Faire son Vivian Maier ou son Kad Peskaour, c'est photographier les gens dans la rue, capter des pépites de vie plus ou moins drôles, plus ou moins désolantes, n'émettre pas de jugement et rester témoin anonyme.
Je m'adonne parfois à cette pratique de la photo volée. Pas facile avec un appareil reflex à viseur, comme ici.
Fête Dieu ! Pardon de Sainte-Anne ! Retour de noces ! Moisson faite ! Toutes les occasions sont bonnes Quand on a battu la campagne Pour lever le coude en Bretagne !
Les mam’ Goudig gardent les mômes Quand tous les chemins mènent au rhum, Au bistrot, au bar, au fest-noz : Il faut bien soigner sa cirrhose ! Chacun sa foi, son foie, sa fête !
Passé minuit Denez est rond D’avoir abusé du litron Entre scottish et laridé, De chouchen, de bière, de cidre Et de vin rouge mélangés !
Passé minuit Yann est bourré De fil-en-six et de remords ! De n’avoir pas su s’arrêter Le voilà sur le bas-côté A la limite d’Ivre-mort !
Passé minuit Yann-Fanch est plein ! Il a le regard plus livide Que son verre qu’il a beaucoup plaint Et larividé et remplinn Tant il a sifflé de chopines !
Quand la fête a battu son plein Que le bruit peu à peu s’éteint Les Mam’ Goudig poussent la brouette Vers le domicile conjugal Pour un retour à la normale.
Pour soigner la gueule de bois Un seul remède en Finistère : Le rouleau à pâtisserie ! Pan sur la tête du fêtard ! Les Mam’ Goudig battent leur plein !
Et pour une fois, crénom de nom, - Ma tête dût-elle rouler dans le son - Pas besoin de tergiverser Sur la nécessité ou non D’une possible correction !
On s’attend sans doute ce jour à ce que je fasse le dithyrambe du ukulélé. Je vais tâcher de ne pas décevoir vos espoirs mais pour cela il me faut encore une fois jouer les archivistes ! Je n’en sors décidément pas du farfouillement (je préfère dire farfouillis !) dans les armoires de ma mémoire, dans les strates de mes disques durs externes, dans mes pérégrinations musicales diverses.
Peu importe, allons à l’essentiel et faisons le dithyrambe de Dithyrambe. Il s’agit là d’un duo de comédiennes musiciennes que nous avons entendu pour la première fois au Festival des Affranchis à La Flèche (Sarthe). C’était le 11 juillet 2009 dans la cour de l’hôtel Huger et nous avons vu alors débouler, sur le petit carré de pelouse intemporel, deux beautés datées du XVIIIe siècle.
«Débarquées dans le monde contemporain après 257 ans et trois mois de cryogénisation dans une crevasse des Alpes, Dame Bérénice de la Troufinière et Dame Culnégonde de la Garde Montée, comtesses de leur état, découvrent le punk et le disco et le chantent à la façon de John Dowland en s'accompagnant à l'éventail et au ukulélé. Décoiffant !» disait le programme.
Et sur cet instrument qui a l’air d’un jouet, les deux artistes se sont lancées dans l’interprétation de ce répertoire-ci :
ABBA - Gimme Gimme Gimme a man after The Clash - Should i stay Queen - A break free ACDC - Tiger Mickaël Jackson - Billie Jean Sex pistols - God save the queen Trust - Antisocial Les Mules - J'ai la quéquette qui colle
Ce fut un régal en matière de surréalisme et j’ai pu doubler la mise en 2011 où elles furent invitées aux Tombées de la Nuit de Rennes. L’ambiance côté public y fut un peu moins réceptive et j’ai retrouvé une vidéo jamais publiée dans laquelle un fonctionnaire municipal vient mettre un terme au délirant concert de Dithyrambe : il était l’heure de fermer le jardin du Thabor. L’heure c’est l’heure !
En 2014, je fis l’acquisition du fameux ukulélé rose qui me caractérise désormais aux yeux de certain(e)s bipèdes. Joe Krapov, l’homme qui a flashé sur Isaure Chassériau et sa robe rose au point de s’acheter un ukulélé rose, un appareil photo rose, de voir la vie en rose et à qui on offre des nœuds papillon roses !
L’année suivante j’intégrai le groupe «Les B Car» (B car Brassens, Barrier, Brel etc.) où je jouai longtemps du ukulélé sans qu’on m’entendît vraiment : les deux autres guitaristes «bûcheronnaient» et le chanteur avait une voix à enfoncer Stentor sous trois tonnes de ses décibels et de ses galets.
Lors d’un concert au cours duquel je montrais mes dons sur cet instrument, un ami me dit : «Tu joues bien du ukulélé mais tu me fais moins d’effet que Marilyn Monroe !». Tout cinéphile qui se respecte sait que la dame en joue en effet dans «Certains l’aiment chaud» de Billy Wilder.
Depuis novembre 2017 je fréquente un café rennais, l’Ubuntu, où se rassemblent, une fois par trimestre, des joueurs et joueuses d’ukulélé pour «faire le bœuf», apprendre des morceaux ensemble et participer à une scène ouverte. Cela s'appelle "Up d'uke", "Un poil d'uke" ! Il y a là Christophe, Louise, Marianne et des tas de talentueux-tueuses de la mini-guitare à quatre cordes. Houla, qu’ai-je dit là ?
Car attention : on ne se fait pas que des amis avec un ukulélé. En musique aussi, et ce jusque dans ma propre famille, il y a des puristes. Certains me reprochent de céder à une mode venue des Etats-Unis, d’autres me disent que non, ce n’est pas comme une guitare avec un capodastre à la cinquième case et un troisième ensemble m’affirme que l’accord que j’ai noté do est en réalité un fa : du coup je dois réécrire toutes mes partitions si je veux qu’on joue de concert ou quon boite de conserve. Vous comprenez maintenant pourquoi j’ai de moins en moins de temps pour écrire des bêtises sur le Défi du samedi ? C’est que les instruments-jouets et la musique légère… c’est un boulot à part entière !
P.S. Sans compter qu’au bout de tout ce temps, je ne sais toujours pas s’il faut prononcer oukoulélé ou ioukoulélé !
Joe Krapov est poète, humoriste (?), musicien à ses heures et photographe à seize heures trente. On trouvera ici un choix de ses productions dans ces différents domaines.