10 avril 2020

LE COMMUNIANT

Le premier communiant inconnu

Qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire pour l’obtenir, cette montre !

Ce jour-là, passe encore ! On l’avait habillé en dimanche, chemise blanche, cravate, pochette et jolie veste. Il avait fait comme si c’était le carnaval, qu’on avait décidé de déguiser les enfants en hommes, un peu comme, autrefois, on habillait les mômes en costume de marin. Ca viendrait assez vite, d’ailleurs, qu’on leur fasse endosser le costume de soldat. Il était trop jeune pour ça pendant la guerre de 39-45 mais il aurait pile-poil l’âge pendant « les événements ». Mais on n’en savait rien encore de l’Algérie en ce temps-là dans ce coin-là.

La cravate lui serrait un peu le kiki, les gants blancs étaient un peu trop grands et ce chapelet, franchement, comment le tenir, qu’en faire… Le pire c’était ce brassard énorme dont Cédric Villani dont on ne parle plus beaucoup se serait volontiers servi comme d’une lavallière.

Voilà, le petit chrétien angélique avait été immortalisé par P. Martin, photographe à Carvin (Pas-de-Calais). Il y avait de l’innocence dans le portrait, toute une porte ouverte dans le regard sur un avenir aux normes, bien encadré par les rites de passage, la communion, la première clope, la conscription, le premier bal, les fiançailles, le mariage à l’église, le «Croissez et multipliez», l’épouse, les enfants, le travail, la messe, les enterrements…

La montre mesurerait tous ces temps-là. Il faudrait juste oublier qu’avant de l’obtenir on s’était déguisé en fille, on avait enfilé une robe ! La honte de sa vie !

- On appelle cela une aube, Guillaume ! avait dit l’abbé Mouret comme s’il avait entendu ce que le petit garçon taciturne pensait dans sa caboche de Ch’ti.

***

Oui, je vais l’avoir, la montre. On va tous en avoir une, même les cousins Hervé et Pierre, dont le père est pourtant syndiqué à gauche, mais moi j’ai prévenu papa :

- Ce sera une Rolex ! Ou sinon…
- Sinon quoi, espèce de petit « trop de gueule » ?
- Sinon je vous explique pourquoi je suis toujours le dernier à sortir du catéchisme !
- Eh bien dis-le pourquoi tu arrives toujours en retard !
- Et j’aurai une Rolex ?
- Abats ton jeu et je te dirai si ton coq a les pattes cassées ou pas !
- L’entraîneur, au foot, Monsieur Zola, il nous a dit de faire sanctionner toutes les fautes. Carton jaune, carton rouge, coup franc, penalty.
-  Je ne vois pas le rapport entre le football et l’abbé Mouret ?
- Quand il y a faute, moi je fais comme monsieur Zola, j’accuse !
- Ca veut dire quoi, ça, Guillaume ?

***

Je l’ai eue, ma Rolex !

L’abbé Mouret va être muté à Aix-en-Provence. En attendant il ne me caresse plus les cheveux. J’ai horreur qu’on me décoiffe quand je suis bien peigné.


Pondu le jeudi 9 avril pour l'Atelier d'écriture de Villejean d'après cette consigne


LA MÈRE ET SES TROIS ENFANTS

La mère aux trois enfants dont un qui pleure)

Il n’a pas le sens de l’humour, ce gamin ! Par contre il a du coffre quand il fait ce genre de grosse colère !

Il n’a pas le sens du décor, le père qui prend la photo ! Ce tas de pierres devant ce champ à l’abandon envahi d’herbes folles ! Peut-être qu’elle est jolie la forêt à l’horizon mais elle est loin et les deux poteaux télégraphiques, devant, franchement, c’est trop tout moche !

Il aurait mieux valu montrer la maison en briques neuves, ses volets à l’encadrement blanc. S’approcher plus. Choisir entre les gens et le paysage. D’ailleurs, c’est peut-être ça qu’il éructe, le môme ?

- T’es trop loin ! Elle va être ratée, ta tof ! Quand on photographie des enfants on s’accroupit pour être à leur hauteur !

La mère semble excédée elle aussi. Pourquoi l’a-t-il fait mettre à genoux ? Pourquoi la pose dure-t-elle si longtemps ?

Il n’y a que le grand frère et la grande sœur qui s’amusent de la farce, de la situation ou de la colère du cadet.

- La chance qu’on a ! semblent-ils penser. Grâce à la photo bonus découpable on va pouvoir montrer à quelqu’un d’autre que l’album comme on a passé des bonnes vacances à… en…

A vrai dire, on ne le saura jamais, où et quand ni qui c’était. Rien n’est écrit au dos de la photo. Elle a juste été prise à une époque où on achetait les mêmes fringues aux deux frangins.

Est-ce que c’est cette similitude dans la vêture qui a fait chanter au père « Bzz ! Bzz ! Bzz ! Les abeilles » et provoqué l’ire du blondinet ?

Non, c’est sûrement autre chose !

La mère aux trois enfants dont un qui pleure (détail)

- Je ne suis pas colérique ni coléreux ! T’es qu’un méchant, papa ! Et pis d’aboreuh, je sais même pas qui c’est ou ce que c’est qu’un Jodaltonne !


Pondu le jeudi 9 avril 2020 pour l'Atelier d'écriture de Villejean d'après cette consigne