minutes et Jean-Christophe nous donnait toutes les références numérotées des enregistrements. On découvrait là des perles inimaginables !
Ray Ventura devint célèbre à peu près à la même époque que Charles Trénet. C’était un peu avant que la seconde guerre mondiale ne vienne bousculer le jeu de quilles des fous chantants et des optimistes à tout crin.
Certains des titres de Ray Ventura et son orchestre ont des intitulés dignes d’un devoir de philosophie. Vous avez quatre heures pour répondre aux questions suivantes :
- Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?
- C’est malheureux d’être amoureux mais ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine, non ?
- Après la pluie le beau temps
- Les Chemises de l’archiduchesse sont elles sèches, archi-sèches ?
- Et puis d’abord, qu’est-ce que ça peut vous faire ?
Quelquefois, l’orchestre se met en grève. Pas question de philosopher autrement qu’en riant sur l’état du monde et la catastrophe qui arrive. Parce que voyez-vous, tout va très bien, madame la marquise, même si le château est en flammes et que monsieur le marquis s’est suicidé ! Ca n’empêche pas qu’il y a des jours où toutes les femmes sont jolies et qu’à la mi-août c’est tellement plus romantique.
On frise quelquefois le graveleux. Ainsi dans « Vous permettez que je déballe mes outils ? Oui mais faites vite qu'on lui a dit ! ». Mais c'est aussi, souvent, ce que Victor Hugo appelle "la fiente de l'esprit qui vole", le calembour pusillanime et l’humour franchouillard comme dans la chanson « C'est idiot mais c'est marrant ».
La musique est toujours gaie, les musiciens doués. La seule fausse note pourrait être ce chant « patriotique », « On ira pendre notre linge sur la ligne Siefried », fruit de la drôle de guerre de 40, ou bien l'allusion à Blumenthal et Levy à propos d'un petit bout de queue qu'on mutile mais, juif lui-même et craignant quelque peu pour sa peau, avec raison, Ventura quittera la France et entamera une carrière sud-américaine pendant les années sombres de l’occupation.
Lorsqu'il revient en France, la mode des grands orchestres est passée. Le guitariste du groupe, Henri Salvador entame une carrière en solo qui le mènera à la célébrité grâce à de multiples clowneries et crooneries. Le neveu de Ray Ventura, un nommé Sacha Distel, sera connu lui aussi comme chanteur mais surtout comme playboy séducteur et conducteur de véhicule pas toujours très adroit.
De Ray Ventura j'adore « Les Trois mandarins » une chanson qui s'amuse des traductions à rallonge de certaines langues :
« Nos épouses mandarines
Sont là-bas dans la chambre voisine,
Excepté la femme de Ping-Pong Tsé.
Elle n’a pas pu venir. Elle est indisposée […]
oui tout cela se dit « U » !"
Il y a aussi les paroles de « Le chef d’orchestre n’aime pas la musique » :
« Notre chef n’aime pas la musique, Ta la la
Ni le moderne ni le classique, Ta Ta la la …
Quand il était bébé, on l’en a dégouté
Car on le forçait à faire des games
Do si la sol, pendant des heures
Sans arrêt malgré ses pleurs
Ce fut le commencement du drame »
Je ne suis pas ici pour raconter ma vie mais aujourd'hui-même j'ai fait chanter à un groupe de mes congénères une version rythmée différemment de « Comme tout le monde », chanson on ne peut plus universaliste !
« Sitôt que l'on est malade
Aux mêmes soins on est soumis
Chez soi l'on se barricade
Par crainte des épidémies
On prend des tas de précautions comme tout le monde
Des potions des infusions comme tout le monde
On se gave de Chloroquine comme tout le monde
Finalement on attrape la scarlatine comme tout le monde. »
Ray Ventura, pour résumer, c'est cette philosophie : « La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ! ».
Et tous les bonheurs que l'on glane, « C’est toujours ça de pris ! comme dirait ma grand-mère. C'est de la quincaillerie mais c'est toujours ça de pris !».
Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le mardi 18 octobre 2022
d'après la consigne AEV 2223-06 ci-dessous