PAPY FAIT SON INTÉRESSANT !
Mon arrière-grand-père, Papy Lazare, celui qui a fait un farctus de la cocarde il y a trois ans, il nous a tous invités chez lui pour fêter la Noël au lendemain du réveillon.
Maintenant que Mamy Marie-Madeleine ne se souvient plus trop du prénom d’un gars qui s’appelle Al Ho-Hisse, c’est Papy qui nous fait la cuisine et qui distribue les cadeaux. J’ai encore eu droit à un livre en papier qui ne rentre pas plus que l’année dernière dans ma console de jeux mais maintenant j’ai l’habitude : j’essaye de le revendre après sur « Le bon coin » ou de l’échanger dans la cour de récré, son Almanach Vermot de l’année en cours. Les dessins plaisent bien aux copains.
Papy avait fait deux pintades, Papa et Maman avaient amené le champagne et les gâteaux apéro de luxe, l’oncle Paul un tiramisu aux kiwis et l’oncle Mathieu un gâteau aux noisettes et à la crème anglaise, qu’on va la garder quand même, la crème des Anglais, même si Thérésa May continue à « Brexiter les folliculaires » comme dit l’oncle Jean qui suit l’actualité internationale pour toute la famille.
Papy était tout pâle quand on est arrivés. « J’ai une rage de dents terrible ! » qu’il nous a dit.
- Ben faut aller chez le dentiste, Papy, a dit l’oncle Mathieu qui n’aime pas y aller non plus, chez le menteur qui arrache les dents.
- J’aime pas : c’est des jeunes ! On ne les connaît pas !
- Ah ben oui, mais si on va par-là, a dit Papa qui connaît tout Alphonse Allais par cœur, plus on ira et moins il y aura de gens qui auront connu Napoléon !
Papy a battu sa coulpe, bu sa coupe, mangé quelques pains d’épices au foie gras puis il est allé s’allonger parce qu’il n’était vraiment pas bien.
Sur le coup de cinq heures les tontons flingueurs et maman sont allés voir ce qu’il en était de Papy qui ne ressortait pas de sa sieste. Ouïe ! Ouïe ! Ouïe ! A la place du Bourgogne il avait pris son médoc pour le cœur mais ça ne lui faisait rien ! Tout le monde est sorti de la chambre très inquiet, la mine catastrophée. Maman a appelé le quinze, et, même si c’était pas un barbu, il y a un pompier qui est venu, puis un médecin et une ambulance pour emmener Papy au pital.
On a posé Papy sur un rancard, ils l’ont emmené allongé, tout jaune, et après tout le monde a pleuré sauf papa et l’oncle Paul qui ont continué à faire de la musique. Ils ont chanté la chanson de « Saturnin le canard » et des tas de bêtises écrites par des Charlots.
- Quand même, pleurnichait Mamy Marie-Madeleine ! On savait que ça devait arriver un jour ou l’autre mais choisir ce jour-là pour partir ! ».
Après l’oncle Mathieu est parti au pital avec mon cousin Luc, voir où ce que ça en était. Plus tard ils ont appelé Maman sur son téléphone de ministre pour lui demander d’amener les chaussons de Papy Lazare parce qu’ils l’avaient emmené pieds nus sur le rancard. Tant qu’à faire de partir les pieds devant en hiver, autant avoir de bonnes chaussures, vu le froid qu’il fait.
Quand Maman est revenue il y avait Mathieu, Luc et Papy Lazare, debout, presque vaillant, avec elle. Ils lui avaient filé de l’amorfine pour qu’il ne sente plus la douleur.
- Qu’est-ce que c’était alors, qu’il avait, Papy ? J’ai demandé.
- Ce n’était rien qu’une rage de dents !
Plus tard, dans l’auto, sur le chemin de la maison, Papa a dit à Maman :
- Ca fait plus de quatre-vingts ans qu’il a la rage dedans, ton grand-père. Pour une fois il l’avait dehors ! N’empêche, c’est dégoûtant ! Il est le seul à avoir reçu du père Noël de quoi se chouter légalement !
J’en ai déduit qu’on ne pouvait pas se chouter avec l’almanach Vermot ! C’est pas grave. Moi j’aime bien le monde comme qu’il est ! J’ai pas besoin qu’on me donne des coups de pieds avec rage dedans !
***
Maman a téléphoné ce matin pour prendre des nouvelles. Papy a quatre cons primés à la morphine à prendre pour tenir avant d’avoir un rendez-vous chez le dentiste. Mais il a dit qu’il ne les prendrait pas.
- Quelle tête de pioche ! a dit Maman !
Tout ça n’est pas grave. Moi j’ai retenu leur nom aux cons primés. La prochaine fois j’irai farfouiller dans leur armoire à pharmacie à Papy et Mamy. Je les récupérerai et je les offrirai à Papa pour la fête des pères !