ON N'A PAS TOUS LES JOURS VINGT ANS
On n’a pas tous les jours vingt ans !
Tu vas au bal ? qu'y m'dit
J' lui dis : Qui ? Y m'dit : Toi
J' lui dis : Moi ? - y m'dit : Oui
J' lui dis : non, je peux pas
C'est trop loin. Y m'dit : Bon.
Et toi, t'y vas ? qu' j'lui dis.
Y m'dit : Qui ? J' lui dis : Toi
Y m'dit : Moi ? J' lui dis : Oui
Y m'dit : Non, j'y vais pas
J'ai un rhume et j'ai froid,
J'ai cent ans et j’ suis bien content.
J’ suis assis sur un banc
Et j’ regarde les contemporains
C'est dire si j’ contemple rien !
J’ file des coups de canne aux passants
Des coups de pompe aux clébards
Qui m'énervent et je me marre !
On peut rien m’ dire, j’ suis trop vieux
Trop fragile, trop précieux
J'ai cent ans ! Qui dit mieux ?
Voilà deux extraits de chansons de Renaud Séchan que l’étincelant accordéoniste Serge Briand n’a pas interprétées à la fête d’anniversaire à laquelle nous avons assisté le 14 mai 2019. Et pourtant il aurait pu, c’eût été de circonstance.
Il en a négligé plein d’autres comme « Votre EHPAD a vingt ans » de Georges Moustaki ou le traditionnel «A Villejean y’a une vieille ouais A Villejean y’a une vieille ouais Qui a plus d’quatre-vingts-ans Rantanplan la vieille Qui a plus d’quatre-vingts-ans Rantanplan». Même "le petit vin blanc qu'on boit sous les tonnelles du côté de Villejean" ne figurait pas à son répertoire !
Pas plus que le grand classique de la plus toute jeune Chantal Goya :
«Voulez-vous danser grand-mère ?
Voulez-vous valser grand-père,
Tout comme au bon vieux temps
Quand vous aviez vingt ans
Sur un air qui vous rappelle
Combien la vie était belle ?»
Sur le coup de seize heures on a cru que les ténors de la politique locale, départementale et même nationale pallieraient cet oubli fâcheux mais au lieu de pousser la chansonnette, le quatuor Dézélus (François André, Véra Briand, Jean-Luc Chenut, Sylvain Le Moal) * n’a fait que parler de son propre bon vieux temps, se contentant de fredonner sans la musique les paroles de « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », de « Je ne sais pourquoi j’allais danser à Villejean au musette », de « La Bohème » et de « Je m’voyais déjà ».
Du coup, une fois les discours terminés, le nombreux public et les résidents frustrés se sont rués sur le grand gâteau d’anniversaire.
Ah oui, c’est vrai, on a oublié de vous le dire : c’est la Maison de retraite Raymond Thomas qui fêtait ses vingt ans d’existence ce jour-là.
On a eu droit pour l’occasion à un pot-pourri de madisons, à une chorégraphie sauvage sur la musique de «Les pouces en avant (tchic et tchac han han)» de Kris Law et même à la fièvre disco du samedi soir grâce au «Saint-Malo» de Strollad et à « Magic in the air » de Magic System interprétés par l’accordéoniste. Le personnel de l'établissement et les danseuses du groupe « la Ritournelle » ont fait virevolter tout le monde. Les cannes et déambulateurs ont valsé et c’est tout juste si on n’a pas cassé les fauteuils roulants comme au temps béni des concerts de Gilbert Bécaud ou Johnny Hallyday à l’Olympia. Dieu merci, la mode féminine d’envoyer sa petite culotte sur la scène pour dire son amour à l’artiste s’est perdue ! Même Madonna ne balance plus la sienne au public !
Félicitations donc à toutes celles et ceux, personnel, encadrement, médecins et bénévoles qui oeuvrent quotidiennement pour que les 80 personnes âgées, non, pardon, les 80 seniors bien conservé.e.s, dont huit centenaires, qui logent ici puissent chanter ad libitum :
« Y'a d'la joie bonjour, bonjour les hirondelles
Y'a d'la joie dans le ciel par-dessus les toits
Y'a d'la joie et du soleil dans les ruelles
Y'a d'la joie partout, y'a d'la joie"
* Nous avons l’air de nous moquer gentiment de nos représentants mais il faut remercier François André d’avoir déposé sur la toile un compte-rendu de ces festivités un peu plus sobre et donc un peu plus sérieux que le nôtre.
Joe Krapov
Ecrit pour Histoires ordinaire/Villejean le 19 mai 2019