TOUT CA, C'EST PEANUTS. 6, Incipit (1)
Je me souviens que la machine à écrire était de marque Underwood.
Avant qu’on ne la possède, mon grand-père m’emmenait parfois le jeudi après-midi à l’imprimerie. On m’en prêtait une et je tapais, sagement, en bon élève, sans déranger personne. Je n’ai rien gardé de ces séances-là mais j’ai encore, dans une valise au grenier, les premiers poèmes que j’ai écrits et tapés sur cette machine Underwood.
Je me souviens d’un titre de Louis Aragon : « Je n’ai jamais appris à écrire ou Les incipit ». Et donc, oui, écrire a toujours été pour moi un des très grands plaisirs de l’existence.
TOUT CA, C'EST PEANUTS. 6, Incipit (2)
Le ruban de la machine était bicolore, rouge et noir, et c’était peut-être un petit cliquet à manipuler qui permettait de soulever le rouleau et de taper sur la partie rouge du ruban. Ecrire, c’était une façon de prendre de la hauteur. Sans aller jusqu’à me percher sur le toit de la maison, j’écrivais dans la chambre ou mon frère et moi dormions et je tapais à la machine de préférence quand j’étais seul.
S’il m’est arrivé d’écrire un roman – à dix-sept ans, ce n’est pas sérieux, comme dit l’Autre qui est un je – je n’ai jamais visé vraiment le statut de romancier. Trop compliqué. Un travail de trop longue haleine pour un ancien asthmatique ! Le poème, le texte court, la saynète me suffisent.
TOUT CA, C'EST PEANUTS. 6, Incipit (3)
L’idéal serait de produire des nouvelles en trois lignes comme le fit Félix Fénéon au XIXe siècle. Entre parenthèses, j’adore le portrait de Félix Fénéon par Paul Signac.
Des romans en quatre phrases, ce ne serait pas mal non plus. Ca me rappelle la consigne du conte dont les quatre phrases commencent par « Bon, Mais, Alors, Et ».
Un exemple chez Charles M. Schulz ? « C’est une nuit de rêve. Deux étrangers dans une pièce pleine de monde. Mais ils ne se rencontrent jamais. Il y a trop de monde dans la pièce. »
TOUT CA, C'EST PEANUTS. 6, Incipit (4)
Chez moi cela donne :
« Plus j’avançais, plus elles se rapprochaient de moi. Le temps ne faisait rien à l’affaire, au contraire. Un jour je m’arrêtai et me retournai pour les regarder en face car je sentais mes cheveux blanchir à force de fuir ainsi, perpétuellement effrayé. Alors, se jetant sur moi, les dégénérescences m’acculèrent." (Vieillir est un naufrage / par Charles de Gaulle, aux Editions du Québec libre).
« Il y a comme ça en France des coins de verdure où coule une rivière et où on serait fâché de découvrir un mec allongé sur le dos avec deux trous rouges au côté droit. C'est pourtant bien face à un cadavre de ce genre que le gendarme Rimbaud, en poste à Bourdeille, Dordogne, Périgord vert, eut à s'agiter cet après-midi-là."
(Incipit de "Une saison d'enfer" de Djemal Verlaine à paraître prochainement à Bruxelles aux éditions C. Delaballe).
Ca ne vaudra jamais, sans doute, toutes les variations hilarantes de Snoopy sur « C’était par une nuit sombre et orageuse » !