LES INVENTEURS FARCEURS. 2, Alphonse Allais (3)
2.3 Alphonse Allais, la peinture et la musique
Bien avant Kasimir Malevitch et son carré blanc sur fond blanc, Alphonse Allais est, sinon l’inventeur, du moins un pratiquant acharné du monochrome en peinture. Il publie en 1897 l’Album primo-avrilesque dont nous donnons lecture. |
C'était en 18 quelque chose... (Ça ne nous rajeunit pas, tout cela.) Amené à Paris par un mien oncle, en récompense d'un troisième accessit d'instruction religieuse brillamment enlevé sur de redoutables concurrents, j'eus l'occasion de voir, avant qu'il ne partît pour l'Amérique, enlevé à coups de dollars, le célèbre tableau à la manière noire, intitulé : COMBAT DE NÈGRES DANS UNE CAVE, PENDANT LA NUIT |
L'impression que je ressentis à la vue de ce passionnant chef d'oeuvre ne saurait relever d'aucune description. Ma destinée m'apparut brusquement en lettres de flammes.
- Et moi aussi je serai peintre! m'écriai-je en français (j'ignorais alors la langue italienne, en laquelle d'ailleurs je n'ai, depuis, fait aucun progrès)
Et quand je disais peintre, je m'entendais : je ne voulais pas parler des peintres à la façon dont on les entend le plus généralement, de ridicules artisans qui ont besoin de mille couleurs différentes pour exprimer leurs pénibles conceptions
Non ! Le peintre en qui je m'idéalisais, c'était celui, génial, à qui suffit pour une toile une couleur : l'artiste, oserais-je dire, monochroïdal. Après vingt ans de travail opiniâtre, d'insondables déboires et de luttes acharnées, je pus enfin exposer une première oeuvre : PREMIÈRE COMMUNION DE JEUNES FILLES CHLOROTIQUES PAR UN TEMPS DE NEIGE |
Une seule exposition m'avait offert son hospitalité, celle des Arts incohérents, organisée par un nommé Jules Lévy, à qui j'ai voué pour cela une reconnaissance quasi durable.
Si j'ajoutais un mot à ces dires, ce serait un mot de trop.
Mon Oeuvre parlera pour moi !
Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques sur les bords de la Mer Rouge |
Des souteneurs, encore dans la force de l’âge et le ventre dans l’herbe boivent de l’absinthe |
Manipulation de l’ocre par des cocus ictériques |
Ronde de pochards dans le brouillard |
Stupeur de jeunes recrues apercevant ton azur pour la première fois, ô Méditerranée ! |
Alphonse Allais est aussi l’auteur d’une partition musicale très originale, publiée elle aussi dans ce recueil primo-avrilesque. Il s’agit d’une "Marche funèbre composée pour les funérailles d’un grand homme sourd". "Partant du principe que les grandes douleurs sont muettes, les exécutants devront simplement compter les mesures au lieu de se livrer à ce tapage indécent qui retire tout caractère auguste aux obsèques."
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