15 décembre 2021

SOUS LA PLUIE

210722 Nikon 082 recadrée

Ils me plaisent bien, ces deux-là ; je leur adresse mes vœux muets de bonheur tandis qu’ils tournent dans la rue Dupuis, pressent le pas sous l’averse qui éclate.

Et puis non, tiens ! Je vais aller leur dire tout de go qu’ils ont raison de s’aimer malgré les bonnes sœurs qui vous confisquent « Madame Bovary », malgré les curés qui mettent Emile Zola à l’index et l’index où il ne faut pas, malgré les talibans et les pétainistes.

Alors moi aussi je tourne dans la rue Dupuis et là j’ai la surprise de ma vie ! Je ne suis plus à Paris, je suis au Japon ! Les enseignes pleines d’idéogrammes clignotent, se reflètent dans les flaques. La pluie a constellé mes lunettes de gouttes qui me donnent une perception hamiltonienne du dépaysement soudain. Et malgré cela, le couple de jeunes gens, je l’identifie : c’est Pierre et Manon !

Qu’est-ce qui est arrivé à la rue Dupuis ? Suis-je tombé avec elle dans une faille spatio-temporelle ? Est-ce parce que j’ai mentionné David Hamilton, photographe des années 70 assez flou en son centre et peut-être pédophile sur les bords que je me retrouve entouré de Renault 16, de DS 19 et de Simca 1000 dans un Japon de pacotille ?

Et si Pierre et Manon ont vingt ans, est-ce que j’ai moi aussi retrouvé cet âge-là ? Pierre est né juste un jour avant moi. Un coup d’oeil dans une boutique de miroiterie me le confirme. J’ai sur mon nez mes premières lunettes à monture d’écaille, je suis coiffé avec cette raie à gauche dans les cheveux et cette mèche qui tombe sur l’oeil droit, je porte encore un pull à bandes horizontales et un K-Way vert franc sur un jean en velours. Il manque juste le sous-pull à col roulé mais c’est parce que le pull l’est déjà, à col roulé.

Par contre, dans la tête, je le sens bien, je suis toujours le même vieux crabe qu’en 2021 ! Est-ce que j’ai le droit, du coup, de m’approcher de mes anciens amis et de leur dire ce que je sais de leur avenir ?

Me croiront-ils seulement ? Sous le parapluie, le couple arrêté échange des baisers quasi-clandestins. Si je les préviens de ce qui les attend, je me demande si Pierre et Manon iront sur leur île grecque, s’ils y vivront un jour d’amour et d’eau fraîche et puis, à force d’y retourner tous les ans, d’autres jours de reproches et d’engueulades jusqu’à leur rupture définitve avec des mots cruels et aucun retour en arrière possible pour eux.

Ils ont repris leur marche à pas rapides. La fatigue commence à alourdir les miens. Je m’élance derrière eux, les rejoins, dégoulinant de pluie. Je tape sur l’épaule de Pierre.

Ce n’est pas Pierre, ce n’est pas Manon. Ce sont deux Japonais ! Je m’excuse en agitant stupidement les mains et en répétant plusieurs fois « Sorry ! Sorry ! ».Visiblement ils ne comprennent rien à la situation puis ils sourient et vont s’abriter sous le dais trempé d’un hôtel de luxe.

Que faire ? Que faire d’autre pour ne pas avoir l’air d’un con « lost in translation » sans aucune Scarlett qui me réconforte d’une présence et me nourrisse d’espoirs inavouables ?

Oui, c’est ça, disparaître, poursuivre mon chemin et tourner à droite pour me trouver hors de leur vue. Et la première à droite, justement, c’est encore autre chose.

La jeune femme qui marche dans la rue Saint-Martin avec les gestes encore gauches de l’adolescence possède de grands yeux naïfs, prompts à s’émerveiller. Elle aussi, je la connais. C’est la marquise de B***, elle a trente ans, le teint frais, le nez court, les yeux noirs. Elle préfère l’été à l’automne et les remords aux regrets.

210722 Nikon 049 recadréeIl n’y a plus d’enseignes japonaises ici mais des maisons à colombage, une atmosphère de ville de province. Au bout de la rue on aperçoit la mer. En bordure de plage une oriflamme arbore au vent les deux lions jaunes sur fond rouge qui symbolisent la Normandie. Trouville ! C’est parfait, ça va me rafraîchir ou plutôt me sécher. Déjà il ne pleut plus et la rue Dupuis n’est plus qu’un lointain souvenir. Je rejoins ma jeune épouse. Nous sommes mariés depuis une semaine. Tout va très bien avec Madame la marquise ! La voilà, mon île grecque à moi !

Si je veux perpétuer cet état de bonheur, je sais ce qui me reste à faire : oublier l’avenir et ne plus jamais tourner dans une rue à droite !

 

Pondu à l'Atelier d'écriture de Villejean le 14 décembre 2021
d'après la consigne 2122-13 ci-dessous

Posté par Joe Krapov à 17:08 - - Commentaires [4] - Permalien [#]
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CONSIGNE D'ÉCRITURE 2122-13 DU 14 DÉCEMBRE 2021 A L'ATELIER DE VILLEJEAN

Petit éloge des vacances

 

2122-13 Consigne - Petit éloge des vacances

C'est le titre d'un court recueil de nouvelles sur le thème des vacances. Il est dû à la plume de Frédéric Martinez.

L'animateur à relevé le titre, la première phrase et la dernière phrase de neuf d'entre elles.

A vous de jouer avec ces éléments.

Facultatif : vous pouvez (ré)utiliser les illustrations de la consigne précédente "Scrabble à Cléder" si elles vous inspirent. 

 

Titre

Première phrase

Dernière phrase

Passantes

— Où partez-vous ?

Rien ne sert de partir quand on ne sait plus voir.

Nostalgie du mardi soir

La jeune femme qui marche dans la rue Saint-Martin avec les gestes encore gauches de l’adolescence possède de grands yeux naïfs, prompts à s’émerveiller.

La parenthèse heureuse s’ouvrait dans la voiture où m’attendait mon grand-père et tandis que défilaient derrière les vitres de la Simca les immeubles et les maisons de la banlieue sud, je m’apprêtais à boire jusqu’à la dernière goutte ce concentré de vacances.

Une évasion

Une évasion désigne une fuite hors d’un endroit déterminé, le fait de s’échapper d’une prison pour un détenu.

C’est plus facile que ce qu’il pensait ; le voici déjà entre ciel et terre.

Sous les arbres

Aussi loin que je me souvienne, il y a le ciel et les tilleuls.

 

 

Quand tombait la première, lente, silencieuse, c’était pourtant comme une déflagration et je savais, le cœur serré, que les vacances filaient vers leur fin, que nous avions commencé de descendre la pente douce de l’été.

L’été sur toutes les lèvres

 

Je continue ma promenade dans Paris que les grandes vacances n’ont pas encore changé en ville fantôme.

Il faut fuir, s’arracher à la ville, à la torpeur moite qui s’y installe ; mais aucun train, aucun avion ne mène au pays que je voudrais rejoindre…

Vacances antiques

Tandis que Lola achevait son Coca, j’ai pu reprendre des forces.

Trouville, c’est parfait ; ça va me rafraîchir.

Sous la pluie

Ils me plaisent bien, ces deux-là ; je leur adresse mes vœux muets de bonheur tandis qu’ils tournent dans la rue Dupuis, pressent le pas sous l’averse qui éclate.

Un couple y échange des baisers clandestins ; je me demande si Pierre et Manon iront sur leur île grecque, y vivront un jour d’amour et d’eau fraîche.

La folle journée de Mme de B***

 

La marquise de B*** a trente ans, le teint frais, le nez court, les yeux noirs ; elle préfère l’été à l’automne et les remords aux regrets.

 

La voilà, mon île grecque !

D’amour et d’eau fraîche

La fatigue commence à alourdir mes pas.

— Où partez-vous ?

Posté par Joe Krapov à 14:09 - - Commentaires [2] - Permalien [#]
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